Dans cet épisode, notre économiste en chef, Eric Lascelles, discute des derniers développements concernant les droits de douane américains avec Haley Hopwood, gestionnaire de portefeuille institutionnel. Bien que la situation se soit considérablement aggravée depuis la dernière fois que ces deux spécialistes se sont entretenus sur la probabilité et les conséquences des droits de douane proposés par Donald Trump sur les importations canadiennes, l’incertitude reste élevée et les marchés demeurent volatils.
Voici quelques-uns des sujets abordés dans cet épisode :
Les droits de douane réciproques annoncés le 2 avril, l’évolution de la situation depuis lors et les raisons qui sous-tendent ces mesures (02:55)
Les pays les plus touchés et les solutions possibles (09:10)
Le Canada s’en est-il tiré à bon compte ou n’est-ce que le début ? (14:44)
Perspectives de croissance économique et d’inflation au Canada et aux États-Unis, et rôle des banques centrales (24:37)
Répercussions sur les marchés des capitaux (32:00)
Affaiblissement du dollar américain et prévisions pour l’avenir (35:17)
Cet épisode de balado a été enregistré le 14 avril 2025.
Temps d'écoute : 37 minutes, 26 secondes (en anglais seulement)
Transcription
Bonjour et bienvenue à ce nouveau balado Le pouls du secteur institutionnel, dans lequel nous abordons des sujets intéressants et pertinents pour les investisseurs institutionnels. Je m’appelle Haley Hopwood. Je suis gestionnaire de portefeuille à PH&N Institutionel et votre hôte aujourd’hui. Je suis accompagnée de notre économiste en chef, Eric Lascelles, pour discuter une nouvelle fois des droits de douane. J’ai une petite anecdote amusante à vous raconter, car Eric et moi avions déjà fait un premier enregistrement de ce balado le matin du 9 avril. Moins d’une heure après la fin de l’enregistrement de ce que je pensais être une conversation plutôt intéressante à ce moment-là, Donald Trump a annoncé une pause dans l’application des droits de douane réciproques et une grande partie de ce dont nous avions discuté est immédiatement devenue un peu obsolète. C’est pourquoi nous nous retrouvons à nouveau pour un deuxième enregistrement. Eric, une nouvelle fois, un grand merci pour votre présence ici aujourd’hui.
Tout le plaisir est pour moi ! J’espère que les choses resteront figées un peu plus longtemps cette fois-ci. Soyons réalistes, cela ne sera probablement pas le cas.
Alors, croisons les doigts ! Quoi qu’il en soit, poursuivons cette conversation. Nous ne repartons pas de zéro sur le sujet des droits de douane, puisque lors de notre balado en décembre dernier, vous nous aviez donné un excellent aperçu de ce qu’étaient les droits de douane, de la façon dont ils infligent des dommages et de ce qui rend le Canada vulnérable aux droits de douane. Donc, pour ceux d’entre vous qui nous écoutent, si vous avez manqué ce balado, n’hésitez pas à revenir en arrière et à l’écouter.
Nous avions également parlé de ce qui était menacé à l’époque et de la probabilité que ces menaces se concrétisent. Il est juste de noter que les choses ont beaucoup évolué depuis, et que la gravité et la portée de ces menaces et des mesures mises en œuvre n’ont cessé d’augmenter. C’est donc le moment idéal pour vous faire revenir pour discuter à nouveau de ce sujet.
Alors, allons-y ! Il y a quelques semaines, le président Trump a provoqué un choc en annonçant à l’occasion du « Jour de la libération » l’imposition de droits de douane réciproques au monde entier. Fait intéressant, il a épargné le Canada et le Mexique en ne les soumettant pas à des droits de douane supplémentaires. En revanche, il a imposé des droits de douane très élevés aux autres pays. Cette annonce a causé une agitation sur les marchés financiers.
Évidemment, nous savons désormais que la mise en œuvre de ces droits de douane a été reportée de 90 jours, mais l’intégralité de ces droits n’a pas été suspendue. Un taux plancher de 10 % a été maintenu pour tous les pays. Par ailleurs, les droits de douane visant la Chine demeurent applicables et ils ont considérablement augmenté. À l’heure où nous faisons cet enregistrement, soit le 14 avril à 10 h 30 (heure du Pacifique), ils atteignent un taux exorbitant de 145 %.
Par conséquent, les dommages qui en découlent demeurent importants. Parlons-en un peu. L’idée initiale derrière ces droits de douane réciproques, du moins telle que je l’avais comprise, était que tout pays qui imposait des droits de douane aux États-Unis se retrouverait à son tour frappé de droits de douane d’une ampleur équivalente. Mais ce n’est pas exactement ce que nous avons constaté.
Eric, nous pourrions peut-être commencer par là. Pourriez-vous nous donner un aperçu de ces droits de douane réciproques, de ce qu’ils sont devenus et de l’idée qui les sous-tend ?
Bien sûr. Vous avez tout à fait raison. La vision initiale ou si l’on pouvait dire, le raisonnement initial derrière ces droits de douane réciproques était que les États-Unis frapperaient de droits de douane tout pays qui avait déjà appliqué des droits de douane aux États-Unis. Cette idée ne semblait pas foncièrement mauvaise dans la mesure où l’on pouvait imaginer qu’elle persuade les deux pays à diminuer leurs droits de douane, voire si l’on se projette vraiment plus loin, qu’elle contribue à accroître le volume de leurs échanges commerciaux.
C’était la vision optimiste à propos de ces droits de douane réciproques. Bien avant le 2 avril, date de l’annonce initiale, nous avions le sentiment que l’objectif poursuivi serait bien plus large. Nous avons ainsi entendu de nombreux griefs à l’égard des pays qui affichent des excédents commerciaux de façon générale, des pays qui appliquent des taxes sur les ventes et des pays qui, d’une manière ou d’une autre, pourraient avoir porté subtilement préjudice aux États-Unis, ou qui sont simplement perçus comme ayant porté préjudice aux États-Unis.
Ainsi, lorsque le 2 avril est arrivé, et l’on nous avait prévenus que cette date serait un grand jour, le monde a effectivement reçu un véritable choc. Les États-Unis ont annoncé des droits de douane relativement substantiels à l’encontre d’une grande partie du monde. Le barème de ces droits a entièrement été déterminé en fonction des pays qui avaient les plus importants excédents commerciaux en pourcentage de leurs exportations vers les États-Unis.
