Dan Mitchell, premier gestionnaire de portefeuille, donne son avis sur l’inversion du processus de dollarisation et sur son incidence concernant les monnaies mondiales.
Dagmara Fijalkowski, cheffe, Titres mondiaux à revenu fixe et devises, exprime son opinion sur la question de savoir si la Board of Governors of the Federal Reserve System des États-Unis (Fed) a fini de relever les taux.
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Transcription
La Fed a-t-elle fini de relever les taux ?
Les taux obligataires ont augmenté au cours du trimestre. On s’attend à ce que la Fed interrompe ses hausses de taux, puis recommence à les relever plus tard. Passons en revue quelques faits. Tout d’abord, l’inflation a diminué, mais à un rythme inférieur aux prévisions optimistes du début de l’année. Elle est encore trop élevée par rapport à la cible de la Fed pour que celle-ci crie victoire.
Les demandes de prestation d’assurance-emploi augmentent, mais très lentement, et le taux de chômage est toujours inférieur à 4 %. En raison de ces deux facteurs, les marchés prévoient une nouvelle hausse, ce qui nous semble justifié. Le taux final des fonds fédéraux devrait donc se situer aux alentours de 5,5 %. En 2023, les hausses de taux devraient totaliser environ 100 points de base (pb), contre environ 400 pb en 2022.
Nous pouvons donc toujours affirmer que la Fed est plus près de la fin de son cycle de relèvement que du début. Au cours des derniers mois, nous avons analysé quatre scénarios clés concernant l’évolution de la macroéconomie, de l’inflation et des marchés obligataires. Faisons le point sur les différentes probabilités. La bonne nouvelle : la probabilité du scénario présentant le plus grand risque de marché baissier a diminué.
Ce scénario rappelle la période de la fin des années 1970, lorsque la Fed a déclaré victoire trop tôt et que l’inflation a repris son envol par la suite. Les hypothèses de taux neutre de la Fed seraient trop faibles, et sa politique monétaire ne serait pas suffisamment restrictive. De nouvelles hausses seraient donc nécessaires à partir du moment où la Fed en serait convaincue. Nous estimons que la probabilité de ce scénario est désormais beaucoup plus faible et s’élève à environ 10 %.
La Fed cherche activement à préserver sa crédibilité. La probabilité du deuxième scénario, celui de « désinflation immaculée », a également reculé. Comme l’inflation ne s’est pas résorbée plus rapidement que prévu, les attentes relatives au taux plafond des fonds fédéraux ont été revues à la hausse. Penchons-nous maintenant sur les deux scénarios clés les plus plausibles. L’un prévoit un certain bouleversement : la Fed serait contrainte de réduire considérablement les taux pour préserver la stabilité des marchés et atténuer le risque systémique.
Il semble que la Fed soit parvenue jusqu’à présent à bien faire la distinction entre les outils de politique monétaire et macroprudentiels. Ces derniers sont compatibles avec le rôle de prêteur de dernier ressort et de teneur de marché de dernier recours de la Fed. Trois mois après l’effondrement de la Silicon Valley Bank, ces préoccupations semblent s’estomper. Passons maintenant au dernier scénario, celui de « longue pause », qui est le seul dont la probabilité est croissante.
Il implique une nouvelle hausse, puis le maintien des taux, le temps que les effets de la politique monétaire se fassent sentir. Une récession pourrait ou non s’ensuivre. Nous pensons que ce sera le cas. À l’heure actuelle, le scénario de la « longue pause » est le plus probable. Les taux obligataires devraient donc rester élevés.
Le taux des obligations du Trésor américain à dix ans se maintient principalement entre 3,5 % à 4 % depuis septembre 2022. Il finira par baisser progressivement pour s’établir aux alentours de 3,5 % au cours des six prochains mois.
Qu’est-ce que la dédollarisation et quelle incidence aura-t-elle sur les monnaies mondiales ?
Le terme « dédollarisation » a gagné en popularité dans les médias et sur les marchés, et il a suscité une vague de pessimisme à l’égard du billet vert après l’atteinte de son sommet en octobre dernier. Ce phénomène s’est traduit par une remontée de l’euro de 0,95 $ à 1,10 $, ainsi que par le renforcement des monnaies des marchés émergents, du bitcoin et de l’or. La dédollarisation est un thème très vaste.
Elle reflète un abandon graduel du dollar américain à des fins de placement et de commerce à l’échelle mondiale. En ce qui concerne les placements, nous avons vu des pays se détourner du dollar américain dans leur tentative de diversification de leurs énormes réserves de change. Il y a vingt ans, lors de la création du marché obligataire européen, l’euro est devenu une solution de rechange viable à cette fin.
De plus, la Chine s’efforce de faire ajouter le renminbi à la liste des monnaies de réserve mondiales. Dans le domaine du commerce, certains pays commencent à s’éloigner du dollar américain, à éviter les systèmes de paiement des États-Unis et à essayer d’utiliser leur propre monnaie pour effectuer des opérations. Par exemple, le Brésil et l’Argentine cherchent ensemble des façons d’exporter et d’importer des produits dans leurs propres monnaies, et l’Arabie saoudite a commencé à accepter d’autres monnaies pour les exportations de pétrole.
Ce thème s’est tellement répandu que les investisseurs se demandent vraiment si le dollar américain mérite bien d’être la première monnaie de réserve du monde, compte tenu notamment des événements récents concernant les débats sur le plafond de la dette, les déficits budgétaires élevés et les faillites de banques aux États-Unis. En fait, la question se pose à très long terme. Elle ne se résoudra pas en quelques semaines, quelques mois ou même quelques années.
Ce processus se déroulera pendant plusieurs décennies. Nous avons donc intégré cet élément dans nos prévisions de baisse du dollar américain au cours des deux prochaines années, mais ce n’est que l’un des nombreux facteurs que nous prenons en compte dans nos perspectives. Nous prévoyons que la plupart des monnaies des marchés émergents et des marchés développés bénéficieront d’un contexte de recul du billet vert.