L’économiste en chef Eric Lascelles donne son point de vue sur la reprise de l’économie chinoise, les prévisions de récession, le plafonnement de l’inflation, la démondialisation et plus encore.
Durée : 12 minutes 35 secondes
Transcription
La récente reprise économique de la Chine persistera-t-elle
La Chine se trouve, en 2023, dans une situation assez inhabituelle, dans la mesure où nous pensons que la majeure partie du monde subira un ralentissement économique et sombrera peut-être même en récession. Mais la Chine est en train de rouvrir. Elle a maintenu sa politique de tolérance zéro jusqu’à la toute fin de 2022. Lorsqu’elle l’a abandonnée, elle a traversé une vague d’infections dont elle émerge maintenant. De plus, les données économiques en temps réel nous indiquent clairement que la Chine rebondit sur le plan économique. Nous pouvons constater que les chiffres traditionnels commencent également à reprendre de la vigueur. Il semble aussi raisonnable de s’attendre à ce que la Chine connaisse cette année une croissance plus rapide que la normale, jouant ainsi un rôle utile de contrepoids par rapport à la faiblesse économique du reste du monde.
Maintenant, nous devons établir les attentes correctement. Nous prévoyons que la Chine connaîtra une croissance de 5,3 % en 2023. C’est plutôt bien. C’est mieux que la croissance inférieure à 3 % qu’elle a connu l’an dernier. Mais en fait, cela n’est pas supérieur à ce que l’on aurait considéré comme une année de croissance moyenne avant la pandémie. Il vaut la peine de reconnaître la reprise, de la souligner et de reconnaître la demande accumulée qu’elle pourrait libérer. Mais en même temps, il faut reconnaître que la Chine a effectivement des problèmes structurels qui n’ont fait que s’intensifier ces dernières années. Il s’agit de ses frictions avec les États-Unis et certaines parties du monde occidental. La situation géopolitique rendra donc à l’avenir la croissance chinoise plus difficile. Avec sa population qui diminue maintenant au point, dans une certaine mesure, de limiter la croissance, il est notoire que la Chine se trouve dans une situation démographique difficile. Le marché du logement a longtemps évolué dans une bulle, ce qui bénéficiait à l’économie. Il se stabilise maintenant. Nous pensons que le pire est derrière, mais qu’il ne sera plus le moteur de croissance qu’il a été.
La Chine semble également favoriser l’État plutôt que le secteur privé en ce moment. Cela ne se prête pas à une croissance rapide de la productivité. Nous pouvons souligner la reprise de 2023. Je soupçonne qu’à long terme, la Chine pourrait devenir un pays dont la croissance se situe entre 3 % et 4 %, ce qui est bien inférieur à celle qu’elle parvenait à atteindre auparavant.
Quelles sont vos attentes actuelles en matière de récession ?
Nous pensons toujours que la plupart des pays développés connaîtront une récession en 2023. Et la logique qui sous-tend notre raisonnement est essentiellement fondée sur le fait que nous avons vraiment connu un grand choc des taux d’intérêt. Les taux d’intérêt ont beaucoup augmenté et il serait assez inhabituel que nous évitions une récession après une hausse de cette ampleur. Cela dit, nous contre-vérifions cette idée. Par exemple, nous produisons une feuille de pointage sur la récession qui utilise différentes méthodes heuristiques pour tenter de déterminer si une récession est imminente. Je peux vous dire qu’une bonne moitié de ces méthodes donnent un résultat fermement positif et qu’environ un quart d’entre elles indiquent que c’est probable. Nous pensons en effet qu’il est plus probable que nous connaissions une récession que le contraire, avec une probabilité d’environ 70 %.
Notre travail sur le cycle économique arrive à des conclusions similaires, à savoir que nous sommes actuellement en fin de cycle, ce qui suggère que nous devrions tomber en récession d’ici quelques trimestres. Nous voyons un certain nombre d’indications de ce genre. Et nous pouvons constater que l’effet des taux d’intérêt plus élevés commence à se faire sentir, parce que les marchés résidentiels sont faibles et que les normes de crédit se resserrent considérablement.
Je tiens à souligner que nous pensons qu’une éventuelle récession devrait être assez brève, c’est-à-dire durer quelques trimestres. Je peux affirmer que selon nous, cette récession pourrait survenir un peu plus tard que ce que nous pensions auparavant. Nous croyons qu’elle aura lieu pendant le deuxième semestre de l’année plutôt qu’au milieu. C’est le reflet d’une certaine résilience économique au début de 2023. Mais en fin de compte, la probabilité qu’il y ait une récession est plus élevée que celle qu’il n’y en ait pas. Celle-ci pourrait s’avérer plus utile que bien d’autres, dans la mesure où elle contribuera à rajuster le marché du logement et à se débarrasser de certains des excès dus à la surchauffe économique. Mais en fin de compte, ce que nous recherchons, c’est une récession.
