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Par  Eric Lascelles 9 janvier 2023

Eric Lascelles, économiste en chef, fait part de ses prévisions de baisse de l’inflation et de fléchissement de la croissance mondiale pour la prochaine année.

Durée : 11 minutes 16 secondes

Transcription

Quelles sont vos prévisions à propos de l’inflation ?

Le principal problème économique en ce moment est l’inflation beaucoup trop élevée ; celle-ci entraîne une distorsion de l’économie et des décisions qui s’y rapportent. De façon peut-être encore plus marquée, elle pousse les banques centrales à augmenter les taux à des niveaux que nous n’avions pas vus depuis plus de dix ans, et cela nuit tout aussi fortement à l’économie. L’inflation est donc déterminante.

Je pense qu’il est d’abord nécessaire de se demander pourquoi l’inflation est si élevée. Et la réponse courte est qu’il ne s’agit pas d’un phénomène simple. En fait, vous auriez du mal à trouver un facteur qui aurait le pouvoir à lui seul de faire monter l’inflation jusqu’à 7 %, 8 %, 9 % ou 10 %. Nous pensons en fait qu’une multitude de forces ont été à l’œuvre, y compris les problèmes de chaîne d’approvisionnement qui ont causé un grand choc dans le segment des marchandises.

Notons aussi un trop grand recours aux mesures de relance monétaire de la part des banques centrales et peut-être aussi de la part des autorités fiscales. La bonne nouvelle, c’est qu’en observant ces quatre facteurs, nous les avons tous vus changer de cap de façon marquée. De fait, les chaînes d’approvisionnement s’améliorent de manière considérable, bien qu’elles ne soient pas encore parfaitement rétablies. Les prix des marchandises ont chuté de manière assez substantielle ; pas suffisamment pour que les prix baissent, mais ils ont commencé à diminuer, ce qui constitue un revirement.

Les mesures de relance monétaire ont radicalement changé, et nous pensons que les banques centrales s’approchent de la ligne d’arrivée. Celles-ci ont délaissé le mode « relance » pour y préférer un mode purement restrictif. On constate également un léger resserrement budgétaire. L’inflation commence donc à chuter. Nous croyons qu’elle a atteint son sommet aux alentours de juin en Amérique du Nord. De plus, elle a probablement atteint son sommet en octobre en Europe et au Royaume-Uni. Et même si nous prévoyons un nouveau recul, il ne s’agira probablement pas d’un déclin rapide ou régulier, mais de soubresauts. Par ailleurs, nous sommes encore aux prises avec la croissance rapide des salaires et avec une inflation si endémique qu’elle prend plus de temps à résoudre. Cela étant dit, nous pensons que l’inflation peut continuer de baisser. En fait, nous avons une prévision d’inflation inférieure au consensus. Nous pouvons voir que les entreprises modifient leur comportement en matière de fixation des prix. Par exemple, du côté de la Chine, les prix à la production commencent à baisser.

L’inflation pourrait donc reculer plus que ce que le marché anticipe actuellement. Et c’est d’une importance capitale. L’inflation a été le plus gros problème l’année dernière.


Une récession aura-t-elle lieu en 2023 ? Si oui, à quoi ressemblera-t-elle ?

Nous prévoyons une récession dans les pays développés en 2023 simplement parce qu’il y a actuellement beaucoup plus de difficultés économiques à surmonter que de vents favorables. Ces obstacles incluent l’effet corrosif de l’inflation qui restera probablement élevée pendant un certain temps encore.

Mais aussi les hausses importantes des taux d’intérêt qui nuisent à la croissance, les prix de l’essence élevés, les difficultés économiques de la Chine, etc. Tout cela s’ajoute à une récession qui durera vraisemblablement quelques trimestres en 2023. Lorsque nous les examinons de plus près, la majorité des signaux de récession simples que nous surveillons pointent également en direction d’une récession. Il s’agit notamment de l’inversion des courbes de rendement. Et comme notre cycle économique fonctionne de façon similaire, nous concluons être probablement à la fin d’un tel cycle, un moment habituellement marqué par l’émergence d’une récession dans les quelques trimestres subséquents.

La récession est donc plus probable qu’improbable, sans pour autant être assurée, mais avec de la chance, la croissance pourrait néanmoins se maintenir en 2023. Nous estimons la probabilité d’une telle récession à 80 %. Nous envisageons un recul d’une ampleur moyenne, soit un peu plus prononcé que ce que le marché prédit actuellement, sans être aussi prononcé que lors des deux dernières récessions.

Cela dit, il ne faut peut-être pas seulement se concentrer sur la probabilité d’une récession, mais s’attarder aussi aux signes encourageants ou aux occasions qui pourraient être saisies dans la foulée. Dans cette optique, nous pensons que cette récession pourrait être plus utile que d’habitude. Elle devrait aider à juguler l’inflation, ce qui est son principal effet. Si nous voulons profiter d’une prospérité croissante dans les prochaines décennies, il nous faut réévaluer le marché du logement correctement, ce qui serait bon d’un point de vue sociétal, en plus d’apaiser un peu le marché du travail qui se trouve dans une position apparemment non viable.

