De nombreux gestionnaires de portefeuille qui sont en poste depuis aussi longtemps que moi estiment que les changements ont été trop importants. Ce n’est pas mon avis. Depuis toujours, la sélection des titres consiste à prédire les résultats financiers, car ceux-ci sont censés déterminer le prix des actions.
Lorsque j’ai fait mes premiers pas dans le secteur, le travail acharné et la diligence étaient largement récompensés par le rendement. Il suffisait de recueillir toutes les données comptables d’un groupe de sociétés et de les analyser pour mettre en évidence les tendances en matière de rendement financier. Dans la mesure où ces tendances se maintenaient, il était possible de prévoir les résultats futurs et, par conséquent, de générer des rendements supérieurs.
Cependant, la technologie a généralisé l’accès aux données financières. En outre, le temps nécessaire à leur traitement et à leur analyse ne se compte plus en jours, mais en secondes. L’analyse financière s’est donc industrialisée.
Un nouveau type de gestionnaire de portefeuille a émergé. Le gestionnaire quantitatif traite un volume considérable de renseignements financiers relatifs à une multitude de sociétés en une fraction de seconde. Grâce à des algorithmes complexes, il classe les sociétés par pays, secteur, industrie, momentum, taille, valeur, etc. Il prévoit ainsi leur rendement financier de façon plus précise. Ces éléments l’aident à bâtir des portefeuilles bien diversifiés, capables d’obtenir une bonne part du rendement supérieur produit par le gestionnaire traditionnel.
Comment un simple sélectionneur de titres peut-il tirer son épingle du jeu ? On aurait pu croire que les analystes rationnels de ce type rangeraient leurs crayons et rentreraient chez eux. Or, l’analyse traditionnelle des actions se porte bien.
La situation a amené un grand nombre de détenteurs d’actifs, de consultants et de conseillers à croire que les marchés sont actuellement très efficients. Les données montrent toutefois que les cours des actions varient énormément. Malheureusement, les investisseurs adeptes de la sélection des actions ne parviennent pas à exploiter ces écarts pour générer des rendements supérieurs, selon moi.
Il me paraît évident que le rendement financier futur ne dépend pas uniquement de ce qu’il a été dans le passé. Il est donc nécessaire de trouver des moyens nouveaux et meilleurs pour faire nos prévisions. Si les données financières ont été exploitées au maximum, nous devons chercher de nouvelles sources de rendement supérieur, c’est-à-dire trouver une nouvelle approche pour obtenir d’autres sources d’alpha. Je fonde mes placements sur la sélection des titres depuis des années. J’ai souvent rencontré le cas de deux sociétés de taille comparable, situées au même endroit, employant des personnes et des procédés similaires pour offrir des produits ou des services identiques aux mêmes clients et qui, pourtant, généraient des rendements financiers très différents à long terme. Un secteur, des intrants et des produits semblables, mais des résultats financiers différents. Pourquoi ?
Selon moi, la différence est attribuable aux données intangibles ou non financières. Ces données intangibles comprennent notamment la culture de l’entreprise, la mobilisation des employés et des clients, l’efficacité de la recherche et du développement et la volonté d’accorder une grande importance aux critères environnement, société et gouvernance (ESG). En général, il s’agit d’actifs incorporels de longue durée présentant un coût financier à court terme, mais qui sont largement rentabilisés à long terme. Les rapports financiers et la comptabilité rendent rarement compte de ces actifs incorporels. Il est difficile d’obtenir de l’information à leur sujet, de comprendre cette information et d’en tirer des conclusions. Ils n’en demeurent pas moins des éléments très utiles pour prédire le rendement financier à long terme.
Les détenteurs d’actifs n’ont pas accès à ces sources d’alpha, mais elles peuvent jouer un rôle très appréciable dans leur portefeuille. En matière de placements, elles permettent de privilégier les sociétés de meilleure qualité affichant une bonne empreinte sur le plan des critères ESG, de réduire la rotation des portefeuilles et de diminuer les coûts liés aux opérations. Cependant, l’important est que le rendement supérieur tiré de sources non financières est spécifique et présente une faible corrélation avec les sources quantitatives et systématiques plus traditionnelles. Elles apportent un différent type de rendement, soit un véritable alpha. Par conséquent, ces sources d’alpha contribuent à diversifier le flux de rendement d’un portefeuille.
Soulignons que pour nous, la recherche de ces sources d’alpha fait partie intégrante du processus de placement et doit s’inscrire dans la démarche du gestionnaire. Il ne suffit pas d’ajouter un filtre ou une note après avoir effectué une analyse traditionnelle. Les facteurs comme ceux liés aux critères ESG doivent comprendre une composante essentielle et non négociable de recherche fondamentale sur les actions. La gestion et les critères ESG font partie des éléments que nous évaluons en équipe pour les sociétés dans lesquelles nous investissons.
Malgré l’intérêt que présente notre approche, il existe bien évidemment des difficultés pratiques importantes. Celles-ci sont de deux types :
- Premièrement, il faut trouver l’alpha. Une philosophie, un processus, des outils, des compétences et une expertise sont nécessaires afin de réunir et de colliger les renseignements pertinents, de les analyser et d’en tirer les conclusions. Comme ces données ne sont pas normalisées, constantes, exhaustives ni forcément comparables, la tâche qui consiste à en arriver à des conclusions est loin d’être négligeable.
- Deuxièmement, il faut produire l’alpha. Le fait de trouver un groupe de sociétés susceptibles de dégager d’excellents résultats financiers à long terme est une chose. La constitution, à partir de ce groupe, d’un portefeuille qui produira un rendement supérieur grâce à ces sources d’alpha représente un défi d’un tout autre ordre. La corrélation entre les titres entraînera des concentrations involontaires, pouvant se traduire par des rendements positifs ou négatifs importants et susceptibles d’éclipser l’alpha lié à la bonne sélection des actions. Il est donc indispensable de mettre en place un cadre de production d’alpha qui soit capable d’isoler les retombées de ces sources d’alpha et de limiter les répercussions des risques systématiques involontaires.
En résumé, bien que le potentiel de rendement des données financières ait été industrialisé par les ordinateurs et les algorithmes quantitatifs, je suis d’avis qu’il existe d’autres sources d’alpha que le gestionnaire adepte de la sélection des titres peut utiliser pour obtenir des rendements supérieurs. Ces sources d’alpha sont de nature non financière et de puissants catalyseurs pour les résultats financiers à long terme. L’accès à ces sources d’alpha et leur analyse exigent une philosophie, un processus et une équipe capables de prendre en considération ces données non traditionnelles. Il est essentiel de disposer d’une équipe possédant des compétences différentes et l’expertise nécessaire pour saisir cet alpha.