Dans cette webémission, notre économiste en chef, Eric Lascelles, aborde deux sujets économiques très différents, mais tout aussi urgents : la productivité au Canada (notoirement mauvaise ces dernières années) et les perspectives concernant les droits de douane américains (encore très incertaines et largement variables).
Thèmes spécifiques abordés dans la présentation :
Causes fondamentales du manque de productivité du Canada
Domaines à améliorer en matière de productivité et perspectives à moyen terme
Dernières évolutions concernant les droits de douane américains et scénarios probables pour le Canada
Évaluation de l’incidence des forces économiques liées aux droits de douane sur les États-Unis et le Canada
Conséquences d’une rupture de l’ordre international
Cette vidéo a été enregistrée le 14 avril 2025.
Durée : 46 minutes, 45 secondes (en anglais seulement)
Transcription
Bonjour et bienvenue. Mon nom est Eric Lascelles. Je suis économiste en chef, RBC Gestion mondiale d’actifs Inc., et je suis ravi de vous présenter la portion économique du séminaire Perspectives d’investissement PH&N 2025. Le domaine de l’économie est actuellement en pleine effervescence. Le présent exposé comportera deux volets, alors que nous traiterons non seulement de la productivité canadienne, qui représente un enjeu important et qui le demeurera probablement dans un avenir prévisible, mais également des droits de douane.
Comme chacun le sait, la question des droits de douane évolue à un rythme effréné en ce moment. Je dois vous confier que nous avions prévu à l’origine mettre uniquement l’accent sur le volet de la productivité. Cependant, à l’approche du printemps, il nous est apparu que nous devions également traiter de cet enjeu économique d’actualité. Je dois reconnaître que la question des droits de douane a connu nombre de rebondissements. Je vais donc vous faire part de nos réflexions les plus récentes, sans toutefois être en mesure de vous garantir que notre interprétation de la situation ne sera pas appelée à changer à nouveau.
Entrons dans le vif du sujet. En ce qui concerne la question des droits de douane, il va sans dire qu’ils ont été terrifiants et qu’ils nous ont terrifiés. Il convient toutefois de noter que jusqu’à présent, à tout le moins dans le contexte canadien, il semblerait que le Canada n’ait pas subi l’impact des droits de douane qui semblait initialement se profiler à l’horizon. Je dois préciser que ces propos sont enregistrés le 4 avril, au cas où la situation aurait évolué rapidement lorsque vous visionnerez cette vidéo.
Mais je me permets de vous taquiner un peu puisque nous allons en fait commencer par le volet de la productivité avant de revenir, à la fin, à l’enjeu que représentent les droits de douane. Commençons donc par parler de la question de la productivité canadienne. Manifestement, la productivité canadienne laisse à désirer à de très nombreux égards. Je pourrai vous démontrer et vous expliquer brièvement pourquoi la productivité est si faible au Canada, tout en exposant peut-être ce qui pourrait être fait pour remédier à la situation.
Commençons par une définition. Convenons ensemble du fait que la définition classique de ce qu’est la productivité renvoie à la productivité du travail, à ce qu’il est possible de produire par heure travaillée. Et, si vous vous demandez pourquoi telle est la définition eh bien, l’idée tient au fait que l’objectif est de soutirer le plus possible de votre économie avec le moins d’effort humain possible ou, pourrait-on dire, de produire le plus possible pour chaque unité d’effort humain. Nous pouvons donc obtenir davantage pour le même rendement et le même effort. Bien. Si nous parvenons à produire une quantité identique en engageant un effort moindre, voilà qui est aussi intéressant.
Dans les deux cas, cela permet d’améliorer la productivité du travail. Je dois évidemment souligner que la productivité du travail est tout à fait essentielle à la prospérité économique, à la croissance à long terme, etc. Je ne dirais pas pour autant qu’elle est la clé de voute. Il faut en effet garder à l’esprit que celle-ci ne tient pas compte de facteurs tels que les inégalités ou, par exemple, l’environnement, voire les loisirs, mais je dirais néanmoins qu’il ne faut pas sous-estimer la mesure dans laquelle une productivité du travail élevée ou un taux de croissance rapide de la productivité peut aussi contribuer à résoudre ces problèmes. Lorsque la productivité est élevée, les gouvernements regorgent d’argent, sont en mesure d’intervenir à l’égard des inégalités, de protéger l’environnement et ainsi de suite. À titre d’exemple, chaque personne peut choisir de consacrer davantage de temps à ses loisirs si elle gagne beaucoup plus d’argent que ce dont elle a vraiment besoin.
Du strict point de vue mécanique, si l’on peut dire, comment s’y prend-on pour accroître la productivité ? Il est possible, d’une part, d’augmenter l’intensité du capital. Autrement dit, investir dans le stock de capital, multiplier le nombre de machines, d’équipements, d’ordinateurs, d’usines, etc. Voilà qui constitue indéniablement une approche classique. À l’inverse, il est aussi possible d’améliorer la qualité de la main-d’œuvre.
J’entends ici une main-d’œuvre mieux éduquée, plus chevronnée, ou une variante de cette combinaison. Il est également possible d’améliorer l’interaction entre le capital et la main-d’œuvre. C’est ce qu’on appelle la productivité totale des facteurs. Et je peux affirmer à ce sujet qu’il est possible de réaliser des gains significatifs, en partie grâce à l’innovation. Je parle ici de l’innovation associée au fait de disposer d’ordinateurs plus puissants, de puces informatiques plus performantes, ou à ce genre de choses.
De même, il est possible d’y parvenir en améliorant les processus. Qu’il s’agisse d’aménager les usines de manière plus optimale ou de peaufiner les processus qui sous-tendent l’accomplissement des tâches. Il n’est donc pas question ici d’augmenter le capital, ni de compter sur une main-d’œuvre plus performante. Il s’agit simplement d’améliorer les processus. De même, il faut savoir que la diffusion des connaissances existantes constitue un déterminant important de la croissance de la productivité. Si votre collègue est particulièrement efficace, vous pouvez vous inspirer de son exemple.
Ou si une entreprise concurrente fait quelque chose de bien, la vôtre peut s’en inspirer. Enfin, si un autre pays possède une nouvelle technologie exceptionnelle, votre pays peut également s’en doter. De sorte que la plupart des pays du monde s’efforcent en fait de s’imiter et de diffuser les technologies existantes. Voilà qui constitue également un déterminant important de la productivité. Certains doivent en effet s’employer à repousser le seuil technologique.
Essayons maintenant, dans les prochaines diapositives, de mieux cerner ce qu’a été le problème de la productivité au Canada, pour parvenir à en saisir l’ampleur. Je dirais tout d’abord que, normalement, la productivité augmente au fil du temps. Cela s’explique du fait que nous remplaçons généralement les vieux ordinateurs par de nouveaux ordinateurs, et que les gens acquièrent de plus en plus d’expérience, de connaissances, en plus d’être progressivement mieux éduqués.
Telle est donc la situation normale. Cependant, vous constatez que tel ne fut pas le cas au cours des cinq dernières années. La productivité canadienne a connu une baisse très inhabituelle, ce qui est en soi inquiétant. Pour autant, nous estimons qu’il s’agit d’un phénomène temporaire. Je reviendrai plus tard sur les raisons qui pourraient expliquer cela, mais j’aimerais souligner que la productivité a considérablement laissé à désirer ces derniers temps.
Si vous vous demandez d’où provient ce pic observé en 2020, sachez qu’il était lié à la pandémie. En fait, ce qui s’est passé est que, lorsque le confinement a été instauré, de nombreux emplois peu qualifiés ont été suspendus. De sorte que le niveau moyen de la productivité a augmenté de manière marquée. Dès que ces emplois ont repris, nous avons assisté à un retour à un niveau plus normal.
Si nous prenons un peu de recul et reconnaissons que le Canada a connu une piètre productivité au cours des cinq dernières années, qu’en est-il de ce qui s’est passé au cours des quarante dernières années ? La réponse est la suivante : le Canada a nettement moins bien fait que les États-Unis. En 1981, le Canada affichait un niveau de productivité équivalant à environ 99 % de celui des États-Unis. Cela signifie donc que le Canada était presque aussi productif que l’étaient les États-Unis.
Aujourd’hui, ce niveau est tombé à environ 75 % de la production américaine sur une base horaire. Voilà qui constitue un recul important, qui représente plus de 20 000 $ de revenu perdu par année pour le ménage canadien moyen. Cela représente donc une perte tout à fait considérable. Cette baisse n’a pas été constante au sens où le niveau de productivité relative du Canada est demeuré relativement stable pendant certaines décennies, alors qu’on pourrait dire que les années 1990 et 2010 n’ont pas vraiment donné lieu à une accentuation des pertes. Malgré tout, les gains n’ont pas été importants et le niveau de productivité est demeuré faible tout au long de cette période.
