La politique américaine en marche
La majeure partie des développements économiques, politiques et stratégiques mondiaux continue d’émaner des États-Unis, et plus particulièrement de la Maison-Blanche.
Grande incertitude
Alors qu’un grand nombre de politiques non conventionnelles sont annoncées, modifiées en cours de route et parfois mises en œuvre, l’incertitude en la matière est élevée (voir le graphique suivant), et celle à l’égard de la politique commerciale a atteint un niveau sans précédent (voir le graphique subséquent).
L’incertitude entourant la politique économique aux États-Unis s’est accrue après les élections de 2024
En date de février 2025. Les zones ombrées représentent une récession. Sources : Indice d’incertitude de la politique économique, Macrobond, RBC GMA.
L’incertitude entourant la politique commerciale aux États-Unis a atteint un sommet après les élections de 2024
En date de janvier 2025. Indice normalisé à une valeur de 100 lorsque la part des articles traitant de l’incertitude de la politique commerciale est égale à 1 %. Les zones ombrées représentent une récession. Sources : Dario Caldara, Matteo Iacoviello, Patrick Molligo, Andrea Prestipino et Andrea Raffo (2020), « The Economic Effects of Trade Policy Uncertainty », Journal of Monetary Economics, volume 109, pp. 38 à 59 ; Macrobond ; RBC GMA.
L’incertitude interagit de plusieurs façons avec l’économie et la prise de décisions. En général, quand elle est élevée, l’activité économique peut reculer temporairement, car les entreprises et les ménages freinent leurs investissements et leurs achats.
Cela dit, l’incertitude peut aussi déclencher d’autres mécanismes. Dans le contexte actuel, les entreprises américaines stockent beaucoup d’intrants étrangers afin de ne pas être prises au dépourvu par l’entrée en vigueur de droits de douane importants. Il s’agit d’un coup de pouce temporaire pour les fournisseurs étrangers, mais cela ne durera pas.
Par ailleurs, dans la mesure où certaines décisions d’affaires majeures sont prises malgré l’incertitude, les États-Unis sont plus susceptibles de bénéficier de nouvelles usines et de nouvelles embauches. Si les tarifs sont appliqués, les entreprises auront toujours accès au marché américain. S’ils ne le sont pas, il n’y aura pas grand préjudice à prendre de l’expansion aux États-Unis, surtout compte tenu du penchant isolationniste du gouvernement en place.
Audace maximale
Si le président Trump s’est montré audacieux et enclin à sortir des sentiers battus au cours de son premier mandat, il a considérablement relevé la barre depuis sa nouvelle élection. Ses idées sont plus ambitieuses, encore moins conventionnelles et elles arrivent plus vite. En outre, son champ d’action est plus grand, étant donné sa meilleure compréhension de la manière d’utiliser la branche exécutive, le soutien accru de son cabinet rapproché et du congrès, ainsi que l’alignement idéologique avec le système judiciaire.
Certains facteurs modérateurs subsistent :
Certaines propositions de M. Trump sont des bravades destinées à garantir une position de négociation forte et à normaliser des résultats moins extrêmes.
Les contraintes politiques, économiques, pratiques et juridiques finiront pas aplanir les aspérités de nombreux projets.
M. Trump veut une économie et des marchés financiers solides, ce qui est incompatible avec certaines de ses idées politiques les plus extrêmes – bien que celles-ci soient actuellement mises à l’épreuve.
Il y a des raisons de penser que la Maison-Blanche mène une campagne de stupeur, en annonçant les initiatives politiques en amont. Il pourrait donc y avoir moins de grands changements plus tard, ce qui réduirait l’incertitude. De plus, si l’histoire se répète et que les élections de mi-mandat à la fin de 2026 font pencher la balance du côté de l’opposition, la marge de manœuvre pour des mesures politiques majeures s’en trouvera nettement limitée.
Mais pour autant, l’ampleur des propositions faites pour refaçonner les barrières tarifaires et le commerce, la fonction publique, le contrôle des frontières, l’environnement réglementaire, les dépenses publiques et la fiscalité, l’ordre mondial et peut-être même le territoire des États-Unis est tout simplement frappante. Nous sommes loin d’un copier-coller de la période de 2017 à 2020. Dans ce contexte, on ne peut pas automatiquement supposer que l’économie et les marchés prospéreront.
Comme nous l’expliquons plus en détail dans les paragraphes qui suivent, certaines politiques dommageables pour la croissance, qui vont plus loin que notre scénario de base, commencent à être mises en œuvre. Cela laisse présager un repli de la croissance économique et une hausse de l’inflation. Déjà, la grande incertitude pèse plus lourd qu’initialement prévu, malgré les conséquences contrastées évoquées précédemment. Reste à savoir dans quelle mesure la capacité de gouvernance et les normes sociétales aux États-Unis risquent de régresser et quelle sera l’ampleur de la baisse de la confiance internationale à l’égard du pays. En effet, ces deux éléments pourraient se répercuter négativement sur l’économie et les marchés financiers américains.
Entrée en vigueur des tarifs
L’avenir immédiat
C’est une grosse semaine pour la politique commerciale américaine, avec l’entrée en vigueur de droits de douane additionnels pour la Chine, le Canada et le Mexique.
À compter du 4 mars, les États-Unis majorent les droits de douane imposés à la Chine de 10 %. Cela vient s’ajouter à la surtaxe de 10 % déjà instaurée le 4 février et aux droits de douane préexistants datant des administrations précédentes. Washington envisage également de faire payer aux navires construits en Chine au moins 1 million $ US par visite dans des ports des États-Unis, en sus des frais habituels, afin de diversifier la production de navires de haute mer.
En l’absence d’un sursis cette fois-ci, le Canada et le Mexique doivent se préparer à l’impact immédiat des droits de douane globaux de 25 %. Bien entendu, les deux pays répliqueront par leurs propres contre-tarifs et, dans le cas du Canada, possiblement aussi par des barrières non tarifaires.
Fait inquiétant, les négociateurs américains semblent avoir agi de mauvaise foi jusqu’à présent, refusant de formuler des griefs cohérents et des demandes claires, de reconnaître les efforts d’apaisement ou même de tenir des discussions sérieuses. Par conséquent, les partenaires commerciaux des États-Unis ne peuvent plus compter sur des négociations équitables ou logiques, ni sur le fait que Washington respectera les accords conclus. Tout cela indique une probabilité accrue que les droits de douane soient élevés et qu’ils persistent pendant un certain temps – à moins que l’économie américaine soit suffisamment meurtrie pour que M. Trump perde son sang-froid. Les protestations les plus véhémentes pourraient bien venir du secteur très intégré de l’automobile en Amérique du Nord.
