Dan Chornous, chef des placements, présente ses perspectives pour les marchés et l’économie mondiale pour 2024, et répond à la question de savoir si les banques centrales ont fini de relever les taux d’intérêt.
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Transcription
L’inflation a-t-elle atteint un sommet ?
Nous devons nous rappeler qu’en procédant à un resserrement des conditions monétaires, l’objectif des banques centrales n’était pas de plonger l’économie dans une récession. Leur objectif était de freiner le taux de croissance de l’inflation, qui avait atteint des niveaux inacceptables. Et, de plus en plus, cet objectif semble avoir été atteint.
L’inflation a donc culminé il y a un an à un taux variant de 8 % à 9 % dans la plupart des pays, bien que ce taux ait été un peu plus élevé dans certaines régions d’Europe. Elle a cependant depuis lors retrouvé un niveau à un chiffre, bien en dessous de 5 %. Du reste, on estime que l’inflation devrait atteindre un niveau de 2,5 % à 2 % d’ici la fin de 2024, voire au début de 2025.
Comme c’est le cas de tous les indicateurs économiques, si cette trajectoire n’est pas linéaire, nous sommes d’avis que la perspective d’atteindre ce niveau de 2 % est désormais relativement sûre. Qu’il suffise de penser à certaines des pressions exercées sur l’inflation au tout début, comme les problèmes liés aux chaînes d’approvisionnement qui sont survenus durant la pandémie, la forte croissance de la masse monétaire M2 ou les hausses élevées des loyers qui ont eu une incidence sur d’innombrables personnes.
Et, pratiquement de manière généralisée, ces enjeux sont en voie de retrouver la situation qui prévalait avant que survienne la pandémie. Et l’inflation suit ce mouvement.
Quelles sont vos perspectives pour l’économie mondiale en 2024 ?
L’économie mondiale est sur le point de véritablement faire les frais d’une période de près de deux années de resserrement plutôt extraordinaire qui s’est traduite par une hausse des taux d’intérêt pratiquement partout à travers le monde, un déclin du taux de croissance de la masse monétaire intérieure, et même la suppression des engagements précédents en matière d’assouplissement quantitatif. Toutes ces mesures ont été conçues par la Fed et par d’autres responsables de banques centrales avec pour objectif de ramener l’inflation à un niveau optimal, soit entre 2 % et 2,5 %. Cependant, ce n’est que maintenant que nous allons en ressentir l’effet le plus marqué.
Il faut généralement compter environ 22 mois après le début d’une période de resserrement pour que ces mesures se reflètent au niveau de l’économie. Et même si nous nous sommes quelque peu lassés en attendant la survenue d’une récession, en fait la période au cours de laquelle celle-ci devrait se concrétiser vient à peine de débuter. Nous nous attendons à ce que l’économie américaine traverse une période de récession à tout le moins légère d’ici le premier ou le deuxième trimestre de 2024.
Nous constatons cependant que, dans d’autres pays, au Canada, au Royaume-Uni, voire en Allemagne, l’économie a commencé à souffrir depuis longtemps, alors qu’à tout le moins a déjà été entamée une forme quelconque de récession technique.
D’une certaine manière, les ralentissements que nous observons aujourd’hui dans les économies du Royaume-Uni, du Canada et de l’Allemagne donnent à la Fed une idée de ce qui se passerait aux États-Unis si les taux devaient être maintenus à ces niveaux élevés pendant une période beaucoup plus longue.
Une certaine pression visant à mettre fin à ce cycle de resserrement se manifeste donc, à moins qu’il ne soit absolument nécessaire de régler définitivement le sort de l’inflation.
Les banques centrales ont-elles fini de relever leurs taux ?
Il apparaît de plus en plus évident que le resserrement de la politique des banques centrales, non seulement aux États-Unis mais à travers le monde, a porté fruit. En vérité, la question est la suivante : quand les banques centrales entreprendront-elles de réduire leurs taux ? Si l’on se penche sur cette situation dans un contexte normal et si nous nous attardons aux récessions ou à un climat de récession en remontant au milieu des années 50, ce qui représente en soi une somme considérable de données sur lesquelles fonder notre jugement, il faut compter environ 22 mois à partir de l’application des mesures de resserrement pour que survienne une récession.
De sorte qu’une récession se produise ou non, cette fois-ci, car au vu des changements dans l’économie, il se pourrait que nous puissions éviter cette situation, mais de peu si tel devait être le cas. Cependant, la période au cours de laquelle pourrait survenir une récession débute autour de Noël de cette année ou au début de 2024. Traditionnellement, par le passé, selon une approche médiane, les taux avaient cessé d’augmenter huit mois avant que cette récession se concrétise.
