Tarifs : le tour de montagnes russes continue
Pour avoir un portrait global (et pas trop obsolète) de l’environnement tarifaire – des motivations aux scénarios en passant par les représailles prévues et les implications –, regardez notre vidéo du 4 février (en anglais seulement). Celle-ci a été enregistrée après le sursis accordé au Canada et au Mexique, mais avant l’annonce des nouveaux tarifs sur l’acier et l’aluminium, dont nous parlons dans les paragraphes qui suivent.
Sous réserve de la mise en garde habituelle à savoir que toute analyse concernant les tarifs risque de vieillir comme le lait plutôt que comme vin, vu le rythme auquel les choses évoluent, voici les derniers développements ainsi que nos réflexions.
Évolution de la situation
Le scénario initial : 25 %/25 %/10 %
Le 3 février, le Canada et le Mexique ont réussi à faire en sorte que les tarifs de 25 % que les États-Unis menaçaient d’imposer le lendemain sur leurs produits soient reportés. Le sursis officiel est d’au moins 30 jours, faisant du 6 mars la date fatidique.
En contrepartie, le Canada a réitéré son engagement à investir 1,3 milliard de dollars canadiens supplémentaires dans la sécurité frontalière, a convenu de nommer un tsar du fentanyl et créera, en collaboration avec les États-Unis, une nouvelle force de frappe pour lutter contre le crime organisé, le blanchiment d’argent et le trafic de drogues. Le Mexique, pour sa part, a promis de déployer 10 000 soldats de sa Garde nationale à la frontière.
Les États-Unis ont mis à exécution leur menace tarifaire de 10 % visant la Chine. En conséquence, les droits de douane moyens s’appliquant aux produits chinois passent d’environ 19 % à 29 %.
La Chine a riposté par un ensemble plus restreint de tarifs qui sont entrés en vigueur le 10 février, incluant une surtaxe de 10 % à 15 % sur l’énergie et l’équipement agricole provenant des États-Unis. La Chine intensifie également ses enquêtes ayant trait aux entreprises technologiques américaines. Elle a annoncé des enquêtes antitrust visant les boutiques d’applis de Google et d’Apple, en plus de celle déjà en cours concernant Nvidia. Par ailleurs, elle a inscrit un certain nombre de petites entreprises américaines sur une liste noire. En outre, elle ajoute des contrôles à l’exportation de tungstène et d’autres métaux critiques vers les États-Unis.
Une réunion avait initialement été prévue entre Donald Trump et Xi Jinping la semaine dernière, mais celle-ci aurait été reportée. La Maison-Blanche a établi un lien explicite entre l’imposition des tarifs à la Chine et le rôle de cette dernière dans l’entrée illégale de fentanyl aux États-Unis. En théorie, les tarifs pourraient donc potentiellement être levés.
Nouveaux tarifs sur l’acier et l’aluminium
Au cours de la fin de semaine dernière, M. Trump a fait part de son intention d’imposer des droits de douane de 25 % sur toutes les importations d’acier et d’aluminium. Le décret a ensuite été signé le lundi 10 février.
Pendant son premier mandat, M. Trump avait imposé des tarifs de 25 % sur l’acier et de 10 % sur l’aluminium, avant de faire volte-face, puis de conclure des ententes au cas par cas avec les différents pays. À l’époque, les tarifs visant le Canada et le Mexique avaient été supprimés au bout de 14 mois. Malgré cette feuille de route, nous sommes d’avis que cette fois-ci, le risque que ces tarifs persistent indéfiniment est plus élevé, conformément à notre scénario de tarifs partiels.
Le Canada est de loin le plus grand exportateur d’acier et d’aluminium vers les États-Unis (voir le graphique suivant). En 2024, le Canada a vendu pour 13 milliards de dollars américains d’acier et 9,5 milliards de dollars américains d’aluminium aux États-Unis. À titre de comparaison, le Mexique est le deuxième exportateur d’acier en importance, avec 6,5 milliards de dollars américains, et le Brésil et la Chine suivent de près. En ce qui concerne l’aluminium, aucun autre pays n’arrive proche du Canada. Le pays qui occupe le deuxième rang, les Émirats arabes unis, en vend près de huit fois moins aux États‑Unis.
Le Canada a été le premier exportateur d’aluminium vers les États-Unis en 2024
Sources : Census Bureau des États-Unis, Macrobond, RBC GMA.
On peut s’attendre à ce que les pays touchés ripostent. Ils commenceront par surtaxer l’acier et l’aluminium importés des États-Unis, puis ajouteront d’autres produits, jusqu’à obtenir un impact à peu près proportionnel. Les représailles les plus importantes viendront probablement du Canada, qui a justement envisagé des mesures de rétorsion d’une ampleur semblable (environ 25 milliards de dollars canadiens d’exportations américaines ciblées) la semaine dernière. Certains des éléments seront rayés de la liste pour laisser place à des tarifs ciblés sur l’acier et l’aluminium. Ceux-ci devaient initialement faire partie de la deuxième phase de la réponse canadienne aux tarifs généralisés.
Grosso modo, nous estimons que ces tarifs et contre-tarifs, s’ils sont effectivement mis en œuvre et maintenus, entraîneront une baisse de l’ordre de 0,2 % à 0,3 % de la production économique canadienne. Le PIB (produit intérieur brut) des États-Unis devrait quant à lui céder entre 0,1 % et 0,2 %.
Et maintenant ?
Des menaces tarifaires grondent aussi sur d’autres fronts.
D’un point de vue géographique, l’Union européenne (UE) semble particulièrement vulnérable compte tenu des récents propos de M. Trump. Si aucun pays européen ne figure parmi les trois premiers partenaires commerciaux des États-Unis, l’UE dans son ensemble achète plus de produits américains que le Canada (voir le graphique suivant). L’UE maintient également un excédent commercial avec les États-Unis, ce qui signifie qu’elle exporte encore plus qu’elle importe.
Les tarifs de Donald Trump ciblent les plus grands marchés d’exportation des États-Unis
En date de décembre 2024. Total sur périodes mobiles de 12 mois de la part des exportations de biens américains par destination. Sources : Census Bureau, Macrobond, RBC GMA.
Les États-Unis pourraient sans doute demander à l’UE de faire des concessions en augmentant les dépenses militaires (l’Allemagne, la France et l’Italie consacrent moins de 2 % de leur PIB à la défense). Ils pourraient aussi viser les objectifs suivants :
réduction des restrictions commerciales (le secteur agricole européen est fortement protégé et l’UE impose des droits de douane de 10 % sur les véhicules américains, tandis que les véhicules européens entrant aux États-Unis sont taxés à hauteur de seulement 2,5 %) ;
diminution des barrières réglementaires ;
suppression possible de la taxe sur les services numériques que certains pays perçoivent.
Les secteurs européens qui risquent le plus d’être ciblés par des tarifs américains sont ceux de l’automobile, des produits agricoles, des produits pharmaceutiques et de la machinerie industrielle.
