Eric Lascelles affiche un optimisme prudent pour l’économie mondiale en 2026 et s’attend à une croissance modérée soutenue par les baisses de taux des banques centrales, la relance budgétaire et la résilience des dépenses de consommation. Il traite également des répercussions économiques de l’IA, des perspectives de croissance pour la Chine, de l’évolution de l’ordre mondial et du potentiel d’une croissance économique modérée au Canada.
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Quelles sont vos perspectives pour l’économie mondiale en 2026 ?
Il y a toujours une part d’incertitude lorsque l’on parle des perspectives de croissance, mais je peux affirmer qu’elle est moins grande qu’elle ne l’a été en 2025, où nous avons assisté à une série de choix politiques assez surprenants, parfois suivis de revirements, et ainsi de suite. De ce point de vue, l’année s’annonce donc un peu plus simple, mais il demeure difficile de prédire l’avenir.
Selon notre meilleure estimation, les perspectives sont plutôt favorables. Nous pensons que la croissance économique en 2026 devrait être légèrement supérieure par rapport à 2025. Nous avons commencé à revoir nos prévisions à la hausse, même par rapport aux attentes d’il y a seulement trois mois. Et dans l’ensemble, du moins pour les principaux marchés, nous sommes plutôt optimistes. Nos prévisions sont légèrement supérieures à la moyenne.
Nous sommes donc raisonnablement confiants pour 2026, en partie parce que certains obstacles semblent s’estomper. À titre d’exemple, nous constatons actuellement un léger recul de certains droits de douane. Mais plus important encore, le choc des droits de douane est de plus en plus absorbé. Ils ont donc moins d’incidence sur les perspectives de croissance. Ils sont déjà pris en compte.
La paralysie budgétaire des États-Unis a été résolue. Nous espérons qu’il n’y en aura pas d’autres dans l’immédiat. C’est donc une bonne nouvelle. Mais plus important encore, il y a de nombreux facteurs favorables. Tout d’abord, les plus évidents, comme les baisses de taux. La plupart des banques centrales des pays développés ont récemment réduit leurs taux ou continuent de le faire.
Cela donne un coup de pouce un peu tardif à la croissance de 2026. On observe également un certain nombre de mesures de relance budgétaire, notamment aux États-Unis, mais aussi au Canada, en Allemagne et au Japon, entre autres. Ces mesures apportent un soutien important, même si cela soulève des questions sur l’ampleur des déficits du point de vue budgétaire.
Le marché boursier a considérablement augmenté et, qu’il poursuive sa hausse ou non, il a contribué à l’enrichissement de nombreux ménages, qui devraient dépenser une partie de cet argent. Nous croyons également qu’il est encore possible que l’investissement dans l’intelligence artificielle augmente, qui pourrait même entraîner un certain gain de productivité.
Au final, il ne s’agit pas pour nous d’une croissance spectaculaire, mais d’une croissance potentiellement très intéressante, qui pourrait s’accélérer quelque peu au cours de l’année, passant d’un début d’année plutôt prudent à une fin plus vigoureuse.
L’inflation constitue-t-elle toujours un risque au vu de l’incidence des droits de douane sur les prix à la consommation ?
L’inflation est assurément trop élevée en ce moment. Dans la plupart des pays, elle n’atteint pas les objectifs fixés. Elle est nettement supérieure, notamment aux États-Unis, et les droits de douane jouent un rôle central à cet égard. Le prix des produits importés a considérablement augmenté. Cela s’est donc répercuté sur les prix à la consommation. L’inflation est donc plus élevée en raison des droits de douane. Je dirais qu’elle est probablement plus élevée sur certains marchés hors des États-Unis en raison des séquelles persistantes du choc inflationniste d’il y a quelques années.
Après avoir connu brièvement des taux d’inflation de sept, huit ou neuf pour cent, nous ne sommes pas encore revenus à la normale. L’inflation demeure donc plus élevée que nous le souhaiterions. Heureusement, certains facteurs ont contribué à améliorer cette situation. Par exemple, la baisse des cours du pétrole a permis de ne pas alimenter davantage l’inflation.
Le fait que l’inflation du logement, donc le prix des propriétés et les loyers, soit non pas modérée, mais en baisse, ou du moins stable dans un certain nombre de marchés, a aussi permis de ne pas atteindre une inflation trop élevée. Soyons clairs, nous ne sommes pas dans la même situation qu’en 2022, où l’inflation atteignait 8, 9, voire 10 %.