Il semblerait que les taux ont cessé d’augmenter au mois de juillet de cette année, ce qui cadre avec le calendrier que nous venons d’évoquer. Quatre mois après la fin de l’augmentation des taux, la Fed entreprend généralement de réduire les taux d’intérêt. Cela signifierait que la réduction des taux d’intérêt débuterait avant 2024, plus spécifiquement au printemps. Et c’est à ce moment que nous nous attendrions à voir se concrétiser ce phénomène. Il est intéressant de noter que cela se produit généralement quatre mois avant que la récession survienne et que la politique d’intensité maximale produise ses effets, ce dont j’ai précisé que cela surviendrait en 2024, alors que l’on observe généralement un pic des rendements obligataires environ quatre mois avant que la récession débute.
Et c’est en quelque sorte la période que nous connaissons actuellement. Au cours des derniers jours, nous avons observé une forte baisse des rendements obligataires alors qu’un nombre de plus en plus important d’investisseurs et de prévisionnistes se convainquent du fait qu’il importe peu pour les marchés obligataires que l’économie aborde ou non une récession. La question consiste à déterminer si les mesures de resserrement ont été suffisantes pour vraiment vaincre l’inflation, faire en sorte qu’elle soit engagée sur une trajectoire au terme de laquelle elle retrouverait un niveau de 2 %, et tel est bel et bien ce qui semble probable.
Nous avons été témoins d’une baisse de près de 100 points de base des rendements à 10 ans aux États-Unis, soit un point de pourcentage complet, les taux passant de 5 % à près de 4 % en l’espace d’à peine quelques semaines. Les marchés nous disent désormais que la Fed en a terminé de ces mesures de resserrement et qu’elle entreprend d’envisager l’avenir avec un assouplissement des conditions dans le courant de 2024.
Quelles sont vos perspectives pour les marchés des titres à revenu fixe en 2024 ?
Nous nous inquiétons de la viabilité des taux d’intérêt depuis très longtemps, et les rendements obligataires à long terme ont baissé à 1,5 % pendant la pandémie. Si l’on place cette situation dans le contexte de 150 années d’évolution des taux d’intérêt, jamais nous étions-nous retrouvés à de tels niveaux. Nous nous inquiétions de la possibilité d’une forte hausse des taux d’intérêt alors que nous devions composer avec la question des valorisations dans la quasi-totalité des scénarios économiques raisonnables futurs.
Manifestement, l’année 2023 aura été l’un des pires marchés baissiers de tous les temps, non seulement de l’histoire moderne. La question des valorisations a été réglée. Nous sommes passés d’un niveau inférieur à l’équilibre à un niveau légèrement supérieur à l’équilibre. L’inflation est désormais en passe d’atteindre les 2 % et les taux d’intérêt réels ou après prise en compte de l’inflation sont passés d’un niveau profondément négatif à un niveau compris entre 0 % et 1 %, dont nous nous attendons à ce qu’il puisse être maintenu tout au long du prochain cycle économique.
Les principales raisons pour lesquelles nous avons été amenés à sous-pondérer les titres à revenu fixe si longtemps se sont largement estompées et ont été remplacées par un contexte de valorisations raisonnables à attrayantes. Nous tenons également compte de certaines considérations techniques, s’agissant de trouver le moment le plus approprié. Nous avons observé une forte vague de pessimisme. Si l’on adopte un point de vue à contre-courant, cela ouvre généralement la voie à une reprise assez intéressante. D’une année sur l’autre, le changement des rendements obligataires a atteint des niveaux que nous n’avons jamais observés auparavant et ils sont désormais légèrement en repli, ce qui constitue un autre signal d’achat intéressant.
La dynamique des prix à long terme, qui est un autre indicateur technique dont nous tenons compte, se montre également positive à l’égard de nouveaux gains sur le marché obligataire. Par conséquent, pour la première fois depuis environ une décennie, nous sommes passés d’une approche sous-pondérant les titres à revenu fixe à une approche surpondérant légèrement ces titres dans la composition d’actifs que nous recommandons, alors que nous espérons que les rendements aux États-Unis passeront de leur niveau actuel compris entre 4,0 % et 4,5 % à entre 3,5 % et 4 % au cours de l’année à venir.
Vous obtenez la valeur du coupon et il est aussi possible d’envisager de réaliser des gains en capital par ailleurs.
Q5 – Quelles sont les attentes pour les marchés boursiers en 2024 ?
Nos attentes pour les marchés boursiers sont beaucoup moins claires que celles à l’égard du marché des titres à revenu fixe. L’année 2023 a été plutôt intéressante, de même que la dernière partie de 2022. Et si le marché boursier américain a semblé décoller, en vérité cette poussée a été propulsée par seulement sept titres.
Si l’on s’attarde à la moyenne pondérée finale, nous observons une hausse comprise entre 0 % et 5 % par rapport à une hausse de près de 20 % de l’indice S&P 500, lequel est dans une certaine mesure dominé par les « sept mercenaires ». En ce qui concerne les marchés mondiaux, les rendements ont été plutôt compris entre 0 % et 5 %, non seulement sur les places boursières canadiennes, mais également sur les places boursières européennes et asiatiques.
