Eric Lascelles, économiste en chef, discute de l’activité économique, qui fait preuve d’une résilience surprenante malgré la probabilité d’une récession au cours de l’année.
L’inflation, en baisse depuis 2022, pèse moins sur l’économie.
L’économie américaine est demeurée résiliente en dépit des taux d’intérêt qui n’ont jamais été aussi élevés depuis vingt ans, dépassant constamment les attentes.
La Réserve fédérale américaine laisse présager des baisses de taux d’intérêt.
M. Lascelles traite également des risques géopolitiques élevés, de la période très chargée sur le plan politique qui nous attend et bien plus encore.
Durée : 38 minutes, 33 secondes
Transcription
Bonjour et bienvenue. Je m'appelle Eric Lascelles. Je suis l'économiste en chef de RBC Gestion mondiale d'actifs et je suis ravi de partager avec vous notre dernier webinaire économique mensuel intitulé «Sonder la résilience économique». Nous aborderons un large éventail de thèmes, dont le fait que nous continuons d’observer une activité économique étonnamment résiliente, en particulier aux États-Unis, mais pas exclusivement, et que nous continuons à suivre cela de près.
Au cours des derniers mois, le thème aura été l’augmentation des chances d'un atterrissage en douceur et l’évitement d’une récession. Nous pensons toujours qu'une récession est un peu plus probable que non, mais la résilience de l'économie est bien réelle. Commençons, comme d'habitude, par un bilan.
Bilan
Passons en revue les bonnes et les moins bonnes choses qui se produisent dans l'économie mondiale. Du côté positif, on peut faire un certain nombre d'observations. L’économie américaine continue de croître, ce qui, normalement, n’a rien d’inusité. Mais en cette période d'essoufflement des économies, en particulier dans les pays développés, face à des taux d'intérêt beaucoup plus élevés que ce à quoi nous étions habitués au cours des dernières décennies, il s’agit d’une caractéristique notable.
Et en effet, le dernier chiffre trimestriel du PIB pour les États-Unis était lui aussi plutôt bon. C'est une bonne nouvelle. L'inflation est à nouveau en baisse; elle a baissé de manière satisfaisante depuis le milieu de l'année 2022 jusqu'à l'été 2023. Elle a fait un peu de sur-place, puis elle est même allée dans la mauvaise direction pendant un mois ou deux.
Mais elle est maintenant revenue à une tendance à la baisse. À présent, pour se rendre d’ici à une certaine normalité, ce sera plus difficile. Nous constatons toujours un déclin et nous sommes toujours un peu plus optimistes que le consensus en ce qui concerne la capacité de l'inflation à diminuer encore un peu. Quant à la Fed, la banque centrales américaine, elle a annoncé des baisses de taux.
Au moment où je vous parle, ou il y a à peine une heure, la Réserve fédérale américaine a annoncé qu'elle ne procéderait probablement pas à une baisse des taux en mars. Nous devons donc définir nos attentes en conséquence. Néanmoins, elle envisage des baisses de taux et le marché a adhéré à cette idée. Je reviendrai sur ce point dans un instant.
Enfin, du côté positif, mentionnons que l'optimisme continue de croître quant à un atterrissage en douceur. L'idée qu'une récession puisse être évitée n'est pas encore dans la poche, mais nous reconnaissons que les perspectives se sont améliorées. Le marché boursier et les actifs à risque en général se sont envolés ces derniers mois.
Et cela est dû en grande partie à l'idée qu’une récession puisse être évitée. Il y a donc toutes sortes de bonnes nouvelles à prendre en compte. Passons maintenant aux thèmes négatifs. Malheureusement, les points négatifs sont nombreux. Passons-les en revue. La première chose que je dirais c’est que les taux d'intérêt demeurent assez élevés.
Ils ne sont pas aussi élevés en termes de rendement obligataire qu'il y a quelques mois. En octobre, ils ont culminé à 5 % pour un rendement à 10 ans aux États-Unis; ils sont maintenant plus proches de 4,5 %. Mais c'est tout de même beaucoup plus élevé que ce que nous avons connu dans les dernières années. Il est également nettement supérieur à la moyenne des deux dernières décennies.
Nous pensons que les vents arrière qui ont aidé l'économie américaine en 2023 pourraient commencer à s'estomper en 2024. J'y reviendrai dans un instant. Même les États-Unis pourraient être un peu moins résilients cette année. Nous pensons toujours être en fin de cycle économique, et cela guide nos réflexions. Mais nous savons qu’en dehors des États-Unis, le reste du monde développé s'essouffle.
Ces économies ne progressent pas avec beaucoup d'enthousiasme. En conséquence, nous pensons que le risque de récession aux États-Unis est toujours plus élevé que la normale, légèrement plus probable que non. Nous attribuons toujours une probabilité de 60 %. Une récession n’est pas inévitable, mais elle demeure probable. Nous en reparlerons dans un instant.
Pour ce qui est des autres aspects négatifs, qui sont un peu plus récents et qui méritent l'attention, nous continuons à observer de nouvelles perturbations de la chaîne d'approvisionnement, en particulier en mer Rouge, et le coût du transport maritime augmenter considérablement. À cet égard, force est d’admettre que nous vivons une période de risques géopolitiques élevés, et c’est vrai depuis plusieurs années.
Le Moyen-Orient est devenu une zone de chaos, et nous connaissons les enjeux entre les États-Unis et la Chine, de même que l’Ukraine et la Russie. Dans la colonne des points intéressants, permettez-moi de souligner quelques éléments que je vais aborder dans cette présentation. Tout d'abord, l'année qui s'annonce sera chargée politiquement avec de nombreuses élections à l’international.
Mentionnons déjà une élection présidentielle aux États-Unis en novembre. Des élections pourraient amener leur lot de changements de politiques et donc avoir un impact important sur l'économie cette année. Les mesures de stimulation fiscales devraient maintenant faire place à une certaine austérité budgétaire à un moment ou à un autre au cours des prochaines années.