Les droits de douane seront probablement très dommageables pour le Canada et le Mexique, au point d’entraîner une contraction économique au cours des mois à venir, s’ils sont effectivement de 25 %. La question de savoir si cette contraction se transformera en grave récession dépendra de leur durée.
Le département du Commerce a également annoncé son intention de tripler les droits antidumping visant le bois d’œuvre de résineux canadien (de 7,66 % à 20,07 %). Le taux sera encore plus élevé pour une poignée d’entreprises. Ces droits sont distincts des droits compensateurs sur le bois d’œuvre canadien, qui devraient aussi augmenter en mai.
Les tarifs sur l’acier et l’aluminium devraient être appliqués à compter du 12 mars. Ces tarifs devraient être légèrement plus élevés que ceux mis en œuvre en 2018, en partie parce que les tarifs sur l’aluminium n’étaient alors que de 10 %, et en partie parce qu’un plus grand nombre de produits en aval ont été inclus dans les tarifs. Nous supposons que ces tarifs sectoriels seront effectivement mis en œuvre dans les délais prévus, bien qu’ils puissent ultérieurement faire l’objet de réductions ou d’exceptions.
Le Canada est le plus grand exportateur d’acier et d’aluminium aux États-Unis (voir les deux graphiques suivants). En théorie, ces tarifs s’appliqueront en sus des tarifs préexistants de 25 %. Du point de vue sectoriel, le cuivre a récemment été considéré comme une cible tarifaire potentielle, bien qu’il s’agisse d’une idée moins claire pour le moment.
Le Canada était le plus grand exportateur de fer et d’acier vers les États-Unis en 2024
Sources : Census Bureau des États-Unis, Macrobond, RBC GMA.
Le Canada était aussi le plus grand exportateur d’aluminium vers les États-Unis en 2024
Sources : Census Bureau des États-Unis, Macrobond, RBC GMA.
Tarifs de réciprocité
Outre l’Amérique du Nord, la principale mesure tarifaire de Trump sera probablement les « tarifs de réciprocité » qui ont été proposés récemment. Le président Trump y fait référence comme étant les plus importants.
Les tarifs de réciprocité sont en fait imposés aux pays qui imposent déjà des tarifs douaniers aux États-Unis. Dans le meilleur des cas, cela pourrait même persuader ces pays d’abolir leurs propres barrières commerciales, ce qui se traduirait par une amélioration nette du commerce international. L’exemple le plus souvent cité est que l’Europe impose des tarifs de 10 % sur les voitures américaines, contre seulement 2,5 % pour les États-Unis sur les voitures européennes (la situation est évidemment plus nuancée, puisque les États-Unis imposent actuellement des tarifs de 25 % sur les camions légers européens, contre 10 % par l’Union européenne (UE) sur les camions légers américains).
L’idée de tarifs de réciprocité a maintenant reçu tant d’attention et le concept s’est tellement élargi qu’ils devraient être l’un des principaux leviers tarifaires utilisés par l’administration Trump. La Maison-Blanche a indiqué que ces tarifs devraient être appliqués dès le 2 avril.
Certaines analyses simples indiquent que des pays comme la Chine, l’Inde et la Corée du Sud présentent certains des plus grands écarts de taux tarifaires positifs en ce qui concerne leur traitement des produits américains par rapport au traitement de leurs produits par les États-Unis (voir le graphique suivant). L’UE penche aussi légèrement dans cette direction.
Le taux tarifaire effectif moyen pondéré indique que la Chine, l’Inde et la Corée du Sud profitent du plus grand avantage contre les États-Unis
En 2022. Sources : Outil WITS de la Banque mondiale, Wolfe Research, RBC GMA.
Si les données utilisées dans ce graphique semblent erronées – les États-Unis n’appliquaient-ils pas un taux tarifaire effectif de 19 % sur les produits chinois avant les mesures récentes, et non pas seulement les 2,5 % indiqués ici ? – la réponse est qu’il y a deux façons de calculer le taux tarifaire moyen. Les 2,5 % portent sur les importations réelles en provenance de Chine vers les États-Unis et ne représentent qu’une moyenne pondérée des différents taux tarifaires appliqués aux produits réellement importés.
À l’inverse, le taux tarifaire effectif de 19 % tient compte de l’ensemble des exportations chinoises – non seulement vers les États-Unis, mais à l’échelle mondiale – et combine ces pondérations aux taux tarifaires américains pour calculer le taux tarifaire moyen pondéré des États-Unis sur les produits chinois.
S’il semble absurde de tenir compte des produits qui ne sont même pas exportés vers le pays qui impose les tarifs douaniers, c’est parce que les tarifs douaniers découragent le commerce. Si un pays applique des tarifs de 1 000 % sur un autre, les importations chuteront probablement à zéro. La première méthode de calcul aboutirait donc à la conclusion que le tarif moyen appliqué à l’autre pays est de 0 %, étant donné qu’il n’y a pas de circulation de biens. La deuxième méthode vise à contourner ce problème en obtenant une idée de la composition du commerce si les tarifs douaniers n’étaient pas appliqués. Les deux approches ont leur logique, et les deux ont leurs lacunes.
Qu’entend-on par élargissement des tarifs de réciprocité ? Le concept ne se limite plus à contrer les tarifs au moyen de tarifs.
L’idée de tarifs de réciprocité a maintenant reçu tant d’attention et le concept s’est tellement élargi qu’ils devraient être l’un des principaux leviers tarifaires utilisés par l’administration Trump. La Maison-Blanche a indiqué que ces tarifs devraient être appliqués dès le 2 avril, même si techniquement, une deuxième série d’études devrait être effectuée après le 1er avril avant que ce ne soit le cas.
Qu’entend-on par élargissement des tarifs de réciprocité ? Le concept ne se limite plus à contrer les tarifs au moyen de tarifs. L’ampleur des tarifs de réciprocité imposés à un pays tiendra dorénavant compte de l’ampleur des obstacles non tarifaires (réglementaires) qui limitent l’accès des entreprises américaines, du degré de sous-évaluation des devises et même de l’imposition de taxes de vente sur les biens étrangers.
Parmi les obstacles non tarifaires, mentionnons les lois sur les achats locaux, la réglementation qui limite la propriété ou la participation étrangère dans certains secteurs, et même les règlements qui diffèrent de ceux des États-Unis (des règles d’emballage différentes, les différents facteurs de sécurité pris en compte, les restrictions visant les produits chimiques, etc.). Le sujet est complexe, puisque les États-Unis emploient eux-mêmes bon nombre de ces pratiques et qu’on ne sait pas exactement comment la situation sera gérée. Les États-Unis appliquent diverses dispositions « Achetez américain », et les deux dernières administrations en ont renforcé l’application.
