Dans cette vidéo, Eric Lascelles, économiste en chef, RBC Gestion mondiale d’actifs Inc., présente ses perspectives sur l’incidence des droits de douane et de l’incertitude politique, l’aggravation des tensions entre les États-Unis et la Chine, et bien plus encore.
Durée : 13 minutes, 2 secondes
Transcription
Quelle sera l’incidence des droits de douane et de l’incertitude politique sur la croissance économique mondiale ?
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Même si nous ne savons pas encore exactement quelle sera l’ampleur des droits de douane, nous pouvons au moins nous prononcer sur certaines des principales façons dont ils interagissent avec l’économie, et certains effets immédiats sont déjà visibles. Nous pouvons affirmer que l’incertitude elle-même incite les entreprises à rester dans l’expectative, à ne pas embaucher et à ne pas investir, et les ménages à éviter les achats importants tels que l’acquisition d’un logement.
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On observe donc déjà certains effets négatifs. À l’inverse, nous avons constaté une anticipation de la part des entreprises, qui constituent des stocks pour tenter de devancer l’entrée en vigueur des droits de douane. Cela a pour effet de relancer artificiellement l’économie pendant un certain temps. Viennent ensuite les effets directs des droits de douane eux-mêmes, qui se traduisent par une hausse des prix et un renchérissement des produits.
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Les gens achètent moins et sont moins aisés qu’ils ne le seraient autrement. Il y a également des effets à long terme. L’un d’entre eux pourrait être une atteinte à la réputation des États-Unis en tant que principal antagoniste dans tous ces droits de douane, ce qui pourrait entraîner une augmentation du coût du capital pour les États-Unis et une aversion pour les produits américains.
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Il pourrait donc y avoir des dommages à long terme également. Au vu du contexte actuel des droits de douane, nous nous attendons à ce que des droits de douane modérés finissent par s’imposer, soit un taux douanier moyen des États-Unis d’environ 15 %. Les taux à trois chiffres que nous avons parfois observés pour certains pays ne devraient donc pas se maintenir, mais ils ne seront pas non plus nuls. Les droits de douane ne devraient pas disparaître, et nous commençons à entrevoir les premiers effets négatifs sur l’économie.
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Certains indicateurs à haute fréquence commencent donc à s’affaiblir, ce qui laisse présager des dommages plus visibles au cours de l’été et probablement à l’automne également. Selon nos modèles, aussi imparfaits soient-ils, l’économie américaine pourrait se retrouver environ 1,3 point de pourcentage plus faible qu’elle ne l’aurait été autrement.
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La croissance se poursuivra donc, mais peut-être à demi-vitesse cette année. Les prix sont légèrement supérieurs de plus d’un point de pourcentage à ce qu’ils auraient été. Les dommages pour le reste du monde sont moindres. L’économie pourrait subir un recul de 0,8 %, et les prix pourraient augmenter de quelques dixièmes de points de pourcentage. Cependant, nous prévoyons de réels dommages économiques.
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Et je suppose que, en ce qui concerne l’avenir, nous ne prévoyons pas de récession. Selon nous, une récession peut être évitée, mais il est probable que nous connaissions une période de faiblesse. Elle est ou aurait pu être évitable. C’est une décision politique qui nous mène là où nous en sommes. Si ces droits de douane demeurent en vigueur, les dommages sera durables et nous pouvons nous attendre à une croissance économique, mais celle-ci sera toujours légèrement inférieure à ce qu’elle aurait pu être.
L’aggravation des tensions entre les États-Unis et la Chine freinera-t-elle la croissance mondiale ?
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Il n’est certainement pas idéal que les deux plus grandes économies mondiales soient en désaccord, et ces derniers mois, chaque pays a imposé des droits de douane vraiment colossaux à l’autre, ce qui aurait pu constituer un problème assez important. La bonne nouvelle, c’est que nous avons constaté depuis lors une certaine atténuation de l’intensité de l’antagonisme et une légère baisse du niveau des droits de douane, de sorte que nous en sommes aujourd’hui, je dirais, à un ralentissement économique plus modéré pour les deux pays.
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Les négociations se poursuivent et nous envisageons certaines concessions de la part de la Chine, qui pourrait fournir davantage de minéraux critiques aux États-Unis et au reste du monde. Les États-Unis pourraient aussi assouplir certaines de leurs mesures à l’égard de la Chine. Lorsque nous examinons ces négociations, la Chine semble avoir une position plus forte, dans la mesure où elle vend beaucoup de produits aux États-Unis, que ces derniers ont du mal à obtenir ailleurs.
