Dan Chornous, chef des placements, présente ses perspectives pour l’économie mondiale en 2024, explique les risques qui pourraient empêcher un atterrissage en douceur de l’économie et expose ses vues sur la composition de l’actif dans le contexte actuel.
Durée : 14 minutes, 18 secondes
Transcription
Quelles sont vos perspectives pour l’économie mondiale ?
Nous avons surmonté le gros temps des 18 derniers mois, les conditions monétaires commencent à s’assouplir, et nous observons déjà des baisses de taux dans une grande partie du monde, lesquelles seront suivies, dans les prochaines semaines, à mi-septembre, par des baisses de taux aux États-Unis. Donc, dans six mois, non seulement nous profiterons du relâchement des conditions monétaires actuellement serrées, mais nous ressentirons aussi le soulagement lié à la baisse des taux d’intérêt.
Depuis un certain temps, nous espérons un atterrissage en douceur de l’économie. Et vous savez, ce scénario n’est pas gagné, mais nous sommes plus convaincus qu’il se réalisera. Vous savez, les menaces sont évidentes au vu de certaines données économiques. Les indices PMI sont nettement au-dessous de leurs sommets, bien que l’indice PMI des services commence à se redresser. Nous verrons sûrement une remontée des défaillances par rapport à leurs creux, en raison de la hausse des taux d’intérêt.
Les conditions de l’emploi sont moins solides qu’elles ne l’étaient, mais si l’on tient compte de toutes ces choses, la situation ressemble plus à une normalisation des conditions économiques qu’à une plongée dans la récession. Comme je l’ai dit, lorsque nous sortirons du resserrement passé et finirons par profiter des réductions de taux déjà observées dans le reste du monde, nous prévoyons un risque de récession de 35 %, 40 % pour l’année à venir.
Ce risque peut sembler élevé. D’un autre côté, nous pourrions dire que la probabilité d’un atterrissage en douceur est de 60 % ou 65 %. Et c’est sous cet angle que nous choisissons de voir les choses.
Quels sont les principaux risques qui pourraient compromettre un atterrissage en douceur de l’économie ?
Les conditions monétaires pèsent de moins en moins sur les perspectives, à mesure que nous cheminons vers des baisses de taux, mais nous ne pouvons pas écarter les risques macroéconomiques qui existent sur les marchés. Avant tout, nous devons avoir à l’esprit la situation en Russie, en Ukraine et au Moyen-Orient. Ces conflits ne sont pas encore résolus, et ils pourraient même s’intensifier au risque d’aggraver encore plus la situation. La Chine représente un problème depuis longtemps, avec le ralentissement de sa croissance dans le contexte d’une dette énorme.
Tout cela nous semble encore flou. Il ne semble pas que la situation se détériore. Nous pourrions même avoir une croissance du PIB de 5 %. Mais, vous savez, étant donné leur niveau d’endettement, nous devons aussi garder un œil de ce côté. Bien sûr, à très court terme, dans la partie très courte de cet horizon prévisionnel, nous allons avoir une nouvelle administration à Washington, qui pourrait être démocrate ou républicaine.
Les deux partis ont des politiques très distinctes qui auront des impacts différents sur les marchés. Il s’agit d’élections importantes et qui se rapprochent très vite. Et c’est une autre chose qui pourrait déstabiliser les marchés. À plus long terme, nous allons plus nous concentrer sur les niveaux de la dette souveraine, et moins nous inquiéter de l’inflation qui domine toutes les conversations.
Peut-être qu’elle a été évincée par les niveaux de la dette souveraine. Le coût de l’aide déployée pour faire face à la pandémie a été imputé aux comptes de la dette souveraine. Remarquez que les niveaux d’endettement de presque tous les pays du G7, notamment six des sept pays du G7, se situent bien au-dessus de 90 % et vont jusqu’à 100 %. Les travaux réalisés par Reinhard Rogoff peu après la crise financière mondiale ont montré qu’une fois que la dette atteint 100 % ou même 90 % du PIB, la croissance du PIB diminue de 1 à 1,5 % par an.
De toute façon, le PIB ne progressera pas de façon considérable à l’avenir. C’est un nouvel élément qui pèsera sur la croissance et que nous devons surveiller. Nous nous pencherons sur ces données à très court terme et à très long terme. Elles demeureront au cœur de nos préoccupations.