Punir les pays qui restreignent l’accès des entreprises étrangères à leur marché et qui l’interdisent aux entreprises américaines est sans doute plus efficace, mais les États-Unis érigent aussi de tels obstacles. Par exemple, les États-Unis ne permettent pas aux compagnies aériennes, aux navires ou aux camions étrangers d’exploiter des routes intérieures. Des restrictions pèsent aussi sur les entreprises étrangères fournissant des contrats militaires et exploitant des banques, des entreprises de télécommunication, des stations de radio et de télévision, des centrales nucléaires, des terres agricoles, etc.
Il n’est évidemment pas tout à fait réaliste de penser que tous les pays devraient avoir exactement les mêmes règles d’emballage et de sécurité. Cependant, la confusion actuelle des règles nuit également aux pays étrangers qui cherchent à accéder au marché américain.
Les commentaires de la Maison-Blanche indiquent que les préoccupations concernant l’évaluation des devises seront axées sur les pays qui ont manipulé leur monnaie pour la faire fléchir plus qu’elle ne l’aurait autrement fait. La question est de savoir comment cela est défini. Heureusement, en novembre 2024, le département du Trésor a refusé d’accuser l’un de ses partenaires commerciaux majeurs de manipuler sa monnaie. Toutefois, il maintient une liste de surveillance des pays dans la zone grise : la Chine, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour, le Vietnam et l’Allemagne.
Fait ironique, l’imposition de droits de douane à un pays étranger en raison de son taux de change pourrait exacerber le problème.
Contre toute attente, le Japon et la Chine ont en fait défendu leurs monnaies ces dernières années plutôt que de chercher à les déprécier. Comment se fait-il que l’Allemagne figure sur la liste alors qu’elle n’a pas de taux de change ? Ce pays conserve un excédent commercial suffisamment important avec les États-Unis pour que le taux de change du pays (par l’intermédiaire de l’euro) doive être sous-évalué pour avoir obtenu un tel avantage commercial. Si c’est ainsi que les États-Unis choisissent d’interpréter les asymétries des taux de change, presque tous les pays pourraient faire l’objet d’un examen puisque le dollar américain est extrêmement fort en ce moment.
Fait ironique, l’imposition de droits de douane à un pays étranger en raison de son taux de change pourrait exacerber le problème. On s’attendrait normalement à ce que le taux de change du pays visé s’affaiblisse en raison des droits de douane.
L’idée d’imposer des tarifs supplémentaires aux pays en raison de leurs taxes de vente laisse perplexe. Bien sûr, une taxe de vente augmente le coût d’un produit vendu aux consommateurs, comme un droit de douane. Mais les taxes de vente s’appliquent de manière uniforme aux produits locaux et à ceux produits à l’étranger, ce qui rend les taxes hors de propos du point de vue de l’équité des échanges commerciaux.
Cet argument n’a de sens que si l’on constate que, les États-Unis n’ayant pas de taxe de vente fédérale, leurs entreprises et leurs travailleurs supportent théoriquement une plus grande part de la charge fiscale par l’intermédiaire de l’impôt sur le revenu, alors que d’autres pays peuvent se permettre d’imposer moins leurs entreprises et leurs travailleurs puisque les taxes de vente génèrent aussi des recettes. Par conséquent, une entreprise américaine qui vend son produit à un autre pays doit payer l’impôt sur le revenu américain, plus lourd, et pourtant, son produit reste assujetti à la taxe de vente du pays étranger. Bien entendu, dans la pratique, les taux d’imposition des sociétés et des particuliers américains sont assez concurrentiels sur la scène mondiale, et les États-Unis ont toutes les capacités pour orienter leur fiscalité vers les taxes de vente s’ils le souhaitent.
Il existe un risque bien réel que les États-Unis choisissent d’éliminer toute cette complexité en concluant simplement que les pays qui affichent un excédent commercial avec les États-Unis ont obtenu un certain avantage concurrentiel et qu’ils imposent des droits de douane proportionnellement à cet excédent commercial.
On pourrait soutenir qu’il en va autrement pour les taxes sur les produits numériques récemment mises en place dans une poignée de pays, étant donné qu’elles s’appliquent à des revenus qui ne sont pas explicitement générés dans le pays taxateur et qu’elles ciblent de façon disproportionnée les géants technologiques américains.
Il existe un risque bien réel que les États-Unis choisissent d’éliminer toute cette complexité en concluant simplement que les pays qui affichent un excédent commercial avec les États-Unis ont obtenu un certain avantage concurrentiel et qu’ils imposent des droits de douane proportionnellement à cet excédent commercial. Ce serait une façon de boucler la boucle, puisque c’était l’objectif du président Trump lors de son premier mandat.
Bien que ce ne soit pas exprimé de façon claire, il est aussi de plus en plus probable que les États-Unis calculent le montant de leurs droits de douane en tenant compte de la protection militaire implicite qu’ils offrent à d’autres pays, considérant que ces pays sont redevables aux États-Unis pour ce service. Les choses se compliquent assez rapidement, car on pourrait aussi soutenir qu’il est dans l’intérêt des États-Unis d’être autorisés à exploiter des bases militaires dans des pays étrangers, et que les États-Unis n’aimeraient pas que d’autres pays se dotent d’armées puissantes et susceptibles de perturber l’ordre mondial.
Ce qu’il faut retenir, c’est que si ces tarifs de réciprocité sont effectivement interprétés de manière assez large, presque tous les pays pourraient être frappés de plein fouet. En théorie, les pays émergents seraient particulièrement vulnérables, étant donné que ces pays disposent souvent de barrières tarifaires assez importantes.
Peut-être les États-Unis se contenteront-ils de demander aux autres pays d’augmenter leurs budgets de défense, ce qui est actuellement la principale façon de penser. Mais il existe un scénario selon lequel les États-Unis insistent pour obtenir d’autres concessions ou imposer des droits de douane pour facturer la protection militaire fournie.
Ce qu’il faut retenir, c’est que si ces tarifs de réciprocité sont effectivement interprétés de manière assez large, presque tous les pays pourraient être frappés de plein fouet. En théorie, les pays émergents seraient particulièrement vulnérables, étant donné que ces pays disposent souvent de barrières tarifaires assez importantes. Les excédents commerciaux, les barrières tarifaires et les économies de l’Inde, de la Corée, de Taïwan et de la Thaïlande sont suffisamment importants pour risquer d’attirer l’attention des États-Unis.