La dernière réflexion que nous partagerons est peut-être qu’il ne faut pas oublier que les récessions sont temporaires. Elles ne sont pas éternelles ! Nous prévoyons une relance économique plutôt dynamique en 2024. Il y a une lumière au bout de ce tunnel.
L’inflation a-t-elle plafonné ?
Nous sommes assez convaincus que l’inflation a atteint un sommet. En fait, nous pensons qu’elle a culminé vers le milieu de 2022. Depuis, elle a diminué de façon notable. Il est certain que ce processus a été assez cahoteux et le restera probablement. Certains mois seront négatifs et d’autres, espérons-le, seront positifs. Reconnaissons qu’il y a en ce moment, à mon avis, plus d’incertitude que d’habitude en ce qui concerne les perspectives d’inflation. Je ne veux pas donner l’impression que nous pouvons déterminer des chiffres exacts. Il est aussi bon de garder en tête qu’il est possible que d’autres scénarios que l’hypothèse de base se concrétisent, et notamment que la réouverture de l’économie chinoise stimule un peu l’inflation basée sur les matières premières. Le prolongement de la guerre en Ukraine et en Russie fait augmenter le risque d’une hausse des prix de l’énergie. On peut donc imaginer des scénarios allant dans cette direction.
Mais je pense que de façon plus fondamentale, les quatre grands facteurs qui ont rendu l’inflation si problématique en 2021 et 2022 ont tous changé à des degrés divers. Le choc des marchandises s’est nettement estompé. Dans la mesure où les économies s’affaiblissent, nous pourrions obtenir un peu plus d’aide sur ce front. Je ne dirais pas que les problèmes de chaîne logistique ont entièrement disparu, mais c’est presque le cas. Il y a eu une énorme amélioration sur ce front. Les banques centrales sont passées de mesures de relance extrêmes pendant la pandémie à des mesures très restrictives en ce moment. Il s’agit de plus qu’un renversement complet des mesures de soutien. De plus, les dépenses publiques ne sont pas aussi généreuses qu’avant.
Nous pensons donc qu’il est logique que l’inflation diminue. Nos prévisions en ce qui a trait à l’inflation sont en fait légèrement inférieures au consensus. Nous sommes légèrement optimistes sur ce front. Lorsque nous examinons la trajectoire de l’inflation, nous pensons que celle-ci pourrait descendre à 3 % ou même un peu en dessous vers la toute fin de l’année. Je vous préviens que nous ne prévoyons pas que l’inflation reviendra à la normale demain, après-demain ou le mois prochain. Nous savons que la croissance des salaires prendra du temps à se stabiliser.
Nous sommes conscients que l’inflation est devenue si généralisée qu’il va falloir du temps avant qu’elle ne se détende. C’est peut-être dû aux séquelles de notre récente expérience. Mais en fin de compte, nous croyons plutôt que l’inflation pourrait beaucoup diminuer, même si elle n’atteint pas 2 %.
Quelle est la probabilité d’un défaut de paiement de la dette américaine ?
Soyons clairs : de façon générale, le gouvernement des États-Unis a assez d’argent pour continuer de servir sa dette, et je ne pense pas que quelqu’un conteste sérieusement sa capacité fondamentale de payer toutes ses dettes. Mais il y a la question du plafond de la dette, qui n’est qu’une règle disant que le gouvernement ne peut emprunter d’argent sans l’accord du Congrès. Et une vraie bataille se prépare sur ce front.
Nous pensons que le plafond de la dette sera probablement atteint vers le milieu de l’année. Et maintenant que le Congrès est divisé et que les républicains contrôlent certains éléments du gouvernement, ils ont promis de livrer bataille. Les républicains voudraient réduire les dépenses publiques dans une certaine mesure, et cela ne plaît pas particulièrement aux démocrates.
Nous pouvons revenir sur l’expérience de 2011, c’est-à-dire la dernière fois que quelque chose de semblable a eu lieu, et cela a temporairement causé un certain remue-ménage. À cette époque, le rendement des obligations a chuté. Le cours des actions est descendu. L’établissement du prochain plafond de la dette laisse place à une certaine fébrilité au sein des marchés. C’est l’un des risques de chute du cours auxquels nous pensons beaucoup pour 2023.
Mais je tiens à souligner qu’en fin de compte, le risque d’un réel défaut technique de paiement de la dette est relativement faible. En fait, les marchés évaluent la probabilité que cela se produise à environ 1 %. De plus, même si cette probabilité d’environ 1 % se concrétisait, n’oubliez pas que le taux de recouvrement prévu, c’est-à-dire l’argent que vous recevriez par la suite si vous investissiez dans la dette du Trésor américain, est proche de 100 %.