Nous continuons à penser qu'une fois que nous aurons résolu la grande question de savoir s'il y aura ou non une récession en 2024, les marchés pourraient commencer à s'intéresser à la nécessité de réduire les déficits budgétaires, ce qui peut être douloureux d'un point de vue économique. Le thème de la démondialisation se poursuit. Prenons un instant pour distinguer la démondialisation de la délocalisation de ou vers l'étranger, qui sont toutes des idées similaires.
Mais elles ont toutes aussi des trajectoires légèrement différentes. Enfin, parlons un instant de la détresse du marché hypothécaire, des impayés hypothécaires au Canada. La bonne nouvelle, c'est qu'il y en a eu étonnamment peu jusqu'à présent. On aurait pensé qu’avec des taux plus élevés, des prix des maisons en baisse et autres aspects négatifs, le nombre d'hypothèques en souffrance serait inquiétant, mais il demeure encore assez bas.
Pourquoi l’année 2023 a-t-elle été si résiliente ?
Je vais vous expliquer comment cela est possible malgré la faiblesse du marché immobilier. Entrons dans les détails et commençons par une question : pourquoi l'année 2023 a-t-elle si bien résisté, en particulier aux États-Unis, qui semblent avoir navigué sans être perturbés par la hausse des taux d'intérêt et les vents contraires que celle-ci engendre normalement? On peut apporter quelques réponses.
Une première réponse serait l'idée que plusieurs éléments négatifs survenus au tout début de 2023 se sont estompées au cours de l'année, éliminant les vents contraires non reliés aux taux d'intérêt. À titre d’exemple, l'inflation qui est beaucoup redescendue. Et bien entendu, une inflation moindre signifie moins de dommages sur l'économie.
Les problèmes de la chaîne d'approvisionnement qui s’étaient déjà atténués depuis quelques années, ont continué de le faire en 2023 et d’alléger ainsi la situation. La Chine avait mis fin à sa fermeture à la fin de 2022. Nous avons vu une reprise de l'économie chinoise. Elle s’est avérée un peu décevante, mais il s’agit néanmoins d’une reprise. Enfin, le stress bancaire régional aux États-Unis qui avait atteint son apogée au début de 2023 s’est atténué jusqu’à un certain point.
Et cela a pavé la voie à une croissance supplémentaire chez eux. Cela dit, quand on cherche à comprendre pourquoi les États-Unis ont été particulièrement résilients en 2023, force est d’admettre qu’ils ont bénéficié de soutiens particuliers dont les autres pays n'ont pas bénéficié, en particulier des mesures de relance budgétaire d'une ampleur inattendue et ce, étrangement, sans qu’aucune nouvelle législation n’ait été adoptée.
Nous n’avons pas vu de nouvelle réduction d'impôts ou de nouveau plan de dépenses en 2023, mais plutôt des textes législatifs déjà budgétisés avoir un impact plus important que prévu. Des crédits d'impôt ont été offerts aux entreprises, et il s'est avéré que leur nombre a été deux à trois plus important que prévu.
Des déficits plus importants ont nécessité un soutien économique accru. À noter que ce soutien pourrait être moindre en 2024. Le consommateur américain s’est montré enthousiaste en 2023 pour plusieurs raisons. Je reviendrai sur l'une d'entre elles un peu plus tard. Nous pensons que l'enthousiasme des consommateurs pourrait être moindre en 2024. Dernier point notable — et celui-là est là pour rester —les États-Unis sont une économie fondamentalement moins sensible aux taux d'intérêt élevés que les autres pays.
Et les États-Unis vont conserver cet avantage en 2024. Si nous devions connaître une faiblesse économique, nous pensons que les États-Unis en souffriront un peu moins. Cela dit, malgré ces bonnes nouvelles, n’oublions pas que des taux d'intérêt plus élevés sont toujours néfastes.
Il est clair qu'ils ont déjà fait souffrir le reste du monde. La croissance n’est guère forte dans la plupart des pays développés autres que les États-Unis. Cela dit, historiquement, sinon théoriquement, même avec une sensibilité aux taux plus faible que les autres, l'économie américaine a toujours tout de même ralenti face à des taux plus élevés et c’est ce qui devrait se produire.
Il ne faut donc pas supposer que l'économie américaine va continuer à faire fi de cette hausse remarquable des taux d'intérêt des deux dernières années. Je vous montre quelque chose de très similaire, voire identique, à ce que j'ai montré dans le webinaire du mois dernier, mais j’insiste par que c’est fondamental dans notre réflexion en ce moment.
Nos deux principaux scénarios macroéconomiques pour les États-Unis en 2024
Alors, allons-y. Quand on pense aux perspectives pour 2024, nous ne sommes pas convaincus à 100 % de l'évolution des choses. D'ailleurs, l'essentiel de cette présentation consiste à peser les chances relatives et à essayer d'évaluer ce qui est le plus probable, à savoir un atterrissage en douceur, auquel cas il serait possible d'éviter une récession.
Nous pensons qu'un atterrissage brutal, c'est-à-dire une récession, est également tout à fait possible. Les chances ne sont pas tout à fait égales. Nous pensons qu'il y a 40 % de chances pour un atterrissage en douceur. Si vous êtes bon en maths, vous avez deviné que la probabilité d'un atterrissage brutal est de l’ordre de 60 %. Ce sont des chiffres différents, mais nous ne sommes pas très loin de 50-50.
Il s'agit de deux scénarios possibles. Si vous êtes optimiste et que vous plaidez en faveur d'un atterrissage en douceur, vous direz que l'économie américaine, en particulier, a tout simplement refusé d'abandonner en 2023 et qu'elle a surpris à la hausse à plusieurs reprises. On pourrait admettre cela et cesser de prévoir une inflexion soudaine à la baisse au cours du prochain trimestre ou des deux suivants.
