Pour la première fois en plus de dix ans, les investisseurs en obligations font face à un resserrement simultané de la politique monétaire dans la majorité des grands marchés. Les indicateurs du marché donnent à penser que toutes les principales banques centrales, sauf la Banque du Japon, augmenteront les taux d’intérêt au cours de la prochaine année. Cela dit, l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourrait rendre moins pertinents les arguments en faveur d’une hausse des taux si le conflit s’intensifiait. Même la Banque centrale européenne (BCE), qui maintient un taux directeur négatif depuis 2016, pourrait hausser les taux au moins une fois d’ici la fin de l’année. Dans la poursuite de ces efforts concertés de resserrement monétaire, les banques centrales limiteront également leurs achats d’actifs. Nous croyons que la Réserve fédérale américaine (Fed) commencera à réduire la taille de son bilan lors du deuxième semestre de l’année. Nous avons revu à la hausse nos prévisions à l’égard des taux obligataires pour l’ensemble des marchés. De plus, nous nous attendons à ce que le taux des obligations du Trésor américain à dix ans atteigne son plus haut niveau depuis la mi-2019 au cours des douze prochains mois.
Les dirigeants de banques centrales ont joué un rôle clé dans l’évolution des perspectives du marché obligataire. Au début du mois de janvier, la Fed a surpris les investisseurs en admettant que la hausse plus rapide que prévu de l’inflation l’obligera à adopter des mesures plus musclées pour resserrer sa politique. Selon la Fed, comme le risque d’inflation est désormais suffisamment élevé, les achats d’actifs devraient être limités de façon à pouvoir réduire la taille de son bilan plutôt qu’à simplement ralentir la vitesse à laquelle elle augmenterait. Cependant, une hausse des taux d’intérêt ne sera pas suffisante.
L’inflation est de plus en plus généralisée (figure 1). La perturbation des chaînes d’approvisionnement causée par la pandémie dure beaucoup plus longtemps que prévu, et les autres secteurs de l’économie se redressent beaucoup plus rapidement. Alors que le marché du travail américain est tendu comme jamais, les travailleurs réclament des salaires plus élevés pour compenser la hausse générale des prix. Dans certains secteurs, les salaires augmentent de pas moins de 10 % par année, ce qui est supérieur à l’inflation annuelle, qui tourne actuellement autour de 7,5 %.
Figure 1 : Hausse des prix à la consommation dans le monde
Taux d’inflation d’une année sur l’autre dans certains pays
Nota : Données en février 2022. Sources : Bureaux nationaux de statistique, Bloomberg
Ainsi, les investisseurs prévoient jusqu’à sept hausses des taux d’intérêt de la Fed cette année. Le scénario le plus probable au cours de la prochaine année, dans ce contexte toujours marqué par une inflation élevée et un resserrement de la politique monétaire, est une hausse des taux obligataires. Nous nous attendons à ce que le taux des obligations américaines à dix ans augmente à 2,25 % au cours de la prochaine année, comparativement à environ 1,90 % au moment de la rédaction de ces lignes.
Nous nous attendons à ce que la Fed procède à une série de hausses de taux d’intérêt, mais pensons que le nombre de hausses sera probablement limité à environ quatre. Nous prévoyons un ralentissement de l’activité économique à l’échelle mondiale au cours de la prochaine année, ce qui rendra moins urgente la hausse des taux par les banques centrales. La stimulation apportée par les dépenses liées à la pandémie sera nettement moins forte en 2022, ce qui aura pour effet de freiner la croissance. De plus, il semble que la résorption des capacités excédentaires au sein de l’économie et du marché du travail a été achevée au cours des derniers mois de 2021. Le taux de croissance économique devrait donc retrouver son potentiel préalable à la pandémie. Dans ce contexte, nous nous attendons à ce que les banques centrales relèvent les taux dans une moindre mesure que prévu en fonction des indicateurs du marché (figure 2). Au Canada, nous prévoyons que la Banque du Canada augmentera quatre fois le taux directeur d’ici la fin de l’année, tandis que le marché anticipe au moins sept hausses.
