Regard sur les placements mondiaux
Le dernier numéro trimestriel de Regard sur les placements mondiaux est maintenant disponible ici. L’article sur les perspectives économiques intitulé « Nervosité croissante à l’égard de l’économie » se trouve à la page 17. Vous pouvez aussi regarder la vidéo sur les perspectives économiques qui l’accompagne (13 minutes).
Le chaos s’installe en Russie
L’événement le plus marquant des dernières semaines est sans aucun doute l’apparente tentative de coup d’État en Russie. Le groupe Wagner de mercenaires russes a interrompu son assaut contre l’Ukraine pour capturer une partie du territoire de la Russie, dont une ville d’un million d’habitants. Il a ensuite parcouru la majeure partie de la distance qui le séparait de Moscou dans le but avoué de se venger d’une attaque présumée de l’armée russe.
Le chef du groupe Wagner, M. Prigojine, entretient depuis longtemps une relation tendue avec l’armée; il a notamment critiqué ses décisions et s’est plaint de l’insuffisance des ressources attribuées à son groupe. Cependant, un cessez-le-feu de dernière minute a été négocié par le président bélarusse, M. Loukachenko, et les forces du groupe Wagner – qui prétendait compter quelque 25 000 soldats – ont rapidement rendu le territoire pris.
On s’attend à ce que M. Prigojine s’exile au Bélarus et à ce que ses troupes retournent à la vie civile ou rejoignent l’armée régulière russe.
La suite des choses est difficile à dénouer. Après avoir menacé le président Poutine et tenté ce qui ressemble à un coup d’État, on pourrait croire que les jours de M. Prigojine sont comptés, peu importe l’accord qui a été conclu. Il est étonnant que M. Prigojine ait donné l’ordre de faire marche arrière, alors qu’il a rencontré si peu de résistance durant son avancée initiale. La population russe s’est apparemment réjouie de l’arrivée de ses forces. Les soldats qui ont participé à cette tentative ont aussi des raisons de craindre pour leur avenir en Russie et d’être en colère contre leur chef.
Un changement de régime provoquerait sans doute une forte volatilité. Il est difficile de déterminer si le prix du pétrole augmenterait (étant donné le risque que la production soit perturbée ou même que des sites soient détruits durant une éventuelle lutte pour le pouvoir) ou s’il baisserait (si le nouveau gouvernement russe quittait l’Ukraine et que les relations avec l’Occident se normalisaient progressivement).
De son côté, la Russie a perdu son meilleur atout dans la guerre contre l’Ukraine. Certains soldats du groupe Wagner seront intégrés à l’armée régulière, mais cela ne se fera sûrement pas sans heurts. En outre, la Russie pourrait se sentir obligée de maintenir plus de soldats sur son territoire, afin de prévenir toute autre tentative de coup d’État, ce qui nuirait progressivement à son efficacité en Ukraine. La situation améliore grandement les chances de la dernière offensive de l’Ukraine. Néanmoins, il est probable que la guerre sera longue et pénible.
D’un point de vue politique, la position du président Poutine semble moins solide qu’on le pensait. Le risque que d’autres opposants profitent de cette faiblesse et tentent de le chasser du pouvoir s’est accru. Cela dit, le scénario de base demeure que M. Poutine continuera de gouverner.
De plus, un changement de dirigeant pourrait bien décevoir les attentes, car le vainqueur serait sans doute de la même trempe que M. Poutine et non un libéral à l’occidentale. Si M. Prigojine s’était emparé du pouvoir, la guerre en Ukraine aurait peut-être pris fin, étant donné ce qu’il pense du conflit. En revanche, le plus grand arsenal nucléaire au monde serait alors tombé aux mains d’un ancien criminel endurci par les combats et connu pour son extrême violence.
Sur le plan économique, le prix du pétrole n’a finalement guère varié. Toutefois, un changement de régime provoquerait sans doute une forte volatilité. Il est difficile de déterminer si le prix du pétrole augmenterait (étant donné le risque que la production soit perturbée ou même que des sites soient détruits durant une éventuelle lutte pour le pouvoir) ou s’il baisserait (si le nouveau gouvernement russe quittait l’Ukraine et que les relations avec l’Occident se normalisaient progressivement).