Maintenant armé d’une vision plus mondiale, le président Trump met visiblement l’accent sur des tarifs sectoriels qui touchent tous les partenaires commerciaux. L’acier et l’aluminium sont les cibles les plus évidentes, vu les récentes annonces. D’autres produits ont aussi été évoqués, notamment le cuivre, le pétrole, le gaz, les produits pharmaceutiques et les semi-conducteurs.
Récemment, le président Trump a également mentionné à plusieurs reprises des « tarifs de réciprocité », c’est-à-dire des tarifs équivalents à ceux que certains pays appliquent sur des produits américains. Ces tarifs viseraient donc à pénaliser des pays qui érigent des barrières commerciales contre les États-Unis. L’objectif est sans doute de supprimer ces barrières, les États-Unis annulant également leurs propres tarifs dans ce cas.
L’Europe occupe une place prépondérante dans cette analyse. Elle a instauré de nombreuses réglementations (p. ex., restrictions sur les organismes génétiquement modifiés et la viande traitée aux hormones, règles strictes sur les produits chimiques, normes techniques différentes, approvisionnement privilégiant le marché intérieur). Elle impose aussi des tarifs sur les véhicules américains, mentionnés plus haut, ainsi que sur les produits laitiers, la viande, les textiles, les vêtements et les chaussures. En outre, le secteur agricole est largement subventionné en Europe, bien que cette pratique soit aussi répandue ailleurs.
Fait intéressant, le Japon, qui a longtemps imposé des tarifs douaniers élevés sur les produits américains, n’en perçoit actuellement aucun sur les véhicules américains et soumet les produits agricoles à des tarifs négligeables. Par conséquent, le pays ne sera peut-être pas pris pour cible, malgré un excédent commercial substantiel avec les États-Unis.
But des menaces de tarifs douaniers
À notre avis, les menaces de tarifs douaniers constituent pour les États-Unis à la fois une stratégie de négociation et un moyen pour arriver à leurs fins. La stratégie de négociation consiste, bien entendu, à brandir la menace la plus sérieuse afin que le partenaire commercial visé fasse des concessions (sur le plan commercial ou relativement à une autre politique). Pour atteindre cet objectif, il n’est pas nécessaire de maintenir les tarifs pendant longtemps, ni même de les appliquer. C’est en grande partie l’approche qui a été suivie de 2017 à 2020, la Chine étant la seule exception étant donné que ses relations commerciales avec les États-Unis sont largement asymétriques.
L’idée d’utiliser les tarifs comme stratégie de négociation a encore de beaux jours devant elle pour la période de 2025 à 2028 et de nombreux pays devront probablement se soumettre à des tarifs faibles et ciblés.
Cela dit, les tarifs douaniers sont aussi un moyen de parvenir à ses fins, et ce, dans une plus grande mesure qu’en 2017-2020. Ils sont considérés comme une source importante de revenus pour financer une partie des baisses d’impôt, comme un moyen de protéger les entreprises américaines de la concurrence étrangère et comme l’une des façons de renforcer l’autonomie des États-Unis. La plupart de ces objectifs n’ont pas pour effet d’accroître le PIB. Par contre, ils font en sorte que les tarifs ont plus de chances d’être maintenus cette fois-ci, même s’ils ne sont pas généralisés selon un taux de 25 %.
Les tarifs et la théorie des jeux
Le président Trump et les pays touchés appliquent-ils efficacement la théorie des jeux ? Tout dépend de l’aspect de cette théorie que l’on veut bien prendre en considération. En général, cependant, l’approche de M. Trump laisse à désirer, même si elle est relativement efficace, tandis que les pays ciblés suivent la théorie des jeux de façon optimale.
Bras de fer
Le bras de fer consiste à brandir la menace de tarifs douaniers et à espérer que le pays visé cède le premier, par exemple, en faisant des concessions avant que les tarifs soient mis en place. Comme les pays ciblés ont l’intention de prendre des mesures de rétorsion, on peut difficilement dire qu’ils cèdent. Encore une fois, les partenaires des États-Unis leur ont fait des concessions en 2017-2020 et plusieurs en ont déjà accordé de mineures cette fois encore.
Crédibilité des menaces
Un concept clé de la théorie des jeux est que pour être pleinement efficaces, les menaces doivent être crédibles. Les menaces tarifaires de M. Trump sont assez crédibles, puisqu’il en a déjà mis en place dans le passé. Cependant, cette crédibilité est amoindrie en raison des reports à répétition de leur entrée en vigueur et du fait que la plupart des tarifs infligés durant son premier mandat ont été levés. Par conséquent, certains pays seront probablement moins enclins à faire des concessions importantes aux États-Unis.
Politique de la corde raide
En annonçant publiquement son intention d’imposer des tarifs douaniers, M. Trump a sans aucun doute accru la pression sur les autres pays, puisqu’en théorie, il ne devrait pas renoncer facilement à passer de la parole à l’acte. C’est du moins ainsi que se comporterait un politicien ordinaire qui doit rendre des comptes à ses électeurs ou à la classe politique. Cependant, le président Trump ne semble pas être pénalisé par le fait de ne pas donner suite aux nombreuses idées qu’il lance. Ses déclarations publiques n’ont donc pas la même résonance que celles d’autres personnes, ce qui affaiblit sa stratégie de la corde raide pour convaincre les nations ciblées de faire des concessions.
Jeux à répétition
Lorsque des adversaires se retrouvent plusieurs fois pour jouer, leur réputation grandit et ils sont incités à coopérer. Le commerce international est sans contredit un jeu à répétition. C’est pourquoi les États-Unis devraient être enclins à ne pas infliger de tarifs douaniers à leurs voisins, ou s’ils le font, il faudrait que les avantages l’emportent sur le mécontentement durable qui pourrait en résulter dans les autres pays. Or, les gains ne semblent pas assez importants pour les États-Unis, mais c’est sujet à débat. La réalité d’un jeu à répétition encourage également les pays ciblés à prendre des mesures de représailles, en pénalisant les États-Unis afin qu’ils évitent ce genre de politique à l’avenir.
Conclusion
La conclusion générale est que le président Trump obtient un certain succès selon la théorie des jeux. Cela dit, il devrait probablement limiter ses menaces à ce qu’il est prêt à mettre en œuvre et tenir compte des répercussions à long terme sur la réputation des États-Unis. Certains pays suivent une approche optimale, répondant de façon symétrique aux tarifs douaniers américains.
Étapes de mise en œuvre de la politique américaine
Au cours de son premier mandat, le président Trump a mis les baisses d’impôt en place avant les tarifs douaniers. Ainsi, la priorité a été donnée à la croissance économique, étant donné que les baisses d’impôt ont stimulé la croissance, avant que les tarifs douaniers ne la ralentissent plus tard.