Actuellement, elle est plutôt de 3 %. Nous aimerions qu’elle soit plus proche de 2 %. Nous pensons qu’il y a une marge de progression pour l’année prochaine. Le choc des droits de douane est de plus en plus absorbé, donc nous ne devrions pas assister à une hausse continue des prix à un rythme démesuré.
La situation pourrait s’améliorer à partir de maintenant et tout au long de l’année 2026. Toutefois, nous ne sommes pas convaincus que l’inflation revienne aux cibles des banques centrales, notamment en raison des séquelles persistantes que j’ai mentionnées. Il est donc plus difficile d’atteindre ce chiffre de 2 %.
Et compte tenu des lourds déficits budgétaires, les gouvernements ne sont peut-être même pas sûrs de vouloir atteindre cet objectif. Je pense que la baisse de taux des banques centrales est un autre élément à prendre en compte. On pourrait dire que c’est un peu prématuré compte tenu du niveau de l’inflation. La baisse des taux d’intérêt entrave quelque peu la baisse de l’inflation.
De même, la reprise des économies ne permet pas vraiment d’envisager un retour de l’inflation à 2,0 %. Il y a donc eu une certaine amélioration. Ce niveau n’est pas problématique, mais il n’est pas non plus tout à fait normal.
Quelles sont les incidences macroéconomiques de l’essor de l’IA ?
L’intelligence artificielle semble être le thème de notre époque. Elle pourrait aussi avoir des conséquences économiques. À très court terme, l’un des effets initiaux les plus évidents, c’est que ces grandes entreprises technologiques dépensent beaucoup d’argent pour construire leurs modèles et des centres de données. L’investissement lié à l’intelligence artificielle est très important, de l’ordre de plusieurs centaines de milliards de dollars, et le taux de croissance est assez remarquable.
Par exemple, en 2025, ce type de dépenses aux États-Unis aura augmenté de plus de 50 % par rapport à l’année précédente. À l’horizon 2026 et au-delà, il n’est pas certain que ce taux de croissance puisse être maintenu. Selon les analystes, il atteindrait plutôt 30 % en 2026.
Il y a donc un ralentissement, mais la croissance reste tout de même remarquable et continuera de soutenir la croissance économique en 2026. C’est l’un de nos facteurs favorables. Cela devrait donc contribuer à améliorer la situation. Bien sûr, il y a des préoccupations quant à la bulle de l’IA et le fait que tout évolue peut-être trop vite. De manière générale, je dirais que les sommes dépensées sont sans doute justifiées. Il est évident que cette technologie potentiellement révolutionnaire représente une énorme occasion. Cela ne ressemble pas vraiment à la bulle technologique de la fin des années 1990, car les valorisations ne sont pas aussi exagérées et ces grandes sociétés largement rentables disposent encore d’une marge de manœuvre financière.
Et la technologie qui pourrait aboutir est passionnante. Il n’est donc pas certain qu’il s’agisse d’une bulle. Même si c’était le cas, on a beaucoup parlé d’une bulle au milieu ou vers la fin des années 1990. À cette époque, Greenspan parlait d’une exubérance irrationnelle en 1996, mais nous avons vécu quatre années supplémentaires d’exubérance irrationnelle avant d’en voir les conséquences. Donc même s’il s’agissait d’une bulle, il n’est pas certain qu’elle éclate à court terme. Ce serait ce que j’appellerais, sur le plan économique, une bulle utile, dans le sens où elle révélerait et accélérerait cette technologie importante pour le monde, que les sociétés qui investissent soient celles qui en tirent des bénéfices ou non. Encore une fois, nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une bulle, mais nous sommes néanmoins relativement satisfaits de la situation actuelle. Il ne faut pas non plus perdre de vue l’enjeu principal, qui fait que tout le monde s’enthousiasme pour l’IA, à savoir son potentiel de gain massif de productivité.
Ce gain profiterait à tous, à toutes les entreprises, à tous les secteurs, voire à tous les pays. C’est là le véritable enjeu. Nous commençons peut-être à entrevoir très timidement des gains de productivité grâce à cela. Nous sommes assez optimistes, car il y a selon nous de grands avantages à en tirer et une croissance assez substantielle de la productivité. Nous sommes donc assez optimistes à cet égard à long terme.
Nous devrons attendre pour connaître l’incidence sur la main-d’œuvre et savoir si le taux de chômage augmente. C’est pourquoi nous surveillons la situation de très près. Nous en avons vu quelques signes, mais il n’est pas encore certain qu’il s’agisse d’un enjeu majeur à ce stade.