Ce que cela signifie est que les valorisations ont été corrigées, du fait que les bénéfices ont augmenté au cours de cette période. Alors que nous étions en présence d’actions relativement onéreuses à l’aube de 2023, elles sont désormais offertes à des prix relativement attractifs dans de nombreux pays, hormis les États-Unis. Et, en fait, si l’on retire les sept mercenaires de l’indice américain, on peut constater que, même aux États-Unis, les actions présentent des valorisations relativement attractives.
Cela a constitué pour nous, à l’aube de 2023, une source de préoccupations. Tel n’est plus désormais le cas. L’enjeu tient à la situation économique en tant que telle. En effet, les marchés boursiers sont beaucoup plus tributaires de l’absence d’une récession ou, à tout le moins, d’une certaine croissance pour que puissent être dégagés des bénéfices au niveau des entreprises. Si nous connaissons une récession, il est vraisemblable que ces bénéfices chuteront ou, à tout le moins, stagneront.
Et par la suite, les marchés connaîtront vraisemblablement une certaine baisse. Cependant, si nous sommes en fait en mesure d’éviter la récession, il se peut que les marchés boursiers poursuivent la reprise dont nous avons été témoins et que l’indice se situe entre 4 500 et 5 000 au cours de l’année à venir. Cependant, la question consiste bien évidemment à déterminer si nous aborderons une récession, si elle sera légère ou modérée et quel en sera l’effet sur les bénéfices des entreprises.
Pour les investisseurs qui cherchent à se constituer un portefeuille équilibré, quelles sont vos recommandations en matière de répartition de l’actif ?
Nous vivons une période absolument fascinante en ce qui concerne les marchés des capitaux à travers le monde. En effet, aux États-Unis, 6 000 milliards de dollars se retrouvent sous forme de liquidités non investies. Si les taux d’intérêt à court terme ont atteint un sommet, et nous sommes de cet avis, les investisseurs doivent envisager de repositionner ces liquidités sous forme d’actifs à risque.
Les rendements vont encore baisser. À terme, les actions augmenteront à court terme, mais certainement à moyen terme, alors que les pressions auxquelles est confrontée l’économie s’atténueront plus tard, en 2024. Le moment est venu d’examiner attentivement la composition de notre actif. Bien que nous ayons été en mesure de nous réfugier dans des placements en espèces porteurs d’intérêts à haut rendement pour la première fois en 15 ans, cette fenêtre commence à se refermer et il se pourrait fort bien que les taux d’intérêt à court terme baissent relativement rapidement en 2024.
La répartition d’actifs que nous recommandons pour un portefeuille mondial équilibré prévoit désormais que seulement 1,5 % des sommes investies se retrouvent sous forme de liquidités. Très peu devrait être investi sous forme de liquidités. En vérité, notre approche à cet égard en est une de recherche d’occasions. Nous privilégions une légère surpondération à l’égard des titres à revenu fixe, en plus d’une pondération neutre en ce qui concerne les actions.
Les changements que nous avons observés sur les marchés des capitaux au cours des 18 derniers mois ont modifié la façon dont nous devrions envisager la constitution d’un portefeuille de placements. Avec des rendements obligataires de 1,5 %, les titres à revenu fixe n’ont pas eu un apport marqué à nos portefeuilles. Ils n’ont pas vraiment contribué sous forme de flux de trésorerie pour les investisseurs. Ils se sont retrouvés avec des obligations très fortement corrélées avec les marchés boursiers, n’offrant du fait même pas de coussin par rapport aux actifs à risque que l’on y retrouverait généralement.
Cependant, alors que les taux d’intérêt sont désormais compris entre 4,0 % et 4,5 %, les titres à revenu fixe présentent l’avantage qu’ils peuvent intervenir dans un portefeuille mixte. Nous pensons que les investisseurs devraient profiter de cette réalité. Si l’on considère les rendements à long terme auxquels on pourrait s’attendre en marge de l’élaboration d’un portefeuille, la combinaison d’une position prévoyant 40 % de titres à revenu fixe et 60 % d’actions, il y a 18 mois, aurait pu générer des rendements de l’ordre de 5 % sur le marché, selon nos propres prévisions à long terme.
Parce que les taux d’intérêt sont passés de 1,5 % à 4 %, voire à 4,5 % à certains endroits, ce potentiel de rendement à long terme a depuis lors augmenté, passant de 5 % à 6,5 %, voire à 7 %, soit des niveaux beaucoup plus proches de ceux que les investisseurs intègrent généralement à leurs régimes de placement. S’offre ainsi à nous l’occasion aujourd’hui d’élaborer des portefeuilles de manière beaucoup plus efficace que nous ne l’avons fait depuis fort longtemps.
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