Il fait l’inverse pour ce second mandat. Les tarifs douaniers sont adoptés dès le départ, tandis qu’il faudra patienter un peu pour les baisses d’impôt. Il serait logique que ces dernières soient instaurées vers la fin de l’année, car c’est à ce moment-là que les taux d’imposition sont habituellement relevés. Adopter une loi fiscale avant cela ne serait guère efficace, puisque les efforts viseraient surtout à empêcher une hausse d’impôt qui n’a pas encore eu lieu.
Par conséquent, la croissance pourrait être un peu plus lente qu’autrement au cours des prochains trimestres, avant de remonter en 2026.
Cependant, ce facteur n’est sans doute pas le plus important. Il existe de nombreuses autres forces à l’œuvre, notamment des vents arrière à court terme, comme l’effet à retardement des baisses de taux que la Fed a décrétées il y a quelque temps, l’accroissement de la richesse lié aux récents gains boursiers, le regain d’optimisme et la liquidité supplémentaire tirée du compte général du Trésor. Nos prévisions de croissance ne sont donc pas particulièrement faibles à court terme.
Contraintes politiques
Même si les tarifs proposés focalisent l’attention, il est utile de prendre du recul et de comprendre que diverses contraintes politiques, pratiques et juridiques influencent ce que les États-Unis pourront mettre en place au cours des prochaines années.
Certes, la Maison-Blanche bénéficie d’un soutien fort, grâce à la majorité républicaine qui siège au Congrès. Cependant, cette majorité est assez mince dans les deux chambres, de sorte que la dissidence n’aura pas besoin d’être importante pour limiter la portée de la législation au cours des années à venir. On entend déjà des voix discordantes, raison pour laquelle aucun grand projet de loi omnibus n’a encore été adopté.
Des contraintes pratiques limitent également la politique. À titre d’exemple, il n’est pas réaliste de penser que tous les sans-papiers des États-Unis pourront être repérés et expulsés, étant donné la main-d’œuvre qu’ils représentent, ni qu’il serait souhaitable de réduire la population américaine de près de 5 % en peu de temps. Par conséquent, il est peu probable que cette politique soit appliquée dans son entièreté.
Cela dit, des politiques audacieuses et inhabituelles pourraient voir le jour dans les années à venir, mais l’exécutif n’a pas tout à fait carte blanche.
Enfin, n’oublions pas les contraintes juridiques, même si la Cour suprême affiche actuellement un penchant conservateur. Des juges ont déjà bloqué, parfois temporairement, plusieurs initiatives de la Maison-Blanche. Parmi elles, soulignons la tentative de mettre fin à la citoyenneté liée au droit du sol et l’accès aux systèmes de paiement du Trésor octroyé au département de l’Efficacité gouvernementale.
Cela dit, des politiques audacieuses et inhabituelles pourraient voir le jour dans les années à venir, mais l’exécutif n’a pas tout à fait carte blanche.
Révision des prévisions sur les tarifs douaniers
La politique tarifaire pourrait encore aller dans bien des directions, comme en témoignent les nombreuses possibilités évoquées au cours des dernières semaines.
Dans l’ensemble, il semble souhaitable de prendre au sérieux les menaces de tarifs. Le risque est incontestablement plus grand qu’en 2017-2020, compte tenu de l’influence accrue de M. Trump et de son désir de financer les baisses d’impôt avec des recettes tarifaires. Nous prévoyons une augmentation des tarifs douaniers au cours de la prochaine année, même si le scénario le plus probable est sans doute celui de tarifs ciblés réduits (scénario de « tarifs partiels » dans le tableau suivant) :
Scénarios possibles pour les tarifs douaniers : nous prévoyons une augmentation des tarifs au cours de la prochaine année
Nota : Au 10 février 2025. Effet cumulatif maximal sur la production économique. Suppose la réciprocité. Sources : Oxford Economics, calculs de RBC GMA.
Bien que les tarifs généraux de 25 % soient peu probables à notre avis, techniquement, leur mise en place a seulement été reportée d’un mois pour le Canada et le Mexique, au lieu d’être complètement écartée. L’anxiété montera à nouveau d’un cran au début de mars. Dans le meilleur des cas, les tarifs seront définitivement annulés grâce à la conclusion d’un accord économique. Dans le pire des cas, les tarifs seront simplement appliqués. Entre ces deux extrêmes, l’entrée en vigueur des tarifs pourrait être repoussée d’un mois supplémentaire ou peut-être pendant plus longtemps, le temps que les négociations se poursuivent.
Points en faveur d’une modération
Pour résumer les arguments en faveur d’une vague de tarifs plus modérés :
Le président Trump est connu pour amorcer des négociations avec une menace maximale, pour ensuite adopter une approche plus modérée.
Il a fait savoir que des technocrates – son secrétaire au Trésor, son secrétaire au Commerce et son secrétaire d’État – assureront désormais les négociations commerciales avec le Canada et le Mexique. Cette situation accroît la probabilité de conclure une entente économique qui annule une part importante des tarifs proposés.
Les États-Unis ne veulent pas subir d’importants dommages économiques ni connaître une remontée de l’inflation, ce que des tarifs douaniers persistants entraîneraient.
Sur le plan pratique, des tarifs de 25 % imposés au Canada et au Mexique donneraient lieu à de nombreuses récriminations de la part du secteur automobile nord-américain, fortement intégré, et de ses centaines de milliers de travailleurs.
Par ailleurs, les tarifs douaniers sont soumis à des contraintes politiques, pratiques et juridiques. Un important aspect juridique est la mesure dans laquelle les tarifs peuvent être justifiés pour des raisons de sécurité nationale. Les juges pourraient formuler des objections si l’interprétation était si large qu’elle englobait tous les biens possibles.
Il est encourageant de constater que le président Trump tourne déjà son attention vers les tarifs douaniers au niveau sectoriel, qui devraient infliger moins de dégâts à l’économie dans son ensemble.
Prévisions plus poussées
Avec le temps, nous sommes en mesure de modéliser davantage et mieux les effets des tarifs. Voici quatre nouveaux éléments à prendre en compte.
Incidence sur le chômage
Premièrement, nous pouvons estimer l’incidence de divers scénarios tarifaires non seulement sur le PIB et l’IPC (indice des prix à la consommation), mais aussi sur le chômage. Si l’on utilise un coefficient d’Okun de 1,5, nous estimons que le scénario tarifaire le plus défavorable pour le Canada (tarifs ciblant l’Amérique du Nord) augmenterait le taux de chômage d’environ 3 points de pourcentage, ce qui le ferait grimper à près de 10 %. Un scénario plus probable (tarifs partiels) l’augmenterait d’environ 0,2 point de pourcentage, toutes choses étant égales par ailleurs.
Aux États-Unis, ce même scénario du pire ferait grimper le taux de chômage d’environ 1 point de pourcentage. Le scénario le plus probable (celui des tarifs partiels) n’augmenterait le taux de chômage que de 0,1 à 0,2 point de pourcentage.