Quelles sont les incidences économiques de la mutation de l’ordre mondial ?
L’ordre mondial a évolué à bien des égards au cours des dernières années. Nous sommes passés d’une ère hégémonique à une ère multipolaire, et ce depuis plusieurs années déjà. La Chine est désormais un concurrent des États-Unis, et elle est son égale sur le plan économique, peut-être même sur le plan militaire et d’autres plans. Il s’agit donc d’un changement majeur.
Dans un monde multipolaire, on assiste souvent à une démondialisation et à une montée du nationalisme, et c’est exactement ce qui se passe actuellement. Nous sommes confrontés à l’instauration de tous ces nouveaux droits de douane, ce qui crée généralement un environnement dans lequel la croissance économique mondiale est un peu plus lente, et l’inflation a tendance à être un peu plus élevée, ce que l’on observe également.
En ce qui concerne les droits de douane, ceux des États-Unis semblent s’être quelque peu stabilisés. Ils ont même légèrement diminué, les États-Unis ayant pris en compte le coût de la vie, supprimé certains produits alimentaires et conclu des accords avec de nouveaux pays comme le Brésil et la Suisse. La tendance est donc légèrement favorable, mais les droits de douane restent très importants et des interrogations subsistent à cet égard. Nous assistons également à un changement de l’ordre mondial, qui passe d’un ordre fondé sur les règles à un ordre fondé sur le pouvoir.
Les pays les plus grands et les plus puissants au monde, à savoir les États-Unis, la Chine et peut-être la Russie, pèsent donc davantage. C’est un contexte propice à ces grandes puissances. Par définition, ce n’est pas une période favorable pour les pays plus petits et moins puissants. Le monde est donc devenu plus dangereux.
Il n’est donc pas surprenant que les dépenses militaires aient considérablement augmenté dans une grande partie du monde. Cette tendance se poursuivra probablement pendant un certain temps. Le seul aspect positif, si l’on peut dire, c’est qu’il s’agit d’une forme de relance économique. Toutefois, cela est aussi synonyme de dettes et de déficits plus importants.
Et souvent, le multiplicateur budgétaire des dépenses militaires n’est pas aussi généreux que celui d’autres formes de dépenses publiques. Peut-être qu’un autre changement dans l’ordre mondial serait simplement que les États-Unis s’effacent dans une certaine mesure, et nous pourrions assister à un léger recul, non pas à la disparition, mais à un recul de l’exceptionnalisme américain.
Les États-Unis ont toujours été un pays très particulier, qui a connu une croissance beaucoup plus rapide, attiré d’énormes capitaux, vu son marché boursier surclasser les autres et souvent bénéficié d’un dollar fort. Nous pourrions donc assister à une légère érosion de cet exceptionnalisme. Le dollar s’est quelque peu déprécié, et nous pensons qu’il pourrait encore baisser.
L’économie américaine devrait rester parmi les plus dynamiques, sans toutefois dépasser le reste des pays développés, comme ce fut le cas ces dernières années. Nous n’assistons pas réellement à une sortie importante de capitaux au sens strict du terme. Néanmoins, les États-Unis semblent avoir pris la décision réfléchie de marquer un peu le pas.
Nous en voyons d’ailleurs certaines conséquences, notamment une courbe des taux accentuée, parallèlement à un dollar plus faible.
Quelles sont vos perspectives pour l’économie chinoise ?
Il est certain que les droits de douane américains n’aident pas la Chine. Nous avons vu une diminution des échanges commerciaux entre les deux superpuissances. La Chine s’est toutefois montrée très agile et capable de s’adapter à cette situation commerciale. Elle exporte donc énormément vers le reste du monde, d’une manière qui suggère que son économie a été quelque peu épargnée par ces droits de douane.
Il est difficile d’être très optimiste à l’égard de la Chine à l’heure actuelle, car elle fait face à de réels défis économiques structurels. La situation démographique n’est pas très favorable et la dette est sans doute trop importante. Le marché du logement est toujours en crise. Je ne veux donc pas surestimer la Chine. J’ai commencé par les mauvaises nouvelles, mais nous affichons malgré tout un optimisme prudent à l’égard de l’économie chinoise.
Selon nous, des choses assez importantes sont en train de se produire. De toute évidence, le retrait des États-Unis sur la scène mondiale leur offre une occasion sur le plan géopolitique. De même, l’ordre actuel basé sur le pouvoir est propice au développement des grandes puissances.