C'est un argument convaincant. Les dépenses de consommation ont bien résisté, dépassant de loin les attentes, et il s’agit là du facteur le plus déterminant des économies des pays développés. L'inflation a baissé, comme je l'ai mentionné. Certes, les taux d'intérêt sont beaucoup plus élevés qu'il y a deux ans, mais ils sont nettement plus bas qu'il y a quelques mois. Nous avons bénéficié d'un petit coup de pouce supplémentaire grâce à l'assouplissement des conditions financières.
Nous avons une banque centrale, la Réserve fédérale, qui n'est plus préoccupée que par l'inflation. Elle est maintenant en mesure d'absorber, d'interpréter et de traiter des considérations économiques. On dira que la «Fed put» est de retour en cela que, advenant une faiblesse sur les marchés ou dans l'économie, la Réserve fédérale peut à nouveau baisser ses taux et apporter son soutien.
On voit également les effets positifs de la confiance. Les gens se sentent bien. La confiance des consommateurs a augmenté. Les marchés boursiers se sont envolés, les écarts de crédit se sont resserrés, etc. Que cela soit justifié ou non, le simple fait que cette confiance existe rend les gens plus riches, plus enthousiastes et pourrait, à elle seule, permettre à l'économie de continuer à croître.
Il est donc tout à fait possible que nous réussissions cet atterrissage en douceur. Nous continuons de croire qu'un atterrissage brutal est plus probable. La probabilité d'un atterrissage brutal est de 60 %, et là encore, les arguments se valent. Voilà l’ennui. Il y a de bons arguments des deux côtés. Alors, soyons rationnels et disons-nous que les deux résultats sont possibles.
L’année 2024 ne nous apparait pas aussi clairement que ne le ferait une année normale. Nous ferions mieux de soupeser les probabilités et investir en conséquence, plutôt que de prétendre connaître toutes les réponses. En faveur de la thèse d’un atterrissage brutal, il faut se rappeler le cycle de resserrement monétaire agressif au cours des dernières années.
Il s’agit là d’un frein économique considérable. Malgré la baisse récente des rendements, il existe un long délai entre la hausse des taux et les conséquences économiques. Il faut en moyenne 27 mois entre une première hausse des taux et une récession, ce qui signifie que le mois de juin de cette année serait le moment où l'on pourrait s'attendre à une récession, si cette tendance historique se maintenait.
Les entreprises demeurent pessimistes. Les attentes demeurent généralement prudentes. Nous avons une longue liste de signaux, que je vous montrerai dans un instant, et qui continuent, pour la plupart, d’annoncer une récession. Nos travaux nous indiquent que nous sommes très avancés dans le cycle, ce qui fragilise les choses. Et comme je l'ai dit, les économies internationales sont déjà faibles.
Les soutiens dont les États-Unis ont bénéficié en 2023 s'estompent et certaines données économiques s'affaiblissent. J’ai l’impression de me contredire parce que d’autres données ne s'affaiblissent pas autant. Mais en réalité, ce n’est pas tout à fait exact. En temps normal, les données économiques sont bonnes et peu d'entre elles semblent faibles.
Mais en ce moment, nous vivons une situation complexe où certaines données semblent bonnes et d'autres faibles. C'est inhabituel. Il n'est pas certain que de mauvaises choses vont se produire, mais il s’agit néanmoins d'un environnement de croissance anormal et difficile.
L’économie américaine est demeurée résiliente malgré les taux d’intérêt qui n’ont jamais été aussi élevés depuis vingt ans, dépassant constamment les attentes
D'accord, regardons quelques graphiques pour étayer ces affirmations.
Je vais y aller rapidement. Voici la croissance trimestrielle du PIB américain. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'au cours des dix-huit derniers mois, l'économie américaine a connu une croissance non-seulement fiable mais rapide. On ne peut pas vraiment le voir ici parce qu’elle englobe la période remarquable post-pandémique. Mais je tiens à souligner que toute croissance supérieure à 2 % est plutôt bonne à l'ère moderne, et nous avons vu des trimestres consécutifs de plus de 2 %, voire même de 3 %.
On a même connu un troisième trimestre exceptionnel l'année dernière, avec une croissance annualisée de 5 %. Alors, si l’on dépasse régulièrement les attentes, pourquoi cela ne pourrait-il pas se poursuivre? En passant, il s’agit ici de mes graphiques optimistes. Dans un instant, on verra les plus pessimistes. Ce que je peux dire c’est que les dépenses de consommation sont soutenues par la richesse des ménages.
Voici la richesse des ménages américains en pourcentage de revenu. On voit bien une légère baisse dans les dernières données, mais celles-ci sont sans doute périmées car elles ne tiennent pas compte de l'explosion du marché boursier des derniers mois. Je ne serais donc pas surpris que cela ait remonté. Mais le plus important est que la tendance générale est à la hausse
Et cette tendance à la hausse s’étend sur plusieurs années. Objectivement, les ménages sont plus riches qu'avant. On peut s’inquiéter à juste titre de l'augmentation des taux, mais force est d’admettre qu'il y a plus d'argent dans les poches des consommateurs et qu’ils peuvent continuer de dépenser même si la situation en matière d'emploi ou d'emprunt devient défavorable.
La situation semble idyllique, mais on ne peut penser qu’elle durera toujours, car on voit le consommateur tranquillement gruger son épargne excédentaire liée à la pandémie. De la même façon, on commence à voir des signes de détresse en termes de nombre d'impayés de crédit et d'autres choses de ce genre. Mais fondamentalement, la plupart des consommateurs ont conservé leur emploi.
Le taux de chômage est faible. La croissance des salaires est plutôt bonne. Et la richesse des ménages est plutôt forte, comme on peut le voir ici.
Les marchés sont optimistes puisque la Fed a clairement indiqué des baisses de taux à venir
J'ai parlé de la Fed et des attentes de réduction des taux. Comme vous pouvez le voir avec la ligne bleue, les prévisions de réduction des taux sont beaucoup plus élevées que celles de la ligne dorée à l'été 2023. Le marché s’attend donc à des baisses de taux imminentes.