Dommages causés par l’incertitude
La plupart des modèles économétriques ne prévoient pas de dommages économiques imputables à l’incertitude politique. Mais de toute évidence, cette incertitude est très élevée en ce moment, alors que diverses propositions de tarifs douaniers font leur apparition ou disparaissent. On peut facilement imaginer que les entreprises sur le point de prendre d’importantes décisions en matière de dépenses en immobilisations décideront de retarder ces décisions.
Du point de vue géographique, ce sont les marchés autres qu’américains qui sont clairement menacés par l’incertitude politique. Si une entreprise envisage déjà d’étendre ses activités aux États-Unis, elle poursuivra probablement en ce sens, compte tenu de l’importance du marché intérieur américain, à moins qu’on s’attende à ce que l’usine n’exporte des quantités importantes du produit. En revanche, les décisions d’expansion dans d’autres pays – qui dans bien des cas comptent sur la capacité d’exporter sans friction aux États-Unis – sont beaucoup plus incertaines. Même si nous nous attendons à ce que la plupart des secteurs ne souffrent pas outre mesure de l’imposition des tarifs douaniers, des dommages réels et durables peuvent être causés, ce qui pourrait être la goutte qui fait déborder le vase en faveur d’une réorientation de la production aux États-Unis.
Le risque est donc que toutes les économies touchées subissent un peu plus de dommages économiques à court terme que ce que la plupart des modèles laissent entrevoir, étant donné la manière erratique dont les tarifs sont annoncés. Par ailleurs, il est possible que les marchés non américains subissent des dommages à plus long terme – pas nécessairement au cours des deux prochaines années, mais certainement par la suite.
Élasticité de l’offre et de la demande
Nous pouvons aussi aller plus loin que les modèles économiques traditionnels en tenant compte non seulement du volume ordinaire des échanges commerciaux entre les pays, mais également de la mesure dans laquelle la demande pour ces produits est élastique ou non.
Compte tenu de la relation entre les États-Unis et le Canada et de l’imposition possible de tarifs douaniers entre ces deux pays, il est pertinent de souligner – du moins dans un sens stylisé – que la demande américaine pour les importations canadiennes tend à être plus inélastique, alors que la demande canadienne pour les importations américaines est généralement plus élastique.
Les États-Unis importent une quantité disproportionnée de produits de première nécessité sous la forme de ressources naturelles du Canada, comme du pétrole et des produits agricoles. La demande pour ces produits ne varie pas aisément. En revanche, le Canada importe une gamme plus variée de produits en provenance des États-Unis qui constituent des articles plus discrétionnaires, comme des produits de consommation. La demande pour ces produits est donc plus sensible aux fluctuations des prix.
Par conséquent, le fardeau net des tarifs douaniers américains sur les produits canadiens devrait pencher un peu plus que d’habitude du côté des consommateurs américains, car ils continueront d’acheter le produit quitte à payer plus cher. En revanche, les tarifs douaniers canadiens sont appliqués de façon à faire pencher le fardeau un peu plus que d’habitude du côté des producteurs américains.
Ce décalage est encore accentué par le fait que le Canada envisage d’imposer des tarifs sur les produits américains pour lesquels la demande canadienne est particulièrement élastique et pour lesquels il existe des produits de substitution. En revanche, les menaces de tarifs généralisés des États-Unis et les tarifs annoncés sur l’acier et l’aluminium ne font pas cette distinction.
Par conséquent, le fardeau net des tarifs douaniers américains sur les produits canadiens devrait pencher un peu plus que d’habitude du côté des consommateurs américains, car ils continueront d’acheter le produit quitte à payer plus cher. En revanche, les tarifs douaniers canadiens sont appliqués de façon à faire pencher le fardeau un peu plus que d’habitude du côté des producteurs américains. Entre les deux pays, ce sont les États-Unis qui sont un peu plus touchés.
La même analyse semble s’appliquer au Mexique. Cependant, l’effet sur le commerce entre les États-Unis et l’Europe est probablement plus neutre, et l’effet sur le commerce entre les États-Unis et la Chine est théoriquement plus défavorable à la Chine (et moins défavorable aux États-Unis) que celui d’un modèle classique.
Bien sûr, il faut prendre en compte les deux côtés de la balance. Le fait est que dans le pire scénario de tarifs douaniers américains de 25 % à l’encontre du Canada et du Mexique, il serait prudent de supposer un coup de 1,5 % porté au PIB américain et un coup de 4,5 % porté au PIB canadien.
Dommages à long terme
Au-delà des prochaines années, le risque de dommages découlant des tarifs douaniers est loin d’être négligeable. Si les pays concluent qu’ils ne peuvent pas compter sur les États-Unis en tant que partenaire commercial, ou même en tant que partenaire dans une capacité non économique, les dommages potentiels pour les États-Unis et le reste du monde sont d’une portée considérable.
Les pays pourraient chercher à se diversifier en se rapprochant d’autres partenaires commerciaux, ce qui affaiblirait les liens commerciaux avec les États-Unis et renforcerait les alliances ailleurs dans le monde. Cela aurait des répercussions négatives sur la croissance des États-Unis, des répercussions positives sur la croissance des nouveaux partenaires et des répercussions négatives sur le plan mondial, car le commerce international est davantage dicté par les considérations politiques que par le principe de l’avantage relatif ou l’attrait de la proximité géographique.
Dans un scénario extrême, les plus grands entrepreneurs, dirigeants, universitaires et sociétés du monde – actuellement concentrés aux États-Unis – pourraient conclure que les États-Unis, à cause de leurs politiques publiques volatiles et de leur accès limité aux marchés internationaux, ne sont plus l’endroit idéal pour lancer ou faire fonctionner la prochaine entreprise championne du monde ou pour former la nouvelle génération de travailleurs. Un tel scénario représenterait une catastrophe pour les États-Unis, et un avantage pour les endroits où ces personnes et sociétés exceptionnelles s’installeraient. C’est tout l’ordre mondial qui serait bouleversé. Les États-Unis subiraient une prime de risque plus élevée sur leur marché obligataire s’ils étaient considérés comme un partenaire moins fiable, et si un autre pays parvenait à se prévaloir du statut de monnaie de réserve.
Pour toutes ces raisons, il est important de ne pas réagir de façon exagérée. La tentation est de penser que cette fois, c’est différent, alors que ce n’est pas forcément vrai. La politique commerciale pourrait se normaliser dans un an, ou dans quatre ans. Les liens commerciaux sont en grande partie dictés par la géographie, et il est difficile de passer outre cette réalité malgré les efforts pour diversifier les échanges. Dans le même ordre d’idées, nous avons entendu des prophéties selon lesquelles le schisme politique aux États-Unis signifierait une chute des États-Unis pendant plusieurs décennies. Pourtant, le pays reste le moteur du dynamisme économique, les primes de risque sont relativement faibles et la confiance entre les entreprises est élevée. Cela dit, le risque de dommages à long terme s’intensifie.