Dans la mesure où la menace de tarifs de réciprocité vise en grande partie à arracher des concessions à d’autres pays, la grande question est de déterminer dans quelle mesure les autres pays accepteront de se faire bousculer.
Prendront-ils des mesures pour renforcer leur taux de change ?
Supprimeront-ils leurs taxes de vente ?
Élimineront-ils les barrières non tarifaires dans les secteurs historiquement protégés ?
La réponse à ces questions sera vraisemblablement négative plutôt que positive.
En revanche, il existe un risque bien réel que les États-Unis ne soient pas en mesure de conclure une entente avec les pays qu’ils ciblent. Le scénario de droits de douane importants se précise, et avec lui la perspective de lourds dégâts au sein de l’économie mondiale.
Jusqu’à tout récemment, on pouvait soutenir que les marchés s’étaient montrés quelque peu complaisants face à ce risque croissant, mais ils semblent désormais commencer à mieux le prendre en compte. Pour mettre les choses en contexte, selon une règle générale pratique, chaque augmentation de cinq points de pourcentage du taux tarifaire moyen pondéré des États-Unis réduit les bénéfices des sociétés de ce pays de 1 % à 2 %. Nous avons généralement estimé que le taux tarifaire moyen pondéré des États-Unis augmenterait d’environ cinq points de pourcentage dans le cadre des diverses initiatives tarifaires de Trump. Cependant, il existe maintenant des scénarios de plus en plus envisageables dans lesquels il augmenterait de plusieurs fois ce chiffre.
Politique budgétaire
Date limite de paralysie du gouvernement du 14 mars
L’élément le plus urgent aux États-Unis sur le plan budgétaire est la date limite imminente du 14 mars pour le financement du gouvernement. En l’absence de l’adoption d’une résolution de continuité, une paralysie du gouvernement s’ensuivrait. Le scénario le plus probable est qu’une résolution de continuité à court terme reporte la question de peut-être un mois supplémentaire.
Une paralysie n’est toutefois pas impossible, car au sein du parti républicain, les partisans de la rigueur budgétaire (qui souhaitent une réduction des dépenses) mènent une guerre contre les inconditionnels de la défense (qui veulent maintenir les dépenses militaires). Une paralysie pourrait aussi être un moyen radical d’aider à la réalisation des ambitions de la Maison-Blanche en matière de réduction des dépenses.
Évidemment, pour cette raison, les démocrates pourraient être davantage enclins à appuyer une résolution de continuité malgré la majorité républicaine au Congrès. Une telle résolution valable pour une année entière est également possible.
Département de l’Efficacité gouvernementale
Le département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE), nouvellement créé, est en activité depuis l’investiture le 20 janvier et vise à réduire les dépenses de 2 000 milliards de dollars américains d’ici le 4 juillet 2026.
D’importants licenciements ont été mis en œuvre et de nombreux contrats fédéraux ont été résiliés. Cela dit, les progrès initiaux en regard de l’objectif global ont tout de même été plutôt limités. En date du 17 février, le DOGE a annoncé avoir réduit les dépenses de 55 milliards de dollars américains. Cependant, selon une analyse indépendante, le chiffre réel pourrait être de seulement 2,6 milliards de dollars américains lorsque les montants comptabilisés en double et les décisions antérieures sont exclus du calcul.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas un changement majeur par rapport aux dépenses annuelles totales du gouvernement fédéral, qui s’élèvent à 6 750 milliards de dollars américains pour l’exercice 2024. De plus, ces réductions ne permettent guère de résorber le déficit, qui s’est établi à environ 1 800 milliards de dollars américains pour l’année.
Mais jusqu’à présent, le DOGE a eu une incidence relativement faible et des contraintes juridiques devraient également limiter ses réalisations.
Un coup d’œil aux déclarations quotidiennes du Trésor américain ne permet pas non plus de constater des progrès marqués : le gouvernement américain a dépensé plus d’argent au cours des 27 premiers jours de février (593,8 milliards de dollars américains) qu’il ne l’avait fait il y a un an (585,0 milliards de dollars américains).
Le débat est assurément loin d’être clos concernant le DOGE. Compte tenu des efforts budgétaires plus vastes dont nous discuterons plus loin, un effet tangible pourrait encore se faire sentir au niveau de l’économie nationale. Mais jusqu’à présent, le DOGE a eu une incidence relativement faible et des contraintes juridiques devraient également limiter ses réalisations. Sur le plan juridique, le Congrès est responsable des principales décisions budgétaires et organisationnelles, comme l’élimination des ministères, et il est donc peu probable que le DOGE soit le principal facteur de la trajectoire budgétaire des États-Unis dans les années à venir.
Des questions ont également été soulevées concernant la légalité des licenciements massifs récents, compte tenu des conventions collectives et des règles gouvernementales.
Bien que les tribunaux affichent actuellement une attitude conservatrice, qui semble à première vue concorder avec celle adoptée par la Maison-Blanche de l’administration Trump, les tensions pourraient être plus fortes que celles que l’on imagine en règle générale. En effet, les juges conservateurs actuels ont tendance à interpréter la loi selon la théorie dite de « l’originalisme », et par conséquent à adopter une vision plus restrictive des droits. La Maison-Blanche et ses antennes pourraient ainsi être ralenties dans leurs élans audacieux sortant des sentiers battus à certains égards.
Les aspirations liées au budget américain
Le 25 février, la Chambre des représentants a approuvé une résolution budgétaire qui suit étroitement les priorités du président Trump. Cette résolution demande des réductions d’impôt de 4 500 milliards de dollars américains, payées en partie par des coupes budgétaires de 2 000 milliards de dollars américains. Par souci de clarté, ces chiffres représentent la somme cumulée de ces mesures au cours des dix prochaines années, et non pour une seule année. Ces politiques combinées augmenteraient l’ampleur du déficit d’un montant cumulé de plus de 2 500 milliards de dollars américains au cours des dix prochaines années.
Pour remédier à cette situation, en plus du déficit existant du pays, le plafond de la dette serait relevé de 4 000 milliards de dollars. Ce faire permettrait de traiter une question qui a déjà forcé le Trésor à prendre des mesures extraordinaires lorsque le plafond précédent de la dette a été atteint à la fin de janvier.
Ce budget envisagé, s’il devenait loi, alourdirait bien sûr la dette des États-Unis de plusieurs billions de dollars supplémentaires. Ilfournirait par la même occasion une mesure de relance budgétaire (une partie importante de la « relance » consisterait néanmoins en fait à éviter la restriction puisque les réductions d’impôt antérieures sont toujours en vigueur).