Cela dit, le marché du travail pourrait nous sembler moins touché qu’il ne l’est en réalité, car nous n’anticipons pas des pertes d’emploi comme lors d’une récession normale étant donné que les entreprises s’accrocheront aux travailleurs qu’elles ont eu tant de mal à trouver. Il est aussi important de se rappeler que les récessions ne sont pas éternelles. Elles ne durent quelques trimestres, et dans ce cas-ci, nous pensons qu’elle servira de tremplin à une croissance relativement robuste au cours des années subséquentes.

Et comme toujours, de bonnes occasions de placement qui se présentent pendant les ralentissements économiques, et les valorisations que nous voyons aujourd’hui le démontrent déjà en partie.


Quelles sont vos prévisions concernant la croissance mondiale ?

Il est important de prendre quelques instants pour réfléchir aux perspectives de croissance à l’échelle mondiale. À cet égard, nous pensons que les pays développés sont les plus susceptibles de succomber à une véritable récession. Les États-Unis souffrent probablement un peu moins que la plupart des autres, car l’économie y est moins sensible aux taux d’intérêt en ce moment.

Le Canada accuse un recul un peu plus marqué qu’aux États-Unis. Son économie est plus sensible aux taux, surtout en raison de son exposition à un marché du logement en surchauffe. De leur côté, l’Europe et le Royaume-Uni auront probablement un peu plus de difficultés. Cela s’explique par leur exposition aux conséquences des sanctions contre la Russie, plus particulièrement aux prix élevés du gaz naturel, mais aussi par le chaos politique causé par le Brexit dans le cas du Royaume-Uni.

Toutes les récessions ne sont pas identiques. De la même façon, la croissance des marchés émergents devrait aussi être grandement touchée par le ralentissement de la croissance anticipé en 2023. En fait, nous prévoyons que la croissance du PIB ne sera que d’environ 2 % à l’échelle mondiale pour l’année à venir. Et ce pourcentage représente pratiquement le seuil théorique déterminant l’avènement ou non d’une récession mondiale. L’économie se contracte rarement à l’échelle mondiale.

En ce sens, une projection de 2 % n’est pas une bonne nouvelle. La Chine doit toutefois être exclue de ce pronostic, car elle évolue de façon autonome sur plusieurs fronts. Elle doit donc relever certains défis uniques auxquels d’autres pays ne font pas face, du moins pas dans la même mesure, notamment parce qu’elle pourrait croître un peu plus rapidement en 2023 qu’en 2022. À mon sens, la politique de tolérance zéro de la Chine est le principal élément qui a fortement plombé sa croissance économique.

Nous pouvons même en apercevoir les contrecoups en ce moment, avec l’essor d’une récente vague en Chine. Mais les manifestations ont pris de l’ampleur. Dans la foulée, la Chine est en train de revoir sérieusement certaines des règles visant à restreindre la COVID-19, sans les abandonner complètement. Cela devrait donner un peu plus de latitude à l’économie, même s’ils soupèsent le risque de perdre le contrôle du virus.

Nous estimons actuellement la croissance de la Chine à environ 3 %, ce qui est nettement inférieur à la normale. En plus des défis du marché du logement qui touchent l’économie de la Chine, le gouvernement transfère les pouvoirs du secteur privé vers l’État, ce qui n’est probablement pas optimal pour la croissance. Toutefois, au courant de l’année à venir, il est probable que les restrictions liées à la COVID-19 seront moins nombreuses, ce qui permettra probablement de surmonter les entraves les plus graves au marché du logement, à mesure que les politiques du logement s’assoupliront en parallèle.

Je ne voudrais pas surestimer la rapidité avec laquelle la Chine peut évoluer parce que son endettement s’intensifie et qu’elle présente un piètre bilan démographique. De plus, elle ne soutient pas le secteur privé d’une façon optimale. Nous pensons donc que l’économie chinoise reprendra son essor l’année prochaine, mais que sa croissance ne dépassera probablement pas 4 %. Ajoutons qu’historiquement, la Chine affichait des taux de croissance de 6 % et plus avant la pandémie.

Ces taux se situent aujourd’hui autour de 3 % à 4 %.


Comment les marchés réagissent-ils au financement gouvernemental ?

Les élections de mi-mandat aux États-Unis se sont soldées par un Congrès divisé. Les démocrates se sont accrochés au Sénat, y compris en y gagnant un nouveau siège important, tandis que les républicains ont ravi la Chambre des Représentants aux démocrates. On ne peut donc plus parler raz-de-marée démocrate. Le Congrès est dorénavant très divisé, ce qui limitera les progrès législatifs au cours des prochaines années.