L’inflation évolue principalement dans la bonne direction
Les derniers relevés de l’inflation aux États-Unis ont été généralement encourageants. La variation de l’IPC d’une année sur l’autre est passée de 4,9 % à 4,0 % en mai. De plus, compte tenu de l’effet de base, les données de juin devraient être tout aussi favorables ; on prévoit que la variation d’une année sur l’autre fléchira de 4,0 % à un niveau de l’ordre de 3,0 % à 3,4 %. Les données économiques en temps réel indiquent également que l’inflation sera nettement meilleure en juin et pourrait même s’établir dans la partie inférieure de cette fourchette (voir le graphique suivant).
Indice quotidien de l’inflation aux États-Unis de PriceStats
Indice de l’inflation PriceStats au 11 juin 2023, IPC en date de mai 2023. State Street Global Markets Research, RBC GMA
Le fait que l’inflation cesse de surprendre à la hausse est assurément positif (voir le graphique suivant).
L’inflation mondiale surprend de moins en moins
En date de mai 2023. Sources : Citigroup, Bloomberg, RBC GMA
Il faut cependant noter que l’inflation de base demeure plus rigide. Elle continue de progresser au rythme peu souhaitable de 0,4 % d’un mois sur l’autre (voir le graphique suivant), mais le taux de 5,3 % d’une année sur l’autre représente néanmoins une amélioration. L’inflation du secteur des services diminue beaucoup plus lentement.
Tendance mensuelle de l’IPC aux États-Unis
En date de mai 2023. Sources : BLS, Macrobond, RBC GMA
Heureusement, l’inflation des services à forte densité de main-d’œuvre, une mesure que la Fed surveille de près, était de seulement 0,24 % en mai. Ce taux est presque normal après une longue période de hausses démesurées.
Le fait le plus positif est peut-être que l’inflation aux États-Unis est beaucoup moins étendue et que la tendance se poursuit (voir le graphique suivant). La part pondérée des éléments du panier dont les prix augmentent de plus de 10 % par an a chuté de 33 % à seulement 11 % en huit mois. Il s’agit d’un premier pas énorme et indispensable pour le retour à la normale de l’inflation.
L’inflation élevée est de moins en moins généralisée aux États-Unis
En date de mai 2023. Part des composantes de l’IPC dont la variation d’une année sur l’autre en % correspond aux fourchettes indiquées. Sources : Haver Analytics, RBC GMA
L’indice des prix à la production des États-Unis pour le même mois a également été inférieur aux prévisions générales. Il dénote une baisse sur un an qui est de bon augure pour l’avenir des prix à la consommation (voir le graphique suivant).
L’inflation recule aux États-Unis
En date de mai 2023. La zone ombrée représente une récession. Sources : BLS, Macrobond, RBC GMA
En ce qui concerne certaines composantes de l’inflation, le fait que le prix du pétrole est tombé en deçà de 70 $ contribue au déclin. Le prix est nettement inférieur à ce qu’il était l’an dernier (voir le graphique suivant).
Prix du pétrole brut WTI
Au 22 juin 2023. Sources : Macrobond, RBC GMA
L’inflation des aliments a commencé à décélérer, mais les prix n’ont pas encore vraiment baissé (voir le graphique suivant).
L’inflation des prix des aliments recule aux États-Unis
En date de mai 2023. La zone ombrée représente une récession. Sources : BLS, Macrobond, RBC GMA
L’inflation des coûts du logement a enfin amorcé un repli ; cette composante clé de l’inflation réagit toujours à retardement et est demeurée élevée même après le recul des marchés du logement l’an dernier (voir le graphique suivant).
Coûts du logement aux États-Unis selon l’IPC
En date de mai 2023. Sources : BLS des É.-U., Macrobond, RBC GMA
Malgré toutes ces améliorations, on ne doit néanmoins pas faire l’hypothèse que l’inflation continuera de décroître sagement de son taux actuel pour atteindre 2,0 %. La Réserve fédérale de Saint-Louis tient à jour un modèle selon lequel les probabilités que l’inflation reste supérieure à 2,5 % au cours des douze prochains mois demeurent supérieures à 70 %, même si ce taux de probabilité diminue constamment (voir le graphique suivant).
Mesure des pressions sur les prix aux États-Unis
En date de mai 2023. La mesure des pressions sur les prix indique la probabilité que le taux d’inflation (d’une année sur l’autre) prévu au cours des 12 prochains mois dépasse 2,5 %. La zone ombrée représente une récession. Sources : Federal Reserve Bank de St. Louis, Macrobond, RBC GMA
Dans la zone euro, l’inflation est aussi en train de ralentir. En Allemagne, l’IPC a chuté pour atteindre 6,3 % d’une année sur l’autre. En Espagne, l’IPC a déjà atteint 2,9 % d’une année sur l’autre. L’inflation des marchés émergents affiche également un beau déclin.