Quoi qu’il en soit, plusieurs obstacles restent à surmonter. Une résolution budgétaire constitue un cadre non contraignant qui fixe des objectifs sur le plan des recettes et des dépenses sans les promulguer sous forme de loi. Elle ne précise pas non plusla source de ces recettes et dépenses. La résolution établit en fait ce cadre et rend possible la réconciliation. Il s’agit en fait d’accélérer l’approbation des initiatives budgétaires par le Sénat à une majorité simple plutôt qu’à la majorité qualifiée de 60 voix qui serait autrement nécessaire.
Il se trouve que le Sénat avait déjà adopté sa propre résolution budgétaire et que les deux résolutions font état d’écarts importants qui devront être résolus. Dans sa version, le Sénat s’attachait à financer d’autres initiatives comme la sécurité aux frontières et les projets militaires et liés à l’énergie, soit de nouvelles dépenses d’un montant approximatif de 340 milliards de dollars américains. Il avait également ajouté la disposition selon laquelle le financement des dépenses supplémentaires serait assuré par des coupes budgétaires ailleurs non précisées. Les réductions d’impôt proposées par M. Trump ont été reportées.
Le processus requiert une certaine urgence, étant donné la date limite de paralysie du gouvernement du 14 mars susmentionnée et le fait que le plafond de la dette a déjà été atteint. Un échéancier plus réaliste – dans l’éventualité d’un projet de loi omnibus – est l’échéance du 15 avril.
Les deux chambres doivent maintenant se mettre d’accord quant à ces importantes différences. La tâche ne sera pas aisée, car les républicains disposent d’une très faible majorité dans chaque chambre. À partir de ce moment, le processus de réconciliation peut commencer.Les deux chambres devront alors adopter un projet de loi beaucoup plus détaillé qui précise la source des augmentations d’impôt ainsi que des coupes et augmentations budgétaires. Voilà une autre difficulté, car les coupes budgétaires ne sont jamais faciles... a fortiori lorsqu’il faut en trouver pour un montant de deux billions de dollars américains.
Sur le plan pratique, il faudra peut-être réduire des droits pour atteindre une diminution de cette ampleur ; Medicaid (le programme d’assurance-maladie destiné aux personnes à faible revenu) devenant de plus en plus en point de mire. Il se peut que les coûts du programme Medicaid soient répercutés au niveau des États où ceux-ci assumeraient potentiellement une partie du manque à gagner. Ou que les prestations soient tout bonnement réduites.
Le processus requiert une certaine urgence, étant donné la date limite de paralysie du gouvernement du 14 mars susmentionnée et le fait que le plafond de la dette a déjà été atteint. Un échéancier plus réaliste – dans l’éventualité d’un projet de loi omnibus – est l’échéance du 15 avril en vertu de la loi fédérale, date supposée d’obtention d’une résolution au sujet du budget fédéral dit « unifié ». Nous soulignons que toutes les aspirations immédiates de la Maison-Blanche s’avéreront peut-être difficiles à réaliser étant donné le nombre de factions adverses au Congrès et les faibles majorités.
Regard sur les inégalités
Par ailleurs, il est frappant de constater que plusieurs des politiques proposées par le gouvernement augmenteraient en théorie les inégalités aux États-Unis. Les baisses d’impôt bénéficient de manière disproportionnée aux riches, compte tenu des avantages procurés à ceux touchant des revenus plus importants et de l’effet secondaire potentiel sur le marché boursier. L’imposition de tarifs douaniers – quoique critiquée par le marché boursier et les actionnaires fortunés – s’apparente grossièrement à un impôt de consommation, puisqu’une part importante du coût de ces tarifs est répercutée sur les consommateurs. Les impôts de consommation sont régressifs parce que les ménages à faible revenu consacrent une plus grande partie de leur revenu à des achats. En d’autres termes, les tarifs douaniers les touchent dans une plus grande mesure par ce biais.
Outre une simple redistribution des revenus, qui bénéficie naturellement à certaines parties tout en pénalisant d’autres, l’accentuation des inégalités est une situation qui concourt temporairement à un ralentissement de la croissance économique globale.
Politique étrangère
Alors que les États-Unis cherchent à se dissocier de l’Ukraine, le reste de l’Europe est contraint de renforcer son concours à cette dernière.
Premier constat : les pays européens ont déjà contribué au-delà du concours apprécié en général.
L’aide militaire fournie par les États-Unis s’élève maintenant à environ 65,9 milliards de dollars américains.
L’aide de l’UE totalise environ 138 milliards de dollars américains, auxquels s’ajoutent 10,5 milliards de dollars américains du Royaume-Uni, 3,3 milliards de dollars américains du Canada et les contributions d’autres pays.
Quoi qu’il en soit, l’UE et d’autres pays devront renforcer leur soutien si l’Ukraine veut continuer à se défendre contre la Russie. Cette tendance semble vouloir se concrétiser à mesure que les pays annoncent des engagements supplémentaires en faveur de l’Ukraine et que les budgets militaires sont sur le point d’augmenter. En réalité, cependant, le retrait des États-Unis ne peut pas être complètement compensé rapidement, et l’Ukraine se trouve donc dans un état plus vulnérable.
Bien que les pays membres de l’UE aspirent incontestablement à une autonomie plus large sur le plan de leur approvisionnement militaire à long terme (les titres européens du secteur de la défense se sont redressés), une part importante de l’augmentation de ces dépenses profitera dans l’immédiat aux entrepreneurs américains du secteur de la défense.
De façon plus générale, puisque les États-Unis rejettent des organismes internationaux comme l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation mondiale de la Santé, et cherchent à se distancer de leurs alliés européens et nord-américains traditionnels, ces pays doivent commencer à repenser leur place dans l’ordre mondial.
Il est important que ces pays ne dramatisent pas, puisque la politique américaine pourrait très bien reprendre une trajectoire plus traditionnelle avant la fin de la décennie. Voilà toutefois une bien longue attente, et tout revirement est incertain. Ces pays chercheront probablement à approfondir leurs relations économiques avec la Chine, à renforcer leurs liens commerciaux mutuels et à bâtir une nouvelle alliance de travail centrée sur l’Europe au lieu des États-Unis. Nous présumerions que l’OTAN gardera sa place, quoiqu’avec une importance amoindrie. Ainsi, il pourrait y avoir quatre sphères d’influence distinctes – entourant chacune l’Europe, les États-Unis, la Chine et la Russie – au lieu des trois sphères actuelles.
La guerre contre la drogue ?