Figure 2 : Hausses prévues des taux d’intérêt des banques centrales
Augmentations de taux d’intérêt attendues entre mars et décembre
Nota : Données en février 2022. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Par ailleurs, nous pensons que la réduction des achats d’actifs par les banques centrales aura un effet modeste sur les taux des obligations d’État. Bien que les achats d’actifs puissent faire baisser les taux obligataires à long terme puisqu’ils laissent présager des taux directeurs bas pendant une longue période, la réduction de la taille du bilan ne garantit pas le contraire. En fait, nous pensons qu’une telle réduction pourrait remplacer les hausses de taux d’intérêt et atténuer la pression qui s’exerce sur la banque centrale pour qu’elle relève ses taux.
La courbe des taux, soit l’écart entre les taux obligataires à court et à long terme, s’est considérablement aplanie : elle est à présent étonnamment plane, ce qui laisse présager un ralentissement de la croissance économique. Les hausses de taux d’intérêt accentuent la probabilité d’un ralentissement plus marqué de la croissance, voire d’une récession. Nous prévoyons donc que la courbe des taux continuera de s’aplanir au cours de la prochaine année.
Bien que la vigueur de l’inflation et la hausse des taux directeurs puissent justifier la hausse des taux obligataires, nous pensons que les tendances à long terme du marché obligataire jouent toujours un rôle important en cette période de fin de pandémie. Nous parlons depuis longtemps de l’incidence de la hausse de l’endettement à l’échelle mondiale, de la démographie, de l’inégalité des revenus et de l’évolution technologique sur les marchés obligataires. La plupart de ces tendances, qui existaient déjà avant la pandémie, ont été exacerbées par celle-ci. Elles risquent fort bien de persister dans un avenir prévisible. Par conséquent, les taux obligataires devraient augmenter l’an prochain, mais nous prévoyons des hausses relativement modestes. Les investisseurs en obligations devraient donc s’attendre à des rendements de moins de 5 %.
Nous nous attendons à ce que le taux des obligations américaines à dix ans augmente à 2,25 % au cours de la prochaine année, comparativement à environ 1,90 % au moment de la rédaction de ces lignes.
États-Unis – Face à une inflation qui ne se limite pas aux secteurs touchés par la pandémie et qui frappe l’ensemble de l’économie, et compte tenu de la grande vigueur du marché du travail, la Réserve fédérale américaine (Fed) devrait progressivement mettre fin à ses politiques d’urgence. Nous nous attendons à ce qu’elle relève les taux d’intérêt au moins quatre fois d’ici décembre. De plus, il est probable qu’elle commencera à réduire la taille de son bilan dès cet été. Le marché obligataire anticipe au moins six hausses d’ici décembre. Nous croyons que le resserrement radical de la politique monétaire ne sera plus nécessaire en raison de la décélération de l’activité économique et des pressions sur les prix au cours de l’année actuelle. Nous nous attendons donc à un nombre de hausses moins élevé que ne le laissent présager les indicateurs de marché. Qui plus est, une approche plus musclée en vue de réduire la taille du bilan pourrait être adoptée au lieu d’augmenter le taux directeur.
Nous pensons que la BdC relèvera le taux de financement à un jour à quatre reprises pour le porter à 1,50 %, et que le taux des obligations à dix ans grimpera à 2,25 %.
Canada – Après avoir tenu les taux d’intérêt aussi bas que possible pendant presque deux ans, la Banque du Canada (BdC) a amorcé un relèvement de ces derniers. L’étroitesse du marché du travail ainsi que la frénésie du marché du logement montrent que la hausse des taux est justifiée. Cependant, l’aggravation des risques géopolitiques depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie à la fin de février pourrait donner lieu à l’adoption d’une approche plus prudente. La BdC a indiqué qu’elle deviendra probablement plus « dépendante de données » après les premières hausses des taux. Cela dit, l’approche qu’elle choisira en vue de réduire la taille de son bilan jouera un rôle déterminant. La BdC s’est contentée de préciser que les hausses de taux précéderaient les mesures de réduction du bilan, aussi appelées « resserrement quantitatif ». Les responsables de la politique ont pour leur part indiqué qu’ils n’ont pas l’intention de vendre des obligations pour réduire le bilan. Nous nous attendons à ce qu’une approche prudente soit adoptée et que la réduction de la taille du bilan se fasse graduellement à partir d’avril. Les investisseurs anticipent sept hausses de 25 points de base au cours des douze prochains mois, ce qui, selon nous, semble peu probable.