Nous doutons que cela se produise au début mais peut-être à la fin du printemps, ou à l'été 2024. Et les baisses pourraient être nombreuses. Mais il est important de dire que cette trajectoire pourrait être très différente selon qu’il s’agit d’un atterrissage en douceur ou d’un atterrissage brutal.
S’il s’agit d’un atterrissage en douceur, je pense qu'il y aura moins de baisses que ne le laisse supposer la ligne bleue. En cas d'atterrissage brutal, je ne serais pas surpris qu'il y ait davantage de baisses. Voilà donc où se situe le débat en ce moment. D'une manière ou d'une autre, des baisses de taux devraient avoir lieu et les rendements obligataires ont déjà commencé à en tenir compte.
Les conditions financières se sont assouplies en raison des attentes de baisse des taux par la Fed
Les conditions financières se sont considérablement assouplies. La ligne bleu foncé pour les États-Unis montre une baisse importante. Une baisse signifie un assouplissement des conditions, ce qui nous donne un graphique avec des rendements obligataires plus faibles et un marché boursier plus élevé. D’autres facteurs ont été positifs. Les normes de prêt représentent un cas particulier.
Les conditions de crédit se sont considérablement resserrées, mais un revirement provisoire pourrait être de bon augure pour l’économie
La volonté des banques de prêter, en particulier aux entreprises. Dans ce graphique, on constate un important resserrement. Techniquement, toute ligne au-dessus de zéro correspond à un resserrement des normes de prêt bancaire. Cette baisse à l'extrême droite représente aussi un resserrement continu des normes de prêt, mais à un rythme plus lent qu'auparavant. Voilà pour l'interprétation technique.
En pratique, cependant, chaque fois que cette ligne a commencé à s'abaisser, cela a généralement été une bonne nouvelle. Cela signifie généralement que les banques commencent au moins à inverser la tendance et qu'elles sont peut-être en train d'assouplir leurs conditions de prêt. Par conséquent, le fait que nous constations ce déclin explique une interprétation technique qui n'est pas très positive. Mais d'un point de vue pratique, il y a une lueur d'espoir.
Bien sûr, si les banques étaient disposées à prêter avec plus d'enthousiasme, ce serait une bonne chose.
Peut-on éviter la réaction excessive habituelle à la récession ?
Attardons-nous maintenant à cette idée selon laquelle, puisque les récessions sont intrinsèquement irrationnelles, une récession peut-elle être évitée cette fois-ci. Commençons par dire que les récessions s’expliquent généralement par des réactions excessives. Si l'on regarde ce que les entreprises font normalement pendant les récessions, elles licencient en général plus qu'elles ne le devraient.
En voulant optimiser leur situation à moyen terme, elles réduisent leurs dépenses d'investissement plus qu'il est nécessaire si elles se projetaient sur plusieurs années plutôt que sur le trimestre suivant. Le marché boursier chute généralement davantage que ne le justifie la publication des chiffres concernant les prévisions de bénéfices, sans parler du fait que les bénéfices devraient rebondir l'année d’après.
On peut donc affirmer que les récessions sont irrationnelles. Par conséquent, elles pourraient être évitées si les gens n’étaient pas si irrationnels. Je pense que la grande question est de savoir si cette irrationalité et ce comportement inadéquat sont inévitables. D’aucuns diraient qu’ils le sont pour les entreprises et les investisseurs qui sont confrontés à des contraintes de liquidité et de crédit.
Les entreprises qui savent qu'elles devraient faire plus de dépenses d'investissement et ne pas réduire leurs dépenses aussi fortement, n’arrivent peut-être tout simplement pas à obtenir de prêt auprès d'un établissement de crédit. Peut-être ont-elles besoin de tout l'argent dont elles disposent pour payer les salaires — le marché obligataire n’étant d’aucun secours — et qu'elles ne sont pas en mesure de gérer leurs flux de trésorerie aussi bien qu’en temps normal.
Il se peut que les entreprises n'optimisent pas leurs activités simplement parce que d'autres contraintes leur ont été imposées par des circonstances difficiles. On peut en débattre. Mais il se peut également que gens se mettent à paniquer, même partiellement, quand les choses vont mal. Il existe un concept appelé vitesse de décrochage auquel nous réfléchissons beaucoup.
L'idée est qu'historiquement, à titre d’exemple, chaque fois que l'économie américaine passe en dessous d'un certain taux de croissance notable, ou qu'elle sous-performe de manière visible, elle s'enfonce alors encore davantage dans une récession pure et simple. Mais à proprement parler, cela ne devrait pas nécessairement se produire. Il n'y a aucune raison pour qu'une économie ne continue de croître, même lentement, par la suite.
Mais les gens ont tendance à paniquer. Ils deviennent nerveux et finissent par réagir de manière plus agressive qu'ils ne le devraient. Et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous nous retrouvons dans des situations comme les récessions. Je n'ai donc pas de réponse à donner. J'aimerais bien pouvoir affirmer que les récessions sont irrationnelles et qu'elles n’auraient pas lieu si les gens demeuraient calmes.
Je dirai simplement qu’il existe un facteur psychologique dans les récessions et que, historiquement, les sentiments de panique et d’aversion au risque se manifestent. Une récession va se produire quand il y a suffisamment d'adversité économique. Mais il est bon de relativiser les choses en voyant que le reste du monde développé semble avoir traversé, sans paniquer, une période de croissance quasi inexistante.
C'est intéressant. Dans ce cas particulier, la récession a été si abondamment annoncée et prédite depuis si longtemps sans jamais se manifester, que les gens en sont peut-être moins effrayés. Le scénario d’une économie qui s'affaiblit mais ne succombe pas complètement à la récession, voire qui réussit un atterrissage en douceur.