Alors que la Maison-Blanche s’attache en priorité à limiter les importations de fentanyl en provenance du Mexique et du Canada, il est utile de considérer cette mesure comme une question d’intérêt public en soi dans le contexte des nombres très élevés de décès par surdose ces dernières années.
Les États-Unis ont mené une soi-disant « guerre contre la drogue » qui a débuté dans les années 1970, s’est intensifiée dans les années 1980 et a sans doute culminé dans les années 1990. Au cours des années 2000 et 2010, des tendances d’allègement des peines et de dépénalisation sont apparues.
Il se pourrait que le pendule oscille maintenant en sens opposé. Compte tenu des nombreux cas de surdose de drogue au cours des dernières années, ainsi que du mécontentement à l’égard du niveau de criminalité et de désordre aux États-Unis, l’administration actuelle pourrait bien renforcer sa surveillance au-delà des contrôles aux frontières et envers les personnes qui aggravent le problème actuel de la drogue aux États-Unis. Dans le même ordre d’idées, les attitudes envers la police, alors décriée, ont pris un autre tour. Au cours de la première guerre contre la drogue, les incarcérations ont augmenté – avec des implications tant pour les personnes emprisonnées que pour les budgets du gouvernement. Parallèlement, la criminalité a diminué (pour diverses raisons toutefois, et pas exclusivement à cause de la guerre contre la drogue), et les libertés civiles ont diminué.
Évolution de la conjoncture économique
Les préoccupations économiques aux États-Unis, quoiqu’exagérées
Dernièrement, l’économie américaine a nettement ralenti. Notre indice des surprises économiques ciblé confirme qu’il s’agit de la baisse la plus marquée des surprises économiques depuis le début de 2022, où d’importantes augmentations de taux ont commencé (voir le graphique suivant).
L’indice des surprises économiques de RBC GMA axé sur les États-Unis affiche une forte baisse des surprises économiques
L’indice représente la moyenne équipondérée des données normalisées relatives aux surprises. Il comprend actuellement sept statistiques publiées : l’indice des directeurs d’achats (PMI) de l’industrie manufacturière ISM, l’indice du secteur des services PMI de l’ISM, les demandes initiales de prestation de chômage, les ventes au détail, l’indice d’optimisme de la fédération nationale des entreprises indépendantes, l’indice du marché de la National Association of Home Builders (NAHB) et l’emploi non agricole. Au 3 mars 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA.
Les sept variables prises en compte dans notre indice des surprises ciblé sont à présent chacune négatives (voir le graphique suivant). Elles révèlent une grande variété de résultats allant d’un grand glissement en ce qui concerne le dernier sondage de la National Association of Home Builders (NAHB) à un léger glissement dans l’emploi non agricole. Il s’agit là en vérité, d’un rapport assez robuste après la prise en compte de facteurs spéciaux.
Heureusement, les périodes de mauvaises surprises économiques ne durent généralement pas longtemps (bien que cela s’explique en partie par le fait que les anticipations s’ajustent pour tenir compte de la détérioration des perspectives).
L’indice des surprises économiques aux États-Unis en territoire négatif
Au 3 mars 2025. Les données du tableau correspondent aux cotes Z. L’indice des surprises économiques axé sur les États-Unis présente la moyenne à pondérations égales des surprises relatives aux données normalisées des mesures sous-jacentes. Sources : Bloomberg, RBC GMA.
On pourrait soutenir que le dernier indice des directeurs d’achats de l’industrie manufacturière ISM (Institute for Supply Management) était légèrement inférieur à ce que laissait présager le chiffre global. Il dénotait la faiblesse marquée des nouvelles commandes et de l’emploi ainsi que le bond considérable du composant des prix payés. Les indices des directeurs d’achats de l’industrie manufacturière ISM et du secteur des services ISM sont toutefois demeurés au-dessus du seuil critique de 50, démontrant ainsi l’existence d’une croissance soutenue.
Walmart a récemment annoncé s’attendre à un comportement plus prudent de la part des consommateurs. Malheureusement, les dépenses personnelles ont diminué de 0,2 % aux États-Unis en janvier. Cette baisse fait suite à un gain démesuré de 0,8 %, enregistré le mois précédent. Cependant, la forte hausse de 0,9 % du revenu personnel au cours du même mois, soit le gain mensuel le plus important en un an, constitue sans doute un signe encourageant. Nous croyons donc toujours que la situation des ménages est globalement bonne.
Les sentiments éprouvés peuvent toutefois s’avérer différents des données fondamentales. Par exemple :
L’enthousiasme des consommateurs observé après les élections américaines a récemment été miné par les dernières politiques publiques proposées (voir le graphique suivant). Les tarifs douaniers inquiètent la population américaine, les craintes d’inflation s’avivent de nouveau, et le marché du logement demeure faible.
Les mesures de la confiance des consommateurs américains, consignées par l’Université du Michigan et le Conference Board pour le mois de février, sont revenues aux niveaux observés avant les élections, faisant ainsi disparaître au complet l’enthousiasme éprouvé au départ pour l’administration Trump.
L’indice Twitter de la confiance envers l’économie de Goldman Sachs, a également reculé, mais elle demeure supérieure aux niveaux enregistrés avant les élections.
Les petites entreprises se réjouissent encore du résultat des élections, mais elles ont perdu un peu de leur enthousiasme. Les données mensuelles à venir pourraient révéler une autre baisse, étant donné la mise en œuvre d’autres tarifs douaniers (voir le tableau suivant).
Recul de la confiance des consommateurs américains du fait des préoccupations liées aux politiques de Donald Trump
Indice Twitter de la confiance envers l’économie en date du 17 février 2025. Indices de l’Université du Michigan et du Conference Board en février 2025. Sources : Goldman Sachs Global Investment Research, Université du Michigan, Conference Board, Macrobond, RBC GMA.
La confiance des petites entreprises galvanisée par la victoire de Trump
En janvier 2025. Les zones ombrées représentent une récession. Sources : NFIB, Macrobond, RBC GMA.
Étant donné la hausse des inégalités, la croissance des dépenses de consommation dépend de plus en plus des gens dont le revenu se situe dans la tranche supérieure de 10 %, car ces derniers sont maintenant responsables d’à peu près la moitié des dépenses observées dans l’économie (voir le graphique suivant). Ils se sont montrés plus résistants à la hausse des taux d’intérêt et peut-être même à l’effet direct des tarifs douaniers que ceux des autres segments. Toutefois, ils se concentrent particulièrement sur le marché boursier, lequel a reculé récemment. Leur soutien s’avère moins certain en cas de maintien de cette tendance.