Les banques centrales reprennent le resserrement
Au cours des 18 derniers mois, les banques centrales ont eu beaucoup de chats à fouetter pour lutter contre l’inflation (voir le graphique suivant).
Les banques centrales relèvent les taux directeurs pour lutter contre l'inflation
Au 22 juin 2023. Sources : Haver Analytics, RBC GMA
Après une accalmie, plusieurs d’entre elles ont retrouvé un nouveau ton va-t-en-guerre au cours des dernières semaines en reprenant progressivement un resserrement pour s’assurer de maîtriser correctement l’inflation.
Il est à noter que la Banque d’Angleterre est passée à la vitesse supérieure : précédemment, ses augmentations de taux s’élevaient à 25 points de base par réunion jusqu’en juin où l’augmentation était de 50 points de base. Il en résulte un taux directeur de 5,00 %. Le marché anticipe une autre hausse de 100 points de base au cours des prochains mois. Ces prévisions reflètent les problèmes d’inflation particulièrement critiques au Royaume-Uni, et l’accélération inquiétante de la croissance des salaires britanniques, qui risque d’entraîner une spirale prix-salaires (voir le graphique suivant).
Croissance de la rémunération hebdomadaire moyenne au Royaume-Uni
En date d’avril 2023. Sources : Office of National Statistics (ONS) du R.-U., Macrobond, RBC GMA
Rappelez-vous qu’il y a peu de temps, la Banque du Canada a augmenté son propre taux directeur de 25 points de base, qui a ainsi atteint 4,75 %. Le marché continue de prévoir que le taux atteindra 5,00 %. La Reserve Bank of Australia vient également de procéder à une augmentation surprise de ses taux.
La Réserve fédérale a affiché un statu quo en juin tout en indiquant clairement qu’elle prévoyait un resserrement supplémentaire. Son graphique à points signale un resserrement supplémentaire de 50 points de base, pour atteindre un sommet de 5,75 %. Le marché demeure sceptique, et a intégré un taux des fonds fédéraux culminant à 5,50 %. Le président de la Réserve fédérale, M. Powell, a indiqué que la réunion de juillet sera entièrement réalisée « en direct ».
Nous sommes toujours d’avis que l’inflation du secteur des services sera difficile à juguler sans affaiblir le marché du travail, et par le passé, il existe peu de cas où un tel affaiblissement ne s’est pas soldé par une récession.
En instaurant ce nouveau cycle de mini-resserrements, les banques centrales reconnaissent que l’inflation n’a pas encore atteint leur niveau souhaité. Les économies se révèlent étonnamment résilientes jusqu’à présent et, dans certains cas, les marchés du logement renouent avec une croissance qui ne contribue pas à lutter contre l’inflation.
Elles espèrent sans doute ne pas devoir procéder à un resserrement de leur politique monétaire aussi profond qu’elles l’envisagent actuellement. Cependant, la réduction des attentes d’inflation par les signaux donnés fait partie du jeu, et il ne fait aucun doute qu’elles iront jusqu’au bout, voire plus loin si l’inflation ne continue pas de ralentir.
En ce qui nous concerne, nous sommes toujours d’avis que l’inflation du secteur des services sera difficile à juguler sans affaiblir le marché du travail, et par le passé, il existe peu de cas où un tel affaiblissement ne s’est pas soldé par une récession. Une récession n’est pas tant une fin en soi pour les banques centrales, mais celles-ci seront peut-être contraintes d’en induire une pour atteindre leurs objectifs en matière d’inflation.
Les marchés boursiers se redressent
Malgré une baisse du marché boursier la dernière semaine (voir le graphique suivant), les actions ont nettement rebondi par rapport à l’automne dernier.
Indice S&P 500
Au 23 juin 2023. Sources : S&P Global, Macrobond, RBC GMA
La meilleure explication est simple : l’économie a continué à croître, contrairement aux attentes de faiblesse, voire de récession à l’heure actuelle. La baisse de l’inflation a également été bénéfique.