Cette pensée optimiste veut que l'histoire n’ait peut-être pas à se répéter. Voilà pour les bonnes nouvelles.
La diminution de la liquidité de la Fed constitue en théorie un frein à l’économie
(même si le rythme de la baisse pourrait bientôt ralentir à mesure que le RQ disparaît)
Parlons maintenant des aspects plus difficiles qui plaident en faveur d'un résultat plus défavorable. L'un d'entre eux est que, bien sûr, les banques centrales ont non-seulement relevé leurs taux, mais qu'elles s'emploient maintenant à réduire leurs bilans.
Voici le bilan de la Réserve fédérale. Il était devenu très important au fur et à mesure qu’on imprimait de l’argent et qu’on abaissait les taux. Aujourd'hui, le bilan commence à se réduire, en partie à cause du resserrement quantitatif, et en partie à cause des taux d'intérêt. D'autres facteurs, tels que les programmes de facilitation de prêt bancaire et de liquidité, y contribuent également. Le fait est que, historiquement, lorsque les bilans des banques centrales augmentent, les marchés sont enthousiastes et la croissance s’accentue. Inversement, lorsque les bilans des banques centrales diminuent, la situation devient plus difficile, en particulier pour les actifs à risque comme le marché boursier.
La stimulation budgétaire aux États-Unis devrait passer en territoire négatif en 2024
On peut donc dire que les choses deviennent plus difficiles, même si le taux de décroissance ralentit. D'un point de vue budgétaire, je peux dire que 2023 a été une année de relance. L'année a été marquée par un soutien net à l'économie. Il s'agit d'estimations du FMI et de l'OCDE, qui ont tous deux constaté un soutien important en 2023.
Si l'on considère 2024, c'est-à-dire les deux barres encerclées juste après 2023, on constate que l'on s'attend à un ralentissement budgétaire. Non pas que les gouvernements vont dégager des excédents, mais le déficit sera moins important, ce qui signifie que l'économie subira un vent contraire. Tout ne s’enligne pas de manière aussi positive en 2024 qu'en 2023.
Les répercussions de la hausse des taux d’intérêt sur les finances des ménages commencent à se faire sentir
J’ai commencé à mentionner qu'il y a des preuves de l'augmentation des taux d'impayés de prêts et des ménages en difficulté. Il s'agit encore des États-Unis, et on peut constater que les taux d'impayés des prêts hypothécaires, des prêts automobiles et des prêts sur cartes de crédit sont tous en hausse. Et en effet, dans le cas des défaillances de cartes de crédit et des défaillances automobiles, il s'agit des niveaux les plus élevés que nous ayons vus depuis plus d'une décennie.
La douleur se fait donc sentir. Cela ne ressemble pas à ce qui s'est passé pendant la crise financière mondiale mais un certain nombre d'Américains ressentent cette douleur, et c'est logique. Les taux d'intérêt ont augmenté. Les taux directeurs ont augmenté de plus de cinq points de pourcentage. Il serait tout à fait remarquable qu'il n'y ait pas de douleur.
Et nous prévoyons dans notre budget que cette douleur continuera à s'intensifier. Le taux d'intérêt moyen de cette année sera probablement plus élevé que celui de l'année dernière, simplement en raison de la hausse globale de l'année dernière. Il n'est pas certain que des réductions de taux soient prévues dans l'immédiat, même si nous en prévoyons un peu plus tard dans l'année.
Ces taux élevés vont donc continuer à faire mal et, historiquement, on sait qu’ils vont se faire sentir avec un certain décalage. Même si les taux atteignent leur maximum et commencent même à baisser un peu, on peut supposer que les taux d'impayés vont encore augmenter pendant quelques trimestres.
Les placements des banques américaines se sont encore fortement dépréciés
Je dirais également qu'il y a encore des inquiétudes concernant une partie du secteur bancaire américain.
Vous vous souviendrez que les banques régionales américaines ont connu de graves ennuis en 2023. Si l'on examine le bilan du secteur bancaire à l'heure actuelle, on constate qu'il y a encore des pertes importantes, dues en grande partie à la détention d'obligations en terrain négatif, qui ont perdu de l'argent en raison de l'augmentation des taux d'intérêt. Quoiqu’il en soit, nous parlons de plus de 500 milliards de dollars de pertes théoriques dans le secteur bancaire américain.
À ce stade, la situation s’est stabilisée de telle sorte que nous ne présumons pas de graves problèmes financiers à venir. Mais cela montre que l’environnement n’est pas propice à voir le secteur bancaire prêter avec enthousiasme. Les conditions de crédit resteront donc assez strictes dans ce type d'environnement.
Les taux d'intérêt élevés ne nuisent peut-être pas tant que cela à l'Américain moyen qui aurait bloqué son prêt hypothécaire à un certain taux. En revanche, ils affectent le secteur bancaire qui demeure toujours sensible à une hausse des taux, un autre canal de l'économie par lequel les taux d'intérêt plus élevés circulent.
Les signes de récession indiquent surtout « oui » ou « peut-être » : nous estimons à 60 % la probabilité d’une récession d’ici un an
Nous avons montré ce tableau à maintes reprises et je pense qu'il est très utile, ou qu’il le sera pour l’avenir. Seul le temps nous dira s'il a fait la bonne prédiction ou non. Mais il s'agit d'une liste d'heuristiques de récession et l’idée est de constater s’ils vont se déclencher ou non. Certains vous sont familiers, comme l'inversion de la courbe de rendement, c’est-à-dire lorsque les taux à long terme deviennent moindres que les taux à court terme.
Historiquement, il s’agit d’un signal fort de récession. Et nous continuons à le voir. Autre signal, lorsque l'inflation a augmenté de cinq points de pourcentage ou plus, historiquement, on succombe à une récession en l'espace de quelques années. C'est ce qui s'est produit il y a quelques années. Je pourrais continuer et évoquer le resserrement des normes de prêt ou l'idée que lorsque le commerce mondial se contracte sur une base corrigée de l'inflation, on se dirige toujours vers une récession.