Des reculs importants sont survenus au cours de certaines décennies, comme dans les années 1980, 2000 et 2020. Le Canada est donc très en retard. Enfin, le troisième point de vue pourrait consister à se dire que, si le Canada accuse un retard très marqué par rapport aux États-Unis, se pourrait-il que les États-Unis se distingue d’une manière particulière ?
Auquel cas le Canada ne se serait pas particulièrement mal tiré d’affaire, ce qui est en partie vrai. Si l’on examine l’évolution de la productivité par pays depuis l’année 2000, chacun ici débute au même point et il est possible de constater l’ampleur de la croissance qui a été enregistrée par différents pays. Les États-Unis font manifestement figure d’exception. Les États-Unis ont enregistré une croissance de la productivité supérieure à celle de presque tous les autres pays, à tout le moins parmi les membres du G7.
Le Canada se retrouve à peu près au milieu du peloton. On pourrait donc prétendre que la situation n’est pas si mauvaise. Cependant, il faut prendre un peu plus de recul. Nous pouvons en effet ajouter que, si l’on considère le niveau de productivité actuel, les États-Unis sont très productifs et se situent dans la partie nettement supérieure du panier de pays comparables. Pour sa part, le Canada se situe dans le peloton. Malgré tout, on pourrait prétendre que le Canada se trouve dans la partie inférieure de ce panier et qu’il sous-performe dans une certaine mesure lorsqu’on compare sa situation à celle de nations comparables. N’oublions pas que le Canada, qui est voisin des États-Unis, présente des points communs avec ce pays. On pourrait donc penser que le Canada, plus que tout autre pays, devrait aspirer à mieux calquer le succès américain. Enfin, permettez-moi de formuler une dernière réflexion avant d’aborder les raisons pour lesquelles la productivité n’a pas été à la hauteur. Je dois souligner qu’il existe une distinction entre les notions de compétitivité et de productivité. Nous avons défini ce qu’est la productivité. Quant à elle, la compétitivité revient à dire qu’un pays peut être improductif et, en effet, de nombreux pays émergents sont très improductifs, si l’on considère le niveau de production par heure de travail. Cependant, si vos salaires sont faibles, si votre taux de change est faible, ou si ces deux conditions sont réunies, vous pouvez tout de même faire plutôt bien et demeurer relativement compétitif. Cela est donc vrai.
En effet, si l’on observe la situation qui prévaut actuellement au Canada, il est possible d’affirmer que la compétitivité canadienne est légèrement inférieure à sa moyenne historique à long terme. Malheureusement, il se trouve que la faible productivité a été compensée par une croissance des salaires inférieure que ce qui aurait été obtenu. De sorte que les gens sont plus pauvres qu’ils ne l’auraient été si la productivité avait été plus élevée.
Et il se trouve que le taux de change canadien est actuellement assez faible. Et je dirais même que cela est tout à fait normal compte tenu de la situation actuelle. Cependant, rien ne garantit que le taux de change demeurera aussi faible indéfiniment. Se pose donc clairement le risque que sa faible productivité revienne hanter davantage le Canada si sa devise devait se normaliser.
Voilà un bien long préambule… Voyons maintenant pourquoi le Canada connaît une productivité faible. Voici ce qui est en quelque sorte votre table des matières. Nous traiterons ensuite de chacun de ces points de manière plus détaillée. Pour ma part, l’aspect le plus important tient au fait que nous ne sommes pas simplement confrontés à un seul problème, mais plutôt à une foule de problèmes. Et, comme nous aurons l’occasion d’y revenir, cette réalité est en soi déconcertante.
Mais, tout autant, cela signifie que le Canada est en mesure de poser beaucoup de petits gestes pour améliorer la situation. Parlons donc de ces problèmes. D’une part, il est question de facteurs temporaires aigus. Je pense notamment à la forte augmentation de l’immigration canadienne au cours de ces dernières années, qui semble avoir nui à la productivité. Il est aussi question de certains facteurs de distorsion qui persistent depuis la pandémie. J’y reviendrai plus tard. En fait, je reviendrai sur tous ces points plus tard.
Il y a aussi les considérations de politique publique qui ont tendance à s’accaparer la principale part de blâme lorsqu’il est question de la productivité canadienne, de taux d’imposition trop élevés, d’une réglementation trop stricte, etc. Cela me semble généralement vrai. Cependant, j’ajouterais que cela ne constitue certainement pas la seule raison qui explique la faiblesse de la productivité canadienne. Il faut donc ne pas perdre cela de vue.
Vient ensuite le volet de la culture. Je pense que l’on peut affirmer que la culture canadienne est plutôt réfractaire au risque. Peut-être même est-elle quelque peu complaisante, voire méfiante à l’égard du succès. Voilà qui contribue probablement aussi à cette réalité dans une certaine mesure. Enfin, il faut parler de la structure de l’économie. Notre pays est très vaste et relativement peu populeux.
Notre situation sur le plan des ressources est particulière. Si nous pouvons intervenir à l’égard de certains de ces aspects, d’autres sont relativement fixes et, globalement, peut-être pas particulièrement favorables. Voilà donc une réalité dont on pourrait penser qu’elle a contribué à freiner le Canada, à tout le moins par rapport aux États-Unis.
Viennent ensuite les décisions opérationnelles. Il arrive fréquemment que les entreprises s’en tirent impunément en blâmant les politiques publiques et d’autres aspects. Cependant, en réalité, lorsqu’on examine de plus près le niveau des dépenses en immobilisations, de la recherche et du développement et ainsi de suite, des entreprises canadiennes, il est difficile d’imputer entièrement la responsabilité des faibles taux d’investissement aux taux d’imposition et à ce genre de facteurs. Je ferais donc valoir qu’une partie de la responsabilité incombe également aux entreprises.
Enfin, les forces mondiales constituent le sixième et dernier élément. Ces forces mondiales renvoient à l’idée que la productivité mondiale fluctue constamment, ces fluctuations ayant été plus marquées au cours des 15 dernières années. À cet égard, je pense que nous devrions reconnaître que le Canada ne fonctionne pas entièrement en vase clos.
J’ai dit qu’il y avait six éléments. Je pense en effet qu’il y en a six, mais je me permettrais d’en ajouter un septième, qui tient bien évidemment au fait qu’il faut penser au capital humain et à la qualité des travailleurs. Cependant, au Canada, cela ne constitue pas véritablement un problème. En fait, exprimé en pourcentage de la population canadienne, le niveau d’éducation postsecondaire est le plus élevé au monde. Les indicateurs affichent des résultats plutôt impressionnants à cet égard. Je dirais donc que, si cela ne constitue pas un problème, il s’agit néanmoins d’un facteur pertinent dont il convient de tenir compte.
Entrons maintenant dans le vif du sujet et prenons acte du fait en tout premier lieu que, même si nous agissons comme s’il s’agissait de catégories distinctes qu’il est possible d’examiner isolément, il existe bien évidemment de nombreux chevauchements.
En effet, la culture d’un pays influence considérablement les politiques publiques, la structure économique et les décisions commerciales qui sont prises. Il faut reconnaître que les politiques publiques ont une incidence sur les décisions opérationnelles. Elles ont également une certaine incidence sur la structure de l’économie. Et à son tour, la structure de l’économie a aussi une incidence sur les décisions opérationnelles.
En vérité, le monde dans lequel nous vivons est vaste et chaotique. Je prétendrai néanmoins, alors que nous traiterons de chacun d’eux tour à tour, qu’il s’agit d’éléments distincts.
Commençons par le premier. Il s’agit des facteurs temporaires aigus. En l’espèce, l’idée est que certains éléments se sont combinés et ont agi en défaveur de la productivité canadienne au cours de ces dernières années.
L’un d’eux serait une vague d’immigration sans précédent. À son apogée, la croissance démographique annuelle s’est soudainement retrouvée à 3,5 %. Et, en réalité, le stock de capital national, et c’est ce qu’illustre ce graphique, le stock de capital n’a tout simplement pas pu suivre le rythme. En effet, nous n’avons pas observé une augmentation équivalente, soit à hauteur de 3,5 %, du nombre d’ordinateurs dans les usines, du nombre d’entreprises en exploitation, et ainsi de suite.