Nous restons toutefois prudents et prévoyons de nouvelles faiblesses du marché boursier prochainement. Le pessimisme du marché a maintenant fait place à l’optimisme, ce qui laisse présager une baisse ultérieure. De manière fondamentale, du moins du point de vue de cet économiste, nous croyons toujours qu’une récession a de plus fortes chances de survenir que de ne pas survenir.
Si une récession survient à mesure que l’inflation diminue et que les banques centrales décident d’abaisser les taux au lieu de les augmenter, certaines des préoccupations normales du marché seront peut-être apaisées par l’évolution constructive qui accompagnera la récession.
Les banques centrales ont réamorcé un resserrement de leur politique monétaire – voilà un nouveau frein pour l’économie et une mise en garde contre une prise de risque démesurée. Cela dit, comme nous l’avons écrit auparavant, toute baisse du marché boursier en réaction à une récession imminente pourrait avoir une moindre envergure que par le passé. Premièrement, le fait que cette récession est très attendue réduit sans doute l’ampleur prévue de toute baisse du marché boursier. En effet, on peut soutenir qu’une bonne partie du repli de 2022 reflétait l’intégration partielle d’une récession.
Deuxièmement, puisque l’inflation restera probablement un peu supérieure à la normale dans un avenir immédiat, il se peut que les bénéfices nominaux ne diminuent pas autant qu’ordinairement. Troisièmement, si une récession survient à mesure que l’inflation diminue et que les banques centrales décident d’abaisser les taux au lieu de les augmenter, certaines des préoccupations normales du marché seront peut-être apaisées par l’évolution constructive qui accompagnera la récession.
L’économie de la Chine déçoit
La relance économique de la Chine demeure décevante. Les surprises économiques sont très négatives pour le pays, étant donné que la croissance n’a pas répondu aux attentes à l’issue du confinement. Les exportations recommencent à fléchir (voir le graphique suivant). La demande de services a généralement surpassé la demande de biens, mais même les dépenses touristiques ont commencé à reculer en juin.
Contraction des exportations de la Chine
En date de mai 2023. La zone ombrée représente une récession aux États-Unis. Sources : China Customs Statistics Information Center, Macrobond, RBC GMA
Le problème majeur est que le marché immobilier chinois reste en berne. Le repli a frappé les ventes de maisons aussi bien que leurs prix au cours de la dernière année, et ce déclin dure déjà depuis un certain temps (voir le graphique suivant).
Le marché du logement manque encore de vigueur en Chine
En date de mai 2023. L’évolution du prix des logements est une moyenne des variations de prix sur les marchés primaire et secondaire. Sources : National Bureau of Statistics of China, Macrobond, RBC GMA
Or, le logement est un secteur stratégique en Chine. C’est une large partie de l’économie qui est en train de vaciller. Alors qu’auparavant les conditions laissaient présager une bulle immobilière, le marché s’est affaibli. Les constructeurs restent aux prises avec un endettement excessif.
De plus, le bien immeuble représente le principal investissement des ménages chinois, bien plus que dans les autres pays. Le ralentissement du marché immobilier jette donc une ombre sur la consommation chinoise. Les ménages, préoccupés par leurs investissements, augmentent leur épargne pour garder le cap. Les sociétés non immobilières sont également touchées, parce qu’il est courant de donner des biens immeubles en garantie au titre de prêts commerciaux.
Il serait exagéré de comparer cette situation avec la spectaculaire bulle immobilière japonaise qui a fini par éclater, mais quelques points communs apparaissent, notamment une croissance démographique similaire.
Le gouvernement chinois commence à reconnaître cette faiblesse et à se tourner vers la relance, comme nous l’avions prévu. Le pays a abaissé ses taux directeurs à trois reprises, dans un effort pour stimuler l’économie.
De manière générale, les ménages chinois pourraient aussi ressentir une crise de confiance à l’égard de leur pays. Les confinements extrêmes suivis d’un brusque changement de politique ont amené les classes moyennes et supérieures à remettre en question la compétence de leur gouvernement. Cette attitude peut assurément provoquer des inquiétudes au sujet de l’avenir et une certaine réticence à dépenser. À titre d’illustration, seulement 6,83 millions de couples chinois se sont mariés en 2022, soit le chiffre le plus bas depuis l’ouverture des registres en 1986. Cette tendance reflète les préoccupations économiques, mais aussi contribue à les perpétuer.