Qui est responsable des déficits commerciaux ?
L’un des fondements de la politique commerciale actuelle de la Maison-Blanche est que les déficits commerciaux des États-Unis sont : a) attribuables aux pays excédentaires dans leurs échanges avec les États-Unis, et b) injustes. Bien qu’il ne soit pas souhaitable de fonctionner indéfiniment avec un large déficit commercial, la vérité est plus nuancée.
Tout d’abord, c’est un jeu qui se joue à deux Tout échange international est voulu – personne n’est obligé à participer. De plus, par définition, chaque opération profite aux deux parties, sans quoi ces dernières ne daigneraient pas participer. Le principe de l’avantage relatif signifie que les gains tirés du commerce international peuvent se trouver à peu près partout. Il n’est pas nécessaire qu’un pays soit meilleur pour fabriquer un produit et qu’un autre pays soit meilleur pour en fabriquer un autre. L’avantage est aussi obtenu lorsqu’un pays est plus efficace pour fabriquer tous les produits possibles, même s’il est relativement moins bon pour fabriquer une chose, à condition qu’il soit relativement meilleur pour en fabriquer une autre.
Deuxièmement, un déficit commercial reflète le manque de réserves d’épargne dans une économie. Par définition, un déficit commercial signifie qu’un pays emprunte activement au reste du monde, et un excédent commercial signifie qu’il épargne activement. Cela ne rend pas le déficit commercial plus attrayant, mais le fait est qu’un pays ne peut pas éliminer son déficit commercial à moins de décider d’épargner davantage. Ainsi, un pays peut difficilement rejeter la faute de son déficit commercial sur ses partenaires étrangers.
Troisièmement, le pays qui détient la monnaie de réserve du monde est théoriquement plus disposé à fonctionner avec un déficit commercial. Or, en ce moment, ce sont les États-Unis. La logique est que les pays, les sociétés et les personnes à l’étranger veulent avoir une certaine quantité d’actifs liquides et sûrs. Une grande partie de ces actifs est aujourd’hui détenue en dollars américains. Le fait d’acheter des dollars américains rend la monnaie surévaluée. Lorsque la monnaie est surévaluée, les importations sont bon marché et les exportations ont des prix élevés. En retour, les États-Unis sont enclins à importer davantage et à exporter moins, au prix d’un déficit commercial. Cette situation n’est pas facile à renverser, à moins que les États-Unis renoncent à leur statut de monnaie de réserve.
Enfin, quatrièmement, bien que ces déficits commerciaux persistants signifient que les États-Unis empruntent au reste du monde ou que le reste du monde acquiert une participation croissante dans les actifs américains, cela n’a pas vraiment fait de mal aux États-Unis. Normalement, tout l’argent dépensé pour rembourser cette dette envers l’étranger et tous les dividendes versés aux investisseurs étrangers qui détiennent des titres américains serait quelque chose d’inquiétant. Mais les investisseurs étrangers ont tendance à acheter beaucoup de titres du Trésor américain, lesquels génèrent un rendement faible. En même temps, l’argent américain qui part à l’étranger a tendance à acheter des actifs à rendement plus élevé, comme des sociétés.
À cet égard, bien que la balance courante des États-Unis soit en déficit constant depuis le début des années 1990, il est surprenant de constater que le solde des revenus de placement américains a été positif pendant toute la période, jusqu’aux derniers trimestres où il est devenu légèrement négatif (probablement en raison de la hausse des taux aux États-Unis). Même avec ce nouveau déficit des revenus de placement, les États-Unis s’en sortent incroyablement bien, compte tenu du poids de leur dette vis-à-vis du reste du monde (voir le graphique suivant).
Cela fait longtemps que les États-Unis conservent un excédent du revenu de placement malgré un déficit du compte courant
Au T3 2024. Les zones ombrées représentent une récession. Sources : Bureau of Economic Analysis des États-Unis (BEA), Macrobond, RBC GMA.
Conclusion ? Le déficit commercial n’est pas la faute en particulier des pays étrangers, et n’a même pas été très problématique pour les États-Unis.
Réponse du Canada aux tarifs douaniers
Lorsque le plan tarifaire de 25 % de M. Trump pour le Canada n’était qu’à quelques heures de sa réalisation, le Canada a réagi en élaborant son propre plan de tarifs compensatoires. La première étape ciblerait des produits américains d’un montant de 25 milliards de dollars canadiens en leur imposant un tarif de 25 %, en priorité sur les produits politiquement sensibles pour lesquels la demande canadienne est élastique et des substituts existent.
La deuxième phase devait avoir lieu trois semaines plus tard, avec l’imposition d’un nouveau tarif de 130 milliards de dollars canadiens sur des produits américains. Par la suite, un peu moins de la moitié des importations américaines seraient assujetties au tarif de 25 %. En d’autres termes, la réaction ne constituerait pas tout à fait un prêté pour un rendu. Bien entendu, aucun élément de ce plan n’a été déployé étant donné le report du tarif de 25 %. Quoi qu’il en soit, comme nous l’avons mentionné ci-dessusune version de la première phase pourrait être remise sur le tapis en réponse aux tarifs sur l’acier et l’aluminium.
Avec le report du tarif global de 25 %, la priorité est donnée aux négociations. Les États-Unis pourraient chercher à obtenir des concessions à divers égards. Il incombera au Canada de déterminer celles qui aboutiront sur la table des négociations :
Sécurité des frontières canadiennes
Dépenses de défense du Canada
La taxe canadienne impopulaire sur les services numériques et peut-être la taxe sur la contribution au contenu canadien
Le protectionnisme canadien, p. ex., visant les secteurs de gestion de l’approvisionnement et peut-être les secteurs des services protégés
Le secteur du bois d’œuvre résineux, controversé depuis toujours
Aide pour affaiblir un dollar américain surévalué
Achat par le Canada d’un plus grand volume de marchandises américaines
Réouverture anticipée de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM)
Unité nationale
Les menaces américaines ont renforcé l’unité nationale du Canada. Ce sera fascinant de voir si l’unité persiste.
Tant que c’est le cas, on dirait que le gouvernement du Parti libéral au pouvoir a plus les faveurs des électeurs, puisque les sondages reflètent un revirement partiel du sort du parti. La balance risque toutefois de pencher en faveur des conservateurs avec les élections imminentes cette année.
Cela faisait longtemps qu’il n’y avait plus eu de projets potentiels d’édification de la nation aussi grands.
Le problème le plus grave est le suivant : l’obtention de cette production supplémentaire sera beaucoup plus lente que le rythme auquel s’accumuleraient les dommages causés par les tarifs douaniers américains. Il n’est donc pas réaliste de penser qu’une force peut compenser l’autre de façon symétrique.