Quel est votre point de vue à l’égard de l’inflation ?
Je crois que toutes les conversations des deux dernières années se sont concentrées sur ce qui se passe à cause de l’inflation. Nous avons commencé par une erreur monumentale en 2022, en janvier 2022 si je me souviens bien, où les prévisions consensuelles se situaient autour de 2 % ou 2,5 % d’inflation pour l’année. Et au moment des derniers chiffres sur l’inflation en décembre, nous étions proches de 8 % ou 9 %.
Ces données ont déclenché une réaction massive sur le front de la politique monétaire, avec au départ d’énormes hausses de taux qui ont déstabilisé l’économie alors que les banques centrales devaient faire deux choses. Premièrement, abaisser sensiblement le taux d’inflation au niveau de 2 % considéré comme optimal ou supportable, et deuxièmement, rebâtir leur réputation comme entités capables de combattre l’inflation. Cela semble avoir fonctionné partout, vous savez, sauf au Royaume-Uni, parmi les pays du G7.
Nous avons maintenant un taux d’inflation de moins de 3 %, et ils sont à peine au-dessus. Selon nos propres prévisions, bien que cette dernière ligne droite s’annonce compliquée (il est facile de passer de 8 % à 7 %, mais plus dur de passer de 3 % à 2 %), nous devrions arriver sous les 2,5 % à la fin de 2025. Et probablement plus près de 2 % en 2026. C’est donc un problème qui est en train de sortir de la scène, une préoccupation de plus en plus éloignée.
Il est important de noter qu’à long terme, lorsque nous examinons les attentes d’inflation, qui sont en fait plus pertinentes que les taux d’inflation officiels, ces attentes sont solidement ancrées. Aux États-Unis, les primes liées à l’inflation à long terme sont de 2 %, soit un peu moins qu’au Canada. Les banques centrales ont donc gagné cette guerre. Elles ont vaincu l’inflation. Elles sont en train de la ramener au niveau supportable de 2 %.
Elles ne sont pas loin de leur cible, et elles ont reconstruit leur réputation. Il s’agit d’un élément très important de la politique macroéconomique.
Quelle est votre opinion au sujet des titres à revenu fixe ?
Deux grands thèmes devraient toucher les marchés des titres à revenu fixe au cours des 12 prochains mois. Le premier est déjà parmi nous, les baisses de taux. Cette année, la plupart des banques centrales ont déjà commencé à réduire leurs taux à la fin du printemps et au cours de l’été. Les États-Unis leur emboîteront le pas dans les prochaines semaines. Le marché des contrats à terme laisse entrevoir 2 % de baisses des taux à court terme dans les 12 prochains mois aux États-Unis, et cela pourrait se concentrer sur la première partie de la courbe, car les derniers signes d’apaisement de l’économie sont plutôt encourageants.
Nous aspirons à un peu moins que cela, c’est-à-dire 150 points de base ou 1,5 %. Ce qui est important, c’est que nous connaissons déjà la direction probable des taux d’intérêt à court terme pour les 12 prochains mois, et que la pente est nettement descendante. Nous n’avons plus besoin d’une rupture de l’économie pour faire baisser l’inflation. Tout est bien en main. Toutefois, si nous regardons la courbe…
Nous avons vu deux grands mouvements dans les taux d’intérêt à long terme au cours des 12 ou 14 derniers mois. Tout d’abord, nous avons observé une chute de 5 % du rendement des obligations du Trésor à dix ans, soit le rendement de référence mondial, qui est passé sous la barre des 4 %. Puis une remontée vers un niveau proche de ces 5 %. Et maintenant, nous sommes de nouveau sous les 4 %. À notre avis, nous ne sommes pas loin du creux des rendements,
probablement autour de 3,75 %. Vous savez, les baisses de taux vont contribuer à y arriver. Elles vont ouvrir la voie à des rendements un peu plus bas. Toutefois, si nous regardons de près le cycle des baisses de taux et l’incidence de ces baisses sur les rendements à long terme du marché obligataire, et nous avons été un peu surpris lorsque nous avons vu les données, nous pourrions penser que le déclin des taux d’intérêt à court terme donnera encore plus de marge de manœuvre à une chute des rendements des obligations à long terme.
