Les taux d’intérêt ont monté en flèche au cours de la dernière année, alors que les banques centrales du monde entier luttent contre une inflation problématique. Le durcissement monétaire a une visée essentiellement économique : refroidir les marchés résidentiels, ralentir l’économie et maîtriser l’inflation.
Par contre, une pression involontaire peut alors s’exercer sur le système financier, surtout dans un contexte où le resserrement monétaire est aussi important que celui de l’année dernière, et où les taux d’intérêt ont été exceptionnellement bas pendant une longue période auparavan.
On l’a vu brièvement l’automne dernier au Royaume-Uni, quand certains fonds de pension ont rencontré des difficultés à la suite d’une flambée particulièrement soudaine des taux des obligations britanniques. En fin de compte, une intervention du gouvernement a permis de résoudre la situation.
Actuellement, certaines banques régionales des États-Unis subissent des pressions. Ces petites banques sont moins rigoureusement réglementées que leurs homologues d’envergure et détiennent généralement moins de capital en guise de protection contre les événements défavorables.
“Étant donné que les taux d’intérêt ont augmenté, la valeur des obligations détenues par les institutions financières a fléchi. Dans des circonstances normales, un tel repli a peu d’importance, car les obligations sont habituellement conservées jusqu’à leur échéance, moment auquel leur prix revient à sa pleine valeur nominale.”
Cependant, si les dépôts d’une banque sont retirés à un rythme exceptionnellement rapide, la banque pourrait devoir vendre prématurément une partie de ses obligations de façon à disposer des liquidités nécessaires pour rembourser les déposants. Cela a pour effet de cristalliser les pertes sur obligations, et gruge le capital de la banque.
Une telle situation est d’ordinaire désagréable, mais pas catastrophique. Toutefois, dans le cas d’une petite poignée de banques américaines – surtout la Silicon Valley Bank – le problème s’est avéré insurmontable. Les déposants ayant quitté la banque à un rythme accéléré, elle a dû vendre trop d’obligations à perte ; son capital s’est ainsi érodé et elle est devenue insolvable. La banque a depuis été reprise par la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC).
Il est important de comprendre que la Silicon Valley Bank était particulièrement mal placée pour résister aux récentes pressions. Parmi ses déposants figuraient un nombre disproportionné de petites sociétés de technologie. Le secteur de la technologie ayant été malmené au cours de la dernière année, le financement s’est tari et ces entreprises ont régulièrement puisé dans leurs dépôts bancaires pour rester à flot. En outre, la Silicon Valley Bank avait un portefeuille de prêts relativement modeste. Ses actifs étaient donc composés de façon disproportionnée de titres à revenu fixe qui ont perdu de la valeur à mesure que les taux ont augmenté. Ces ennuis ayant été portés à l’attention du public, ses efforts pour recueillir des fonds sur les marchés financiers ont échoué et les déposants ont retiré leur argent à un rythme croissant, scellant ainsi le sort de la banque.
Bien que seul un faible nombre de petites banques américaines aient connu un sort semblable, de nombreuses autres ont suffisamment d’avoirs en obligations pour être considérablement plus fragiles que d’habitude.
Afin d’éviter une vague de faillites supplémentaires, le gouvernement américain a adopté, au cours de la fin de semaine, de nouvelles politiques visant à réduire le risque de contagion.
- Alors que les clients dont les dépôts sont supérieurs à 250 000 $ dans une banque en faillite sont normalement exposés à des pertes, la FDIC a promis que tous les clients de la Silicon Valley Bank récupéreront leur argent, une mesure éventuellement financée par une surtaxe spéciale imposée à l’ensemble du secteur bancaire. Cette intervention spéciale visait probablement, tout au moins en partie, à éviter d’autres retraits massifs semblables, mais elle était aussi motivée par le fait que plus de la moitié des petites entreprises de technologie les plus prometteuses aux États-Unis étaient des clients de la banque et avaient des dépôts excédant nettement la limite de la protection d’assurance.