Une nouvelle option populaire est de réduire les obstacles provinciaux au commerce. Selon une étude du Fonds monétaire international, l’économie canadienne est 4 % plus petite qu’elle ne le serait en l’absence des obstacles provinciaux, soit l’équivalent d’un énorme tarif douanier de 19 %.
En réalité, cette réalisation comporte de nombreux obstacles, même si le jeu en vaut toutefois la chandelle. Le problème le plus grave est le suivant : l’obtention de cette production supplémentaire sera beaucoup plus lente que le rythme auquel s’accumuleraient les dommages causés par les tarifs douaniers américains. Il n’est donc pas réaliste de penser qu’une force peut compenser l’autre de façon symétrique.
Par ailleurs, cette idée n’est pas nouvelle. Les politiciens en parlent depuis des lustres et ont même fait d’importants progrès en 2017 avec l’adoption de l’Accord de libre-échange canadien entre les provinces. Toujours est-il que les obstacles demeurent en grande partie.
Cela s’explique par le fait que les obstacles interprovinciaux ne sont pas aussi simples qu’un tarif de 19 % qui peut être levé d’un trait de plume. Au lieu de cela, les obstacles sont en grande partie accidentels, puisqu’ils sont dus aux différences provinciales au niveau des permis, des licences, des normes techniques, des homologations de sécurité, des règles de conclusion des marchés publics et des autorités en valeurs mobilières.
Une première occasion importante pourrait être d’harmoniser les règles de transport dans tout le pays afin de faciliter la circulation physique des marchandises.
L’occasion théorique d’améliorer la productivité consiste en grande partie à synchroniser les règles régissant trois principaux secteurs : les services publics, les soins de santé et l’éducation. La demande vise essentiellement à ce que les provinces renoncent à leur souveraineté sur ces points et les délèguent plutôt au gouvernement fédéral. La marge de manœuvre des provinces s’en trouverait fortement réduite si cette demande était poussée à son paroxysme. Céder le pouvoir n’a jamais été le fort des politiciens.
La modélisation des gains potentiels d’un commerce interprovincial plus important devrait également pousser les gens à délaisser les zones à faible productivité au profit des zones à forte productivité – une idée qui ne récolte pas nécessairement l’assentiment de grandes régions du pays.
Par conséquent, il faut avoir des attentes réalistes. Les provinces de l’Ouest canadien ont déjà donné l’exemple en diminuant certains obstacles mutuels. Les provinces de l’est du Canada gagneraient à faire de même. Une première occasion importante pourrait être d’harmoniser les règles de transport dans tout le pays afin de faciliter la circulation physique des marchandises.
La menace de tarifs douaniers semble avoir accru la motivation de poursuivre des idées qui auparavant, suscitaient l’impopularité.
Au-delà des obstacles commerciaux provinciaux, il existe de grandes occasions de participer à des projets physiques qui relient le Canada et permettent l’ouverture vers des marchés étrangers autres que les États-Unis. Il est peu probable que ces mesures soient déployées suffisamment vite que pour amortir le choc initial provoqué par les tarifs douaniers (tant dans le contexte de l’explosion initiale des dépenses en immobilisations que de celui de l’augmentation de la productivité et de l’ouverture tardive des marchés). Mais ces mesures en soi pourraient encore en valoir la peine. Par ailleurs, la menace de tarifs douaniers semble avoir accru la motivation de poursuivre des idées qui auparavant, suscitaient l’impopularité.
Les solutions évidentes sont de revoir certains des projets qui ont été proposés (et rejetés) il y a dix ans, et s’étendaient de l’Alberta à l’est du Canada, à l’ouest des Rocheuses et peut-être même au nord de l’océan Arctique. L’expansion des ports, des terminaux de gaz naturel, etc. devrait également être envisagée à nouveau. Un traitement plus poussé des matières premières au Canada, à condition d’être viable sur le plan économique, pourrait également être réalisé. Peut-être y a-t-il moyen d’améliorer et d’adapter à l’hiver la Voie maritime du Saint-Laurent pour faciliter l’accès aux marchés internationaux pour le centre du Canada ?
Les données économiques restent bonnes
L’économie américaine continue de se maintenir. Certains indices économiques donnent des signes de vigueur pure et simple, tandis que d’autres sont plus banaux. Dans l’ensemble, le contexte annonce le maintien d’une croissance modérée, soit une situation quasi idéale pour une économie qui se heurte déjà à ses limites de capacité.
À l’extrémité optimiste du spectre, l’indice ISM (Institute for Supply Management) manufacturier est passé de 49,2 à 50,9, c.-à-d. en mode de croissance pour la première fois depuis de nombreux mois. Il est maintenant auniveau le plus élevé depuis septembre 2022 (voir le graphique suivant). Son jumeau, l’indice ISM des services, a légèrement reculé, tout en concordant toutefois toujours avec une croissance raisonnable et en suivant la tendance établie au cours des dernières années.
Les indices ISM (Institute for Supply Management) semblent vigoureux aux États-Unis
Indice des directeurs d’achats du secteur manufacturier en date de janvier 2025. Indice des directeurs d’achats du secteur des services en date de janvier 2025. Les zones ombrées représentent une récession. Sources : Institute for Supply Management (ISM), Macrobond, RBC GMA.
Il se peut que le PIB des États-Unis ait atteint un niveau légèrement inférieur aux attentes initiales au quatrième trimestre. Sacroissance annualisée de +2,3 % au quatrième trimestre contraste avec les prévisions de gain de plus de 3 %, mais constitue un taux de croissance tout à fait respectable. Qui plus est, l’apport du secteur omniprésent de la consommation représentait une forte croissance annualisée de +4,2 %.
Aux États-Unis, le nombre d’emplois en janvier a légèrement dépassé les attentes générales (progression de 143 000 emplois au lieu des prévisions de 175 000 emplois). Mais en réalité, le résultat était amplement suffisant, et continue plutôt d’indiquer un risque de croissance économique exagérée. D’emblée, la création d’emplois d’un ordre de grandeur de 100 000 à 200 000 par mois est probablement un bon niveau durable, avec un ralentissement de l’accroissement démographique qui semble vouloir stagner de plus en plus dans la moitié inférieure de cette fourchette. Mission accomplie.
Les révisions de créations d’emplois (+100 000 emplois supplémentaires au cours des derniers mois) ont renforcé les statistiques, tout comme le fait que le taux de chômage est passé de 4,1 % à 4,0 %, soit la partie inférieure de la fourchette de 4,0 % à 4,5 % qui, selon nous, représente un niveau d’équilibre. De plus, les estimations de la Réserve fédérale de San Francisco ont souligné la possibilité que les mauvaises conditions météorologiques aient artificiellement supprimé entre 80 000 et 90 000 emplois des chiffres de janvier, lesdits chiffres ayant probablement pu dépasser 200 000 emplois autrement. Les gains horaires ont aussi légèrement augmenté (taux atteint de +4,1 % d’une année sur l’autre). La leçon à retenir est que les chiffres de l’emploi étaient un peu trop élevés, et non trop bas.
