Eric Lascelles, économiste en chef, nous fait part de ses prévisions concernant d’éventuelles baisses de taux aux États-Unis, de l’impact économique des élections américaines et de bien d’autres choses encore.
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Transcription
Les baisses de taux ont commencé au Canada ; quand les États-Unis suivront-ils l’exemple ?
Le monde semble passer d’une période de hausse des taux à une période de baisse des taux, et les banques centrales des marchés émergents ont commencé à réduire leurs taux il y a déjà un certain temps.
Nous avons maintenant une poignée de banques centrales des pays développés qui sont engagées dans un cycle d’assouplissement, y compris la Banque du Canada, et un certain nombre de banques qui devraient leur emboîter le pas. Et il est logique que ce changement se produise. Nous constatons que l’inflation est en perte de vitesse. C’est le principal argument en faveur du changement. Nous avons conscience du niveau restrictif des taux d’intérêt et du désir de mettre fin aux inconvénients associés à cette politique.
Cela dit, le processus devrait prendre du temps. Historiquement, les banques centrales ont tendance à réduire les taux très rapidement, mais en général c’est parce qu’elles font face à une récession. Cela ne semble pas être le cas en ce moment. Cette fois-ci, la hausse des taux a été très rapide en réponse à la situation d’urgence liée à l’inflation. L’inflation ne se dissipe pas aussi rapidement qu’elle est arrivée.
Encore une fois, le processus devrait être plus lent, et il dépendra en grande partie de la trajectoire de l’inflation et de la croissance. Bien sûr, nous avons des prévisions, et il nous semble raisonnable de penser que la Banque du Canada réduira peut-être ses taux plusieurs fois de plus au cours de l’année 2024. Nous croyons que la Fed commencera un peu plus tard. Et un écart intéressant est en train de se creuser entre les deux banques centrales.
C’est compréhensible. L’économie canadienne est plus faible, l’inflation canadienne est plus modérée. Les Canadiens sont généralement plus sensibles aux taux d’intérêt. Le Canada devrait être le premier pays à baisser ses taux, et apparemment c’est ce qui se passe. Cela dit, nous voyons un potentiel pour que les États-Unis commencent à réduire les taux, peut-être à l’automne. C’est un peu délicat du point de vue du calendrier, à l’approche des élections et avec tout ce qui se passe, mais je pense qu’ils pourraient procéder à une réduction, ou un peu plus, et finalement nous pourrions voir la majeure partie des économies développées sur cette trajectoire descendante.
Et la grande question que nous nous posons, en tant qu’économistes, est de savoir où ils vont. Quel est l’objectif final ? Pour répondre en toute honnêteté, nous ne le savons pas. Tout dépend de l’économie et d’autres facteurs. Et c’est un monde qui a changé par rapport à avant la pandémie. Nous cherchons à deviner à quoi pourrait ressembler un taux neutre, et quel est l’objectif final qu’ils ont déterminé.
Dans la mesure où nous faisons des suppositions, une fourchette de 2 % à 3,5 % nous semble correcte. En fait, il pourrait y avoir de la marge de manœuvre pour voir plusieurs points de pourcentage d’assouplissement au cours des prochaines années. Et cela devrait rendre le fardeau de la dette beaucoup moins lourd pour la personne moyenne.
L’augmentation du déficit américain étouffera-t-elle la croissance économique ?
À ce jour, nous sommes dans une situation très inhabituelle, où les économies sont en croissance alors qu’il y a des déficits publics massifs aux États-Unis, pour parler des grandes puissances. Et pas seulement aux États-Unis. Il y a un certain nombre de pays qui ont des déficits assez énormes en ce moment. Évidemment, cela nous indique que les gouvernements dépensent plus qu’ils ne peuvent le faire de façon durable. Et surtout, à un moment où les taux d’intérêt augmentent, il devient de plus en plus douloureux de rembourser cette dette. L’un des thèmes les plus brûlants de ces derniers temps est que les coûts associés au remboursement de la dette publique américaine sont en passe de dépasser le budget militaire. Vous dépensez beaucoup pour payer des intérêts alors que vous pourriez dépenser cet argent dans d’autres choses plus essentielles. Ce n’est pas vraiment une priorité en ce moment, même pour les marchés.
Actuellement, les marchés se demandent si l’économie peut poursuivre sa croissance dans un contexte de baisse de l’inflation. Combien de réductions de taux pouvons-nous réellement supporter ? Mais je crois qu’au-delà de ces problèmes à court terme, l’austérité budgétaire et le besoin de réduire les déficits seront des questions centrales à moyen terme. Dans les deux à cinq prochaines années, je pense que ces thèmes deviendront une priorité.
