« C’est typique du Brésil ; la situation pourrait toujours être mieux, mais elle n’est pas jamais aussi mauvaise qu’elle le paraît. » Cette citation, de l’une des sociétés que nous avons visitées, résume nos réflexions à la suite d’une récente mission de recherche au Brésil.
En arrivant à Sao Paulo, ce qui frappe d’abord, c’est le contraste saisissant entre les favelas délabrées d’un côté et les gratte-ciel luxueux de l’autre. Le thème des contrastes a ponctué tout notre voyage au Brésil, non seulement sur le plan du fossé entre riches et pauvres et du contraste entre paysages urbains et ruraux, mais aussi sur le plan politique, où un important virage vers la gauche s’est opéré.
Les sociétés brésiliennes exercent leurs activités dans une conjoncture nationale imprévisible depuis l’élection du candidat de gauche Luiz Inácio Lula da Silva (Lula) en octobre dernier. Lula a remporté l’élection par une faible marge (moins de 2 %), empêchant ainsi le candidat de droite, Jair Bolsonaro, d’obtenir un second mandat présidentiel. Depuis, le marché boursier du Brésil a été très volatil, principalement en raison de l’incertitude liée à la situation budgétaire structurelle. Celle-ci s’annonce plus souple sous le gouvernement Lula, qui tentera de concrétiser sa promesse électorale d’augmenter les dépenses relatives aux programmes sociaux. Cette situation inquiète les investisseurs, car le pays affiche déjà une dette publique relativement élevée, avec un ratio dette/PIB de près de 80 %1. Si les taux réels du Brésil sont parmi les plus élevés des principaux pays émergents (figure 1), le relèvement énergique des taux par la banque centrale au cours des deux dernières années suscite des inquiétudes, car un assouplissement de la politique budgétaire pourrait entraîner des taux plus élevés à plus long terme, ce qui pourrait éventuellement freiner la croissance2.
Figure 1 : Taux réels par pays
Source : Global Data Watch de J.P. Morgan, en date de mars 2023. Toutes les données sont fondées sur les prévisions pour le 2e trimestre de 2023.
L’incertitude a sans doute déjà affecté les valorisations du marché boursier du Brésil, qui sont aux niveaux les plus bas de l’histoire du pays (figure 2)3. La majorité des sociétés que nous avons rencontrées nous ont indiqué qu’elles voyaient encore de bonnes possibilités de croissance à long terme et de solides données fondamentales dans un certain nombre de secteurs intérieurs au Brésil, notamment la consommation, la financiarisation et les soins de santé. Depuis un bon moment, nous pensons que la qualité des sociétés brésiliennes est élevée au sein des marchés émergents, notamment du point de vue des activités, des équipes de direction, de la gouvernance d’entreprise et des politiques ESG.
En outre, le Brésil dispose de plusieurs avantages naturels, dont une abondance d’eau, des conditions climatiques favorables avec des températures stables et de vastes réserves de terres agricoles. Il s’agit d’un immense pays, qui couvre près de la moitié de l’Amérique du Sud et s’étend sur quatre fuseaux horaires. Au cours de notre voyage, nous avons observé le contraste frappant entre les métropoles de Rio et de Sao Paulo, où réside la majorité de la population, et le reste du pays, qui regorge de forêts tropicales et de terres agricoles. Pour mettre les choses en contexte, environ 60 % de la forêt amazonienne se trouve au Brésil, et l’on estime que 25 % des espèces végétales connues dans le monde y vivent4. Ces atouts ont contribué à placer le pays parmi les principaux producteurs de matières premières au monde5. Malheureusement, malgré ces avantages, les sociétés exercent pour la plupart leurs activités dans des conditions difficiles depuis de nombreuses années en raison de la situation politique du pays. Comme l’a fait observer l’un des investisseurs locaux avec lesquels nous nous sommes entretenus, « le Brésil compte d’excellentes sociétés, et même pendant la crise politique de 2015, aucun des titres de sociétés de qualité ne s’est négocié à ces niveaux. Toutefois, les sociétés doivent toujours anticiper les bâtons que le gouvernement pourrait leur mettre dans les roues. »
Figure 2 : Ratio cours-bénéfice de l’indice MSCI Brazil
Source : Indice MSCI, en date d’avril 2023
Ce qui ressort de nos rencontres avec les sociétés, c’est que le pessimisme politique a atteint son paroxysme. Selon plusieurs d’entre elles, il y aurait lieu d’être optimiste si des progrès étaient réalisés dans les réformes du pays, en particulier dans la réforme fiscale. Il est essentiel de simplifier le système fiscal brésilien pour renforcer la compétitivité et la productivité du pays, qui possède l’un des systèmes fiscaux les plus complexes au monde6. Des mesures fiscales font l’objet de discussions depuis des décennies, mais les propositions formulées ces dernières années ont toutes été rejetées par le Congrès7.
Malgré ce potentiel encourageant, des risques subsistent. L’une des plus grandes préoccupations évoquées lors de nos réunions portait sur l’indépendance de la banque centrale. La banque centrale brésilienne est indépendante depuis 2021 en vertu de la loi8. Toutefois, Lula a remis en question à plusieurs reprises la décision de la banque centrale de ne pas accélérer la baisse des taux d’intérêt et de maintenir l’objectif d’inflation à un niveau jugé trop bas9. Les propos de Lula n’ont fait que renforcer les inquiétudes des sociétés et des investisseurs quant à la crédibilité des institutions.
À la lumière de notre voyage, la qualité des sociétés, leurs antécédents en gestion, leurs données fondamentales positives à long terme et leurs cours bon marché nous laissent penser que les perspectives des sociétés brésiliennes dans lesquelles nous investissons sont optimistes malgré l’incertitude politique. Nous continuons d’orienter nos portefeuilles vers les secteurs susceptibles d’enregistrer une croissance structurelle à long terme, notamment la santé et le bien-être, la consommation intérieure et la financiarisation.