Le gouvernement chinois commence à reconnaître cette faiblesse et à se tourner vers la relance, comme nous l’avions prévu. Le pays a abaissé ses taux directeurs à trois reprises, dans un effort pour stimuler l’économie. Toutefois, l’ampleur de cette mesure – une baisse de 0,1 point de pourcentage à peine – ne constitue pas une grande démonstration de force. Selon certaines informations, la banque centrale envisage actuellement de consacrer 140 milliards de dollars à de nouvelles dépenses d’infrastructure en se finançant à l’aide d’émissions obligataires. Par ailleurs, la réglementation de l’immobilier pourrait être assouplie (bien que cela semble dangereux après un essor de longue durée).
Il est même question de mesures de relance axées sur les consommateurs. Si cette dernière action est une pratique courante dans la majeure partie du monde, elle ne s’inscrit pas dans les habitudes de la Chine. Il existe toujours une crainte que les ménages chinois, enclins à épargner, absorbent l’argent du système. Cela entraînerait une dette publique plus importante, mais non accompagnée d’une stimulation économique.
Le chômage des jeunes grimpe en Chine
Le taux de chômage des jeunes Chinois continue de monter en flèche, à présent à un niveau effarant de 21 % (voir le graphique suivant). C’est presque le double du niveau d’avant la pandémie, et plus du quadruple du taux de chômage global. Le taux de chômage des jeunes n’a jamais été aussi élevé, y compris pendant les confinements liés à la COVID-19. De plus, il poursuit son ascension bien que l’économie du pays ait connu une modeste relance économique au cours de la première moitié de 2023.
Taux de chômage en Chine
En date de mai 2023. Sources : National Bureau of Statistics of China, Macrobond, RBC GMA
Dans quelle mesure est-ce problématique ? Tout d’abord, il est normal que les taux de chômage soient assez élevés chez les jeunes. En Espagne, le taux de chômage des jeunes s’élève à 28 %. En Italie, il est de 20 %. Aux États-Unis, il est beaucoup plus bas à 7,4 %, ce qui représente encore plus du double du chômage global. C’est la même chose au Canada, où le taux de chômage des jeunes de 10,7 % fait plus que doubler les 5,2 % enregistrés dans l’ensemble de l’économie.
Par conséquent, le problème du chômage de la jeunesse chinoise est en partie naturel. La situation traduit les défis inhérents à la recherche du premier emploi, à la rédaction d’un curriculum vitæ et à l’acquisition d’une expérience. Cela dit, le taux de chômage des jeunes est quatre fois supérieur au taux global de la Chine, et pas seulement deux fois. On pourrait donc soutenir qu’un tiers du chômage des jeunes Chinois est normal, mais pas la totalité.
Qu’en est-il des deux tiers restants ? Il est étrange que le taux de chômage de la jeunesse soit en hausse à un moment où le taux de chômage national décline. Les données sur les offres d’emploi confirment que le nombre de postes ouverts aux nouveaux diplômés a chuté plus fortement que pour les autres types d’emplois.
Ce qui est évident, c’est que la Chine rate une occasion économique et risque aussi de subir un mécontentement politique si les membres les plus jeunes et les plus instruits de sa population ne parviennent pas à trouver leur place dans la société.
Le nombre de diplômés des collèges chinois qui arrivent sur le marché a grimpé en flèche au cours des deux dernières années, augmentant de 29 % entre 2021 et 2023. Cette augmentation est en partie attribuable à la hausse normale du niveau d’instruction d’un pays en développement prospère. Mais le bond observé ces deux dernières années dépasse de loin le taux de croissance enregistré précédemment. Il semble probable qu’en raison de la pandémie et de la réduction des occasions économiques qu’elle a entraînée, un grand nombre de jeunes Chinois aient décidé de poursuivre leurs études, ce qui a donné lieu à l’arrivée simultanée d’une double cohorte sur le marché du travail. Il faudra du temps pour résorber cet excédent.
Il est possible que le virage vers les études collégiales se soit tout simplement produit plus rapidement que ce dont l’économie avait vraiment besoin, et qu’il y ait trop de gens instruits par rapport à la demande. Mais nous sommes enclins à rejeter cette idée, car les gens plus instruits peuvent généralement être mis à profit quelque part, qu’ils atteignent ou non leur plein potentiel dans le cadre d’un poste.
Nous doutons que la Chine ait un marché du travail à deux niveaux, comme certains pays méditerranéens, qui favorise les travailleurs en poste et défavorise les nouveaux venus. Cela n’a jamais été le cas, quoi qu’il en soit.