La tranche supérieure de 10 % des ménages américains est responsable de près de la moitié des dépenses totales
Au troisième trimestre de 2024. Sources : Moody’s Analytics, Bloomberg, RBC GMA.
On a récemment signalé, avec une certaine inquiétude, que l’indice GDPNow de la Federal Reserve Bank d’Atlanta, surveillé de près, ne prévoit subitement plus une croissance annualisée du produit intérieur brut (PIB) de plus de 2 %, mais laisse plutôt entrevoir un recul étonnant de 1,5 %. L’économie américaine a-t-elle soudainement plongé dans un gouffre ? Nous ne le croyons pas.
En fait, les importations ont bondi en janvier. D’un point de vue mathématique, on soustrait les importations du PIB, ce qui a provoqué le repli des prévisions du modèle en territoire négatif. On observe toutefois rarement une hausse des importations lors d’une contraction de l’économie. En règle générale, les importations diminuent aussi dans un contexte semblable.
Nous pensons plutôt que de nombreuses entreprises ont accumulé des stocks de produits étrangers afin de réduire au minimum le douloureux effet des tarifs douaniers. Elles ont donc importé plus de biens, mais elles n’en ont pas vendu davantage. Cette stratégie se transposerait par des stocks supplémentaires, lesquels neutraliseraient le freinage imposé au PIB par les importations. Les données sur les stocks ne reflètent toutefois pas encore cette situation.
En fin de compte, l’économie américaine a assurément ralenti et elle n’est plus galvanisée. Les taux d’intérêt élevés pèsent lourd, la forte incertitude peut limiter l’activité, et les tarifs douaniers causeront maintenant des dégâts.
Nous pensons cependant que ces données finiront par rattraper la réalité. Selon toute vraisemblance, il faudra probablement revoir à la hausse l’indice GDPNow de la Federal Reserve Bank d’Atlanta, et il se peut que l’économie américaine connaisse toujours une croissance durant le premier trimestre de l’année. Il ne faut pas oublier non plus que la plupart des données disponibles pour l’élaboration des prévisions sur le PIB au premier trimestre ne concernent que le premier mois de l’année. Il n’y en a encore pratiquement aucune à propos des deuxième et troisième mois.
En fin de compte, l’économie américaine a assurément ralenti et elle n’est plus galvanisée. Les taux d’intérêt élevés pèsent lourd, la forte incertitude peut limiter l’activité, et les tarifs douaniers causeront maintenant des dégâts. Une part des conditions favorables ayant brièvement accompagné l’enthousiasme suscité par les élections se sont estompées. Aux États-Unis, les perspectives des prochains trimestres sont nettement plus sombres, mais elles ne laissent encore entrevoir aucune récession, à notre avis.
Bien entendu, une faiblesse soutenue des marchés boursiers ou de l’économie pendant une certaine période pourrait entraîner une réorientation des politiques dans une direction moins dommageable.
Recul de l’exceptionnalisme américain
Étant donné l’assombrissement des perspectives de croissances aux États-Unis et les rendements inférieurs des marchés boursiers américains, on pourrait soutenir que l’exceptionnalisme américain a quelque peu pâli. Cette affirmation se vérifie doublement, puisque le reste du monde connaît au même moment une légère accélération économique (voir le graphique suivant).
Les taux d’intérêt ont diminué de manière plus marquée à l’extérieur des États-Unis.
Les évaluations des devises sont plus concurrentielles.
Les ménages ont plus de marge de manoeuvre pour accroître leurs dépenses.
L’inflation est plus faible, et certaines économies possèdent des capacités excédentaires les rendant moins vulnérables à la surchauffe.
Étant donné les nouveaux engagements en matière de dépenses militaires et les déficits budgétaires moindres dans la plupart des marchés comparativement aux États-Unis, il existe également un potentiel de hausse.
Les surprises économiques mondiales montrent un potentiel de hausse
Au 25 janvier 2025. Sources : Citigroup, Bloomberg, RBC GMA.
Plus important encore, à un moment où les États-Unis semblent vouloir se libérer de leur rôle de gendarme mondial, d’autres pays décident d’opter pour un réarmement. À mesure que les États-Unis réduisent leur rôle prédominant dans des institutions internationales telles que l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation mondiale de la santé, d’autres pays l’assumeront ou rempliront d’autres fonctions semblables.
Le statut de monnaie de réserve mondiale du dollar américain demeure fondamentalement incontesté, mais il s’érode tout de même légèrement. Cette tendance pourrait s’accentuer si les négociations tarifaires exigent que les pays vendent leurs dollars pour accroître la valeur de leur propre monnaie. Ces événements illustrent l’affaiblissement de l’exceptionnalisme américain dans une capacité structurelle non économique.
Soyons clairs, les États-Unis demeurent un pays exceptionnel. Ils possèdent une énorme richesse, une vaste armée, des gens brillants et une part disproportionnée des innovations et des grandes entreprises à l’échelle mondiale. Cet exceptionnalisme est toutefois remis en question à plusieurs égards. Nous parions encore que l’économie américaine surpassera la plupart des autres pays au cours des prochaines années. L’avantage que comporte cette croissance est cependant un peu moins marqué qu’auparavant.
L’optimisme envers la Chine
S’il existe des optimistes quant à la situation de la Chine, malgré sa croissance économique de 4 % à 5 % cette année et son taux de croissance en situation d’équilibre s’établissant davantage entre 3 % et 4 % d’ici quelques années, nous en faisons certainement partie. Notre optimisme repose sur cinq raisons.
Les tarifs douaniers américains ne devraient pas nuire trop gravement à la Chine, étant donné que seulement 2,5 % de sa production est consommé directement par la population américaine.
L’histoire de DeepSeek AI confirme que la Chine a effectivement franchi un seuil technique, non seulement pour les batteries, les drones, les panneaux solaires, les trains et les voitures électriques, mais aussi que son retard s’amenuise dans le domaine de l’intelligence artificielle, malgré un désavantage considérable en ce qui a trait aux puces informatiques. Le principal point à retenir est que ce pays est toujours capable d’innovation.
Le gel profond imposé par le gouvernement aux sociétés chinoises de technologie, et plus généralement au secteur des sociétés privées, semble s’estomper. Le président Xi a rencontré le fondateur d’Alibaba, donnant apparemment le feu vert aux entreprises. Le marché boursier a réagi en conséquence.