Les États-Unis sont un cas particulier, du fait qu’ils ont la devise de réserve du monde. Ils peuvent se permettre beaucoup de choses que d’autres pays ne peuvent sans doute pas se permettre. La question est de savoir dans quelle mesure les États-Unis parviendront à résoudre ce problème précis, d’autant plus que les deux candidats à la présidence ne semblent pas prioriser l’équilibre budgétaire ou les déficits.
Néanmoins, en général, nous pouvons nous attendre à une certaine austérité budgétaire aux États-Unis. Il existe une forte probabilité de voir des politiques d’austérité budgétaire dans bon nombre d’autres pays, et cela pourrait pénaliser la croissance économique, en ralentissant les choses, et peut-être que certains des pays les moins rigoureux dans leur politique seront punis par une plus grande prime de risque sur le marché obligataire.
Quelle sera l’incidence des élections américaines sur les marchés et l’économie ?
Les élections américaines se rapprochent très vite. Elles sont attendues en novembre de cette année, et nous savons qui sont les candidats. C’est comme une répétition des élections de 2020. Nous avons Biden contre Trump. L’un est le président actuel, l’autre l’ancien président.
Nous avons un peu d’expérience, et une idée de ce que chacun représente. La course paraît très serrée en ce moment. Nous suivons les marchés des paris et les marchés des probabilités, et bien sûr les sondages. Et toutes ces sources indiquent que c’est serré. À ce stade, l’un comme l’autre pourrait gagner. Peut-être que Trump a un poil d’avance, mais c’est très serré.
Chacun des candidats est tout à fait susceptible de gagner. Évidemment, leurs programmes et leurs politiques peuvent avoir une grande importance pour l’économie et les marchés. Et vous savez, quand nous regardons la situation, nous avons tendance à relativiser les choses, parce que nous savons qu’il y a toujours une grande différence entre les promesses de campagne des politiciens et ce qu’ils font quand ils sont au pouvoir. En réalité, cela se terminera probablement par une division du Congrès.
Cela limite le champ d’action pour tout président. Et c’est quelque chose que nous devons garder à l’esprit. Néanmoins, alors que nous voyons défiler les propositions, ces suppositions sont quelque peu hasardeuses et les choses pourraient encore changer. Mais du point de vue du marché boursier, nous pouvons penser que le marché boursier penche en faveur du programme de Trump. Il propose de réduire les impôts sur les sociétés, et c’est quelque chose que les marchés boursiers adorent.
Il propose une déréglementation, ce qu’ils adorent aussi. C’est peut-être le côté positif, du point de vue du marché boursier. D’un point de vue économique – et il faut reconnaître que le marché boursier n’est pas l’économie, et vice versa –, je crois que nous pourrions faire le commentaire inverse. Trump propose des droits de douane, et c’est quelque chose qui nuit à la croissance. Trump propose de réduire l’immigration, ce qui pourrait aussi pénaliser la croissance. Donc peut-être un marché boursier plus heureux et une économie légèrement plus faible s’il remportait les élections, et peut-être l’inverse en cas de victoire de l’autre camp.
Mais gardons à l’esprit qu’il y a encore beaucoup d’incertitude. La question critique est celle d’une division du Congrès, parce que la plupart de ces aspirations ne pourraient pas se concrétiser dans un tel scénario. Et surtout, il y a un sujet sur lequel les deux candidats ont des positions semblables : aucun des deux ne semble porter une attention particulière à la situation du budget américain.
On pourrait soutenir que si ces déficits sont maintenus, c’est quelque chose qui soutiendra l’économie, peu importe qui gagne les élections. Selon les économistes, c’est peut-être le point le plus important de tous.
La croissance économique de la Chine rebondira-t-elle ?
L’économie chinoise a énormément de poids. La Chine consomme la moitié des métaux de base du monde, entre autres. C’est une économie que nous observons de très près et qui a besoin d’être suivie, que vous soyez investisseur direct ou non.
Ces jours-ci, la plupart des gros titres sur la Chine tournent autour des déboires du marché du logement. Ce problème est bien réel. Dans le passé, le marché chinois du logement était un moteur de la croissance. Aujourd’hui, c’est une source de faiblesse. Nous constatons un déclin des prix et une baisse des ventes de maisons en Chine, ainsi que des difficultés pour les constructeurs. Je peux vous dire que les décideurs chinois font quelque chose pour résoudre le problème, ou du moins commencent à faire quelque chose.
Ils ont réduit les taux d’intérêt et abaissé les taux hypothécaires, et ils ont assoupli les exigences pour les acheteurs. Et récemment, ils ont lancé un programme visant à absorber une partie des stocks de biens invendus accumulés par les constructeurs. Ils mettent des choses en place pour essayer de stabiliser ce marché. Je crois qu’il y a encore une certaine distance à parcourir pour parvenir à la stabilisation. Je ne m’attends pas à un boom immobilier dans un avenir proche en Chine. Mais à mon avis, regarder uniquement le logement pourrait induire en erreur, parce que nous pouvons dire que même si les consommateurs chinois sont prudents, et étroitement dépendants du logement, la richesse immobilière est un moteur de la richesse des ménages.