Ce jour-là, la Chine a écopé de droits de douane supplémentaires de 34 %, l’Union européenne, de 20 % et le Vietnam, de pas moins de 46 %. Le Vietnam exporte en masse vers les États-Unis. Et la liste continue, le Royaume-Uni a été frappé de droits de 10 %, etc. Quelques commentaires s’imposent. D’abord, on peut noter que le Canada et le Mexique ont été exclus, comme j’y reviendrai dans un moment.
Ensuite, on pourrait simplement souligner que ces droits de douane ont été suspendus. Je pense que les États-Unis ont reconnu qu’ils avaient peut-être eu les yeux plus gros que le ventre et les marchés ont très mal accueilli cette annonce. En outre, la menace sur l’économie était assez importante. C’est pourquoi nous avons assisté à un revirement spectaculaire. Toutefois, je tiens à souligner que les droits de douane réciproques n’ont pas été abandonnés dans la mesure où, au mieux, il s’agit d’un report de 90 jours.
En outre, les droits de douane n’ont pas été intégralement supprimés durant ce délai de 90 jours, puisque de façon générale, ils ont été ramenés à 10 %, un taux qui reste assez élevé et qui entraîne toujours des conséquences importantes. Il faut donc garder ce sujet à l’esprit. Depuis lors, les choses ont continué à évoluer.
Nous pouvons évidemment souligner que les droits de douane imposés à la Chine ont fortement augmenté, dépassant le chiffre de 100 et plus que vous avez mentionné un peu plus tôt. En toute franchise, compte tenu de la vitesse à laquelle la situation évolue, il est honnêtement difficile de savoir comment tout cela va se terminer. On peut bien sûr faire valoir qu’à partir d’un certain niveau de droits de douane, le chiffre n’a guère plus d’importance, puisque les échanges commerciaux cesseront.
On pourrait soutenir qu’avec les chiffres annoncés, ce niveau a déjà été atteint. Depuis lors, il semble que les téléphones portables, les ordinateurs et certains composants électroniques ont été exemptés d’une partie de ces droits de douane. Il a même été question de réduire légèrement les droits de douane sur les automobiles. Je dis donc beaucoup de choses, mais le point à retenir, c’est que d’énormes droits de douane pourraient en théorie être brièvement appliqués.
Même si les taux ont été revus à la baisse, ils demeurent très importants. La réalité est que de toute évidence, ce sujet n’est pas définitivement tranché, en partie parce qu’une forte incertitude demeure et que des changements sont continuellement annoncés au point qu’il nous est vraiment impossible de prédire avec une grande assurance comment la situation évoluera. Par ailleurs, les droits de douane, y compris ceux en vigueur aujourd’hui, causent d’importants dommages à l’économie.
Je pense qu’il y a eu une énorme perte de confiance dans les États-Unis. Les entreprises peuvent se montrer très réticentes à investir, à embaucher et à prendre des décisions à long terme, compte tenu des fluctuations importantes que connaissent ces droits de douane.
Comment les pays visés peuvent-ils négocier ? En effet, il ne s’agit pas de simplement supprimer leurs propres droits de douane, mais plutôt de gérer un déséquilibre commercial. Par exemple, que peut faire un pays comme le Vietnam ?
Je pense qu’il est très difficile de répondre à cette question. C’est ce qui nous inquiète et qui à nouveau, nous fait penser que ce report de 90 jours est une bonne idée. Ce délai donne évidemment l’occasion aux pays visés d’entamer des négociations. Il sera difficile pour plus d’une centaine de pays de négocier tous en même temps avec un seul pays. Une des leçons que nous avons tirées de la première présidence de Trump est qu’il a fallu plus d’une année à seulement une poignée de pays pour négocier des accords satisfaisants.
C’est pourquoi il règne un certain scepticisme quant à la possibilité de régler rapidement cette question, ce qui laisse croire que l’incertitude se poursuivra et que les droits de douane seront maintenus encore quelque temps. Comme vous l’avez dit, si l’objectif final est de réduire le déficit commercial des États-Unis, il sera difficile à atteindre. Cet objectif sera difficile à atteindre, car évidemment, aucun pays n’exerce un contrôle total et absolu sur son excédent commercial, son déficit commercial ou ses échanges commerciaux.
Et peut-être pour jouer le rôle de l’avocat du diable, on pourrait plaider qu’en ce qui concerne les États-Unis, un pays qui fait peu d’économies ou un pays qui est techniquement un emprunteur net – c’est le cas des États-Unis, en grande partie parce que le gouvernement américain emprunte énormément – ils sont voués, presque par définition, à se retrouver avec un déficit commercial.
Ces deux éléments sont corrélés. Les États-Unis ne doivent pas simplement empêcher d’autres pays de vendre leurs produits à bas prix ou d’essayer de vendre aux États-Unis. Ils doivent également faire davantage d’économies s’ils veulent éviter un déficit commercial. Ce point n’a évidemment jamais été soulevé. Par ailleurs, la trajectoire budgétaire ne semble pas aller dans cette direction.
Je pense donc qu’il s’agit d’un sujet assez complexe. Les pays peuvent accepter de faire des concessions qui n’ont pas spécifiquement d’incidences sur l’ampleur de leur excédent commercial. Ils pourraient s’engager à accroître leurs dépenses militaires. Dans certains pays, dont le Vietnam ne fait pas partie à ma connaissance, les taxes de vente sur les services numériques qui existent, par exemple, au Canada, en Europe et dans d’autres pays pourraient être supprimées.
À mon avis, des concessions peuvent certainement être faites dans ces domaines. Au cours du premier mandat de M. Trump, la Chine avait promis d’acheter davantage de produits américains. Certains pays pourraient donc prendre ce type d’engagement. D’accord, ils s’engagent à acheter plus. Toutefois, pour être honnête, il sera difficile d’évaluer et de confirmer si ces pays achètent réellement plus aux États-Unis. Il faudra probablement revenir sur ce sujet à une date ultérieure.
Il pourrait toutefois faire partie des concessions envisageables. Encore une fois, je pense que les négociations seront ardues. Il est assez facile de dire que nous baisserons nos droits de douane si vous baissez également les vôtres. Quelques pays ont tenté cette approche, mais les États-Unis n’ont pas immédiatement mordu à l’hameçon. L’enjeu n’est donc pas simplement de supprimer les droits de douane des deux côtés.