Nous avons assisté à une désintensification majeure du capital. En a découlé une baisse de la productivité. Il se trouve aussi que les groupes d’immigration ciblés étaient ceux de travailleurs étrangers peu qualifiés, ce qui encore une fois, et c’est cet aspect de la faible qualification qui est révélateur, a eu tendance à abaisser le niveau de productivité moyen plutôt que de le faire augmenter.
Pour leur part, les étudiants étrangers – dont on peut affirmer qu’ils étaient peut-être, en théorie, plus qualifiés ou qu’ils s’employaient à tout le moins à le devenir –, ont malgré tout néanmoins tendance à occuper des emplois à temps partiel peu qualifiés. De sorte que l’augmentation marquée de l’immigration, de par sa composition même, a temporairement freiné la croissance de la productivité. Nous estimons que persistent des distorsions liées à la pandémie. Le Canada affiche la plus forte proportion de télétravail au monde, et nous considérons qu’il se pourrait fort bien que cela nuise également, dans une certaine mesure, à la croissance de la productivité.
Sont survenues de mauvaises répartitions des capitaux alors que certaines entreprises ont estimé, à tort, que certaines distorsions liées à la pandémie persisteraient peut-être. Et il est probable que cela ait également nui temporairement à la productivité. Enfin, je dois également souligner que nous avons subi un choc sur le plan des taux d’intérêt.
Ces dernières années, les taux d’intérêt ont atteint leur plus haut niveau depuis plus de 15 ans, et cette réalité a freiné les emprunts et les dépenses en immobilisations, dans une certaine mesure. Encore une fois, il s’agit là d’une situation temporaire qui commence déjà à s’inverser. Sans parler d’une très grande incertitude, d’une incertitude sur le plan des politiques, et ainsi de suite. Évidemment, si j’essayais d’établir maladroitement un lien entre les deux parties de cette présentation, je dirais que les décisions américaines en matière de droits de douane sont au cœur de cette réalité.
Nous pensons donc que tous ces facteurs ont temporairement nui à la productivité et contribué au déclin général, mais probablement pas de manière permanente. Passons ensuite au volet des politiques publiques canadiennes qui, encore une fois, s’attirent la majeure partie des critiques. Elles en méritent une certaine partie, mais peut-être pas la totalité. C’est en effet le cas, la fiscalité canadienne est moins favorable que la fiscalité américaine.
C’est ce que montre en gros ce tableau. Les taux d’imposition des particuliers sont plus élevés. Les taux d’imposition des sociétés sont plus élevés. Les mesures de soutien gouvernementales au chapitre de la recherche et développement sont moindres, et ainsi de suite. Cependant, je dirais que nous avons tendance à surestimer ce facteur comme étant le plus important. Si je m’attarde au taux d’imposition des sociétés, il est à peine plus élevé au Canada. Le soutien à la recherche et développement est à peine plus faible, et ainsi de suite.
Ces facteurs expliquent en partie la situation. Mais je ne pense pas pour autant qu’ils expliquent tout. Pour ma part, en matière de politiques publiques, j’estime que les enjeux réglementaires sont plus importants que les enjeux d’ordre fiscal. Il est extrêmement difficile de s’engager dans des projets d’infrastructures et de ressources, et la réglementation stricte imposée aux banques a incité ces dernières à faire preuve d’une plus grande prudence en matière d’octroi de prêts.
De nombreux enjeux réglementaires en matière de construction et de bâtiment ont fait en sorte qu’il est désormais très difficile pour les entrepreneurs de construire de nouveaux logements, etc. Je pense qu’il s’agit probablement du principal enjeu en matière de politiques publiques. J’en viendrai dans un instant à la question du commerce interprovincial, qui est également lié. Qu’en est-il de la taille du gouvernement ? La taille du gouvernement canadien a connu une forte croissance au cours de ces dernières années.
Et on ne peut affirmer que cette croissance en ait vraiment valu la peine. De même, j’ai évoqué la question de l’immigration, et je fais ici plutôt référence à l’époque où le Canada avait instauré un système de points, qui constituait le principal mécanisme de gestion de l’immigration, ce système étant largement reconnu et ayant vraiment fait ses preuves. Cependant, il est tout à fait remarquable que ce système ait eu tendance à attirer, pourrait-on peut-être dire, des professionnels conservateurs plutôt que des entrepreneurs audacieux.
Reconnaissons du même coup qu’en matière d’immigration, nous devons réfléchir à la question de l’émigration. Le Canada a souffert au fil des ans d’une importante fuite de ses cerveaux, lesquels furent notamment attirés par une fiscalité plus favorable et de meilleures possibilités de création d’entreprises, et ainsi de suite, aux États-Unis. Cela constitue donc certainement un aspect important dont il y a lieu de tenir compte. Je me permettrais de dire que dans le contexte d’une petite économie ouverte adjacente à une économie ouverte beaucoup plus vaste, ce qui est la situation du Canada par rapport aux États-Unis bien que je pense que nous puissions débattre de la question de l’ouverture des États-Unis dans le contexte des événements récents, il ne suffit pas d’offrir des taux d’imposition presque aussi avantageux ou une réglementation presque aussi attractive que ceux des États-Unis. Je pense qu’il ne suffit pas de se doter d’un cadre aussi attrayant ou avantageux. En vérité, si l’on souhaite que des entreprises viennent s’implanter dans le plus petit de ces deux marchés, j’estime qu’il faut que le Canada se montre plus concurrentiel que ne le sont les États-Unis.
C’est la réalité. Et telle n’est pas la situation actuelle du Canada.
Permettez-moi une brève digression en ce qui concerne les politiques et les barrières commerciales provinciales dont il a été question récemment. Je pense qu’il est connu et reconnu que les nombreuses barrières provinciales entraînent une perte de production économique significative. Selon certaines estimations, le gain de PIB pourrait atteindre les 4 %, ce qui est considérable.
De sorte qu’il vaut certainement la peine de réfléchir à cette question. Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas ici d’une idée nouvelle. Les économistes en parlent. Les décideurs politiques en parlent depuis fort longtemps, alors que fut notamment conclu en 2017 un accord de libre-échange entre les provinces, dont l’objectif était précisément de cibler ce problème. Il ne s’agit donc pas d’un problème nouveau. Soit dit en passant, il faut reconnaître qu’il sera impossible de régler ce problème suffisamment rapidement pour compenser les dommages qui découlent de l’imposition des droits de douane.
Il s’agit plutôt d’un projet qui s’échelonnera sur plusieurs années. Du reste, je soulignerais qu’il y a lieu de prendre conscience qu’il sera plus difficile à mettre en œuvre qu’on pourrait le penser. En effet, ces obstacles ne sont pas des droits de douane. Il s’agit plutôt d’obstacles non tarifaires en quelque sorte. Il est simplement question de règles et de réglementations différentes, d’exigences en matière d’emballage différentes, de même que d’exigences en matière de sécurité ou de règles professionnelles différentes.
Et une partie importante de l’avantage théorique qui résulterait de l’instauration de liens plus étroits entre les provinces canadiennes découlerait du fait que l’on se demanderait pourquoi il existe dix services de santé distincts, dix services d’éducation différents, des sociétés de services publics distinctes, et ainsi de suite. De sorte qu’il serait question de mettre fin à peu près à tout ce qu’accomplissent les provinces, pour en confier la responsabilité au gouvernement fédéral, solution qui ne retiendrait pas bien évidemment particulièrement la faveur des provinces, et me semble donc plutôt improbable.
Je pense cependant qu’il y a place à l’action. En effet, nous observons des efforts concertés et il semblerait que l’harmonisation des certifications et des agréments professionnels pourrait peut-être être la première étape la plus évidente. Nous constatons d’ailleurs une certaine évolution en ce sens. J’évoquerais le secteur des transports, notamment le fait qu’il est difficile pour un camion à vocation commerciale de circuler à travers le pays, que prévalent des réglementations différentes en différents endroits en ce qui concerne les essieux et les pneus, etc.
Voilà qui constitue également un aspect qu’il conviendrait de régler rapidement. Je ne doute pas que nous observions d’autres progrès au fil du temps, mais je dirais du même souffle qu’à moins que vous ne pensiez que les provinces perdront toute fonction, il est probable que nous continuerons à observer que certains obstacles demeureront, de manière implicite.
Revenons maintenant à l’essentiel de notre propos. Soit à la culture canadienne en tant que frein à la productivité.