La Réserve fédérale a choisi de maintenir le taux des fonds fédéraux dans la fourchette de 4,25 % à 4,50 % en janvier. D’après les données qui ont été publiées entre-temps et un taux potentiellement très robuste de l’IPC pour janvier (sur la base de la hausse du pétrole et de l’évolution des indicateurs de l’inflation en temps réel), des réductions de taux semblent improbables dans l’immédiat. Les marchés n’intègrent pas à plus de 50 % la probabilité d’une réduction de taux aux États-Unis d’ici le mois de juin, ni n’intègrent complètement une réduction de taux d’ici le mois de septembre. Pour notre part, nous prévoyons maintenant que le taux des fonds fédéraux ne changera pas pendant toute l’année, bien qu’il existe certainement des scénarios qui dicteraient des réductions – tout comme il y a maintenant des scénarios qui pourraient dicter une augmentation des taux.
Les données canadiennes évoluent à la hausse
Nous continuons de souligner un raffermissement des données économiques canadiennes. Les chiffres de l’emploi de janvier ont été solides pour un troisième mois consécutif, avec une création de 76 000 emplois. C’est d’autant plus impressionnant dans le contexte du ralentissement de l’accroissement démographique. Les chiffres détaillés étaient également favorables : 57 000 nouveaux emplois dans le secteur privé, augmentation impressionnante des heures travaillées de 0,9 % en glissement mensuel, et recul du taux de chômage qui a atteint 6,6 %. Il s’agit d’une baisse de 0,3 point de pourcentage par rapport au sommet précédent de 6,9 %.
Contrairement aux États-Unis, la baisse du taux de chômage et la création d’emplois soutenue au Canada constituent sans aucun doute une bonne nouvelle, car cela contribuera à résorber une partie des capacités excédentaires de l’économie canadienne.
Le secteur de la consommation au Canada semble également mieux se porter. L’enquête sur les attentes des consommateurs réalisée par la Banque du Canada au quatrième trimestre de l’année dernière a révélé que les consommateurs se sentent davantage confiants quant à leur situation financière. Ce résultat s’explique principalement par la baisse des taux d’intérêt. Parmi ceux qui ont contracté des prêts hypothécaires (un groupe potentiellement précaire, car un grand nombre d’emprunteurs feront face à des rajustements de taux hypothécaires en 2025 et 2026), ils sont moins nombreux à penser que le nouveau montant de leurs versements hypothécaires sera plus élevé que l’ancien montant, et ceux qui s’attendent à rembourser des montants supérieurs semblent confiants quant à leurs capacités financières. En outre, les consommateurs déclarent avoir l’intention d’augmenter – toutefois toujours avec prudence – leur budget de dépenses en biens durables, en vacances et en sorties au restaurant. Les intentions d’achat de maison progressent également.
La Banque du Canada a procédé à une nouvelle baisse de son taux directeur, passant de 3,25 % à 3,00 % à la fin de janvier, car les capacités excédentaires persistent et que le taux d’inflation au Canada a déjà atteint sa cible. La forte incertitude entourant les tarifs douaniers brouille aujourd’hui les perspectives à venir. L’hypothèse de base est qu’une autre réduction de taux de 25 points de base sera décidée le 12 mars prochain, mais des tarifs douaniers plus importants pourraient augmenter l’ampleur de cette baisse ou accélérer la décision de la banque.
Toutefois, nous mettons en garde ceux qui auraient des attentes trop élevées concernant de possibles baisses de taux entre les réunions de la Banque du Canada. En effet, les tarifs douaniers de 25 % pourraient être imposés un jour et levés le lendemain, ce qui mettrait la Banque du Canada dans une position délicate si elle avait réduit ses taux en réponse à la hausse des tarifs douaniers. Avant d’ajuster la politique, il serait plus sage d’attendre quelques semaines afin d’obtenir davantage de preuves confirmant que ces tarifs douaniers sont véritablement appliqués (ou non).
Suivi des actualités autour de l’intelligence artificielle
Nous sommes à une ère où l’intelligence artificielle progresse de façon remarquable : on utilise désormais davantage ChatGPT que son prédécesseur Google. Il existe de très nombreux domaines où des gains sont encore possibles. Toutefois, le rythme auquel l’IA progresse demeure très incertain.
Faisant pencher la balance du côté d’un « progrès rapide », le modèle d’IA chinois DeepSeek a récemment créé la surprise dans le monde entier. Une entreprise peu connue a en effet annoncé que son modèle affichait une performance aussi bonne sinon meilleure que celle des grands modèles de langage existants, à un coût bien moindre et en consommant beaucoup moins de ressources.
Il semblerait que certaines anciennes théories et techniques liées à l’IA, qui datent de plusieurs décennies et qui n’étaient pas exploitables au départ avec les précédentes générations de matériel et de logiciels, deviennent aujourd’hui viables. Les modèles pourraient ainsi être améliorés non seulement par les avancées incrémentielles sur le matériel, mais aussi grâce à une utilisation plus judicieuse de ce matériel. C’est la principale avancée qui a été annoncée avec DeepSeek : au lieu d’activer toutes les parties du modèle de l’IA pour chaque requête, une action qui consomme énormément de ressources, le modèle DeepSeek utilise une nouvelle approche appelée « Mixture-of-Experts » (combinaison d’experts). Autrement dit, il dispose d’un composant qui évalue les requêtes, puis les réachemine vers les sous-systèmes spécialisés qui conviennent le mieux au traitement de ces requêtes, sans solliciter l’ensemble du système.
Incidences négatives
Cette avancée a entraîné diverses incidences négatives sur les placements, ce qui explique pourquoi certains segments des marchés financiers ont reculé en réponse à la nouvelle. L’efficacité accrue de ce nouveau modèle laisse penser que la demande insatiable de puces informatiques de pointe et coûteuses pourrait être revue à la baisse.
Les valorisations des sociétés qui ont conçu les principaux modèles d’IA ont également chuté, car les investisseurs ont réalisé que les acteurs sont devenus plus nombreux dans ce secteur. Les modèles actuels pourraient ne pas être à l’avant-garde des dernières évolutions techniques et des entreprises peu connues peuvent encore émerger sur ce marché où les besoins d’investissements en capitaux massifs étaient censés créer des barrières à l’entrée.
En principe, les entreprises de services publics qui produisent de l’électricité devraient également pâtir de cette avancée. En effet, l’IA devait être un moteur clé dans la consommation d’électricité à venir et des modèles moins énergivores réduisent théoriquement cette demande.
Incidences positives
Cependant, les aspects positifs l’emportent certainement sur les aspects négatifs. D’un point de vue économique, il est important de noter que tout progrès technologique comme celui-ci contribue à accroître la productivité, à accélérer la croissance économique et à créer de la richesse. Alors que de nouvelles techniques seront appliquées à l’IA, les possibilités d’autres grandes percées à court terme sont élevées.