Nous retenons comme hypothèse que les droits de douane pourraient légèrement diminuer au cours des six prochains mois. En revanche, il est peu probable qu’ils reviennent à leur niveau d’avant le début du mandat de M. Trump. En outre, les dommages substantiels qu’ils ont causés pourraient subsister en partie.
Très bien. Nous pourrions peut-être indiquer rapidement quels sont les pays les plus vulnérables. Nous avons un peu évoqué ce sujet en mentionnant le Vietnam, mais d’autres pays sont également très touchés. En effet, nous savons que ce qui compte, ce n’est pas uniquement l’ampleur des droits de douane, mais aussi le montant de leurs exportations vers les États-Unis.
Oui, exactement. C’est la combinaison de ces deux facteurs qui entrent en jeu : le volume de leurs échanges commerciaux avec les États-Unis et l’ampleur des droits de douane qui leur sont imposés. Même si le montant de leurs échanges avec les États-Unis n’est évidemment pas fixe, il représente un chiffre assez stable, du moins jusqu’à présent.
Comme les taux des droits de douane fluctuent sans cesse, il est difficile d’affirmer les choses avec certitude. Je peux toutefois dire que les trois principaux partenaires commerciaux des États-Unis – en me plaçant du point de vue de ces pays, c’est-à-dire de ceux qui subiraient les dommages les plus graves si leur accès au marché américain était restreint – seraient de loin le Mexique, le Vietnam et le Canada.
Ce sont les trois principaux pays partenaires. Deux de ces trois pays n’ont pas été frappés par les droits de douane réciproques, mais ils ont déjà leurs propres défis à relever sur d’autres sujets. Le Vietnam est de loin le pays qui a été le plus touché, car il entretient des relations commerciales très importantes avec les États-Unis. En fait, c’est lui qui a été frappé par les droits de douane réciproques les plus élevés. On pourrait toutefois en débattre dans la mesure où les droits de douane imposés à la Chine ne cessent d’augmenter.
Les autres pays qui sont très exposés sont pour la plupart des pays d’Asie. C’est logique pour deux raisons. Nombre d’entre eux exportent beaucoup vers les États-Unis, notamment Taïwan, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud, la Thaïlande et l’Indonésie. Comme ils vendent énormément de produits aux États-Unis, ils affichent d’importants excédents commerciaux. C’est la raison pour laquelle ils ont également été frappés par des droits de douane très élevés.
Donc, 32 % pour Taïwan, 24 % pour le Japon, etc. Je tiens toutefois à souligner que, si nous prenons du recul et adoptons un point de vue plus large sur la situation, la plupart des pays du monde, y compris des régions comme l’Union européenne et le Royaume-Uni, et j’ajouterais même un pays comme le Japon, sont certainement dépendants, dans une certaine mesure, de la demande de l’économie américaine.
Néanmoins, de façon générale, seuls 2 % ou 3 % de leur production économique brute sont consommés par les États-Unis. Aussi, sans vouloir minimiser les dommages que la perte de ces 2 % à 3 % pourrait causer, je pense que ces pays parviendraient globalement à encaisser le choc. Ce choc provoquera de sévères difficultés, mais ces pays devraient réussir à les surmonter. Les pays qui font face à des enjeux cruciaux sont le Canada, le Mexique et peut-être aussi le Vietnam. En outre, les États-Unis seront bien sûr durement touchés puisqu’ils sont la contrepartie de tous ces droits de douane. En revanche, je pense que beaucoup de pays s’en sortiront, même s’ils se retrouveront un peu affaiblis.
Enfin, nous pourrions peut-être parler plus longuement de la Chine. Elle fait partie de ces pays qui sont moins exposés aux États-Unis du point de vue des échanges commerciaux. Néanmoins, elle est actuellement frappée par des droits de douane substantiels. Quelles en seront les conséquences ? Évidemment, certains produits bénéficient à l’heure actuelle d’exemptions. Un rétablissement des droits de douane a toutefois été évoqué pour des catégories comme les téléphones portables, mais peut-être sous une forme différente et davantage ciblée.
Quelles conséquences cela peut-il entraîner ? Est-ce le consommateur qui en fera les frais ? Verrons-nous le prix des appareils iPhone dépasser les 3 000 dollars aux États-Unis ? À quoi cela ressemblera-t-il ?
Comme vous l’avez dit, les positions changent constamment. Il est évident que les relations commerciales entre la Chine et les États-Unis représentent des montants très élevés en dollars. Toutefois, s’agissant de deux économies gigantesques, la part de l’économie que chacune dirige vers l’autre est plus limitée qu’on ne pourrait le penser. Seulement 2,4 % de la production chinoise est consommée par les États-Unis.
Avec ce chiffre, j’essaie de vous faire comprendre qui serait pénalisé dans l’histoire. Je suppose que les consommateurs américains seraient touchés de façon disproportionnée, tout comme le seraient certains fabricants chinois ainsi que certains consommateurs chinois. N’oublions pas que les États-Unis vendent des produits agricoles à la Chine. Il y a donc des conséquences et des effets sur les prix des denrées alimentaires, qui pourraient augmenter. Il est néanmoins intéressant de noter qu’en Chine, l’inflation, si elle existe, est trop faible.
La Chine pourrait alors être moins réticente que d’autres pays à subir une légère hausse de l’inflation. À mon avis, l’effet le plus visible sera sur le consommateur américain. Certains produits achetés par les Américains sont fabriqués presque exclusivement en Chine. J’évoque à nouveau le cas des téléphones portables, l’appareil iPhone en particulier, qui serait un exemple classique.
Et comme vous l’avez dit, si vous faites simplement le calcul, après l’application de droits de douane de 140 % et plus, les téléphones portables deviendraient extrêmement chers. Les prix grimperaient à des niveaux incroyablement élevés. En effet, les téléphones coûteraient 2 000 $ voire 3 000 $ et deviendraient bien sûr hors de portée, du moins pour l’acheteur moyen.
Il n’est donc pas surprenant de constater que des exemptions ont été accordées pour ces produits en particulier. J’ai l’impression que c’est la façon dont ces droits de douane fonctionnent. Autrement dit, on annonce d’abord des chiffres très ambitieux, puis il y a un retour à la réalité lorsqu’on réalise qu’un tel niveau de droits de douane est intenable.