Je pense qu’il est possible d’affirmer qu’au Canada prévaut une culture réfractaire au risque, alors que l’établissement du consensus prime plutôt sur l’innovation disruptive, et que l’échec y est peut-être stigmatisé. En revanche prévaut aux États-Unis l’approche de l’échec rapide assorti d’un apprentissage tout aussi rapide. Et un financement prudent, que celui-ci prenne la forme de prêts bancaires, de capital-risque ou d’investissements providentiels, le climat est par ailleurs tel que les entrepreneurs vendent généralement à des acheteurs étrangers plutôt que de tenter de se développer au plan national.
Prévaut donc une véritable aversion au risque, me semble-t-il. Bien évidemment, cela est difficile à quantifier ou à démontrer, mais c’est certainement le sentiment que nous sommes en mesure de percevoir. Prévaut également une certaine complaisance. L’accent est mis sur l’égalité, peut-être au détriment de l’excellence, de même qu’un état d’esprit axé sur le statu quo en quelque sorte, plutôt que sur la croissance. Enfin, qu’il me soit permis de souligner, simplement à titre d’observation, que certains des principaux secteurs de l’économie canadienne ne sont pas soumis à une rude concurrence.
La situation est relativement figée et très peu de petites entreprises au caractère disruptif s’emploient à bouleverser la donne. Cela témoigne d’un certain élément de complaisance. Sans compter cette hostilité qui peut prévaloir à l’égard du succès. Ainsi, dans la mesure où l’ambition, l’autopromotion et l’accumulation de richesse peuvent parfois être mal vues, dans une certaine mesure, et où peut être observé un certain syndrome du grand coquelicot, il faut convenir du fait qu’il n’est pas facile de nommer cinq PDG ou milliardaires canadiens.
Ces personnes ne sont pas véritablement connues du grand public. Donc, encore une fois, la conclusion qu’il est peut-être possible de tirer en l’espèce renvoie au fait qu’un aspect quelconque de la culture canadienne décourage l’innovation, la prise de risque et, par voie de conséquence, la croissance de la productivité.
Par ailleurs, la structure économique joue certainement un rôle. Notre pays est vaste. La géographie du territoire présente son lot de difficultés, qu’on se réfère à la présence de montagnes, de toundras ou d’autres aspects, sans compter le fait que le climat peut être rude, ce qui est certainement le cas dans une grande partie de notre territoire.
La densité de la population est faible. Il est acquis que les mégalopoles constituent un important vecteur d’innovation et de croissance de la productivité, et le Canada ne compte que quelques-unes de ces mégalopoles et, en vérité, très peu de villes vraiment diversifiées, où il serait possible d’exercer pratiquement n’importe quel métier. Voilà donc une lacune.
Le manque d’envergure. Qu’il suffise de penser que nous vivons à l’ère moderne des effets de réseaux, de l’élargissement de la portée, etc., tous ces aspects étant cruciaux pour les entreprises. Et si vous vivez dans un pays de 1,4 milliards d’habitants, comme la Chine, ou de 330 millions d’habitants, comme c’est le cas des États-Unis, voilà qui constitue un avantage marqué par rapport aux 41 ou 42 millions d’habitants qui peuplent le Canada.
De même, il semblerait que les orientations sectorielles n’aient pas toujours été tout à fait favorables au Canada. Le secteur public a connu une croissance fulgurante. En fait, ce graphique montre que la productivité du secteur public est en baisse constante et que cette baisse a été plutôt marquée au cours des six ou sept dernières années. Cela permet donc de croire que l’augmentation du nombre de travailleurs ne se traduit pas nécessairement par une hausse significative de la production. Cela est donc synonyme de baisse de productivité.
Le marché immobilier… les pays dotés de vastes marchés immobiliers chers ont tendance à connaître une croissance de la productivité plus faible. Les capitaux sont orientés vers le logement plutôt que vers des actifs plus productifs. Et, bien évidemment, le Canada est tout à fait confronté à ce problème, et ce, de manière significative. Ce problème est par ailleurs complexe puisque prévaut également une pénurie de logements. Il importe donc d’investir massivement dans le logement et la construction. Mais je pense que cette situation renvoie davantage à l’idée selon laquelle, lorsque le logement est très cher, lorsque les prix des maisons sont élevés, lorsque l’accessibilité laisse à désirer, les gens consacrent une part très importante de leur patrimoine à cet aspect, au détriment d’autres formes d’investissement et de dépenses plus productives.
Le Canada est donc confronté à ce défi. Le secteur pétrolier et gazier est très productif. Or, ce secteur connaît une baisse de productivité marquée au Canada depuis quelques décennies. Il faut reconnaître que chaque nouveau puits de pétrole s’avère légèrement moins attrayant que ne l’était le précédent. Et telle est bien la raison pour laquelle il n’a pas déjà été foré.
Les prix du pétrole ont été suffisamment élevés pour que cette activité demeure rentable pour les sociétés pétrolières et gazières. Elles demeurent parfaitement rationnelles quant à leurs décisions, et je ne doute pas qu’elles doivent s’employer à être aussi productives que possible. Cependant, il est tout simplement plus difficile d’extraire ce pétrole au prix marginal du baril. De sorte que la productivité a chuté dans ce secteur très important.
Il y a également la question de la gestion de l’offre qui, bien sûr, touche un ensemble de secteurs relativement protégés. Cet aspect n’est donc que peu propice à la réalisation d’importants gains de productivité. On pourrait peut-être formuler une critique similaire à l’égard de certains secteurs de services ailleurs, en estimant qu’il s’agit de vastes secteurs semi-oligopolistiques, qui ne sont peut-être pas réputés pour leurs gains de productivité. Enfin, il se trouve que le Canada possède bon nombre d’industries saisonnières qui laissent leurs travailleurs inactifs pendant une grande partie de l’année, ce qui ne maximise pas non plus la productivité.
Il est possible d’ajuster quelque peu certains de ces aspects. Certains d’entre eux sont peut-être un peu plus immuables. Cependant, encore une fois, il convient de reconnaître que la structure économique joue un rôle important dans le déficit de productivité. Nous en venons ensuite aux décisions opérationnelles. Je pense, encore une fois, qu’il s’agit d’un aspect dont on entend peu parler. Cependant, j’estime qu’il est au cœur des raisons qui expliquent le caractère si déplorable de la productivité canadienne.
Le graphique de gauche m’en dit long. Je vous invite à jeter un coup d’œil à cette ligne bleu foncé. Elle nous indique que l’entreprise canadienne moyenne dépense à peine plus de la moitié du montant par travailleur en investissements que l’entreprise américaine moyenne. En gros, elle dépense la moitié du montant par travailleur, ou un peu plus.
Il serait difficile de justifier cette réalité car le taux d’imposition des sociétés est plus élevé de 1 % au Canada. Cela explique difficilement un niveau de dépenses en immobilisations par travailleur inférieur de près de 50 %. Il y a donc manifestement des différences sectorielles. Et il existe des sociétés comme Google et Apple dont je suis sûr qu’elles engagent toutes sortes de dépenses en immobilisations. Peut-être ce tableau n’est-il pas tout à fait juste.
Mais, même en tenant compte de certains de ces facteurs et en examinant les différents secteurs, nous constatons que le Canada accuse un retard important. Et il s’agit ici d’investissements qui rapporteraient probablement des dividendes plutôt positifs si les entreprises canadiennes devaient les réaliser. Et ce n’est tout simplement pas le cas.
De même, à droite, on retrouve les dépenses en recherche et développement. Le Canada se situe assez loin dans la liste à cet égard et accuse encore une fois un retard considérable sur les États-Unis.
Il n’est pas surprenant que l’on n’observe pas véritablement de croissance de la productivité lorsqu’elle n’est pas vraiment précédée d’innovations en amont.
Enfin, il faut tenir compte des forces mondiales, qui constituent en quelque sorte le dernier élément principal. Il faut reconnaître qu’ont été observés cette année des ralentissements mondiaux et que ces 15 dernières années ont été marquées par une sorte de creux sur le plan de la productivité. On retrouve ici l’évolution de la productivité américaine depuis le XIXe siècle qui, selon nous, reflète la tendance mondiale.
Ces derniers temps ont donc été plutôt marqués par un creux que par un boom. Il est tout simplement difficile de suivre les incroyables évolutions technologiques qui ont marqué le XXe siècle. Qu’il s’agisse du moteur à combustion interne, de l’électricité, de la production de masse, de l’avion, de l’ordinateur, etc., il s’agit, il faut le reconnaître, d’une succession de technologies tout à fait remarquables. Nous ne sommes probablement pas en présence du même type de phénomène et d’une même importance aujourd’hui.