Nous avons vu le commerce mondial se contracter au cours des derniers mois. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'une bonne moitié de ces indicateurs de récession clignotent en rouge et qu'une fraction importante clignote en jaune. Ils sont peu nombreux à dire non. Il faut donc reconnaître que le risque de récession est au moins plus élevé que la normale, voire carrément élevé et peut-être même supérieur à 50 %, comme nous l'affirmons.
Les banques centrales ont commencé à délaisser les hausses au profit des baisses ; le montant dépend fortement du caractère (doux ou brutal) de l’atterrissage
Quand on regarde les banques centrales, on voit qu’elles commencent peut-être à répondre aux inquiétudes concernant l'économie, mais à se réjouir peut-être plus encore de la baisse de l'inflation. Il s'agit d'un graphique que seul un économiste, sans doute, pourrait qualifier d'amusant, mais c’est bien mon cas. La fraction des banques centrales du monde qui augmentent les taux par rapport à la fraction qui les réduisent.
En doré, vous pouvez voir qu'une très grande partie des banques centrales ont relevé leurs taux au cours des dernières années, notamment le Canada, les États-Unis et d'autres. Très peu d'entre elles ont baissé leurs taux. Mais voyez que cette situation est en train de changer. Les banques centrales sont beaucoup moins nombreuses à relever leurs taux. La ligne dorée descend rapidement et, en bleu, de plus en plus de banques centrales réduisent leurs taux.
Il s'agit d'une petite fraction. Il s'agit presque exclusivement de marchés émergents, si vous vous posez la question. Néanmoins, nous commençons à y arriver. Et lorsque vous combinez les deux dans cette ligne bleu foncé, vous pouvez voir que ce triangle, cette pente en forme de montagne semble continuer à descendre. Mais ce graphique et le suivi des tendances représenté ne nous disent pas tout des banques centrales.
Mais il semble que nous soyons en train de basculer vers une période où les baisses de taux dominent, alors que ce sont les hausses qui ont dominé pendant longtemps.
Pourquoi la détresse hypothécaire au Canada n’a-t-elle pas encore éclaté ?
Il s’agit d’une question intéressante. Comment justifier que les prêts hypothécaires canadiens n’aient pas été plus problématiques? Pourquoi les taux de défaillance n'ont-ils pas été plus élevés? Le taux de défaillance des prêts hypothécaires au Canada est actuellement de 0,16 %.
Il s’agit d’un chiffre particulièrement bas, alors que le taux le plus bas que nous ayons jamais connu est de 0,15 %. Ce n'est certes pas un signe de détresse. Essayons donc de comprendre cela. Vous avez ce graphique qui va se transformer en diagramme de Venn lorsque les différentes parties vont se chevaucher. Les problèmes surviennent lorsque plusieurs facteurs vont mal en même temps.
Et parmi les choses qui ont mal été, les taux d'intérêt. Ils ont augmenté au point d’en être douloureux pour les emprunteurs. Il y a bien entendu les taux d'intérêt plus élevés comme tels, mais surtout le moment où l’on y est exposé. Pour l’instant, bon nombre de Canadiens avec des prêts hypothécaires n'ont pas encore été exposés à ces taux plus élevés. Ils le seront en 2024, 2025 et 2026.
Seules les cohortes 2022 et 2023 ont jusqu'à présent ressenti la douleur au niveau de leurs prêts hypothécaires fixes de cinq ans. Si les hypothèques à taux variable auraient dû déjà être touchées, certaines banques ont procédé à des ajustements pour permettre aux gens de continuer à payer leurs mensualités antérieures. Une fraction importante de Canadiens a sans doute été exposée à des taux plus élevés, mais elle n’est peut-être pas aussi importante qu'on aurait pu le penser.
Il s’agit d’un premier facteur. Le point suivant serait de déterminer la valeur nette immobilière négative, c’est-à-dire une maison qui vaut moins ce que les gens en paient. Et il s’agit d’une très petite fraction des ménages canadiens en ce moment. Les prix des logements ont peut-être baissé, ils avaient augmenté de façon si spectaculaire au cours des dernières années que seule une très petite fraction des maisons sont à valeur nette négative, avec un prêt hypothécaire supérieur à la valeur de la maison.
On aurait pu penser que plusieurs gens ayant accédé à la propriété au cours des deux dernières années se seraient retrouvés dans cette situation, mais ceux-là ont d'abord dû verser un acompte et la fraction exposée à des taux plus élevés est demeurée faible. Mais on peut penser que ceux dont la valeur nette de la maison est négative sont les mêmes qui ont en ce moment des prêts hypothécaires en souffrance.
Autre élément que j’aimerais mentionner, les pertes d'emplois. Je le disais, les problèmes commencent à l'intersection de ces trois éléments. Si vous avez été frappé par des taux plus élevés, que votre maison vaut moins que ce que vous devez et que vous avez perdu votre emploi — ce qui complique bien sûr votre capacité de verser vos paiements hypothécaires — cette intersection représente la fraction de personnes en grande difficulté.
Et nous n'avons pas encore constaté de pertes d'emplois significatives à l'échelle de l'économie. Des gens perdent leur emploi tous les jours. Il y a donc des gens dans cette situation. Mais dans l'ensemble, cela n'a pas encore été un problème majeur. C'est pourquoi notre cercle est si petit. Il s'agit d'un petit nombre de personnes qui souffrent réellement de ces trois types de problèmes.
Il faut reconnaître que les autres points d'intersection peuvent aussi causer des problèmes. Les gens exposés à des taux d'intérêt plus élevés et dont la valeur nette de leur logement est négative doivent aussi se poser des questions. Mais il s'agit d'une fraction assez faible. Et on pourrait même dire que les prêteurs canadiens se sont montrés exceptionnellement bien disposés, historiquement parlant, à négocier ou à modifier les calendriers de remboursement pour éviter les retards et les défauts.