Le marché de l’immobilier en Chine se stabilise doucement. Il est enfin question d’une légère reprise du secteur. Si le risque de faillite des grands constructeurs et des gouvernements locaux a été écarté et si la hausse des prix de l’immobilier encourage les ménages à recommencer à dépenser leur richesse (principalement axée sur le logement), il s’agira d’un nouveau chapitre important pour l’économie chinoise.
Les assemblées annuelles les plus importantes de la Chine devraient se tenir sous peu, et d’autres mesures de relance économique sont probables. Un plan de recapitalisation du secteur bancaire du pays a déjà été élaboré, avec un engagement de 55 milliards de dollars américains. Ainsi donc, des banques plus vigoureuses devraient être en mesure de soutenir la croissance.
La voie future du Canada
Économie vigoureuse derrière, faiblesse devant ?
Au Canada, comme dans bien d’autres pays, l’économie a démontré une force impressionnante au cours des derniers mois.
À titre d’exemple, les ventes au détail au Canada ont grimpé de 2,5 % en décembre. Le PIB du quatrième trimestre, publié récemment, s’est avéré nettement supérieur aux prévisions générales, avec une hausse annualisée de 2,6 %. Les détails de cette situation étaient également satisfaisants, avec une forte croissance des dépenses de consommation et de la construction résidentielle, ainsi que des gains acceptables provenant des investissements des entreprises et du commerce. Le PIB réel par habitant a progressé au quatrième trimestre, ce qui constitue une bonne nouvelle et s’avère rare après des baisses persistantes pendant la majeure partie de 2023 et de 2024. L’emploi au Canada a aussi été solide d’après les données publiées en janvier.
Cette vigueur économique repose notamment sur les taux d’intérêt, qui ont reculé bien davantage au Canada que presque partout ailleurs dans le monde.
Ces données sont évidemment devenues assez obsolètes. Les perspectives à très court terme suscitent diverses inquiétudes. Tout d’abord, ces chiffres pourraient donner une image flatteuse de l’économie canadienne, car la constitution aux États-Unis de stocks de matières critiques a dopé les exportations canadiennes (cette tendance pourrait également se refléter dans les chiffres de janvier et de février à mesure qu’ils seront publiés).
Ensuite, le niveau élevé d’incertitude liée aux politiques des États-Unis devrait en théorie peser sur les décisions des entreprises et des ménages au Canada. Néanmoins, la principale inquiétude demeure l’imposition par les États-Unis d’importants tarifs douaniers à l’encontre du Canada. Une telle politique risque de provoquer une contraction de l’économie canadienne au cours des prochains mois. Si ces tarifs douaniers devaient être maintenus en place pendant plusieurs trimestres ou années, les dommages causés pourraient être encore plus graves. À tout le moins, le Canada devrait connaître une période de très fortes turbulences économiques au cours des prochains trimestres.
Élections au Canada
Course à la direction du Parti libéral
Le 9 mars, l’actuel gouvernement libéral du Canada choisira son prochain chef. Parmi les quatre candidats en lice, seulement deux d’entre eux – l’ancien gouverneur de banque centrale Mark Carney et l’ancienne ministre des Finances Chrystia Freeland – sont considérés comme de sérieux candidats. Néanmoins, dans les faits, il pourrait n’en rester déjà plus qu’un. Les marchés des paris évaluent à 96 % les chances que Mark Carney devienne le prochain chef du Parti libéral fédéral, contre seulement 3 % pour Chrystia Freeland. Pour ceux qui ne connaissent pas les tenants et les aboutissants des démocraties parlementaires, le vainqueur devient premier ministre avant même la tenue des élections.
Calendrier électoral
Le Parlement canadien est prorogé jusqu’au 24 mars. On s’attend alors à ce qu’une élection soit déclenchée peu après que le retour des parlementaires. Les marchés des paris évaluent à 64 % la probabilité qu’une élection soit déclenchée avant la fin du mois. La période électorale doit durer entre 36 et 50 jours, ce qui nous amène à une élection qui se tiendra probablement au cours de la première quinzaine de mai.
Perspectives électorales
Le Parti conservateur de l’opposition et son chef Pierre Poilievre bénéficiaient d’une avance considérable de plus de 20 points de pourcentage dans les sondages jusqu’à récemment, en janvier. L’écart s’est toutefois nettement resserré, puisque les conservateurs ne comptent plus que 6 points (38,6 %) d’avance sur les libéraux (32,9 %), selon notre moyenne pondérée de dix sondages (voir le graphique suivant). D’ailleurs, ces chiffres sous-estiment la remontée des libéraux, puisque les derniers sondages indiquent une course encore plus serrée. Dans le passé, le Parti libéral s’est montré plutôt efficace pour convertir les votes en sièges parlementaires. Rappelons que les conservateurs ont gagné le vote populaire lors des deux dernières élections, mais qu’ils ont néanmoins remporté moins de sièges que les libéraux.
L’avance du Parti conservateur se réduit
Au 25 février 2025. Les tendances correspondent aux moyennes équipondérées de 10 sondages. Source : contributeurs de Wikipédia, « Liste de sondages sur les élections fédérales canadiennes de 2025, » Wikipédia, l’encyclopédie libre, https://en.wikipedia.
Pourquoi un tel revirement des attentes au cours des deux derniers mois ? Les menaces des États-Unis d’imposer des tarifs douaniers et d’annexer le Canada ont fait resurgir un sentiment patriotique, ce qui a profité aux libéraux en place. Parallèlement, et dans un contexte similaire, le public se montre moins réceptif au programme du Parti conservateur, qui met l’accent sur l’idée d’un « Canada brisé », en cette période d’élan de fierté nationale.
Évidemment, la lune de miel du Parti libéral pourrait ne pas durer. Les sentiments favorables à l’égard de Mark Carney, ou tout autre chef des libéraux, pourraient s’estomper une fois celui-ci arrivé à la direction du parti. À l’inverse, l’imposition d’importants tarifs douaniers à l’encontre du Canada pourrait attiser davantage la flamme patriotique.
Les marchés des paris continuent de prédire une victoire des conservateurs, avec une probabilité de 66 % contre une probabilité de 34 % pour les libéraux. C’est un résultat nettement plus serré que la probabilité de plus de 90 % attribuée aux conservateurs au début de l’année, mais cela reste une avance assez confortable.
D’un point de vue politique, le programme des conservateurs est sans doute celui qui est le plus favorable à la croissance, compte tenu des promesses de réductions d’impôt et, plus important encore, de déréglementation. Toutefois, avec l’arrivée d’un nouveau chef au Parti libéral, il semble que le fossé entre les idées des conservateurs et celles des libéraux se réduise.
– Avec la collaboration de Vivien Lee, d’Aaron Ma et d’Ana Ardila
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