Je dirais cependant que nous observons la présence de déterminants mondiaux. Nous pensons que la révolution Internet est toujours en cours. Nous pouvons encore générer des gains de productivité. L’intelligence artificielle constituera probablement le prochain grand vecteur de productivité. De sorte que nous pensons que subsiste une marge de progression à cet égard. N’oublions pas qu’à mesure que des pays comme la Chine, et son 1,4 milliard d’habitants, atteignent le seuil technologique, ils le repoussent, et que ce type de connaissance finit éventuellement par se propager auprès de tous. Et cela constitue indéniablement un coup de pouce.
Il me semble que nous disposons d’une certaine marge de manœuvre pour une reprise de la productivité mondiale, notamment au Canada ; dont la croissance pourrait ne pas être aussi rapide que celle qui fut observée, en moyenne, au cours du XXe siècle, bien qu’elle puisse être plus rapide que celle qu’il nous a été donné d’observer, en moyenne, au cours de la première partie du XXIe siècle.
Mais, manifestement, je vous offre actuellement un point de vue plutôt que de me contenter d’interpréter. Nous allons donc faire cela correctement. Dressons quelque chose qui ressemble à un tableau de bord. Dans un premier temps, nous devons tenir compte de ces facteurs temporaires aigus. Nous pensons qu’il s’agit là d’une force d’ampleur moyenne et qu’il est assez facile de corriger. Du simple fait du temps qui passe. Les politiques d’immigration ont été ajustées.
L’incertitude politique finira par s’estomper. Les taux d’intérêt sont déjà en baisse. Nous devrions donc noter une amélioration relativement rapidement. Si les politiques publiques constituent une grande partie du problème, elles n’expliquent pas tout. Sans compter la question des impôts, de la réglementation, etc. Tout cela n’est pas facile à régler mais il y a place à l’amélioration. Et, bien évidemment, il y aura bientôt des élections au Canada.
Il me semble que les deux principaux partis proposent des améliorations notables qui pourraient contribuer à améliorer la productivité. Cela me semble en soi prometteur.
Qu’en est-il de la culture ? Cet aspect représente une partie importante du problème. Mais elle n’est pas simple à corriger. En effet, comme la culture n’évolue pas très rapidement, nous devons faire preuve de patience, bien que certaines améliorations puissent être progressivement possibles.
Les structures économiques constituent selon moi une portion appréciable du problème, qui, dans une grande mesure, est difficile à corriger. Notre pays est vaste. Sa population demeura modeste dans un avenir proche. Cependant, il est possible d’intervenir sur le plan du redimensionnement de l’État, d’améliorer l’accessibilité au logement et de faire en sorte que les flux de capitaux soient orientés de manière plus productive. Il est également possible de réduire les entraves à l’accès pour certains secteurs qui ont été relativement protégés. Il reste donc du travail à faire, mais, encore une fois, les gains envisageables ne sont pas considérables.
Qu’en est-il des décisions opérationnelles ? Nous sommes d’avis qu’il s’agit là d’une partie importante du problème et qu’il y a place à l’amélioration. Nous espérons donc que cela se produise. Cependant, pour que tel soit le cas, il faudrait que les entreprises soient disposées à franchir le pas. Et, qui sait, peut-être l’avertissement qui découle de l’imposition des droits de douane américains et un changement de politique américaine pourront y contribuer.
Puis l’aspect des forces mondiales. Ici encore, nous estimons qu’elles représentent une portion appréciable du problème. Et nous considérons que peuvent être entrevues certaines améliorations à long terme.
Je me permettrai d’ajouter le volet du capital humain ; qui ne constitue pas en soi un problème, mais à l’égard duquel nous estimons également que peuvent être réalisées certaines améliorations.
Pour résumer la situation, dans un premier temps, la question de la productivité est tout à fait primordiale pour le bien-être financier à long terme. En fait, cet aspect est peut-être le plus important de tous.
Qu’en est-il du défi ? Cet aspect représente un problème majeur pour le Canada. Il comporte de multiples facettes. La bonne nouvelle, cependant, est que se profilent donc de nombreux domaines d’amélioration. Nous observons d’ailleurs un certain nombre de catalyseurs potentiels pouvant mener à de l’amélioration. En fait, comme l’économie a été si malmenée récemment, nous pouvons nous attendre à des progrès.
D’une part, les politiques en matière d’immigration sont en voie d’être changées, la menace liée aux droits de douane crée un besoin de croissance accrue ailleurs et suscite l’attention dans le contexte des élections canadiennes, qui pourraient entraîner des changements politiques utiles. Par ailleurs, pointent à l’horizon de nouvelles technologies qui pourraient également améliorer la productivité. De sorte que, d’un point de vue économique, nous considérons qu’il est possible que la croissance de la productivité canadienne se concrétise plus rapidement et probablement de façon graduelle.
Peut-être pas de façon linéaire. Je pense qu’il n’est pas déraisonnable d’espérer que la croissance de la productivité passe d’une moyenne annuelle d’environ 1 % à une moyenne annuelle d’environ 1,5 %, ce qui représenterait une amélioration de 50 % du taux de croissance et contribuerait à rendre les Canadiens nettement plus prospères, dans un délai d’une génération. Et si je devais par ailleurs tenir compte de la perspective des marchés, étant donné que vous êtes tous en quelque sorte des investisseurs dans un premier temps, on pourrait penser que, dans un contexte de productivité accrue, le dollar canadien serait un peu plus fort. On pourrait penser que les bénéfices seraient bien évidemment légèrement plus élevés, ce qui favoriserait le marché boursier. On pourrait également penser que les taux d’intérêt seraient également légèrement plus élevés ; du simple fait que les économies qui connaissent une croissance rapide ont tendance à avoir des taux d’intérêt légèrement plus élevés.
Bien. Permettez-moi maintenant de changer de sujet pour passer au suivant. Peut-être n’y a-t-il pas vraiment de lien à faire, si ce n’est que la productivité pourrait en partie contribuer à combler un manque à gagner associé aux droits de douane. Sinon, il s’agit d’un sujet tout à fait différent ; qui, du reste, évolue très rapidement. Je tiens donc à rappeler que j’enregistre la présente vidéo le 4 avril. J’espère sincèrement que nous n’aurons plus jamais à parler de cela, mais j’ai le vague pressentiment que surviendront encore des rebondissements qui pourraient rendre certains de mes propos obsolètes.
Je vais donc essayer de vous proposer une vision globale qui, je l’espère, demeurera pertinente le plus longtemps possible. Attardons-nous à la question des droits de douane, aux perspectives de réaction ainsi qu’à leur impact. Commençons par revenir sur les principes fondamentaux. Qu’est-ce qu’un droit de douane ? Je vous propose une réponse très succincte à cette question. En fait, il s’agit d’une taxe ; une taxe imposée aux importateurs. De sorte que la première conséquence est que le gouvernement voit ses recettes augmenter.
Et, bien sûr, cette taxe est payée par l’importateur. On se rend compte très vite compte que ces droits de douane ont d’autres répercussions. Sous la forme, bien évidemment, d’effets secondaires sur les prix, sur l’offre, la demande, les devises, les chaînes d’approvisionnement, la liste est longue… Il y a donc des répercussions successives. Peut-être pourrait-on résumer la situation en soulignant les effets positifs, négatifs ou nets.
Pour le pays qui impose les droits de douane, ces droits peuvent présenter éventuellement des avantages, par exemple sur le plan d’une augmentation de la production nationale. Si le pays est parvenu à évincer les producteurs étrangers, le gouvernement bénéficiera de recettes fiscales plus élevées grâce à ces droits de douane. Je soupçonne donc que ces recettes fiscales seront touchées si l’économie est plus faible par ailleurs. Néanmoins, le gouvernement perçoit des recettes sur-le-champ. Il faut en contrepartie tenir compte d’inconvénients importants.
Les droits de douane entraînent une hausse des prix et, du fait de cette hausse, une baisse de la demande. Ils freinent la spécialisation. Les entreprises nationales se retrouvent donc désormais sollicitées à la limite de leurs capacités et elles sont contraintes d’exercer des activités pour lesquelles elles sont moins performantes, ce qui entraîne une baisse de la productivité. Et des choix plus limités, malgré cette réduction… Au final, les consommateurs ont probablement moins de choix.
De telle sorte que, sur ce plan également, ils se retrouvent perdants. Normalement, et je dis bien « normalement », puisqu’on s’attendrait normalement à ce qu’un pays qui applique des droits de douane bénéficie d’une monnaie plus forte. Permettez-moi de noter, dans la mesure où les États-Unis sont actuellement le principal artisan de l’imposition de ces droits de douane, que le dollar américain baisse plutôt que de se renforcer. Je suppose que cela témoigne du fait que ces règles empiriques, la théorie et l’histoire ne fonctionnent pas toujours comme il se doit.