Certains ajustements ont été apportés pour s’assurer que la menace est maintenue et que les droits de douane augmentent à nouveau sur les téléphones portables et sur d’autres produits destinés aux Américains. Je dirais néanmoins que l’objectif de l’administration américaine est de garantir la production aux États-Unis. C’est pourquoi nous verrons certainement d’autres relocalisations aux États-Unis.
Il sera impossible d’atteindre cet objectif en l’espace de 30 ou 90 jours. C’est un projet à mener sur plusieurs années. Je serais donc surpris de voir d’importants droits de douane à nouveau appliqués aux téléphones portables ou à d’autres produits similaires de si tôt. Je pense que si les États-Unis s’engagent dans cette voie, il faudra qu’ils augmentent les droits de douane progressivement ou que les taux élevés ne soient appliqués que d’ici trois ans, ou un compromis entre les deux. Autrement, les conséquences seront trop préjudiciables pour les Américains.
Bien qu’il soit remarquable que la Maison-Blanche ait toléré jusque-là les dommages infligés à l’économie et aux marchés, nous avons vu au cours des dernières semaines que sa tolérance n’était pas illimitée. Par conséquent, je suppose que les produits considérés comme essentiels resteront abordables. Nous entendons également quelques rumeurs concernant un possible ajustement des droits de douane récemment introduits sur les automobiles.
Une nouvelle fois, il s’agit encore d’un produit dont les Américains ont besoin. La population grognera fort si ces voitures deviennent beaucoup plus chères.
Très bien. Pourquoi ne pas changer de sujet et parler maintenant du Canada ? Comme mentionné, le pays n’a pas été frappé par ces droits de douane réciproques. Nous sommes toutefois déjà montés sur le ring à plusieurs reprises maintenant. Peut-être pour résumer brièvement la situation, on pourrait indiquer que des droits de douane ont été mis en place sur l’acier et l’aluminium. Même s’ils ne visent pas spécifiquement le Canada, ces droits de douane le touchent de façon disproportionnée.
Ces droits s’élèvent à 25 %. Les droits de douane sur les automobiles atteignent également 25 %. Par ailleurs, tout ce qui n’est pas couvert par l’Accord États-Unis-Mexique-Canada (AEUMC) est également frappé par des droits de douane de 25 %, avec quelques exceptions pour le pétrole, le gaz et la potasse (10 %). À ce jour, avons-nous vu le pire pour le Canada ou bien les choses ne font-elles que commencer ?
Eh bien, il serait honnête d’admettre qu’il est difficile de répondre à cette question. D’ailleurs, cette question résume bien la situation. Commençons par souligner que le Canada est frappé par des droits de douane et que compte tenu de ses relations économiques et commerciales étroites avec les États-Unis, ces droits de douane lui sont préjudiciables dans une certaine mesure. En particulier, les droits de douane sur les automobiles représentent potentiellement un problème majeur.
Il ne s’agit pas de minimiser les conséquences sur l’acier et l’aluminium, ou sur d’autres produits moins exportés. Le Canada est effectivement touché, mais vous avez tout à fait raison de l’avoir souligné, il est très surprenant qu’il ait échappé aux droits de douane additionnels. Pour être honnêtes, avant le 2 avril, nous avions envisagé dans notre pire scénario, je ne sais pas si je devrais l’appeler ainsi, mais en tout cas dans le mauvais scénario, que le Canada serait frappé par des droits de douane de 25 % sur tout, ce qui aurait évidemment été dramatique et aurait fait plonger à coup sûr le Canada dans une récession.
Nous avions établi un bon scénario dans lequel des droits de douane généralisés de 10 % ou 15 % seraient imposés au Canada. Aucun de ces deux scénarios ne s’est concrétisé, ni aucun de ceux sur lesquels nous avions parié, pour ainsi dire. Pour évoquer l’ampleur des difficultés que le Canada rencontre actuellement, je dirais grosso modo que le taux effectif des droits de douane américains sur les produits canadiens serait de l’ordre de 5 % à 10 % à l’heure actuelle. Ce chiffre est bien plus faible que prévu, mais il est loin d’être négligeable. Pour ce qui est de la suite des événements, je suis personnellement sceptique quant au fait que les choses resteront ainsi.
En effet, il est difficile de comprendre comment le Canada et le Mexique sont en quelque sorte passés du jour au lendemain du statut d’ennemis numéro un et numéro deux, il y a encore quelques semaines, à celui d’amis numéro un et numéro deux. On peut noter que lorsque les droits de douane réciproques ont été dévoilés dans la roseraie de la Maison-Blanche, le président Trump a formulé des plaintes à l’encontre du secteur laitier canadien durant son discours officiel.
Ses propos ont donné l’impression qu’il n’en avait pas fini avec le Canada. C’est pourquoi nous sommes enclins à penser que le Canada et le Mexique sont traités différemment, car des négociations officielles auront lieu entre les États-Unis et ces deux pays afin de revoir l’accord AEUMC. Cette revue est officiellement prévue pour le milieu de l’année 2026, mais elle devrait vraisemblablement avoir lieu un peu plus tôt.
Il y a tant d’issues possibles. Dans le cadre de ces négociations, les États-Unis pourraient faire planer la menace de droits de douane plus importants sur le Canada et le Mexique, ce qui encouragerait ces derniers à leur consentir des concessions plus favorables. Des droits de douane substantiels pourraient être imposés au Canada et au Mexique avant le début de ces négociations dans le but de faire monter la pression.
Je soulignerais également que nous nous attendons toujours à ce que des droits de douane soient appliqués à certains secteurs au Canada, notamment aux produits forestiers, au cuivre et aux produits pharmaceutiques. Quant aux puces informatiques, je ne pense pas qu’elles représentent un enjeu essentiel pour le Canada. Par conséquent, les secteurs que je viens de mentionner traverseront certainement des difficultés. Malheureusement, il est plus probable que les droits de douane augmentent qu’ils ne diminuent.
Il serait un peu illusoire de penser que nous pouvons réussir à gérer cette situation exactement comme il le faudrait et avec précision. Vous savez, il y a actuellement un débat intéressant au Canada. Auparavant, une récession semblait inévitable si des droits de douane généralisés devaient être mis en place. Aujourd’hui, cette hypothèse est soudainement devenue un peu moins certaine, quand bien même le pays subira des dommages. Ces dommages pourraient s’aggraver si des droits de douane plus élevés nous étaient imposés.