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Et cela est moins vrai dans l’autre sens. Néanmoins, les deux parties souffrent à certains égards. Je dirais que nous sommes légèrement optimistes quant à l’économie chinoise, du moins dans le contexte de certains des défis qui se posent actuellement. L’une des raisons est simplement que la Chine ne dépend pas tellement de la demande américaine.
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Seuls 2 % à 3 % de la production du pays sont achetés par les Américains. On peut affirmer que la Chine semble véritablement innover aujourd’hui et qu’elle est même à la pointe de certaines technologies clés, comme dans le secteur automobile et celui des panneaux solaires, entre autres. Il semble que les relations entre le gouvernement chinois et le secteur privé s’améliorent, ce qui est essentiel.
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Le marché immobilier semble enfin se stabiliser en Chine, et nous observons certaines mesures de relance pour les consommateurs chinois. Nous sommes donc un peu plus optimistes concernant la Chine en général. Elle semble mieux armée que les États-Unis pour traverser cette période difficile. Cependant, la situation reste loin d’être idéale et reflète véritablement un changement dans l’ordre mondial.
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Ce n’est donc qu’un autre exemple de l’entrée dans une ère multipolaire. Des groupes de pays se forment. Il y a une équipe menée par les États-Unis, une autre sous la bannière de la Chine, et d’autres pays qui devront choisir leur camp dans une certaine mesure. En général, dans ce type de contexte, la croissance économique diminue un peu et l’inflation augmente légèrement.
00;02;05;51 - 00;02;12;37
Peut-être que les primes de risque augmentent un peu et que les dépenses militaires s’accroissent. Et ce n’est pas la situation idéale pour le commerce. C’est exactement là où nous en sommes en ce moment.
Quelles sont vos perspectives pour les taux d’intérêt et l’inflation ?
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L’inflation devrait augmenter avec l’entrée en vigueur des droits de douane. De toute évidence, plus particulièrement aux États-Unis, qui sont le principal pays à appliquer des droits de douane. Donc, lorsque les prix des importations commenceront à augmenter, les prix à la consommation devraient suivre. Nous suivrons la situation de près cet été et cet automne. Nous pensons que ce sera probablement le cas.
00;00;18;04 - 00;00;40;44
Nous ne l’avons pas vraiment constaté dans les données. Les annales devraient en faire état. Toutefois, des mesures en temps réel portent à croire que nous le verrons dans peu de temps. Voilà. Je tiens à souligner qu’il est peu probable que nous subissions un choc inflationniste semblable à celui de 2021, 2022 et 2023. L’inflation était alors de l’ordre de 8 %, 9 % et 10 %, soit les plus hauts niveaux depuis les années 1970 ou le début des années 1980.
00;00;40;49 - 00;01;01;03
Cette fois-ci, nous parlons d’une inflation qui, plutôt que d’être de 2,5 % ou 3 %, s’établira peut-être aux alentours de 3,5 % ou de 4 %. C’est donc non souhaitable, mais pas aussi problématique qu’il n’y paraît. Pour le reste du monde, l’inflation est en fait beaucoup plus faible. Donc, bien sûr, on pourrait penser que l’inflation devrait augmenter, et peut-être qu’elle augmentera un peu plus qu’en temps normal.
00;01;01;03 - 00;01;22;42
Mais gardons à l’esprit que le principal impact sur l’inflation d’un pays se produit lorsque celui-ci impose des droits de douane. En fait, les pays ont pris peu de mesures de rétorsion jusqu’à maintenant. Il y a donc moins de risques d’inflation galopante dans les autres pays. Ils pourraient même constater un léger effet déflationniste puisque d’autres pays, comme la Chine, écoulent à bas prix chez eux des produits excédentaires qui ne peuvent pas entrer sur le marché américain.
00;01;22;47 - 00;01;42;44
Le mouvement haussier des devises hors des États-Unis est déflationniste. On ne s’attend donc pas à ce que l’inflation augmente beaucoup à l’extérieur des États-Unis. Ces considérations nous amènent à la question des taux d’intérêt. Bien sûr, l’idée que l’inflation pourrait être en légère hausse reviendrait, toutes choses étant égales par ailleurs, à dire que les banques centrales se trouvent dans une situation délicate et qu’elles pourraient avoir du mal à baisser les taux. Le problème posé par les droits de douane est qu’ils ont des effets demandant des solutions opposées.
