L’économie a fait preuve de résilience et ce dynamisme, conjugué aux tensions inflationnistes, a poussé les banques centrales à augmenter vigoureusement les taux d’intérêt au cours de l’année écoulée. Cependant, l’augmentation soudaine et massive des taux d’intérêt risque de faire basculer les économies dans la récession. Même si les valorisations ne se situent plus à des niveaux extrêmes, une éventuelle détérioration des bénéfices des entreprises pourrait rendre vulnérables les actifs à risque ou accroître les risques macroéconomiques.
Les pressions sur l’économie s’intensifient, le risque de récession augmente
La situation macroéconomique s’est améliorée au cours des derniers mois et nous avons révisé nos prévisions de croissance à la hausse. Cela dit, nous continuons d’anticiper une récession sur notre horizon prévisionnel d’un an. L’économie est stimulée par la vigueur du marché du travail et des dépenses de consommation, et jusqu’à tout récemment, un léger assouplissement des conditions financières. La réouverture de la Chine et la résilience de l’Europe face au choc énergétique ont également profité à l’économie mondiale, mais les investisseurs sont peut-être trop optimistes à l’égard des perspectives. À notre avis, la flambée massive et soudaine des taux d’intérêt au cours de l’année écoulée aura presque certainement des retombées négatives sur l’économie. Des signes de faiblesse apparaissent déjà dans le marché du logement, combinés à la hausse des stocks de marchandises, la baisse de la confiance des entreprises et la réduction des dépenses en immobilisations. De plus, des problèmes ont émergé du côté de plusieurs banques régionales américaines. Les décideurs ont pris des dispositions pour endiguer une contagion des difficultés financières, mais la faillite de Silicon Valley Bank met en lumière les vulnérabilités auxquelles sont exposées les entités fortement endettées. Nous évaluons à 70 % la probabilité qu’une récession se matérialise, et selon nous cette récession commencerait au deuxième semestre de cette année. Cela dit, nous avons rehaussé nos prévisions de PIB pour 2023, notamment en raison d’un début d’année meilleur que prévu pour l’économie. De plus, nous avons reculé le moment de la récession attendue en le faisant passer du milieu de l’année à la deuxième moitié de l’année 2023. Nos hypothèses ne changent pas en ce qui concerne l’ampleur et la durée de la récession, ainsi que la vitesse de la reprise qui s’ensuivra. À savoir, ces hypothèses demeurent un peu plus pessimistes que les prévisions générales. Dans les marchés émergents, nous attendons une trajectoire similaire pour l’économie, mais sans contraction de la production.
L’inflation est sur la voie de l’apaisement
Les principaux facteurs à l’origine de la flambée d’inflation se sont tous inversés. Le secteur des marchandises a absorbé le choc subi dernièrement, le fonctionnement des chaînes logistiques continue de s’améliorer, et les massives mesures de relance monétaire et budgétaire ont été revues à la baisse. De plus, les sociétés semblent perdre une partie de leur pouvoir de fixation des prix, tandis que les prix des maisons ont commencé à chuter. Dans un tel contexte, l’inflation devrait reculer plus rapidement que le prévoit le marché. Il est toutefois possible que des forces contradictoires maintiennent son taux au-dessus de la cible de la Fed de 2,0 %. D’une part, le marché du travail est tendu et les pressions inflationnistes se sont propagées dans quasiment tous les secteurs de biens et de services. L’inflation des services est la dernière à se renverser, d’une part parce qu’elle se trouve à la fin de la chaîne des décisions concernant les prix, d’autre part parce que les consommateurs continuent de profiter des activités auxquelles ils n’avaient pas accès pendant la pandémie. Nos prévisions relatives à l’inflation de base nous semblent raisonnables, mais la fourchette des évolutions potentielles est inhabituellement large. Les évolutions potentielles oscillent entre une inflation galopante tenace et une inflation qui se transformerait subitement en déflation temporaire.