On peut dire que les ventes au détail augmentent en Chine, contrairement, peut-être, à ce qu’imagine le public. Donc les consommateurs dépensent. Nous observons une production industrielle assez importante en ce moment, et une croissance des exportations encourageante, entre autres. Et si nous prenons tout cela en compte, la Chine est sur la voie d’une croissance de plus de 5 % cette année. L’économie chinoise est donc en croissance. Il n’y a pas de désastre.
Je pense que le marché boursier chinois commence à reconnaître qu’il y a peut-être un potentiel de hausse. Mais en regardant au-delà, je dirais que je reçois beaucoup de questions pour savoir si nous pouvons faire confiance aux chiffres chinois. La croissance est-elle vraiment de 5 % ? Eh bien, c’est difficile à dire avec précision, mais nous utilisons trois indicateurs alternatifs sur l’activité économique chinoise.
Ils donnent à peu près les mêmes résultats en ce moment. Ils disent donc qu’il n’est pas évident que les chiffres de la Chine soient très différents. Vous savez, il n’y a pas de stagnation secrète en Chine. La croissance de la Chine est probablement de l’ordre de 5 % en ce moment. À long terme, pour conclure brièvement sur la Chine, je dirais que la Chine sera probablement en perte de vitesse à partir de maintenant. Nous prévoyons une croissance de 3 % à 4 % comme norme à long terme. Dans le contexte du déclin démographique, des frictions avec les États-Unis, du manque de soutien de la part de l’immobilier, il est logique que l’économie chinoise ralentisse un peu plus. Mais ce n’est pas un mauvais taux de croissance, au sens absolu.
Il est supérieur à celui du monde développé. Au minimum, même avec ce taux de croissance, la Chine en voie de générer près d’un quart de la croissance mondiale. Le pays aura donc beaucoup d’importance. Il reste une puissance économique.
Quelles sont les forces qui influent sur le marché canadien du logement ?
Eh bien, en cette période de taux d’intérêt plus élevés et de taux toujours élevés, même si les banques centrales commencent à assouplir leurs politiques ou envisagent de le faire, il y a beaucoup de pression sur le marché du logement.
Bien sûr, nous avons constaté une vraie faiblesse au cours des dernières années, et je ne sais pas trop si nous en sommes sortis. En fait, la façon dont je présenterais les choses dans le contexte canadien, c’est qu’il existe des forces puissantes en faveur du logement. Et si vous voulez être optimistes à l’égard des perspectives du logement, vous pouvez mettre en avant la croissance démographique liée à l’augmentation de l’immigration.
C’est une croissance sans précédent. Or, il y a une pénurie de logements, et une forte demande de logements. Et on peut soutenir que peut-être, le logement montera en flèche. Toutefois, nous sommes un peu plus sceptiques, parce que nous savons que l’accessibilité au logement reste extrêmement faible, à cause des taux élevés, mais pas seulement, aussi parce que les prix des maisons ont affreusement augmenté ces dernières années, voire ces dernières décennies.
L’accessibilité, à notre avis, est peut-être la force la plus puissante. Nous savons que les Canadiens seront amenés à renouveler leurs hypothèques au cours des prochaines années, et que cela augmentera considérablement leurs versements mensuels. Cette situation est contradictoire avec un boom du marché du logement, du moins du côté des prix. Nous aimerions voir des prix de l’immobilier à peu près stables au cours des prochaines années, au minimum, avec une croissance inférieure au taux de croissance normal.
Lorsque nous examinons les marchés régionaux, il y a certaines variations, et nous savons que les marchés les plus importants pourraient être les plus limités. L’Alberta est un cas à part, dans la mesure où la province n’a pas pleinement profité de la vigueur connue dans le passé. Elle pourrait donc avoir plus de force. Cependant, de façon générale, la période devrait être contenue du côté des prix, ce qui n’est pas sans rappeler les années 1990 où une bulle immobilière a éclaté pour la dernière fois.
Vous avez eu une chute brutale au départ, puis une période de stagnation ayant permis aux revenus de rattraper le retard et aux taux d’intérêt de se stabiliser. En réalité, c’est ce que nous prévoyons maintenant. Je vais m’éloigner des prix un instant. Juste pour parler de l’activité de construction du côté résidentiel. Il y a une pénurie de logements.
Les gouvernements tentent des choses pour générer une demande supplémentaire. Mais les choses bougent lentement, parce que le financement est encore très cher pour les constructeurs. Ils ont encore du mal à trouver des travailleurs ayant une expertise dans les métiers. Nous n’espérons pas de miracles pour les années à venir. Mais je pense que dans le reste de la décennie, nous pouvons nous attendre à un solide redressement de l’activité de construction.