Certes, les démocrates ont encore une certaine latitude. Ils peuvent dominer les comités et nommer des juges à la Cour Suprême au besoin. Les décrets présidentiels peuvent aller de l’avant, etc. Cependant, les possibilités sont très restreintes en matière de grandes réalisations législatives. Les marchés apprécient généralement un Congrès divisé, probablement parce qu’il limite les difficultés auxquelles les politiciens peuvent faire face.

De fait, cela pourrait être important à l’avenir puisque le contexte budgétaire évolue d’une manière qui rend le marché obligataire moins tolérant des excès budgétaires. En ce sens, les États-Unis sont peut-être moins exposés à ce type de problèmes. Le marché obligataire se préoccupe davantage des emprunts et du financement public, en partie parce que la dette publique est élevée et en hausse, et en partie parce que les banques centrales n’absorbent plus une grande partie de cette dette ; non seulement l’assouplissement quantitatif a pris fin, mais il s’est même inversé.

De plus, les coûts d’emprunt augmentent, de sorte que tout est plus cher pour les gouvernements. Les temps restent donc difficiles, car le marché obligataire demeure plus sensible et moins tolérant de tous ces emprunts. Cela dit, les gouvernements voudront probablement fournir un certain soutien lors du prochain ralentissement. Autre point délicat : nous sommes d’avis que, d’un point de vue structurel, nous vivons à une époque où le gouvernement joue un rôle de premier plan.

Les organismes gouvernementaux offrent des subventions importantes dans le secteur de l’énergie, subissent des pressions pour accroître les dépenses militaires dans un contexte géopolitique plus dangereux, doivent accroître les montants prévus pour remplir les obligations de dépenses au bénéfice des populations vieillissantes, doivent s’occuper des dépenses liées à la protection de l’environnement et, à mesure que la mondialisation perd du terrain, doivent accroître les dépenses dans le secteur industriel. Les gouvernements voudraient donc dépenser beaucoup, ce qui est contraire à la volonté des marchés obligataires. Ça pourrait être intéressant.

Au minimum, il devrait y avoir une différence plus marquée entre les états souverains qui se comportent bien et ceux que font le contraire.


Quelles sont les perspectives du marché canadien du logement pour 2023 ?

Le marché du logement est le plus touché de l’économie lorsque les taux d’intérêt sont en hausse. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux marchés du logement éprouvent aujourd’hui des difficultés. Le Canada est particulièrement vulnérable en raison de l’endettement très élevé des ménages et surtout de la piètre accessibilité à la propriété. Et au début de la pandémie, l’accessibilité n’était pas optimale.

La situation s’est détériorée avec la flambée des prix tout au long de la pandémie et s’est aggravée depuis, notamment avec la hausse récente des taux hypothécaires. Le tout s’est soldé par la faiblesse que l’on observe. Par conséquent, les reventes de logements au Canada ont chuté, les projets de construction commencent à fléchir et les prix des maisons affichent un net recul. Dans la mesure où l’on prévoit un affaiblissement de l’économie au courant de la prochaine année, le marché du logement pourrait se retrouver en position de faiblesse une fois de plus.

Chose certaine, le Canada prévoit l’accueil d’un grand nombre d’immigrants, ce qui devrait soutenir la demande de logements de façon durable. Soulignons toutefois que d’importantes contraintes plombent l’offre de logements, y compris les ceintures vertes et les règles de zonage ainsi que d’autres éléments qui laissent croire, encore une fois, que les prix des maisons n’auront pas à regagner complètement tout le terrain perdu. Néanmoins, en ce qui concerne le prix de l’immobilier, nous pensons que d’autres baisses sont probablement à venir.

Jusqu’à présent, nous avons observé une baisse d’environ 10 % du prix des maisons à l’échelle nationale. Nous jugeons qu’une baisse cumulative raisonnable se situerait entre 20 % et 25 %. Nous en serions donc à près de la moitié d’un tel recul. J’admets que cette prédiction demeure très incertaine. Nous avons par exemple observé une certaine stabilisation récemment. Peut-être que le meilleur scénario se concrétise et que le recul a pris fin. Mais le recul anticipé de 20 % à 25 % n’est pas fortement lié aux hausses de prix qui ont eu lieu plus tôt au cours de la pandémie.

Il n’est pas non plus fortement lié aux problèmes d’accessibilité actuels, surtout que les taux hypothécaires sont plus élevés que d’ordinaire. Nous nous attendons donc à ce que le déclin se poursuive. Et il est probable que ce segment continue de freiner l’économie en général. Je dois toutefois insister sur le fait que cela ne causera pas de tension importante dans les marchés financiers. Les règles du marché hypothécaire canadien sont telles qu’un sursis semblable à ce qui s’est produit en 2008 semble très improbable à ce stade.



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Date de publication : 22 décembre 2022