Faiblesse du dollar américain en vue
Les vents se retournent contre le dollar américain. Le renversement de la hausse du billet vert est attendu depuis un certain temps. Cela fait plusieurs trimestres que nous insistons sur le fait que la force de cette monnaie en 2022 l’a fait passer d’un cours déjà élevé à une surévaluation extrême. Alors que le dollar commence à battre en retraite et qu’une multitude de facteurs se retournent contre lui, nous sommes de plus en plus convaincus que plusieurs années de faiblesse du dollar américain se profilent. Nous pensons que la plupart des monnaies du G10 et des marchés émergents bénéficieront de ce puissant changement cyclique.
Le besoin de poursuivre le resserrement monétaire est de moins en moins justifié
Les banques centrales continuent de relever leurs taux directeurs en réponse à une inflation intolérable. Certaines banques centrales comme la Banque du Canada pensent avoir atteint leur objectif, au prix d’un effort considérable. En revanche, la Fed, la Banque centrale européenne et la Banque d’Angleterre annoncent de nouvelles mesures de resserrement d’une ampleur modérée. À mesure que l’inflation s’apaise, les banques centrales pourront cependant assouplir leurs politiques. En Amérique du Nord, le taux directeur neutre est d’environ 2,50 %, soit la moitié du taux établi actuellement. Il est peu probable que les taux d’intérêt retombent à un niveau aussi faible que dans le passé. Cependant, un contexte de taux d’intérêt structurellement bas pourrait se rétablir peu à peu, étant donné les niveaux d’endettement élevés dans le monde, les tendances démographiques et la croissance économique limitée. De manière générale, la récente augmentation des taux d’intérêt met en lumière certaines vulnérabilités. Les pays dont la dette publique est élevée comme le Japon, la Grèce et l’Italie doivent maintenant composer avec un service de la dette nettement plus coûteux. Le Japon mérite une attention particulière, en particulier parce que sa dette est beaucoup plus lourde que celle de ses pairs et à cause des mesures extraordinaires prises par le pays pour atténuer les coûts d’emprunt.
Les taux obligataires se rapprochent de leur norme à long terme
L’an dernier, la Fed a brusquement ajusté sa politique, ce qui a porté un coup dur aux marchés obligataires. Toutefois, les taux se situent à présent plus près de leur norme historique. En décembre 2021, les taux d’intérêt se situaient à des niveaux extrêmement bas : le rendement des liquidités était de 0,1 %, le rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans était de 1,5 %, le rendement des titres de créance de première qualité était de 2,4 % (écart de 90 points de base) et les obligations à rendement élevé de 4,9 % (écart de 340 points de base). Après les ajustements massifs de 2022, ces chiffres ont cependant atteint 4,6 % pour les liquidités, 3,9 % pour les obligations américaines à 10 ans, 5,8 % pour les titres de créance de première qualité (écart de 166 points de base) et 8,7 % pour les obligations à rendement élevé (écart de 465 points de base). Il est à noter que malgré les pertes massives subies par les marchés des titres à revenu fixe au cours de la dernière année, l’ajustement des marchés a plutôt poussé les taux à s’extirper de leurs creux extrêmes pour revenir à des niveaux plus proches des moyennes enregistrées au cours des trois dernières décennies. À l’heure actuelle, notre modèle d’analyse des obligations indique que le risque de valorisation a considérablement diminué et que les perspectives de rendement se sont considérablement améliorées, surtout si nos prévisions de modération de l’inflation se confirment.