Je suppose que la principale préoccupation des États-Unis réside dans ces répercussions économiques. Peut-être le déclin de l’ordre mondial fait-il en sorte que le dollar américain perd un peu de son lustre à titre de valeur refuge. Je suppose donc que dominent d’autres forces. Mais je me contenterai de souligner que, normalement, une monnaie plus forte a des conséquences néfastes, sans compter, bien évidemment, des difficultés considérables sur le plan des chaînes d’approvisionnement, chaque pays étant contraint de les réorganiser.
Qu’il suffise de repenser aux problèmes touchant les chaînes d’approvisionnement qui sont survenus il y a quelques années et de bien saisir l’importance de ces conséquences. Si certaines sont positives et d’autres, négatives, le résultat est globalement négatif. En effet, le côté négatif l’emporte presque toujours sur le côté positif. Lorsque les pays ripostent, et cela semble bien être en voie de se produire à l’encontre des États-Unis, le résultat est toujours négatif. Le résultat est toujours négatif pour le pays qui impose des droits de douane.
Si votre pays est frappé par des droits de douane, votre monnaie baisse généralement, même s’il faut reconnaître que la situation actuelle ne témoigne pas précisément de cela. Le pays est touché sur le plan de sa production et de ses exportations. Et, bien évidemment, se posent des problèmes de chaînes d’approvisionnement. De sorte que tout cela est toujours un inconvénient net. Pour être honnête, la plupart des pays finissent probablement par jouer un peu les deux rôles dans la mesure où sont imposées des représailles. Tout le monde impose des droits de douane et tout le monde est touché. En vérité, à cet égard, malheureusement, tout le monde y perd.
Parlons maintenant de la situation actuelle. Nous nous retrouvons donc avec de nouveaux joueurs au sommet de l’État américain et avec le président Trump, nommé pour un second mandat. Ce dernier a mis de l’avant un programme qui prévoit l’imposition de droits de douane. Nous nous sommes employés, comme tout le monde, à tenter de déterminer à quoi ressembleront probablement ces droits de douane.
Les impasses ont succédé aux rebondissements… Et, si d’autres surprises pourraient encore survenir, je m’attarderai tout simplement à la situation actuelle, alors que nous connaissons désormais les pays qui, en théorie, sont vulnérables aux droits de douane américains. Il s’agit des pays désignés ici par ces grandes barres bleu foncé. Il s’agit de pays dont une grande partie de la production économique est consommée par les Américains. On ne saurait se surprendre du fait que le Mexique et le Canada figurent parmi les plus touchés à cet égard. Fait plus étonnant, le Vietnam se retrouve également parmi ce groupe. Taiwan, la Malaisie et la Thaïlande sont également des exportateurs importants vers les États-Unis. Je tiens à souligner que, lorsque je pense aux dommages économiques dont nous devons nous préoccuper, nous devons réfléchir sérieusement et nous préoccuper du Canada, du Mexique et du Vietnam également. Mais j’estime que nous devons aussi prêter attention aux autres pays.
Et, bien sûr, les États-Unis sont en plein cœur de cette dynamique, mais à titre de partie adverse… Ils sont également touchés, bien qu’il s’agisse d’une économie très importante axée sur le marché intérieur. De sorte que l’économie américaine n’est pas aussi touchée qu’on pourrait le croire. Cependant, elle est certainement affectée négativement par ces droits de douane. Deuxièmement, je dirais qu’il ne faut pas perdre de vue tous les pays dont les chiffres sont moins élevés, à la gauche du graphique lorsque je pense au Royaume-Uni, à la France, à la Chine, à l’Inde, à l’Allemagne ou au Japon, la réalité est que leurs échanges commerciaux avec les États-Unis sont limités. En effet, les États-Unis ne consomment pas plus de 3 % de leur production économique. À l’évidence, certaines entreprises et certains secteurs sont très mécontents des récentes annonces concernant les droits de douane. Mais je dirais qu’il me semble que ces pays s’en sortiront.
Il leur suffira de réduire légèrement à la baisse leurs prévisions de croissance, mais ils se tireront probablement d’affaire. Les pays vraiment touchés sont le Canada, le Vietnam, le Mexique, sans oublier les États-Unis, bien entendu. Mais j’ai négligé ces cases grises, ces carrés gris, devrais-je dire. Ces cases renvoient aux droits de douane réciproques qui ont récemment été annoncés. À titre d’exemple, le Vietnam se retrouve en situation très délicate.
En effet, un quart de son économie est axée sur les exportations vers les États-Unis. Et ce pays vient de se voir frappé par des droits de douane qui approchent les 50 %. Voilà donc un énorme problème pour le Vietnam. À l’inverse, sans s’y attarder par ailleurs trop, on pourrait citer la situation du Royaume-Uni, vers la gauche, dont l’économie n’est pas vraiment axée sur les échanges commerciaux avec les États-Unis. Sans compter le fait que, si l’on en juge par l’importance des droits de douane qui ont été récemment annoncés, les droits de 10 % qui lui ont été imposés ne sont pas aussi pires que ceux qui ont été infligés à d’autres pays, ce qui réduit considérablement leur exposition.
Si votre vue est bonne, vous remarquerez qu’il n’y a pas de petits carrés gris associés au Canada et au Mexique. Cela s’explique, bien sûr, même si cela nous laisse tous un peu perplexes, du fait que le Canada et le Mexique n’ont pas été soumis à des droits de douane réciproques. Voilà qui est donc un peu étrange. Ils étaient en effet les deux principaux ennemis il y a quelques jours à peine et aujourd’hui, on pense qu’ils sont peut-être les deux principaux amis, et il est difficile d’imaginer que cette situation pourrait perdurer. Nous y reviendrons dans un instant. Nous pensons toujours qu’il y aura des difficultés économiques. Je tiens également à souligner que ces pays sont aussi frappés par une série d’autres droits de douane non réciproques.
Passons rapidement en revue les mesures prises par la Maison-Blanche en ce qui concerne les droits de douane. Dans un premier temps, des droits de douane de 25 % visant le Canada et le Mexique furent mis en place le 4 mars, avant d’être partiellement levés le 6 mars. Certains demeurent en vigueur, mais ils ont été partiellement levés. Je tiens tout de même à souligner que ces mesures pourraient être rétablies ultérieurement.
J’ai un peu de mal à comprendre que les choses se soient arrêtées là et que, d’une façon ou d’une autre, le Canada et le Mexique n’ont pas été du tout exposés. En ce qui concerne la Chine, nous avons été témoins de trois cycles d’imposition de droits de douane. Et nous parlons ici que de ce mandat. Puisque d’autres droits de douane sont également survenus lors du premier mandat du président Trump. Il est donc ici question de droits de douane de 10 %, suivis d’autres droits de 10 % et, enfin, de droits de 34 %, ce qui signifie au total que des droits de douane à hauteur de 54 % ont été appliqués juste au cours des derniers mois.
Et la Chine a riposté à peu près dans le même sens. Ce qui est donc très significatif. Bien que la Chine soit moins tributaire de la demande américaine qu’on pourrait le penser. Les droits de douane touchant l’acier et l’aluminium sont en vigueur depuis le 12 mars et ils le demeurent. Le Canada est le pays le plus touché par ces deux mesures, au sens où le Canada est le principal exportateur d’acier et d’aluminium.
Et, en effet, dans le cas de l’aluminium, le Canada est un exportateur pratiquement d’un ordre de grandeur plus important que n’importe quel autre pays. Le Canada est donc très directement touché. Une telle mesure s’est avérée temporaire durant le premier mandat du président Trump, mais cette notion de caractère temporaire est tout à fait relative. Elle a néanmoins duré 14 mois, ce qui est long. J’estime que la probabilité que cette mesure soit levée cette fois-ci est plus faible, tout simplement du fait qu’il semble que, sur le plan idéologique, l’administration Trump soit plus fondamentalement favorable aux droits de douane cette fois-ci qu’elle ne l’était la dernière fois.