Très bien. En disant cela, vous faites déjà un peu allusion aux négociations possibles et aux prochaines étapes. Mais parlons de la réponse générale du Canada aux droits de douane. Il y a bien sûr eu la mise en place des contre-mesures tarifaires. À quoi pouvons-nous nous attendre par la suite ?
Le Canada a répondu aux droits de douane qui lui ont été imposés. Les pays ont choisi différents camps. Vous avez des pays qui se montrent très prudents, n’imposent pas de contre-mesures tarifaires aux États-Unis et espèrent négocier. Vous en avez d’autres qui ripostent, peut-être pas à coup de représailles, mais de manière toutefois significative. De toute évidence, je dirais que la Chine et le Canada font partie de ce deuxième groupe de pays.
Le Canada a donc choisi de riposter. Si mes chiffres sont exacts, je pense que le Canada s’apprête à imposer des droits de douane sur environ 60 milliards de dollars canadiens de produits importés des États-Unis. On prévoit que ce montant pourrait augmenter par la suite. Ensuite, il y a eu la réponse aux droits de douane sur les automobiles.
En substance, les droits de douane américains frappant le secteur automobile au Canada et au Mexique ont une incidence directe sur la valeur ajoutée qui n’est pas produite aux États-Unis. Vous pouvez donc voir la part de la valeur ajoutée qui est canadienne ou mexicaine. Le Canada frappe actuellement la valeur ajoutée américaine. Les droits de douane ne sont pas appliqués sur la totalité du prix de la voiture à son entrée au Canada, mais seulement sur la part correspondant à la valeur ajoutée produite aux États-Unis, autrement dit une part potentiellement très importante.
Le Canada a effectivement riposté. Pour être honnête, je ne sais pas si cette stratégie sera gagnante ou non. Il est difficile de le prédire. Évidemment, dans le cas de la Chine, nous constatons une escalade des représailles entre les États-Unis et la Chine. Il est certain qu’une escalade sans fin n’est pas souhaitable. En outre, je pense que la position est de dire, en particulier pour le Canada, que ces droits de douane sont tellement intenables et préjudiciables que le pays n’a d’autre choix que de riposter en infligeant un maximum de dommages aux États-Unis dans l’espoir de leur prouver que cette situation ne leur est pas avantageuse, d’affaiblir la volonté politique et de faire supprimer une partie de ces droits de douane.
De façon ironique, le Canada subit autant que les États-Unis les dommages découlant de l’application de droits de douane aux importations américaines. C’est évidemment aussi le cas dans l’autre sens, lorsque les États-Unis appliquent leurs droits de douane. Néanmoins, le Canada est peut-être en meilleure posture pour camper sur ses positions, étant donné l’enjeu que représente la suppression de ces droits de douane.
Le Canada a donc riposté. Nous verrons bien si cette réponse nous mènera ou non à des représailles envers le Canada. Je pense également que le Canada pourrait alors riposter de nouveau. Je devrais bien sûr souligner que tout cela s’inscrit dans un contexte d’élection. À mon avis, le Canada a probablement répondu de façon un peu plus énergique qu’il ne l’aurait fait autrement. Riposter est politiquement plus populaire.
Nous verrons bien si cette approche évolue ou non par la suite. Mais pour le moment, le Canada se trouve indéniablement dans le camp de ceux qui ont choisi de riposter. Et je pense que nous continuerons à le faire au besoin. Désolé, peut-être Haley, encore une autre réflexion. Au-delà de la simple imposition de droits de douane, vous pourriez me demander s’il existe des mesures non conventionnelles. Nous avons bien sûr jonglé avec l’idée d’appliquer des droits de douane ou des taxes sur les exportations d’électricité.
Et bien sûr, cette idée a été abandonnée assez rapidement. Des mesures plus audacieuses sont envisageables et bien entendu, les taxes à l’exportation font partie de la panoplie de mesures classiques. L’idée serait simplement de rendre certaines choses encore plus chères. Les produits de première nécessité dont les États-Unis ont absolument besoin, comme le pétrole, la potasse ou encore d’autres produits, seraient évidemment visés. Cette option existe.
J’aime à penser qu’elle ne serait exercée qu’en dernier recours, mais elle existe. De même, il serait possible de limiter simplement le volume des exportations. Cela reviendrait à peu près au même. Il est évident que cela nuirait énormément au Canada, mais cela pourrait contribuer à ouvrir les négociations, au besoin. Des mesures non conventionnelles pourraient être engagées pour priver les États-Unis de différentes choses.
À ce stade, je ne m’attends pas à ce que de telles mesures soient prises. Une fois de plus, le grand danger est que les contre-mesures que vous mettez en place finissent par vraiment attirer l’attention des États-Unis. Vous risquez alors d’avoir un sérieux problème. Vous auriez beau lister tous les scénarios dans lesquels les États-Unis seraient mis en grande difficulté s’ils étaient privés de ces quatre millions de barils de pétrole par jour, n’oubliez pas que le Canada est lui aussi très dépendant de beaucoup de produits américains. Il serait donc dangereux de jouer à ce jeu-là. J’espère donc que les choses n’en arriveront pas là et que la situation pourra être résolue par des mesures plus conventionnelles.
Il y a peut-être deux écoles de pensée à ce sujet, mais existerait-il un moyen d’approfondir les relations commerciales à l’échelle mondiale tout comme à l’échelle nationale, en s’attaquant notamment à la question des barrières commerciales provinciales ? Des progrès peuvent-ils être réalisés dans ces domaines ?
Oui, absolument. C’est un excellent point. Malheureusement, ces choses-là prennent du temps. De façon réaliste, nous ne réussirons pas à combler le trou apparu en mars ou avril à la suite des droits de douane avec des solutions potentiellement très bénéfiques, et j’espère qu’elles le seront, mais qui ne se concrétiseront pas avant plusieurs trimestres, années ou même décennies, pour être honnête.
Nous pouvons bien sûr nous tourner, par exemple, vers la Chine ou l’Europe ou encore d’autres pays. La géographie joue un rôle clé dans les échanges commerciaux. Le Canada et l’Europe, par exemple, ont conclu un accord de libre-échange très solide en vigueur depuis un certain nombre d’années maintenant. Des volumes importants ont été échangés.