Les valorisations boursières sont raisonnables, et le risque correspond aux perspectives de bénéfices des sociétés
Selon nos modèles, la tendance baissière des actions observée l’an dernier a corrigé les valorisations excessives et rehaussé le potentiel de rendement. Notre modèle composite mondial d’équilibre laisse penser que les actions se situent 2 % au-dessous de leur juste valeur, comparativement à une surévaluation de 32 % à la fin du sommet de 2021. Il est important de noter que les valorisations varient grandement d’un marché à l’autre. Les États-Unis affichent les prix les plus chers, tandis que d’autres régions, en particulier les marchés émergents, se négocient à des prix attrayants par rapport à la juste valeur. Étant donné que les valorisations boursières ont été corrigées à des prix conformes aux niveaux actuels et prévisionnels des taux d’intérêt et de l’inflation, nous croyons que le risque majeur pour les marchés réside à présent dans les bénéfices des sociétés. Les bénéfices prévisionnels ont été progressivement abaissés au cours de la dernière année, compte tenu du ralentissement de la croissance et de la hausse des coûts. Les dernières prévisions générales des analystes font état d’une croissance nulle des bénéfices en 2023 par rapport à 2022. Toutefois, nous demeurons préoccupés par le fait que les bénéfices prévisionnels ne reflètent pas pleinement l’éventualité d’une récession, même légère.
Un changement apparaît dans les forces du marché
Entre octobre 2022 et février 2023, nous avons vu émerger plusieurs thèmes et tendances qui pourraient influencer les marchés financiers pendant de nombreuses années. Certains des grands changements observés sont les suivants : le dollar américain a commencé à fléchir ; les actions internationales ont surpassé les actions américaines ; les secteurs cycliques ont pris la tête des rendements ; les sociétés à petite ou moyenne capitalisation ont devancé les sociétés à grande capitalisation ; et les actions de valeur ont pris l’avantage sur les actions de croissance. Il nous faudrait davantage de preuves pour nous convaincre d’un changement durable et de grande envergure dans les forces du marché, mais cette évolution mérite d’être suivie de près. Certaines de ces nouvelles tendances sont au point mort, en raison des troubles récents survenus parmi les banques régionales des États-Unis. Toutefois, nous demeurons ouverts à la possibilité que le prochain marché à la hausse, au moment où il aura lieu, ne soit pas dominé par les thèmes qui ont pris le devant de la scène pendant la majeure partie de la dernière décennie.
Composition de l’actif : réduction de la pondération des actions et répartition plus proche de la neutralité
Nous recherchons un équilibre entre les risques et les rendements tout en privilégiant le long terme plutôt que le court terme, ce qui nous permet de maintenir une position prudente. De plus, nous avons rapproché notre position tactique de la neutralité au cours de ce trimestre. Même si nous continuons de penser que les actions surpasseront les obligations sur un horizon à long terme, la reprise des actions entre octobre 2022 et février 2023 a fait baisser le rapport risque-rendement des actions à court terme, et cela est d’autant plus vrai que les bénéfices des sociétés sont vulnérables lors des ralentissements économiques. Encore une fois, notre opinion a changé au vu de la faillite de Silicon Valley Bank et de la pression qui s’est ensuivie à l’égard du système financier aux États-Unis. Nous attendions déjà une certaine faiblesse dans le contexte économique, mais ces événements récents, à notre avis, ouvrent la voie à une nouvelle détérioration et réduisent les chances d’un dénouement heureux. Par conséquent, au début du trimestre, nous avons réduit notre pondération en actions de 100 points de base pour placer la moitié des produits en obligations et l’autre moitié en liquidités. Les rendements ayant atteint leur plus haut niveau en dix ans, les obligations d’État devraient offrir une protection face à un repli des actions au sein d’un portefeuille équilibré. De plus, les liquidités sont devenues un placement plus approprié, compte tenu des taux d’intérêt plus élevés aujourd’hui. En effet, elles constituent une sécurité pour le portefeuille dans le cas où une mauvaise surprise sur le front de l’inflation provoquerait des déclins simultanés des actions et des obligations. Compte tenu de l’incertitude accrue dans le contexte macroéconomique et de la fourchette inhabituellement large des évolutions potentielles, notre composition de l’actif est maintenant plus proche de la neutralité qu’elle ne l’a été depuis plusieurs années. Pour un portefeuille mondial équilibré, nous recommandons actuellement la répartition de l’actif suivante : 61 % en actions (position neutre stratégique : 60 %), 37,5 % en titres à revenu fixe (position neutre stratégique : 38 %) et le reste en liquidités.
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