Toutes les entreprises qui créent des logiciels utilisant des modèles d’IA et celles qui achètent des services d’IA bénéficient d’une IA plus forte.
Les émissions de carbone sont théoriquement réduites si de nouveaux modèles d’IA deviennent moins gourmands en énergie.
Enfin, la Chine semble se porter mieux. Durant une période où le pays connaît une croissance inhabituellement lente pour diverses raisons, dont une dépriorisation apparente du secteur privé et peut-être de l’innovation qui en découle habituellement, le modèle DeepSeek laisse croire que la Chine n’est pas trop loin de l’avant-garde des grands modèles de langage, malgré un désavantage considérable en ce qui a trait à l’accès aux puces de pointe. Certains appellent cette percée, le moment Spoutnik de la Chine. C’est sans doute exagéré, mais le fait est que la Chine est incontestablement encore un lieu d’innovation, surtout lorsque l’on tient également compte de son avant-gardisme dans les secteurs des véhicules électriques, des batteries, des trains, de l’énergie solaire et des drones.
Les attentes peuvent-elles être exagérées ?
Il est certainement excitant de constater que les modèles d’IA continuent de progresser rapidement, car les répercussions potentielles sur la productivité sont considérables. Cependant, l’enthousiasme suscité par le développement de DeepSeek est peut-être un peu exagéré. L’idée que le modèle a été construit pour 6 millions de dollars américains avec une infime quantité de puces informatiques par rapport aux milliards dépensés pour d’autres modèles n’est probablement pas tout à fait juste – il s’agissait probablement du coût de l’entraînement final, qui a misé sur les efforts herculéens d’autres joueurs.
L’avancée de DeepSeek représente une innovation progressive et peut être rétro-conçue avec une hâte inhabituelle, étant donné le format à code source ouvert du projet. Les grands dépensiers sont encore plus susceptibles de remporter la course à l’IA. En effet, certains rapports indiquent qu’OpenAI est actuellement en essai de sécurité avant le lancement de son prochain grand modèle, dont la performance sera au moins comparable à celle de DeepSeek tout en étant 5,5 fois plus rapide.
Enfin, la baisse attendue de la demande de puces informatiques et d’électricité grâce aux gains d’efficacité apparemment réalisés par DeepSeek pourrait aussi ne pas se réaliser. Comme l’indique le très en vogue paradoxe de Jevons, même si les ressources nécessaires aux requêtes individuelles en IA peuvent diminuer, la demande pour de telles requêtes augmentera de telle sorte que la demande globale de puces, d’électricité et d’autres ressources sera plus élevée qu’auparavant. Par conséquent, il est peu probable que les dépenses en immobilisations liées aux puces informatiques et aux modèles d’IA diminuent.
Calcul des dommages causés par les incendies de Los Angeles
Maintenant que les incendies de Los Angeles sont pour la plupart éteints, nous sommes en mesure de formuler quelques commentaires économiques.
La région métropolitaine de Los Angeles est la deuxième ville en importance aux États-Unis au chapitre de la population (12,7 millions de personnes) et du PIB (production annuelle d’environ 1 300 milliards de dollars américains). Los Angeles représente donc environ 5 % du PIB de l’ensemble du pays.
Les dommages causés par les incendies s’apparentent à ceux d’autres catastrophes naturelles, avec des pertes financières majeures et une baisse temporaire de la production, suivies d’un rebond à mesure que cette perte temporaire se résorbe. Ultimement, il y a des répercussions à long terme en matière de reconstruction. Dans l’ensemble, les dommages semblent considérablement moins importants que ceux des deux ouragans qui se sont succédé dans le sud-est des États-Unis à l’automne 2024.
Pour donner une idée de l’ampleur des dommages, 186 000 des 12,7 millions d’habitants de la ville auraient été touchés de façon significative par les incendies, soit 1,4 % de la population. Sur les quelque 4 millions de structures de la ville, 16 244 ont été détruites, soit seulement 0,4 %. Il ne s’agit pas de banaliser les conséquences très réelles des propriétés détruites, mais cela ne représente qu’une très petite partie du parc de logements et de bâtiments. Les pannes de courant temporaires ont culminé à environ 300 000 à 400 000 maisons, ce qui représente de 7,5 % à 10 % du total des propriétés.
Du point de vue des dommages, les pertes financières sont démesurées par rapport au nombre de propriétés détruites, étant donné que les prix des maisons sont élevés à Los Angeles, et que les propriétés dans certaines des zones touchées étaient de très grande valeur. Les estimations des sinistres en assurance varient entre 20 et 45 milliards de dollars américains. À titre de comparaison, les ouragans Helene et Milton ont conjointement entraîné des sinistres assurés d’environ 140 milliards de dollars américains l’an dernier. Les chiffres de Los Angeles sous-estiment probablement le total des dommages, car une fraction inhabituelle des propriétés n’était peut-être pas assurée en raison des coûts d’assurance élevés.
Une source estime que de 20 000 à 40 000 emplois ont été supprimés à Los Angeles en janvier, ce qui représente moins de 1 % du total des emplois de la ville. Une partie des emplois perdus ne sera pas rétablie de sitôt, mais au fil du temps, d’autres emplois dans le secteur de la construction pourront probablement plus que compenser ces pertes.
La baisse de l’activité économique de Los Angeles a probablement été plusieurs fois supérieure à ce chiffre en pourcentage, mais seulement temporairement, et le rebond arrive probablement déjà à terme. L’économie nationale a peut-être augmenté moins rapidement d’environ 0,1 % à 0,2 % en janvier, avec un effet annualisé probable d’au plus quelques dixièmes de pourcentage sur le PIB national. Contrairement à un ouragan, où la dévastation est large, les pannes de courant presque universelles et les routes souvent impraticables, l’effet des incendies de LA était beaucoup plus concentré, donc limité.
Du point de vue de l’inflation, il y a trois forces à prendre en considération. La première est qu’une économie plus faible tend à être déflationniste. Cependant, les deux autres forces l’emportent facilement.
Les incendies ont probablement entraîné des pénuries temporaires – de nourriture et de biens de première nécessité pour ceux qui se préparent au pire, et de logements, de voitures et d’autres biens pour ceux qui ont perdu leur maison. Une autre source d’inflation est que les taux d’assurance augmenteront probablement, surtout dans le sud de la Californie, mais aussi dans toute la Californie et, en fait, dans une moindre mesure dans l’ensemble des États-Unis. Les coûts d’assurance pour les véhicules automobiles, les locataires et les ménages représentent 3,2 % de l’IPC des États-Unis et ont grandement contribué à l’inflation élevée au cours des dernières années. Une inflation en hausse graduelle, même au niveau national, est probable.
– Avec la collaboration de Vivien Lee, d’Aaron Ma et d’Ana Ardila
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