Toutefois, cet accord avait perdu son intérêt puisqu’il existait un marché considérable juste à côté du Canada. Par conséquent, en cas de maintien des barrières commerciales, le Canada sera certainement incité à accroître ses échanges à l’échelle nationale et avec le reste du monde. Je m’attends à ce que cette piste soit explorée. Néanmoins, les États-Unis représentant plus de 80 % des exportations du Canada, je ne vois aucun scénario dans lequel les États-Unis ne demeureraient pas, et de loin, le principal partenaire commercial du Canada, à l’exception peut-être du scénario dans lequel les droits de douane deviendraient tellement prohibitifs qu’ils créeraient des obstacles insurmontables.
Nous avons vu que des étapes importantes ont été franchies en ce qui concerne la suppression des barrières commerciales entre les provinces. Il faut reconnaître que cela prend du temps, que ce n’est pas aussi facile que de dire qu’on va éliminer ces barrières, parce qu’il ne s’agit pas simplement de barrières, mais de réglementation. De nombreux gains d’efficacité sont possibles. On pourrait par exemple se demander pourquoi il existe dix organismes de réglementation provinciaux différents dans les domaines de la santé, de l’éducation, etc.
Et bien sûr, en suivant ce raisonnement, vous pourriez presque supprimer les rôles et responsabilités des provinces, mais je pense qu’il y a une limite à ne pas dépasser. À tout le moins, il semble qu’il y ait des progrès concernant l’alignement des normes et des certifications professionnelles de manière à favoriser une plus grande mobilité de la main-d’œuvre. Je pense qu’il est possible d’aligner les règles de transport pour permettre aux produits de circuler dans le pays plus librement.
Je crois donc que la volonté est là. Je ne m’attends pas à un miracle, mais je pense que des mesures seront prises. La relation avec la Chine est complexe, car ce pays vient également d’infliger des droits de douane supplémentaires au Canada, en réponse aux droits de douane que le Canada a imposés sur les véhicules électriques chinois pour s’aligner sur la décision des États-Unis. La situation est vraiment devenue ironique.
Il existe néanmoins une certaine marge de manœuvre. En particulier, si par exemple, les produits agricoles américains n’étaient subitement plus vendus en Chine en raison des droits de douane énormes qui les frappent, il y aurait là, à mon avis, une occasion à saisir. Des occasions de débouchés existent également en Europe. Néanmoins, encore une fois, cela ne suffira pas à combler totalement le trou créé par les États-Unis.
Très bien, alors compte tenu des mesures mises en place aujourd’hui , quelles pourraient être les incidences sur la croissance et sur l’inflation ? Évidemment, j’aimerais connaître votre point de vue sur le Canada, mais incluons également les États-Unis.
Très bien. En tant qu’économiste, je finis évidemment par arriver à cette question-là. Malheureusement, les droits de douane causent des dommages économiques importants. Il y a bien eu des droits de douane appliqués au cours du premier mandat de M. Trump, mais leurs incidences sur l’économie sont restées assez mineures. Les dommages infligés pourraient être beaucoup plus lourds cette fois-ci. La difficulté est évidemment d’évaluer à quel niveau se situeront au final ces droits de douane.
Nous avons vu tellement de changements de décisions et de va-et-vient sur la mise en place de droits de douane substantiels que nous ne pouvons pas affirmer qu’il n’y a qu’un seul scénario possible. On peut envisager un grand nombre de scénarios. Dans le meilleur des scénarios, les dommages resteraient plutôt limités, tandis que dans le scénario le plus probable, ils seraient relativement importants sans toutefois entraîner une récession.
Dans certains scénarios, le pays est frappé de plein fouet et plonge dans une récession, voire pire. Tout dépendra donc de la façon dont les droits de douane évolueront. On peut supposer que si les droits de douane réciproques étaient appliqués dans leur intégralité pendant un moment et que le taux effectif des droits de douane américains était de l’ordre de 22 %, voire probablement un peu plus une fois que la Chine aura relevé à nouveau ses droits de douane, le taux moyen des droits de douane américains infligés au monde entier atteindrait disons 15 %. Nous ne parviendrons probablement pas à maintenir la réduction générale des droits de douane réciproques consentie récemment et comme il existe également des droits de douane sectoriels, le taux moyen pourrait s’établir au final à environ 15 %. D’après nos calculs, la croissance économique aux États-Unis pourrait être amputée d’un à deux points de pourcentage. 1,3 % serait notre meilleure estimation, mais je ne veux pas être trop précis compte tenu de la grande incertitude qui plane actuellement.
Les effets sur le taux de croissance économique seraient donc visibles. Au lieu d’enregistrer une croissance de 2,5 % en 2025, l’économie américaine pourrait croître de 1 % seulement, ou un autre chiffre guère plus élevé. L’incidence sur la croissance serait donc très significative, le taux de chômage des États-Unis augmenterait d’un point de pourcentage et l’inflation serait plus forte qu’elle ne l’aurait été. Et ainsi de suite.
C’est une situation qui n’est certainement pas souhaitable. En ce qui concerne le Canada, encore une fois, la situation évoluera en fonction des droits de douane qui lui seront appliqués. Jusqu’à présent, le Canada a échappé aux droits de douane réciproques. En réalité, le Canada se situe dans le bas du barème des droits de douane et serait frappé d’un taux moyen de 5 % à 10 % par les États-Unis. Dans un tel scénario, l’économie se contracterait de 1 % ou 2 %, soit un chiffre finalement similaire à celui des États-Unis.
Les dommages infligés sont similaires, mais le taux moyen des droits de douane est bien sûr inférieur. Les dommages finissent par être plus importants, simplement parce que le Canada est beaucoup plus dépendant de l’économie américaine que les États-Unis ne le sont de leurs partenaires commerciaux. Nous anticipons donc une réelle incidence sur l’économie canadienne. En revanche, si nous nous trompons et que le taux moyen des droits de douane appliqués au Canada atteint 20 % ou 25 %, le pays plongera dans une profonde récession.
À l’heure actuelle, je suppose que c’est là que réside le risque pour le Canada. Évidemment, la Chine est touchée puisqu’elle s’est vu imposer d’énormes droits de douane supérieurs à 100 %. La croissance du pays pourrait donc être amputée de quelques points de pourcentage. J’aimerais croire que le taux moyen des droits de douane appliqué à la Chine diminuera, ce qui pourrait permettre de réduire l’ampleur du choc.
Nous parlons de plusieurs points de pourcentage qui seraient retranchés de la croissance économique, de taux de chômage qui seraient peut-être un point de pourcentage plus élevés qu’ils ne l’auraient été autrement, et de prix qui dépasseraient également d’un point de pourcentage ou d’un peu plus leurs niveaux habituels. Il s’agit du scénario le plus probable à l’heure actuelle.