Viennent ensuite les droits de douane réciproques, dont nous venons de parler, et qui sont actuellement en voie d’être mis en œuvre pratiquement au moment où je vous parle. Il s’agit donc ici de droits de douane importants imposés à de nombreux pays, dans la mesure où l’Union européenne est touchée à hauteur de 20 %, le Japon, à hauteur de 24 %, et la Chine, à hauteur de 34 %. Ce pourcentage de 34 % s’ajoute aux 20 % précédents. En revanche, le Canada et le Mexique ont évité jusqu’à présent l’imposition d’autres droits de douane. Voilà qui fut une surprise de taille. Au total, en ce qui concerne les États-Unis, il se trouve que, globalement, les droits de douane ont été un peu plus élevés que ce qui avait été prévu dans le cas du Canada et du Mexique, bien qu’ils soient considérablement moins élevés actuellement.
Des droits de douane ont également été appliqués au secteur automobile. Sont notamment visés le Canada et le Mexique. Cette situation est assez problématique compte tenu de l’importante chaîne d’approvisionnement automobile nord-américaine intégrée. Vient ensuite la menace persistante d’application de droits de douane spécifiques à certains secteurs. Nous attendons toujours des nouvelles en ce qui concerne le cuivre, les produits pharmaceutiques, les puces informatiques, la foresterie et plusieurs de ces secteurs, dont le cuivre, la foresterie et, dans une certaine mesure les produits pharmaceutiques, sont également très importants pour des pays comme le Canada.
Il faut aussi reconnaître que nous observons des pratiques assez peu orthodoxes, même en matière de droits de douane, dans la mesure où plane l’imposition de nouveaux droits de douane aux pays achetant du pétrole du Venezuela. Ces droits s’appliqueraient donc à des pays qui n’ont pas d’échanges commerciaux avec les États-Unis, mais qui ont des échanges avec un pays différent, les États-Unis menaçant ces pays… La Chine, l’Inde et l’Espagne sont des pays clés qui achètent beaucoup de pétrole vénézuélien. Voilà donc un autre élément dont il pourrait falloir tenir compte.
Arrêtons-nous un instant sur ces droits de douane réciproques dans un contexte canadien. Encore une fois, le Canada et le Mexique s’en sortent étonnamment bien pour le moment. Mais il convient de garder en tête ce dernier critère… En revanche, le reste du monde a été plus durement touché que prévu. Les droits de douane prendront effet le 5 avril pour les premiers 10 % prévus, tandis que le 9 avril devraient être imposés les pourcentages additionnels qui visent divers pays.
J’aimerais simplement préciser que le Canada n’est pas totalement à l’abri de ces sanctions dans la mesure où continuent de peser sur le pays des droits de douane importants. En effet, tout ce qui n’est pas conforme à l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) est passible de droits de douane de 25 %. À la grande surprise générale, nous avons appris il y a environ un mois que jusqu’à 60 % des ventes canadiennes aux États-Unis n’étaient pas conformes à l’ACEUM.
En théorie, cela pourrait représenter des droits de douane assez importants. Il semblerait que, bien que plusieurs de ces produits fussent théoriquement conformes, il n’était tout simplement pas justifiable de se soumettre à la procédure logistique nécessaire pour en assurer la mise en conformité, sachant que cela ne permettrait de réaliser qu’une économie très faible. Nous constatons que se multiplient actuellement les procédures administratives, ce qui, selon moi, permettra à terme à la plupart des échanges commerciaux d’être conformes.
Quoi qu’il en soit, une partie du marché est actuellement touchée par ces droits de douane de 25 %. Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium touchent évidemment principalement le Canada. Comme je l’ai indiqué il y a quelques instants, les droits de douane de 25 % sur l’automobile ont des répercussions sur la valeur ajoutée canadienne sur les voitures et les pièces principales, et toucheront l’ensemble des pièces d’ici environ un mois. Et, encore une fois, nous constatons que des droits de douane sectoriels sont en voie d’être appliqués, et certains pourraient frapper le Canada de plein fouet. De sorte que le coup est majeur. Il se trouve simplement qu’il n’est pas aussi important qu’on aurait pu le craindre si des droits de douane globaux de 25 % avaient été appliqués. Malheureusement, selon moi, il existe manifestement un risque réel, voire une possibilité de hausse ultérieure des droits de douane canadiens. De sorte que, compte tenu du nombre de surprises et de rebondissements, je ne pense pas que l’on puisse conclure que la surprise ultime soit survenue le 4 avril.
Comme je l’ai dit plus tôt, il est difficile d’imaginer que le Canada et le Mexique soient passés du jour au lendemain du statut d’ennemi no 1 à celui d’ami no 1. Je serais très surpris que tel soit le cas. Le président Trump s’est en effet plaint ouvertement du secteur laitier canadien dans son discours livré à l’occasion de l’imposition des droits de douane réciproques de sorte qu’il est inconcevable qu’aucune nouvelle riposte ne vienne. Nous savons par ailleurs que l’Accord Canada–États-Unis–Mexique sera renégocié au cours des prochains trimestres, probablement au plus tard en 2026, bien que je ne serais pas surpris que cela survienne plus tôt.
Et il ne s’agit là que de pures conjectures de ma part, mais je ne serais pas surpris que les États-Unis imposent des droits de douane au Canada et au Mexique avant la tenue de ces négociations afin de parvenir à obtenir des concessions dans le cadre de ces dernières. Nous savons pertinemment que les États-Unis ont encore de nombreuses plaintes et revendications en ce qui concerne le Canada, notamment en matière de sécurité frontalière, de dépenses militaires, de taxes sur les services numériques et de taxes sur la valeur ajoutée, la TPS, sans compter les questions concernant l’évaluation de la devise et la gestion de l’offre.
Les banques ont déjà été une source de plaintes. Et il serait étonnant que ces plaintes soient toutes abandonnées. De sorte que j’entrevois malheureusement des conséquences supplémentaires, peut-être aussi pour le Canada, sans pour autant être en mesure d’en préciser l’ampleur ou le calendrier.
Bien. Parlons maintenant de l’impact économique potentiel des droits de douane qui ont été annoncés.
En ce qui concerne les États-Unis, je peux dire qu’il existe bon nombre de voies. D’une part, il y a la voie classique des droits de douane, qui est déjà assez complexe en soi, et qui entraînera une hausse des prix et un ralentissement de la demande, etc. Voilà un facteur négatif important. Cependant, il existe d’autres voies. L’incertitude est si marquée que nous observons des signes plutôt clairs d’une certaine faiblesse économique qui en découlera.
Et cette question n’est pas encore totalement résolue. Dans la mesure où persiste une certaine incertitude quant à la pérennité des droits de douane, cet élément pourrait perdurer pendant un certain temps.
Les produits américains font l’objet d’un certain boycottage. Cela ne s’inscrit pas dans le cadre des calculs liés aux droits de douane. Les modèles ne parviennent pas à intégrer cet aspect. Cependant, cela constitue probablement un léger facteur négatif supplémentaire en ce qui concerne les États-Unis.
Atteinte à la réputation à long terme. Si les pays ne font pas confiance aux États-Unis, cela pourrait avoir un impact négatif durable, que les droits de douane soient ou non maintenus longtemps. À l’inverse, les relocalisations seront probablement encouragées. Je ne pense pas que cela soit positif à long terme pour l’économie américaine. Cependant, il est vraisemblable que certaines entreprises estimeront qu’il vaut mieux édifier leurs prochaines usines aux États-Unis pour éviter tout cela.
Les États-Unis en tirent donc un léger avantage. Peut-être une politique monétaire légèrement plus accommodante. Dans un contexte de droits de douane, des baisses de taux sont généralement observées, et non des hausses, même si celles-ci sont très timides en raison des perspectives d’inflation additionnelles qui interviennent alors.
La relance budgétaire ne semble pas être au cœur des préoccupations pour le moment. Néanmoins, je dirais qu’il existe également une certaine marge de manœuvre à cet égard.
Si l’on dresse un bilan de tout cela, on constate l’existence d’importantes marges d’erreur et d’incertitudes. Cependant, nous estimons que ce que nous observons actuellement correspond approximativement à une baisse de l’ordre de 1,5 % de la croissance économique américaine. Je pense que le risque est que cette baisse soit un peu plus importante, notamment si des droits de douane supplémentaires devaient être imposés au Canada et au Mexique. Mais tel est à peu près la situation actuelle.
L’inflation est supérieure d’environ un point de pourcentage, ce qui n’est certainement pas souhaitable. Malgré tout, nous ne sommes pas en présence d’une récession inévitable. Je sais que certains évoquent une telle crainte. En ce qui concerne le Canada, les facteurs sont similaires mais non identiques. En effet, les droits de douane pourraient être très problématiques quant à leur effet direct, même si, encore là, leur ampleur est incertaine pour le moment puisque nous ne savons pas encore précisément quelle forme prendra l’issue finale de tout cela.