C'est ce qui a permis d'aplanir les difficultés. Je mentionnerai par ailleurs que 64 % des ménages canadiens n'ont pas d'hypothèque. Une partie de ces personnes n'est donc pas propriétaire d'une maison. Une autre partie est propriétaire mais libre d’hypothèque. Seuls 36 % des ménages canadiens ont une hypothèque. Cela contribue donc à la situation globale.
En réalité, nous ne constatons pas une grande détresse sur le plan financier. Nous avons souvent dit qu’à nos yeux, il s'agit d'un problème économique, en cela que les prix des logements plus bas ou que les reventes de logements plus lentes représentent un phénomène qui pèse sur l’économie parce qu’il est sensible aux taux d'intérêt. Mais cela n’entre pas dans nos prévisions d’une crise financière.
Et cela explique comment on a pu l’éviter jusqu'à présent. Je souligne qu’il est raisonnable de penser que ces trois cercles peuvent encore s'agrandir ou s'aggraver avec le temps. La fraction de Canadiens exposés à des taux plus élevés ne peut mathématiquement qu'augmenter au fur et à mesure que les hypothèques sont réinitialisées.
La valeur nette négative des logements pourrait s'aggraver si les prix des logements baissent, ce qui est notre hypothèse de base pour l'année ou les deux années à venir. En cas de récession, les pertes d'emploi augmenteraient bien sûr. En cas d'atterrissage en douceur, ce ne serait pas le cas. Mais ce risque existe également. Je suppose donc que les taux de défaillance des prêts hypothécaires vont augmenter à partir de maintenant.
Mais ce qui est étonnant, c'est que si l'on remonte à la fin des années 1990, on constate que le taux normal de défaillance des prêts hypothécaires était environ trois fois plus élevé qu'aujourd'hui. On pourrait multiplier ce taux par trois sans pour autant nous trouver dans une situation particulièrement inhabituelle au regard des normes historiques. Cela laisse une certaine marge de manœuvre, je suppose, pour les institutions financières qui ont consenti ces prêts.
Les risques géopolitiques abondent
Passons aux risques géopolitiques. Je ne vais m’y attarder qu’un instant, car il s'agit de sujets très complexes sur lesquels je ne pourrai entrer dans les détails. Mais soulignons quelques zones d'ombre. La première est la poursuite de la guerre entre l'Ukraine et la Russie. La Russie fait de petites avancées. Le financement et le soutien de l'Occident à l'Ukraine sont peut-être en train de s'affaiblir.
Il existe donc un risque réel que la Russie fasse des progrès et qu’elle reprenne confiance. Les frictions entre la Chine et les États-Unis ou l’Occident se poursuivent, non pas sur fond de conflit militaire, mais de concurrence économique. C'est pourquoi nous budgétisons la poursuite de la démondialisation — que j'aborderai dans un instant — ainsi que la délocalisation amicale et d'autres mesures de ce genre.
L'autre point chaud est le Moyen-Orient. Il y a bien sûr l'opposition entre Israël et le Hamas mais aussi les tensions globales. Je me contenterai d'examiner la situation d'un point de vue économique et de dire que l’impact économiques est de deux ordres. D’abord, les coûts d'expédition.
Les rebelles houthis au Yémen tirent sur les navires qui tentent de traverser la mer Rouge en direction du canal de Suez, et cette situation a pour effet d’augmenter le coût du transport des marchandises dans le monde. Je ne vois pas réapparaître les ennuis avec les chaînes d'approvisionnement d'il y a quelques années, mais cela ajoute un peu à l'inflation européenne, puisque c'est là où ces produits sont destinés.
Et cela commence à se répercuter sur les coûts d'expédition dans d'autres régions du monde, car les navires se voient obligés de contourner l'Afrique au lieu de passer par le canal de Suez. Il y a donc des conséquences. Nous avons également vu les prix du pétrole augmenter un peu, le Moyen-Orient étant, bien sûr, un grand producteur, avec plusieurs pays maintenant impliqués, au moins indirectement, dans le conflit.
Le risque d'inflation existe et nous surveillons cela de très près.
Les craintes quant à la chaîne logistique augmentent de nouveau du fait des perturbations en mer Rouge : inflation ?
Continuons. Pour vous donner une représentation visuelle de l'augmentation des coûts de la chaîne d'approvisionnement, voici le coût global de l'expédition d'un conteneur d'expédition standard. Et le coût a beaucoup augmenté.
On ne croirait pas voir les chiffres de 2021 et 2022, mais le coût a augmenté d'un quart ou d'un tiers, ce qui n'est pas négligeable. À notre surprise, nous constatons une augmentation des coûts d'expédition de l'Asie vers la côte ouest du Canada et des États-Unis, et pas seulement vers l'Europe, ce qui aurait dû être l'hypothèse par défaut.
Chine : reprise modérée à court terme et limitée à long terme
Permettez-moi de m'attarder un instant sur la Chine. Pour poursuivre sur les grands thèmes, nous assistons toujours à une certaine reprise de l'économie chinoise. Elle continue de croître à un rythme annualisé de 4 ou 4,5 %, ce qui serait excellent pour la plupart des pays, mais décevant pour la Chine. Nous voyons des défis assez importants à court terme pour expliquer pourquoi la croissance n'est pas aussi rapide qu'avant, et le marché du logement est le plus important d'entre eux.
L'effondrement du marché du logement se poursuit. Les prix des logements continuent de chuter, les ventes de terrains restent très faibles, les constructeurs semblent toujours insolvables ou quasi-insolvables. Les consommateurs ne dépensent pas, car une grande partie de leur patrimoine est liée à l'immobilier. Ils ont perdu leur confiance et, dans certains cas, leur pouvoir d'achat. Nous sommes conscients que le ralentissement de l'économie mondiale a des répercussions sur la Chine, qui est un grand exportateur mondial. Nous sommes également conscients d'autres problèmes nationaux, notamment des taux de chômage très élevés chez les jeunes, qui témoignent d'une économie qui ne crée pas d'emplois au rythme habituel.