Une meilleure explication serait que les diplômés se concentrent sur les mauvais secteurs, ou qu’ils aient eu la malchance d’être formés dans des secteurs qui ont récemment souffert des décisions politiques de la Chine. Les secteurs de l’éducation et des technologies de l’information sont tous deux populaires auprès des nouveaux diplômés et des jeunes travailleurs, et ils ont été les plus durement touchés par la répression gouvernementale contre les entreprises à but lucratif qui a débuté il y a quelques années. Le secteur lucratif du tutorat privé, en particulier, a pratiquement disparu.
En conclusion, la forte augmentation du chômage chez les jeunes Chinois peut être en partie attribuée à trois grands facteurs :
- une augmentation artificielle du nombre de diplômés universitaires ;
- un mauvais arrimage sectoriel ;
- un nombre trop élevé de travailleurs qualifiés par rapport à la demande.
Il y a peut-être d’autres forces qui ne se sont pas encore clairement apparues, car cette réponse n’est pas entièrement satisfaisante.
Ce qui est évident, c’est que la Chine rate une occasion économique et risque aussi de subir un mécontentement politique si les membres les plus jeunes et les plus instruits de sa population ne parviennent pas à trouver leur place dans la société.
L’endettement des gouvernements régionaux de la Chine augmente
Les gouvernements régionaux chinois se débattent sous le poids d’une inadéquation structurelle entre leurs revenus et leurs dépenses. On s’attend à ce qu’ils fournissent un vaste éventail de services à leurs citoyens, mais ils n’ont pas suffisamment d’outils sur le plan des revenus pour payer ces dépenses. Le gouvernement national est réticent à transférer les outils nécessaires pour procurer une certaine indépendance aux gouvernements régionaux, parce que cela pourrait saper le contrôle des autorités centrales sur les régions.
Depuis longtemps, les gouvernements régionaux comblent cet écart en combinant la vente de terrains et l’accumulation de dettes. Mais comme le marché du logement s’est essoufflé, le recours aux ventes de terrains a aussi diminué, les revenus de cette source ayant chuté de 23 % l’an dernier. Ce chiffre pourrait être surévalué, étant donné les allégations selon lesquelles les gouvernements régionaux vendraient des terrains à leurs propres instruments de financement. Dans ce cas, les dettes représentent un outil encore plus important que normalement. Pourtant, le coût du service de la dette a aussi augmenté, ce qui a encore érodé la capacité budgétaire.
Les gouvernements régionaux chinois ont désormais accumulé une énorme quantité de dettes. Il est difficile de les estimer de façon précise, étant donné l’éventail des stratégies de financement, certaines étant moins transparentes que d’autres. Leur valeur pourrait atteindre entre 10 000 et 15 000 milliards de dollars américains de dettes de ce type. C’est beaucoup.
Le scénario le plus probable est donc un mélange d’argent public et de pertes pour le secteur financier et les investisseurs, principalement sous la forme de retard de paiements, de report de dates d’échéance et de baisse des taux d’intérêt.
Parmi les principaux prêteurs, on trouve des banques et des assureurs chinois, ainsi que des investisseurs du secteur détail. Une fraction de ces dettes a été commercialisée à l’échelle internationale. Les institutions financières pourraient ainsi être déstabilisées par des défaillances à grande échelle, qui auraient de vastes ramifications économiques. De leur côté, les investisseurs du secteur détail n’apprécient généralement pas la quantité de risque qu’ils prennent.
Les deux tiers des gouvernements régionaux chinois risquent aujourd’hui de dépasser le seuil officieux d’endettement correspondant à 120 % des recettes fixé par le gouvernement national.
Selon une enquête récente, le tiers des gouvernements régionaux ont désormais du mal à payer les intérêts sur leurs dettes. Certains gouvernements régionaux ont été contraints de réduire leurs dépenses de programmes, et l’on entend parler de travailleurs non rémunérés, de réductions des services d’autobus, d’annulations de subventions pour les soins de santé et des factures impayées liées à la COVID-19. Certains gouvernements régionaux se livrent à la vente d’actifs pour réduire l’écart budgétaire.
Mais bien que les sommes en jeu soient énormes, il est peu probable qu’un désastre se produise. Ce n’est pas la première fois que la Chine est aux prises avec un problème d’endettement excessif, et elle a toujours géré des épisodes antérieurs en créant de mauvaises banques, en reportant les paiements, en prolongeant les dates d’échéance et en abaissant les taux d’intérêt. La ville de Zunhi a récemment conclu une entente de ce genre avec ses créanciers. D’autres lui emboîteront probablement le pas.