- La Réserve fédérale a également établi un nouveau programme de financement à terme bancaire pour les liquidités qui permet aux banques américaines d’échanger leurs obligations à la valeur nominale contre des espèces pendant une durée maximum d’un an. Ainsi, même si les obligations valent actuellement moins de 100 cents par dollar, la Fed prêtera aux banques la totalité du dollar, ce qui servira à garantir leur liquidité et leur solvabilité technique pendant un an. Un piège est que le coût du financement est assez élevé et que le recours à un tel programme comporte toujours un risque réputationnel, de sorte que les banques voudront éviter de trop s’en prévaloir.
Par conséquent, même si d’autres retraits massifs demeurent possibles, le gouvernement américain en a sans doute fait assez pour qu’une telle évolution soit illogique : la grande majorité des banques devraient disposer de liquidités suffisantes pour répondre aux besoins de leurs clients.
“D’un point de vue économique, les récentes faillites bancaires n’aident manifestement pas. À notre avis, l’économie se dirigeait déjà vers une récession. Aujourd’hui, les conditions financières se sont un peu resserrées et la prise de risques économiques va probablement diminuer légèrement. Nous maintenons donc notre opinion de longue date selon laquelle la récession qui approche sera graduellement pire que ce que prédisaient les analystes.”
Néanmoins, ce n’est pas tant le scénario de base qui a sensiblement changé que les risques qui l’entourent. Il est assurément plus facile d’envisager un risque baissier plus important imputable à des tensions dans le secteur bancaire à l’avenir, qu’il s’agisse de la faillite d’autres banques régionales américaines ou de certaines institutions financières internationales vulnérables. De façon générale, l’augmentation des taux d’intérêt pénalise presque tous les acteurs endettés, y compris les emprunteurs souverains, les marchés privés à effet de levier, etc. Des pressions pourraient venir de n’importe laquelle de ces entités.
La façon dont la politique monétaire réagira à ce dernier choc soulève un vif débat. La trajectoire prévue, il y a à peine une semaine, était un resserrement monétaire légèrement plus important.
Le président de la Réserve fédérale américaine, M. Powell, avait signalé qu’il y aurait au moins deux nouvelles hausses de taux, et laissait entendre que d’autres mesures pourraient être nécessaires pour juguler la récente vigueur des données économiques et l’inflation tenace. Désormais, le marché se demande si la Fed décrétera ne serait-ce qu’une seule hausse de taux de 25 points de base au cours des deux prochaines réunions, et prévoit un début de réduction des taux en juillet 2023.
Le brusque revirement des attentes concernant la politique de la banque centrale semble exagéré. Il ne fait pas de doute que le choc modérera l’optimisme dans une certaine mesure, et que les conditions de crédit, qui se resserraient déjà, deviendront sans doute un frein encore plus important à la croissance future. Cependant, l’inflation est encore trop élevée et la croissance encore trop rapide, et ces éléments nécessitent une politique monétaire plus stricte.
La réaction du gouvernement à la crise bancaire jusqu’à présent semble crédible. Les banques centrales devraient donc se montrer plus prudentes qu’auparavant à l’égard du resserrement de leur politique monétaire, mais il est peu probable qu’elles réduisent leurs taux à ce stade. Si la crise se propageait et que le ralentissement économique s’intensifiait en conséquence, la réaction habituelle des banques centrales consistant à réduire les taux d’intérêt mettrait en péril les gains récents au chapitre de l’inflation ; il en découlerait des conditions favorables à un resserrement encore plus pénible dans les mois suivants et, en fin de compte, une récession plus profonde à l’avenir. Il ne faudrait donc pas se réjouir d’éventuelles baisses de taux.
Ce qu’il faut retenir, c’est que les taux d’intérêt plus élevés ralentissent l’inflation et affaiblissent l’économie, tout en exposant les vulnérabilités des systèmes financiers. C’est ce dernier élément que l’on observe actuellement. Notre scénario de base pour l’économie était un peu moins favorable que l’atterrissage en douceur intégré dans les prévisions générales. Désormais, le stress dans le système financier indique que les risques de baisse l’emportent probablement sur la possibilité d’une remontée inattendue. Même si une approche relativement prudente en matière de placements demeure appropriée à court terme, soulignons que les événements financiers majeurs entraînent souvent des mesures de relâchement de la politique monétaire, un creux dans l’activité économique et, en fin de compte, une reprise des bénéfices des sociétés et une remontée de la confiance des investisseurs.
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