Mais nous constatons aussi que le gouvernement chinois favorise à nouveau le secteur privé. Cela déclenche un regain d’optimisme qui permet à l’économie de croître plus rapidement. La croissance de la productivité reste bonne. Les gens se concentrent sur le ralentissement économique observé ces dernières années, mais cela s’explique en grande partie par l’absence de croissance démographique.
En réalité, le Chinois moyen bénéficie encore d’une croissance de la productivité de plus de 5 % par an. Il devient plus prospère. Il a le sentiment de progresser dans le monde. La situation reste donc plutôt saine. Pour moi, le plus passionnant et le plus important, c’est peut-être l’innovation évidente dont la Chine fait preuve.
Les pays traditionnellement pauvres copient d’autres économies, et c’est ainsi qu’ils rattrapent leur retard. La Chine semble désormais être à la pointe de la technologie et prouve qu’elle est capable d’innover. À certains égards, elle domine en effet le monde. Si l’on prend l’exemple des voitures électriques, la Chine en fabrique plus, tous types confondus, que n’importe quel autre pays au monde, tout comme les panneaux solaires, les batteries, les drones et, de plus en plus, les produits pharmaceutiques.
Elle a donc prouvé qu’elle était capable d’innover, ce qui est un facteur permettant de connaître une longue période de succès économique relatif et durable. Certes, la Chine n’affiche plus les taux de croissance du PIB de 8 % ou 10 % des décennies précédentes, mais nous pensons que le pays est capable de dépasser les attentes et qu’il peut encore croître à un taux supérieur à 4 %, ce qui surpasse largement le minimum atteint par n’importe quel pays développé.
Quelles sont les tendances actuelles qui façonnent l’économie canadienne ?
L’économie canadienne a été mise à rude épreuve en 2025, surtout en raison des droits de douane. L’incertitude entourant l’incidence des politiques publiques des États-Unis sur le Canada a sans doute joué un rôle encore plus important. L’économie a donc affiché des résultats inférieurs aux attentes au cours de l’année. Il semblerait que l’économie se soit quelque peu redressée et ait connu un certain regain vers la fin de 2025.
Nous doutons que la reprise soit aussi bonne que semblent l’indiquer les chiffres officiels, mais il semble qu’il y ait eu une légère relance, peut-être car le niveau d’incertitude incroyable, presque existentiel, s’est estompé. Nous pensons donc que nous entamons l’année 2026 avec au moins une légère croissance économique. Il semblerait qu’une récession, à tout le moins, ait été évitée.
La prudence devrait rester de mise pendant encore un ou deux trimestres. Une certaine reprise est cependant envisageable en 2026, et ce, pour des raisons bien connues. La Banque du Canada s’est engagée dans un cycle de baisse de taux. Si l’on ne sait pas encore dans quelle mesure cela se poursuivra en 2026, les baisses qui ont eu lieu, en particulier au cours du second semestre de l'année précédente, ont des effets bénéfiques différés, ce qui est très positif.
Le dernier budget du Canada est clairement un budget de relance, qui prévoit à la fois d’injecter davantage d’argent dans l’économie, mais aussi des mesures visant à abaisser progressivement certains taux d’imposition et à alléger la bureaucratie, en particulier pour les grands projets d’infrastructure et d’exploitation de ressources. Nous observons donc une certaine accélération économique. Je ne veux pas exagérer cela non plus.
Je pense qu’il est important de reconnaître que la capacité de croissance de l’économie canadienne n’est probablement pas si élevée en ce moment. L’immigration est pratiquement au point mort pour des raisons intentionnelles, afin de corriger certains excès des années précédentes, mais cela freine quelque peu la vitesse à laquelle l’économie peut progresser.
La main-d’œuvre ne va donc pas augmenter aussi rapidement. Je pense que la source de grande incertitude pour le Canada reste l’accord commercial AEUMC, qui doit être renégocié en 2026. Il est tout à fait raisonnable de supposer que les négociations aboutiront, officialisant probablement certains droits de douane sectoriels existants que les États-Unis ont imposés au Canada, de sorte à ne pas créer un changement radical à l’issue des négociations. Je pense cependant que certaines pressions seront exercées sur le Canada. Les négociations devraient donc soulever certaines inquiétudes. Le Canada pourrait faire d’autres concessions, et je ne m’attends pas à ce que l’AEUMC actuel soit exactement le même que celui de 2025, qui avait été négocié dans un contexte sans droits de douane.
Le Canada devra donc continuer de composer avec cette situation.