L’histoire nous enseigne que la majeure partie du déclin s’est déjà manifestée au moment où la Fed intervient. Vous savez, cela est démontré par les cycles qui se sont déroulés depuis le début des années 1950. Si nous remontons à la date de la première réduction de taux, nous avons généralement un effet modeste sur les rendements des obligations à long terme. Ils descendent un peu au cours du premier mois et du deuxième mois, au-delà de cette première baisse de taux.
Entre le deuxième et le septième mois, ils ne bougent pas beaucoup, quel que soit le comportement de l’économie. On pourrait penser qu’un atterrissage brutal, et ce n’est pas ce que nous attendons, mais nous pensons qu’un atterrissage brutal ouvrirait plus de possibilités de chute des rendements des obligations à long terme. Mais dans la plupart des cas, ce n’est pas ce qui s’est produit.
Qu’il s’agisse d’un atterrissage en douceur ou d’un atterrissage brutal, au dernier jour du septième mois, les rendements n’auront pas fait grand-chose. En général, nous commençons à voir un redressement, même en cas d’atterrissage brutal, au-delà du septième mois. La raison est que le marché est devenu indifférent à ce qui se passe en ce moment dans l’économie. Une reprise est maintenant attendue, quel que soit le type de faiblesse qui a été ressenti.
Aujourd’hui, si nous descendons autour de 4 % ou 3,75 %, ce niveau pourrait être le plus bas que nous connaîtrons, ce qui signifie que vous gagnerez votre coupon et un peu de gain en capital. Donc notre propre modélisation soutient cette thèse. Si nous regardons nos canaux de juste valeur, les fourchettes d’équilibre pour les titres à revenu fixe, nous pouvons dire, vous savez, que nous nous sommes habitués à un taux d’intérêt réel négatif au cours des deux ou trois dernières années, mais cela s’explique en grande partie par l’aide déployée pour faire face à la pandémie.
À présent que nous sommes sortis de la pandémie, nous pouvons nous attendre à ce que les taux réels reviennent vers 0 ou 1 %. Si nous avons un taux d’intérêt réel de 1 %, avec une prime d’inflation et une prime de terme normales, alors le niveau de 3,5 % est à peu près le taux d’intérêt le plus bas auquel nous pouvons nous attendre dans le cycle à venir. Au-dessous de 4 %, nous sommes dans les dernières manches de l’allègement des taux d’intérêt à long terme. Nous pensons que vous gagnerez votre coupon et peut-être un peu de gain en capital au cours des 12 prochains mois. Mais la fin est proche pour le déclin des taux d’intérêt à long terme.
Quel est votre point de vue à l’égard des actions ?
La volatilité a connu deux mouvements à la hausse au cours de l’été, après une longue période de calme. Le premier mouvement a eu lieu en juillet avec le dénouement partiel des opérations de portage sur le yen, alors que la Banque du Japon augmentait les taux d’intérêt japonais. Le deuxième mouvement a fait suite à l’envolée des sociétés à grande capitalisation du secteur technologique. Vous savez, l’intérêt pour l’IA, et c’est un intérêt tout à fait justifié, a propulsé certaines actions comme Nvidia vers des niveaux de valorisation très élevés.
Une autre façon de voir les choses est que le niveau de valorisation est exigeant au vu de la future croissance des bénéfices. Les gains récents sont spectaculaires si nous les comparons à n’importe quelle société de l’économie, mais pas suffisants, apparemment, pour maintenir les hauts niveaux de valorisation auxquels les actions se négocient actuellement. En fait, selon nos calculs, même aux prix les plus bas auxquels se négocient les Sept Magnifiques actuellement, il leur reste des défis à relever pour produire le genre de croissance des bénéfices capable de soutenir ces prix.
Cependant, en dehors des Sept Magnifiques, nous voyons quelque chose de très différent. Vous savez, le marché américain, que nous avons tendance à examiner en premier pour les valorisations, dans le monde entier, est fortement dominé par les valorisations des Sept Magnifiques. Si nous excluons les Sept Magnifiques, par exemple, si nous regardons les valorisations moyennes non pondérées, nous constatons que les marchés sont très proches de ce que nous calculons comme leur juste valeur.