Et bien sûr, un tel scénario pourrait être évité dans la mesure où il découle simplement d’une décision politique. Il ne s’agit pas d’une pandémie ni d’une crise financière. Néanmoins, nous sommes actuellement en train de revoir à la baisse nos prévisions de croissance. Malheureusement, nous conservons de grandes marges d’erreur, car nous ne savons pas comment les droits de douane évolueront.
Par ailleurs, même si des modélisations complexes sous-tendent nos prévisions, je dois admettre que personne ne sait vraiment quelles incidences peuvent entraîner des droits de douane élevés, puisque nous n’avons pas connu un tel niveau de droits de douane au cours des 50 ou 60 dernières années, voire sans doute depuis presque plus de 70 ans. Il est donc tout à fait normal que pour estimer les dommages que des droits de douane de 20 % pourraient infliger, un modèle multiplie par dix les dommages causés par des droits de douane de 2 %.
Si je devais émettre une hypothèse, je dirais que ces dommages seraient plus que multipliés par dix. La hausse des droits de douane accroît le risque d’infliger des dommages supplémentaires. Ces dommages découlent évidemment de l’incertitude, de la volatilité, voire même du boycottage de certains produits, un phénomène que nous observons actuellement.
En effet, nous constatons une baisse des achats de produits américains dans un certain nombre de marchés, qui ne sont en théorie pas visés par des droits de douane. Pourtant, ce type de mesures entraînera forcément des dommages, lesquels seront à mon avis plus visibles dans les données sur les voyages.
Très bien. Vous nous avez donc parlé de croissance et d’inflation. La croissance diminue et l’inflation augmente. La combinaison de ces deux éléments semble nous mener droit vers une sorte de stagflation. Existe-t-il un risque réel à l’heure actuelle ?
Oui, à mon avis, nous nous dirigeons certainement vers une période de stagflation. Il pourrait y avoir un débat sur la définition de la stagflation, mais je pense que pour parler d’une période de stagflation, il n’est pas nécessaire que celle-ci dure plusieurs d’années. Doit-il s’agir d’une véritable stagnation de l’économie et non seulement d’un ralentissement de la croissance ? Là encore, les définitions varieront, mais elles iront au minimum dans ce sens.
Les droits de douane sont préjudiciables à l’économie de deux manières. D’une part, ils nuisent à la croissance. D’autre part, ils alimentent l’inflation. Ce sont évidemment deux choses que nous souhaitons éviter. Il s’agit effectivement de la définition de la stagflation. Si nous réussissons de nouveau à éviter l’entrée en vigueur de l’intégralité des droits de douane réciproques, nous devrions échapper à une stagnation pure et simple de l’économie.
Nous devrons toutefois composer avec une croissance trop faible. En ce qui concerne les prix, on peut bien sûr argumenter et dire qu’il s’agit d’une évolution ponctuelle du niveau des prix et qu’il n’y a aucune raison pour que les prix augmentent plus rapidement durant les cinq prochaines années. Je pense que ce type d’argument nous éloigne du sujet, car il y a bien un impact supplémentaire sur les prix.
Une période de stagflation se profile, mais peut-être dans une moindre mesure en comparaison avec les années 1970.
C’est vrai. Dans une certaine mesure, il devient délicat pour les banques centrales d’agir, compte tenu probablement de cette composante inflationniste qu’il faut prendre en compte. Nous avons tendance à penser qu’elles prendront des mesures avant tout pour atténuer les impacts sur la croissance plutôt que sur l’inflation. Qu’en pensez-vous ?
Oui. Il s’agit effectivement d’une question délicate pour les banques centrales, comme vous l’avez dit. Une hausse de l’inflation plaiderait pour un relèvement des taux tandis qu’un affaiblissement de la croissance plaiderait pour une baisse. Elles doivent donc généralement mettre en balance ces deux facteurs. En théorie, les banques centrales ont tendance à baisser plus facilement les taux qu’à les augmenter. Elles semblent donc plus promptes à réagir lorsqu’il s’agit de la croissance.
Cette fois-ci, la situation est un peu plus compliquée que d’habitude, car nous faisons face à cette menace de stagflation alors que l’inflation est déjà un peu trop élevée. L’histoire est aussi marquée par des surprises inflationnistes et des anticipations d’inflation qui ne sont pas aussi ancrées que nous le souhaiterions. Je dirais donc que pour ces raisons, les banques centrales ne peuvent probablement pas abaisser les taux autant qu’elles le feraient habituellement.
C’est le discours que les banques centrales ont tenu jusqu’à présent, tout en indiquant qu’elles demeuraient très vigilantes en ce qui concerne l’inflation. En outre, si l’on réfléchit à la combinaison des politiques budgétaire et monétaire et à la meilleure façon de gérer les difficultés économiques, du moins celles découlant des droits de douane, il serait juste de dire que la politique budgétaire serait sans doute l’instrument le plus adapté. Je m’attends à ce que les deux politiques soient actionnées.
Néanmoins, la politique budgétaire est sans doute plus pertinente à l’heure actuelle, parce qu’elle permet des actions plus ciblées, n’est-ce pas ? Les baisses de taux seraient sans doute bénéfiques à tout le monde et stimuleraient tous les secteurs de l’économie. Toutefois, tous les secteurs n’ont pas besoin d’être stimulés, car évidemment le secteur des services n’est pas directement touché par les droits de douane, du moins jusqu’à présent.
En outre, certaines entreprises se retrouvent forcément avantagées lorsque la concurrence étrangère diminue. Il y a donc des gagnants et des perdants, tout comme il y a plus de perdants et de gagnants. C’est pourquoi la situation est compliquée pour les banques centrales. La politique budgétaire peut permettre d’adopter des mesures visant à aider les entreprises et les secteurs qui sont touchés. Vous pouvez agir de façon plus directe.
Par conséquent, si les choses empirent, je pense que nous verrons un assouplissement de ces deux politiques. À mon avis, la politique budgétaire sera davantage actionnée que la politique monétaire. Mais pour répondre à votre question de façon explicite, Haley, on peut effectivement s’attendre à de nouvelles baisses de taux.