Le Canada a mieux fait que prévu récemment, bien qu’il subisse encore un coup dur. Il pourrait faire pire plus tard. L’incertitude est d’autant plus pertinente. En fait, nous constatons une baisse économique très réelle au Canada liée à cette incertitude. Le Canada boycotte considérablement les États-Unis. Le Canada en subit également quelques légers inconvénients. Certaines personnes préfèrent ne pas acheter plutôt que d’acheter des produits canadiens ou en provenance d’autres pays.
Sans compter qu’une certaine délocalisation vers les États-Unis risque d’être néfaste à long terme. Cependant, il semble que des baisses de taux se multiplieront au Canada et où l’on dispose encore d’une certaine marge de manœuvre. Il existe un réel potentiel de relance budgétaire, déjà activement déployée dans certains des secteurs les plus touchés. De sorte que l’impact économique au Canada est en définitive légèrement moins marqué qu’il ne l’est aux États-Unis.
Si les droits de douane existants sont maintenus et si l’impact sur l’inflation est également légèrement réduit, un renversement complet de la situation se sera produit par rapport à tout ce à quoi tout le monde s’attendait il y a quelques jours à peine, alors que d’importants droits de douane devaient frapper le Canada. Je suppose qu’il se pourrait que nous soyons encore tenus de modifier tout cela, mais, dans l’état actuel des choses, si le Canada parvient à échapper aux pires droits de douane, si le coût sera toujours non négligeable, il sera loin d’être aussi grave qu’il l’aurait été autrement.
Pour résumer cette question des droits de douane, sachez qu’il faut tenir compte en fait de trois axes principaux. Jusqu’à présent, lorsqu’il est question de l’ampleur des droits de douane, du taux de ces droits, la réponse, à tout le moins pour la plupart des pays, est qu’ils sont élevés, bien que le verdict final n’ait pas encore été prononcé en ce qui concerne le Canada et le Mexique.
Vient ensuite l’axe de l’étendue des droits de douane. Autrement dit, s’agit-il d’un secteur précis, du secteur du pétrole et du gaz, ou tout simplement de l’acier et de l’aluminium ? La réponse est que plusieurs de ces droits touchent l’ensemble de l’économie ou presque. Voilà donc une raison supplémentaire de penser que les droits de douane constituent un enjeu majeur.
Enfin, le troisième axe, alors qu’en général il n’y a pas de troisième axe puisque d’ordinaire, lorsque des politiques publiques sont adoptées, elles sont en place, elles constituent la nouvelle norme. On suppose alors qu’elles perdurent indéfiniment ou quelque chose comme cela. S’agissant de leur durée, en revanche, la réponse n’est pas simple. Et c’est ce qui n’est pas clair pour l’instant. Nous sommes partis du principe que les droits de douane seraient élevés.
Je pense pour l’essentiel que ces droits de douane se révèlent plutôt élevés et d’une étendue relativement significative. Encore une fois, pour l’essentiel, ils se révèlent à tout le moins d’une étendue relativement vaste. Mais s’offrent néanmoins des possibilités, par exemple sur une période de trois à six mois, d’inversion ou de démantèlement partiel de ces droits de douane à mesure que les pays feront des concessions aux États-Unis et, peut-être, aussi à mesure que les États-Unis verront leurs préjudices économiques diminuer également.
Nous pensons donc que cela sera probablement le cas. Les droits de douane sont donc élevés pour l’instant. Peut-être d’ici six mois se seront-ils transformés en droits de douane de niveau moyen. Auquel cas, s’ils continueront d’avoir une incidence négative, elle sera un peu moindre que ce qu’elle aurait été autrement. Et, pour être tout à fait honnête, subsistent des interrogations importantes par rapport à ces trois axes. Je doute fort que le dossier soit clos à l’égard de l’un ou l’autre de ces sujets.
Permettez-moi d’évoquer les répercussions pour l’économie américaine dans son ensemble, du point de vue des politiques générales du président Trump. Je dirais tout d’abord qu’à l’aube de 2025, nous pensions – et il faut bien noter que je conjugue ici à l’imparfait – que la combinaison des baisses d’impôt, de la déréglementation et du regain d’optimisme pourrait effectivement permettre de contrecarrer les droits de douane et la baisse de l’immigration et permettre à l’économie américaine de progresser un peu plus vite qu’elle ne l’aurait fait autrement.
Tel était donc notre état d’esprit il y a quelques mois encore. Cependant – et j’en profite pour cliquer sur ceci –, les droits de douane sont clairement plus élevés que prévu. Et cela a un effet négatif plus important. L’effet positif attendu du regain d’optimisme s’est considérablement estompé. En fait, nous nous montrons plutôt généreux en suggérant qu’il y a une quelconque amélioration à ce stade-ci.
Nous avons certainement revu à tout le moins la situation à la baisse. Nous nous retrouvons donc dans un monde où les prévisions économiques concernant les États-Unis pour les prochaines années sont plus faibles qu’elles l’auraient été sans ces politiques publiques. Et voilà donc où nous en sommes actuellement. Du point de vue de l’inflation, nous nous sommes toujours attendus à ce qu’elle augmente légèrement.
Nous nous attendons désormais à ce que ce niveau soit encore un peu plus élevé que cela dans la mesure où les droits de douane sont eux-mêmes plus élevés. Et, bien évidemment, les droits de douane présentent un caractère inflationniste.
J’aimerais conclure en ouvrant une petite parenthèse et affirmer que, bien évidemment, nous nous préoccupons tous de la question des droits de douane. Cependant, d’un point de vue politique, nous observons actuellement un certain fractionnement de l’ordre international.
Ce phénomène a été enclenché depuis une ou deux décennies, alors qu’a été engagée une transition d’une ère hégémonique, au cours de laquelle les États-Unis faisaient la loi, à une ère multipolaire, où la Chine s’avère également être un concurrent majeur, où la Russie exerce son influence, etc. Ce phénomène est donc enclenché depuis un certain temps. Mais, bien évidemment, il s’est récemment accéléré, notamment avec le retrait des États-Unis.
Ce genre d’environnement permet généralement de voir se concrétiser une forme de démondialisation, alors que différents groupes de pays et différentes sphères d’influence se forment. Je pense que la grande interrogation qui se pose actuellement, sachant qu’il existe une forme quelconque de sphère d’influence américaine, une forme équivalente de sphère chinoise et peut-être une sphère russe, existe-t-il désormais une sphère européenne distincte ? Ces pays auraient été sous l’influence des États-Unis jusqu’à récemment, mais peut-être choisiront-ils désormais de voler de leurs propres ailes, et nous verrons quels pays choisiront de se joindre à eux.
En ce qui concerne les répercussions plus larges de tout cela, encore une fois, la démondialisation tend à favoriser le protectionnisme, les droits de douane, le nationalisme, etc. Et nous constatons actuellement une forte multiplication de ces phénomènes. Les normes internationales antérieures sont mises à mal. Et bon nombre des organismes internationaux qui contribuent à l’élaboration de lois mondiales s’affaiblissent.
Ainsi, qu’il soit question de l’Organisation mondiale du commerce, de l’Organisation mondiale de la Santé, de la Cour pénale internationale ou de nombreuses autres entités, elles sont quelque peu affaiblies, ce qui ne fait que réduire l’ordre fondé sur des règles. Les frontières nationales semblent même elles aussi devenir plus malléables. Et certaines des grandes puissances mondiales s’affirment encore plus, qu’il s’agisse de la Russie en Ukraine, de la Chine en mer de Chine méridionale ou des États-Unis qui spéculent sur le Groenland, etc.
Nous verrons bien où tout cela nous mènera. Malgré tout, de telles pensées n’étaient pas auparavant prises au sérieux. Et, pour en venir aux répercussions économiques concrètes, normalement, lorsque prend forme ce type d’ère multipolaire, de démondialisation et de protectionnisme, s’observe généralement une baisse de la croissance économique, ce qui me semble être ce que nous observons peut-être. Ce genre de conjoncture donne généralement lieu à une hausse de l’inflation, phénomène que nous observons peut-être déjà.
Pour être bien franc, il ne s’agit pas de tendances qui ne durent généralement que quelques mois, quelques trimestres ou quelques années. Elles ont tendance à s’inscrire généralement dans la durée, peut-être pour plusieurs décennies. Nous devons donc nous préparer à ce que certaines d’entre elles perdurent pendant un certain temps. Cela étant dit, je me permets de vous remercier infiniment de m’avoir consacré de votre temps.
J’espère que vous aurez trouvé cet exposé utile et intéressant. Je vous souhaite une excellente journée.