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Une hausse de l’inflation amène une hausse des taux. Une diminution de la croissance exige une baisse des taux. En général, les considérations liées à la croissance ont préséance. Par conséquent, les banques centrales ne peuvent probablement pas abaisser beaucoup les taux. Donc, nous pensons que dans la portion à court terme de la courbe des taux d’intérêt du marché obligataire, les taux pourraient baisser dans une certaine mesure. Je crois que le débat et la situation les plus complexes portent sur les obligations et les taux d’intérêt à long terme.
00;02;05;20 - 00;02;38;56
Donc toutes choses étant égales par ailleurs, on pourrait croire que des baisses de taux entraînent une diminution des taux obligataires également dans ce segment. Toutefois, ce n’est peut-être pas le cas, simplement parce que le marché obligataire exprime son mécontentement à l’égard de certains points touchant particulièrement les États-Unis, qui présentent des excès budgétaires assez notables en ce moment, et où l’exceptionnalisme économique semble un peu moins reluisant pour l’avenir en ce qui concerne l’avantage de croissance des États-Unis. À cet égard, le reste du monde est un peu grincheux envers les États-Unis. De plus, en raison des décisions politiques du gouvernement américain, nous pourrions voir une augmentation de la prime de terme et des primes de risque, en particulier dans la portion des obligations à long terme des États-Unis.
00;02;38;56 - 00;02;44;58
La pente de la courbe des taux pourrait donc être plus accentuée. La situation donne à penser que les taux des obligations à long terme ne diminueront peut-être pas beaucoup.
Quelles sont les répercussions de la « One Big Beautiful Bill Act » (la grande et belle loi) sur le fardeau de la dette des États-Unis ?
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Le projet de loi sur le budget des États-Unis, qui est actuellement soumis à l’approbation du Congrès et qui a des chances raisonnables d’être adopté cet été, renferme des éléments d’une grande importance. Il prévoit des réductions d’impôt substantielles qui sont théoriquement propices à la croissance de l’économie américaine. Cependant, ce projet de loi comporte d’autres éléments, notamment des dépenses supplémentaires pour la défense et le contrôle frontalier.
00;00;22;39 - 00;00;45;51
Il prévoit également des réductions de dépenses quelque peu controversées visant entre autres le programme Medicaid et les bons alimentaires. Tout compte fait, d’un point de vue d’économiste, je peux affirmer que ce projet est susceptible d’avoir un léger effet de stimulation. Nous pourrions donc nous attendre à une croissance économique un peu plus vigoureuse aux États-Unis en 2026 et peut-être après.
00;00;45;53 - 00;01;05;52
Si je change de rôle et que je considère ce projet selon une optique budgétaire, il en résulte bien sûr un déficit accru. Selon toute vraisemblance, les États-Unis auront à emprunter de deux à cinq billions de dollars supplémentaires pour mettre en œuvre ce budget au cours de la prochaine décennie. Bien sûr, il s’agit d’une question délicate au moment où les États-Unis sont déjà accablés de déficits plutôt considérables et d’une dette relativement élevée.
00;00;45;53 - 00;01;05;52
On that basis, if I change hats and put on my fiscal hat, of course, it equally translates into a bigger deficit. And so some of the costing for this budget would say that you would think over the next decade, the US might have to borrow an extra 2 to $5 trillion to make this happen. And so that is, of course, a tricky development at a time when the US is already running quite large deficits, when it already has a fairly high debt load.
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Aussi, nous avons un indice de santé budgétaire qui analyse les données de différents pays pour déterminer ceux qui se portent bien et ceux qui se portent mal. Après la mise à jour faite, les États-Unis pourraient être ceux qui ont le plus en difficulté en ce moment. Cela ne veut pas dire qu’il se passe quelque chose d’extrêmement grave, mais plutôt que la situation est plutôt tendue aux États-Unis et que le pays devra probablement payer un peu plus cher pour emprunter les primes de risque et les primes de terme plus élevées. Ils devront donc dépenser plus pour le service de la dette et auront moins d’argent pour réaliser d’autres choses productives.