Il est donc logique que la croissance chinoise diminue. Nous pensons toujours qu'il y a une reprise prudente sous la surface. Et pour en venir aux questions à long terme, sans entrer dans les détails, nous pensons qu'un taux de croissance normal à long terme pour la Chine est actuellement de 3 à 4 % par an. C'est en fait moins que ce que nous observons actuellement, malgré les récentes difficultés, car la Chine est encore en train de gérer le rebond après la pandémie.
Elle est donc confrontée à des problèmes de logement particulièrement aigus à l'heure actuelle, mais qui pourraient s'atténuer à long terme. Cependant, ils sont également en train de rebondir après la fermeture mais ils n'en profiteront pas vraiment. La Chine s'enrichit au fil du temps et les pays riches se développent moins rapidement. Sur un certain nombre de fronts, qu'il s'agisse d'infrastructures, de logements ou autres, il n'y a tout simplement pas de place pour le type de croissance dont la Chine bénéficiait auparavant.
Et nous ne sommes pas convaincus que la Chine puisse être un moteur de croissance de la productivité, notamment en raison du favoritisme dont fait preuve l'État à l'égard du secteur public par rapport au secteur privé. De plus, la Chine est aujourd'hui un pays dont la population diminue, avec une baisse de deux millions de personnes l'année dernière. Il s’agit d’un frein. Et bien sûr, les frictions géopolitiques avec l'Occident sont également importantes.
Malgré tout, la Chine connaît une croissance rapide. On dit que la Chine représente toujours un quart de la croissance mondiale, ce qui est significatif, mais elle ne progresse plus aux taux de croissance de 6, 8 et 10 % par an qu'elle avait l'habitude de connaître.
Hausse des barrières aux échanges commerciaux dans le cadre du thème de la démondialisation
Bon, nous approchons de la fin. Quelques réflexions rapides sur le commerce, la démondialisation et autres sujets similaires. En ce qui concerne les barrières commerciales, il est certain qu'elles sont en train de s'élever.
Il serait tentant de penser qu'elles ont augmenté sous la présidence de Trump entre 2016 et 2020 et qu'elles sont redescendues. Ce n'est pas le cas. Nous avons continué à les voir augmenter. Et il ne s'agit pas seulement des États-Unis, mais du monde entier. Certains pays érigent des droits de douane et, plus encore, des barrières non tarifaires, c'est-à-dire des règles préférentielles qui avantagent les entreprises nationales par rapport aux entreprises étrangères, ce qui, en fin de compte, entrave les échanges commerciaux.
Principaux thèmes de la démondialisation
C'est ce que nous voyons se produire. Nous assistons à une modeste démondialisation, le commerce mondial est légèrement inférieur à la croissance du PIB mondial, ce qui est notre définition même de la démondialisation. Nous constatons, je dirais, une délocalisation amicale importante. Si vous regardez ce graphique, vous voyez qu'il s'agit des partenaires commerciaux des États-Unis et ceux-ci commercent beaucoup moins avec la Chine.
La Chine est la ligne dorée, ici en haut, que vous voyez descendre. Les États-Unis commercent un peu plus avec l'Europe et le Mexique en particulier, et un peu plus avec le Canada également. Nous voyons davantage la présence des pays amis, les gens qui tiennent compte de leurs idéologies, et plus seulement en faveur de celui qui fabrique le produit le moins cher. Même chose pour la relocalisation, c'est-à-dire le rapatriement de la production dans le pays d'origine.
La ligne bleu foncé montre qu'il y a effectivement un énorme boom de la production manufacturière aux États-Unis pour les secteurs de l'informatique, de l'électronique et de l'électricité. Les fabricants de puces et ce type d'industries stratégiques sont subventionnés par le gouvernement américain, qui leur accorde la priorité. Mais si vous regardez d'autres secteurs de la fabrication ou de la construction, il n'est pas évident que d'autres usines reviennent aux États-Unis. Ces chiffres font du sur-place.
Je dirais que la relocalisation est probablement un peu exagérée. C'est le cas là où il y a des incitations gouvernementales. Je ne dirais pas que nous assistons à une vague de fond d'usines qui décident de quitter la Chine ou l'Asie pour revenir en Amérique du Nord, par exemple. Je pense que c'est encore exagéré, mais lorsque nous résumons l'histoire globale de la démondialisation, cela se traduit généralement par une croissance économique un peu plus faible.
Elle se traduit par un peu plus d'inflation. Quand on fait le bilan, certains pays sont perdants et d’autres gagnants. On pourrait dire que le Mexique et l'Inde sont gagnants. Le Viêt Nam, peut-être aussi, car il récupère une partie de ce que la Chine produisait autrefois. La Chine est peut-être la grande perdante dans tout cela, même si, en fin de compte, beaucoup de pays sont légèrement perdants en raison de l'inflation supplémentaire et de la baisse de la croissance.
Il s'agit d'une tendance qui s'étend probablement sur des années, et pas seulement sur des mois. Il ne faut donc pas s'attendre à ce que la situation change bientôt. Voilà, c'est tout pour moi aujourd’hui. C'était bien assez long; vous serez d'accord. Merci de m'avoir suivi. Si vous voulez en savoir davantage, si vous voulez m'entendre régulièrement ainsi que mon équipe, vous pouvez nous suivre sur Twitter.
X également, comme vous le voyez ici. LinkedIn est l'autre option. Et ici en bas, vous pouvez aller sur rbcgam.com, à l'onglet «perspectives», où vous trouverez toutes les recherches que nous publions. Je vous remercie à nouveau. Je vous souhaite beaucoup de succès dans vos investissements et je vous donne rendez-vous le mois prochain.