Certains craignent que les premiers plans de sauvetage ne soient exagérés et se fassent aux dépens des banques plutôt que du gouvernement. S’ils se poursuivent ainsi, les banques pourraient avoir de la difficulté à prendre part à des projets plus rentables, ce qui entraverait la croissance économique.
En fait, la ligne de séparation entre le gouvernement et les institutions financières peut être assez floue en Chine. L’un des plus grands gestionnaires d’actifs de la Chine, une société d’État, évalue actuellement les besoins de la région de Guizhou.
Le gouvernement central chinois pourrait également transférer directement plus d’argent aux gouvernements locaux. Il comble déjà une partie de l’écart budgétaire local de cette manière, plus de 4 200 milliards de dollars américains ayant été envoyés entre 2020 et 2022 seulement. Le montant annuel devrait augmenter de nouveau en 2023, mais pas dans la même mesure qu’en 2022. Beijing dispose encore des ressources financières nécessaires pour fournir une assistance supplémentaire, mais sans doute pas pour sauver tout le monde.
Le scénario le plus probable est donc un mélange d’argent public et de pertes pour le secteur financier et les investisseurs, principalement sous la forme de retard de paiements, de report de dates d’échéance et de baisse des taux d’intérêt. Cette situation est considérée comme un défaut technique de paiement, bien qu’officiellement le capital finisse par être remboursé. Encore une fois, le crédit disponible pour des projets plus rentables pourrait s’en trouver légèrement réduit pendant plusieurs années.
Le Canada profite d’un avantage sur le plan de la croissance
Le Canada souffre du même vieillissement de la population et de la même baisse des taux de fécondité que les autres pays développés. Pourtant, son profil démographique global est nettement supérieur grâce à une forte immigration. En fait, principalement grâce à l’immigration, la population du Canada a augmenté d’un nombre record de 1,05 million de personnes au cours de l’année jusqu’en mars 2023 (voir le graphique suivant), bien qu’avec un effet de rebond postpandémie qui gonfle temporairement les chiffres. Cela fracasse l’ancien record ; même si la population est plus importante aujourd’hui, il s’agit de peu du taux de croissance le plus rapide depuis 1957.
Croissance démographique record au Canada soutenue par l'immigration
Au T1 de 2023. Sources : Statistique Canada, Macrobond, RBC GMA
Parallèlement, cette croissance a permis au Canada d’atteindre un nouveau jalon important : 40 millions de personnes. Le seuil a été officiellement atteint le 16 juin. Le Canada a atteint 30 millions de personnes en 1997.
Nous devons reconnaître que la croissance de la population est dans une très faible mesure attribuable à une croissance interne (voir le graphique suivant). Lorsque nous soustrayons l’immigration et l’émigration des données sur la population, la croissance intérieure de la population du Canada montre que les naissances dépassent à peine les décès. Sans immigration, le pays se trouverait à environ cinq ans d’une contraction de la population.
Variation de la population sans immigration
En date de 2021. Du 1er juillet au 30 juin. Sources : Statistique Canada, Macrobond, RBC GMA
Dans l’ensemble, les Nations Unies prévoient que la population du Canada augmentera de 19 % d’ici 2050. Sans être effrénée, cette croissance est plus rapide que dans tout autre pays. Elle est plus forte qu’au Japon, en Russie et en Chine, où le rythme est lent, et que dans des pays comparables, comme le Royaume-Uni et les États-Unis. Elle est même aussi soutenue que dans des pays comme le Brésil, le Mexique et même l’Inde qui affichent depuis longtemps une croissance vigoureuse (voir le graphique suivant).
Nous soupçonnons que la croissance réelle de la population du Canada sera un peu plus rapide, car les prévisions des Nations Unies sont antérieures à la dernière mise à jour du taux cible d’immigration du gouvernement fédéral.
La croissance de la population du Canada dépassera celle d’autres pays
Sources : Projections démographiques mondiales de l’ONU, 2022 ; Macrobond ; RBC GMA
– Avec la contribution de Vivien Lee, de Thao Le et d’Aaron Ma
Vous aimeriez connaître d’autres points de vue d’Eric Lascelles et d’autres dirigeants avisés de RBC GMA ? Vous pouvez lire leurs réflexions dès maintenant.