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L’on penserait que les États-Unis mettront en place des mesures d’austérité budgétaire à un moment donné qui ralentiront leur économie. Mais cela ne semble pas être le cas pour les prochaines années. Il est en fait difficile d’anticiper avec exactitude quand cela arrivera. Les États-Unis pourraient cependant devenir moins flexible budgétairement parlant à mesure que le marché obligataire affichera une plus grande sensibilité aux événements, ce qui les obligera à prendre des décisions plus difficiles par la suite.
Quelles sont les perspectives pour l’économie canadienne face à l’incertitude liée aux droits de douane ? (vidéo pour le Canada seulement)
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Les droits de douane constituent certainement le principal enjeu pour le Canada à l’heure actuelle. L’accès à la plus grande économie du monde et au plus grand partenaire commercial du pays est donc essentiel pour l’économie canadienne. C’est donc à cela que nous prêtons le plus d’attention pour le Canada à l’heure actuelle. La bonne nouvelle, c’est que le Canada a esquivé quelques coups durs et qu’il est actuellement l’un des pays du monde où les droits de douane imposés par les États-Unis sont les moins élevés.
00;00;24;23 - 00;00;43;59
Bien des pays du monde sont assujettis à un taux de droits de douane minimal de référence de 10 % auquel s’ajoutent divers droits de douane sectoriels. Seuls des droits de douane sectoriels ont été imposés au Canada, mais cela n’allège pas pour autant les répercussions plutôt négatives sur les secteurs touchés, notamment ceux de l’acier, de l’aluminium et de l’automobile. Cela dit, les répercussions globales sont moins graves qu’on le craignait.
00;00;44;01 - 00;01;10;53
Il nous reste à voir la suite des choses. Notre scénario de base anticipe l’application de nouveaux droits de douane sectoriels qui accentueront probablement les difficultés déjà ressenties. Celle-ci pourrait se faire de plusieurs manières et génère une certaine inquiétude. Et si nous voulons être optimistes, on entend parler d’ententes ou peut-être d’engagements militaires plus importants pour faire de l’Amérique du Nord une forteresse. Des idées de ce genre qui font penser que très peu de droits de douane seront maintenus pour le Canada.
00;01;10;58 - 00;01;28;25
Inversement, il se peut qu’au moment de la renégociation de l’AEUMC, le Canada et le Mexique soient frappés d’un droit de douane de 10 %, comme tous les autres, et qu’ils se retrouvent dans une position plus difficile. Il est donc difficile de se prononcer avec précision. Sur la base de nos hypothèses, l’application d’un taux de droits de douane de 5 à 10 % serait un véritable coup dur pour l’économie canadienne.
00;01;28;30 - 00;01;55;21
Cela ne devrait cependant pas entraîner une récession. Les données actuelles signalent une véritable faiblesse de l’économie en fait plus prononcée que dans beaucoup de pays. Cela nous laisse un peu perplexes puisque les répercussions des droits de douane ont été moins importantes que dans de nombreux autres pays. Je pense que cette situation est due à la forte relation existentielle du Canada avec les États-Unis. La menace même de perdre l’accès à ce marché a vraiment changé le comportement des entreprises et des ménages.
00;01;55;21 - 00;02;19;12
Le Canada fera donc certainement face à des difficultés dès le départ. Nous supposons que l’économie sera pas mal au ralenti au cours des prochains trimestres, mais peut-être pas au point d’entrer en récession. Nous souhaiterions pouvoir regarder au-delà des droits de douane, mais cela relève d’un grand défi actuellement. Nous relevons toutefois à moyen terme quelques facteurs qui influent sur le Canada et pourraient aider l’économie à se redresser en 2026 et au-delà.
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L'un de ces facteurs serait tout simplement la baisse significative des taux au Canada. Il y en aura peut-être d’autres. C’est un facteur favorable qui a un effet à retardement et qui devrait s’avérer bénéfique pour l’économie dans les prochaines années. L’autre élément a trait à l’aspect budgétaire. Le Canada a un nouveau gouvernement qui semble résolument favorable à la croissance.
00;02;39;18 - 00;03;01;38
Si ce gouvernement tient certaines de ses promesses, notamment en ce qui concerne les dépenses fiscales supplémentaires en général, les légères baisses d’impôt, les dépenses en infrastructure et, peut-être plus important encore, la déréglementation visant notamment l’approbation des projets d’exploitation des ressources, je pense que l’économie sera en mesure d’évoluer un peu plus rapidement, et que la production augmentera au cours des prochaines années.