Nous prévoyons que la BdA relèvera ses taux à 1,50 % d’ici la fin de l’année, et que le taux des obligations du Royaume-Uni à dix ans passera de 1,45 % à 1,55 % au cours de cette même période.
Royaume-Uni – La Banque d’Angleterre (BdA) a porté son taux de référence à 0,50 % lors de sa réunion de février. Nous prévoyons que les décideurs continueront de le relever au cours de l’année actuelle. L’inflation a grimpé à 5,5 % en janvier, l’économie étant aux prises avec la flambée des prix de l’énergie et l’augmentation des coûts d’exploitation à la suite du Brexit. La BdA semble également prête à alléger considérablement la taille de son bilan dans le courant de l’année. Contrairement aux autres banques centrales, la BdA devra probablement procéder à la vente d’obligations d’État à long terme pour alléger son bilan. Selon nous, une telle opération pourrait se traduire par des pressions à la hausse sur les taux obligataires à moyen et à long terme. De plus, nous pensons que le plan de la BdA consistant à se défaire rapidement de ses importantes positions en obligations de sociétés pourrait entraîner une hausse de la prime de rendement exigée par les investisseurs pour les conserver.
Nous anticipons le maintien du taux directeur de la BCE cette année, et prévoyons que le taux des obligations allemandes à dix ans avoisinera 0,15 % au cours de la prochaine année.
Zone euro – Tout comme les autres marchés développés, la zone euro se prépare à lever les mesures d’assouplissement de la politique monétaire au cours de la prochaine année. Sous l’effet de la hausse des prix de l’énergie, l’inflation dans la zone euro a atteint en janvier son plus haut niveau en vingt-cinq ans, soit 5,1 %. L’expansion budgétaire continue devrait favoriser une croissance plus forte que celle des dernières années. Nos prévisions à l’égard de l’économie de la zone euro sont grandement tributaires de la guerre en Ukraine. La Russie étant le premier fournisseur d’énergie de la zone euro, toute perturbation accroîtrait l’inflation, qui est déjà galopante. Par ailleurs, comme l’indexation des salaires au niveau de l’inflation est généralisée dans les contrats de travail en Europe, l’inflation est susceptible de se refléter, au moins en partie, sur les salaires. Nous croyons que l’ajustement de la politique monétaire par la Banque centrale européenne (BCE) cette année se fera principalement sous forme de baisse des achats d’actifs plutôt que de hausses de taux d’intérêt. Si nous ne serions pas surpris que les taux soient relevés d’ici la fin de 2022, nous pensons qu’il est plus probable que ces hausses aient lieu en 2023.
Selon nos prévisions, le taux des obligations d’État à dix ans se chiffrera à 0,15 % dans un an.
Japon – Le Japon semble en grande partie épargné par l’inflation qui frappe la majorité des pays développés. Nous pensons que l’économie nipponne aura du mal à exercer des pressions inflationnistes importantes et durables à long terme. Nous ne nous attendons pas à un changement important dans la politique monétaire au cours des douze prochains mois. Parallèlement, la hausse des taux des obligations mondiales pourrait faire grimper les taux obligataires du Japon, mais moins fortement que dans les autres pays puisque la Banque du Japon s’efforce de maintenir le taux à dix ans à 0,25 %.
Perspectives régionales
Nous pensons que la Fed ouvrira le bal en resserrant sa politique monétaire au cours des douze prochains mois, ce qui accroîtra l’attrait des titres d’État de la zone euro et du Japon. Nous sous-pondérons les obligations du Trésor américain et surpondérons les obligations d’État allemandes et japonaises.
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