En dehors du marché américain, si nous regardons le reste du monde, que nous regardions le Canada, le Royaume-Uni, la zone euro, les marchés émergents, ils demeurent au-dessous de la juste valeur, même s’ils ont dégagé de robustes rendements. Les rendements ont été plutôt bons au cours de l’année dernière. Bien loin des rendements des Sept Magnifiques ou de l’indice S&P 500 pondéré en fonction de la capitalisation boursière, mais supérieurs aux rendements moyens historiques.
C’est parce que leurs bénéfices ont bien augmenté, et nous prévoyons une poursuite de cette tendance jusqu’à la fin de 2024 et en 2025. Il existe donc un scénario où ce marché à la hausse pourrait se maintenir. Y compris sans tenir compte de la prédominance des Sept Magnifiques. Et ce scénario est que, même si nous revenons de loin, les marchés restent au niveau ou en dessous de ce que nous calculons comme la juste valeur.
Les estimations de bénéfices réalisées par les analystes montrent encore des progressions en 2025 et peut-être même en 2026. Et les marges ont suivi ce rythme. Si l’économie reprend vie à mesure que les baisses de taux feront effet, les marges pourraient commencer à augmenter. Les bénéfices pourraient dépasser les attentes des analystes, parce que les prévisions ne sont pas vraiment élevées. Sans compter que nous partons de valorisations raisonnables. Dans ce scénario, à condition qu’un nouveau leadership émerge, ce qui est probable, le marché à la hausse pourrait se poursuivre.
Alors nous avons donc passé beaucoup de temps à nous demander qui pourraient être ces nouveaux leaders. Vous savez, si les Sept Magnifiques cessent de dominer le marché, si l’IA cesse d’attirer toute l’attention, qui prendra le relais ? Eh bien, il y a plusieurs possibilités. Tout d’abord, peut-être que les marchés hors des États-Unis finiront par se rattraper par rapport aux États-Unis.
Bien sûr, ils se situent à des niveaux de valorisation bien plus attrayants. Peut-être qu’après une dizaine d’années de rendement négatif par rapport à la croissance, la valeur commencera à monter. Peut-être que les sociétés à moyenne ou petite capitalisation commenceront à devancer les grandes capitalisations, après une décennie de rendement inférieur. Donc nous suivons ces sociétés de très près, ainsi que les tendances de force relative. Pour savoir si elles émergeront en tant que nouveaux leaders capables de soutenir le marché à la hausse en 2025.
Comment la composition de l’actif recommandée est-elle positionnée dans l’environnement actuel ?
En fait, nous avons eu un été assez chargé en ce qui concerne la composition tactique de l’actif. En juillet et en août de cette année, nous avions une légère surpondération des titres à revenu fixe, en raison de la baisse des taux attendue étant donné que la Fed avait terminé sa campagne contre l’inflation. Eh bien, ce positionnement a largement pris fin. Et il y a le risque que l’économie finisse par s’accélérer.
De toute façon, il n’y a pas beaucoup de hausse à espérer dans le contexte des réductions de taux attendues. Et, vous savez, le niveau cible des rendements des obligations n’est pas beaucoup plus bas que nos niveaux actuels. Nous avons donc commencé à réduire notre pondération des titres à revenu fixe à un niveau neutre, au fil de l’été, et en ce moment elle est même légèrement inférieure. Nous avons converti ces fonds en liquidités, ce qui a permis de maintenir une pondération neutre en actions et une sous-pondération en obligations.
En réalité, nous avons débattu de la possibilité de réinvestir une partie de ces liquidités sur le marché boursier, en raison de la situation raisonnable et de l’atterrissage en douceur attendu pour l’économie, indiquant que le cycle pourrait se prolonger. Que surveillons-nous ? Nous aimerions voir si les Sept Magnifiques pourraient connaître une correction.
Et nous pourrions assister à un transfert de leadership des thèmes axés sur l’IA vers d’autres thèmes susceptibles d’émerger sur les marchés, avec des valorisations beaucoup plus attrayantes. Des choses comme les petites et moyennes capitalisations, des choses comme les marchés internationaux, en dehors des États-Unis, et des choses comme les sociétés plus axées sur la valeur, par rapport à la croissance, dans le cycle à venir.