Très bien. Excellent. Pourquoi ne pas conclure en évoquant les incidences sur les marchés ? Nous avons évidemment vu les actions dégringoler dans les jours qui ont suivi l’annonce du Jour de la libération, tandis que les obligations ont pleinement joué leur rôle consistant à assurer la stabilité dans les portefeuilles, du moins à ce moment-là. Mais ensuite, nous avons vu les taux obligataires remonter, ce qui était à la fois intéressant et un peu inquiétant.
Selon vous, comment les marchés pourraient-ils évoluer à partir de maintenant ?
Eh bien, je suppose qu’on peut commencer par le marché boursier. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est assez simple de prédire la façon dont les actions réagiront à l’imposition de droits de douane. Comme il nous l’a déjà montré, le marché boursier a mal réagi à l’annonce des droits de douane. Il n’apprécie pas le ralentissement de la croissance économique, qui se traduit directement par une baisse des bénéfices.
En outre, on pourrait également souligner que ce type d’incertitude liée au risque politique engendre une aversion pour le risque qui prévaut sur toute prévision rationnelle de croissance économique et qui peut également entraîner des incidences. Toutes ces choses créent de l’agitation. Il convient de noter qu’à partir du moment où l’on soustrait un ou deux points de pourcentage à la croissance économique, les bénéfices des entreprises tendent à être assortis d’un bêta plus élevé.
Les bénéfices ont tendance à être plus volatils et, de façon générale, à connaître des fluctuations plus fortes que l’économie. Dans notre cas, on pourrait soutenir que ces incidences pourraient devenir encore plus importantes, simplement parce que si nous parlons de grandes entreprises, ce sont souvent des entreprises multinationales. Elles sont donc très dépendantes des échanges commerciaux. De fait, elles sont bien plus sensibles à la demande étrangère et, par conséquent, à l’offre étrangère, que ne l’est le PIB des États-Unis.
C’est pourquoi le marché boursier subit d’importantes corrections en ce moment. Je pense qu’il est difficile de savoir si ces corrections ont été suffisantes ou non. Cela dépendra du niveau qu’atteindront au final les droits de douane. À mon avis, les incidences resteront à peu près proportionnelles à celles que nous avons observées jusqu’à présent. Si vous pensez que des droits de douane modérés seront appliqués par la suite, le marché pourrait repartir à la hausse.
Toutefois, à l’heure actuelle, il est évidemment prématuré de dire si nous avons atteint ou non un quelconque point bas. Je m’en tiendrai donc là. En ce qui concerne les taux obligataires, il est bien plus délicat de prédire ce qui pourrait se passer, car les droits de douane nuisent à la croissance, ce qui tire les taux vers le bas, et ils alimentent l’inflation, ce qui tire les taux vers le haut.
Il y a donc à la fois une incidence à la hausse et à la baisse. L’aversion pour le risque entraîne généralement une diminution des taux, qui comme vous l’avez dit, a été observée dans un premier temps, puis s’est arrêtée. En effet, il existe une variable supplémentaire qui ne fait habituellement pas partie de l’équation. Il semble qu’il y ait une légère perte de confiance dans les États-Unis. Je suppose que cela a du sens dans la mesure où tout l’ordre mondial est actuellement bouleversé.
Je pense donc que certains investisseurs remettent actuellement en question l’orientation de leurs flux vers les marchés américains. Évidemment, un grand nombre d’investisseurs ont surpondéré les titres américains. Compte tenu des très bons rendements enregistrés, en particulier dans le marché des actions, au cours des dix dernières années, les investisseurs ont fortement surpondéré les États-Unis. Aujourd’hui, ils pourraient se demander s’il est pertinent de maintenir cette surpondération alors que la politique américaine est devenue imprévisible.
À l’heure actuelle, les États-Unis semblent avoir un peu perdu de leur attrait à bien des égards. Par conséquent, nous avons récemment observé des ventes massives d’obligations. Les conséquences ne sont donc pas très claires quant à savoir lequel de ces éléments prédominera. Au minimum, nous pouvons dire que nous n’observons pas une franche augmentation de la demande en obligations qui fait baisser les taux, comme on pourrait normalement s’y attendre.
Il en va de même pour le marché des changes. Quel que soit le scénario des droits de douane, on pourrait s’attendre à ce que le pays qui impose ces droits de douane bénéficie d’un taux de change plus élevé. Cela supposerait un renforcement du dollar américain. De toute évidence, ce n’est pas ce que nous observons aujourd’hui. Cela s’explique en partie par le fait que certains pays prennent des mesures de rétorsion, ce qui brouille les pistes quant à la vraie incidence sur les taux de change.
On se serait quand même attendu à constater un renforcement du dollar. Au lieu de cela, le dollar s’est affaibli. C’est peut-être la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Tout le monde savait que le dollar américain était cher, tout comme tout le monde savait que les actions américaines se négociaient à des prix élevés par rapport aux actions des autres pays.
Les choses fonctionnaient et personne ne les remettait en question. Maintenant que les gens perdent un peu confiance dans les États-Unis et dans le processus de prise de décisions, et que le statut de monnaie de réserve du dollar s’érode quelque peu, le dollar s’affaiblit. J’imagine donc que si les droits de douane devaient augmenter, le dollar pourrait chuter encore davantage. Nous prévoyons qu’au cours des prochaines années, le dollar américain pourrait continuer à baisser.
Intéressant. Très bien. Merci, Eric. J’ajouterai donc, à l’intention de nos auditeurs du secteur institutionnel, que les fortes fluctuations des marchés observées au cours des deux dernières semaines ont probablement entraîné une dérive de la composition de l’actif dans l’ensemble des portefeuilles. En cette période de volatilité, j’encourage donc chacun à garder un œil attentif sur ce sujet. Il est également important de rappeler que ce n’est ni la première ni la dernière fois que nous sommes confrontés à des marchés volatils, et que la situation actuelle comporte clairement des risques.
Néanmoins, ce type d’environnement offre de bonnes occasions aux gestionnaires actifs.
Absolument.
Très bien.
Alors merci Eric. Merci encore une fois d’avoir participé à ce balado et de nous avoir fait profiter de votre expertise. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants.
Tout le plaisir est pour moi ! Je suis à votre disposition à tout moment.
Merci à tous nos auditeurs. Nous espérons que vous vous joindrez de nouveau à nous la prochaine fois.
Conférencier invité :
Eric Lascelles, premier directeur général et économiste en chef, RBC Gestion mondiale d’actifs Inc.
Animatrice :
Haley Hopwood, gestionnaire de portefeuille institutionnel, PH&N Institutionnel
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