Personne ne pense sérieusement que l’argent sera perdu à jamais. Il s’agit plutôt d’une situation qui pourrait s’avérer désordonnée. La polarisation politique aux États-Unis sera mise en évidence et les marchés pourraient fluctuer pendant un certain temps. Mais on pourrait considérer cette situation comme une occasion, dans la mesure où elle est susceptible d’être intrinsèquement temporaire.
Quelle sera l’incidence de la tendance à la démondialisation sur la croissance économique ?
Pendant plusieurs décennies, l’économie mondiale a été en partie poussée par la mondialisation. Celle-ci a stimulé le commerce, et les entreprises ont trouvé des endroits où il coûtait moins cher de fabriquer des choses ainsi qu’un plus grand nombre de marchés où les vendre. Mais cette tendance à la mondialisation a vraiment beaucoup ralenti au cours de la dernière décennie. Maintenant, provisoirement, on peut dire qu’elle semble s’inverser légèrement. Cela signifie donc que le rythme de l’expansion des échanges internationaux est maintenant inférieur à celui de la croissance économique.
Nous comprenons assez bien pourquoi ce renversement s’est produit. C’est en partie dû au fait que les avantages faciles à tirer sur le plan des échanges commerciaux ont déjà été exploités. C’est-à-dire qu’il y a déjà beaucoup d’intégration et d’activités du genre et qu’il n’y avait pas beaucoup de place pour en faire plus sur ce plan. Mais je pense que plus récemment, nous avons commencé à voir des pressions plus sérieuses s’exercer dans la direction opposée.
Par exemple, il y a maintenant d’importantes frictions entre bon nombre des grandes nations puissantes du monde. La Chine et les États-Unis ne s’entendent plus aussi bien. La Russie est soumise à des sanctions, les tarifs douaniers augmentent dans une certaine mesure, et le nombre de politiques industrielles augmente aussi.
Nous sommes maintenant dans une situation où la mondialisation semble au moins légèrement inversée et où l’on assiste à une relocalisation dans le cadre de laquelle les entreprises commencent à produire plus au sein leurs marchés intérieurs. Nous constatons une « amicalisation » qui ne constitue en fait qu’un transfert de la production, peut-être encore à l’échelle internationale, mais vers des nations plus amicales et qui partagent une idéologie plus semblable à celle des pays d’origine des entreprises. On observe également une « proximisation » qui consiste en un déplacement de la production dans des pays proches du pays d’origine des entreprises afin de faciliter l’accès et peut-être de réduire les coûts de transport. Tout cela a lieu en ce moment. Cela se produit en fait un peu plus rapidement que ce que nous pensions.
Pour résumer, tout cela est nettement négatif pour la Chine, dans la mesure où celle-ci a des choses à perdre sur ce plan. C’est un avantage net pour l’Inde, le Vietnam et l’Asie du Sud-Est, ainsi peut-être aussi que pour le Mexique. Il y aura donc des gagnants et des perdants Mais en fin de compte, alors que la mondialisation s’inverse, l’économie mondiale évolue un peu moins rapidement et l’inflation, un peu plus. Aucune de ces situations n’est particulièrement attrayante, mais c’est probablement la tendance dans un avenir prévisible.
Quelles sont vos perspectives actuelles pour le marché canadien du logement ?
Le marché canadien du logement a souffert, au moins au cours de la dernière année. Ce n’est pas une perspective particulièrement surprenant, dans la mesure où les taux d’intérêt ont augmenté et où le logement est le secteur le plus sensible aux taux d’intérêt. Et cela ne se produit pas non plus seulement au Canada. Nous constatons que les marchés du logement se sont affaiblis presque partout. Les reventes de maisons au Canada ont beaucoup chuté. Elles n’ont pratiquement pas été aussi faibles depuis le début du millénaire. Si l’on se penche sur les prix des maisons à l’échelle nationale, on constate qu’ils ont diminué d’environ 15 %, ce qui représente une baisse assez importante. Selon nous, il reste encore un peu de chemin à faire. Nous pensons qu’en fin de compte, les prix des maisons chuteront de 20 % à 25 % par rapport à leur sommet, mais je dois reconnaître qu’il s’agit d’un chiffre national sans grande utilité pour les gens à l’échelle des villes où ils vivent. Nous constatons aussi que les marchés comme, par exemple, ceux de l’Ontario et de la Colombie-Britannique sont plus faibles, mais c’est beaucoup moins le cas de marchés comme ceux de l’Alberta et de Terre-Neuve. Cela dépend donc de l’endroit où l’on se trouve, et implicitement, de la hausse des prix des maisons au cours des dernières années.
Cela dit, de toute évidence, quelle que soit la façon de la mesurer, une baisse de 20 % à 25 % du prix des maisons est importante. Et pourtant ce n’est pas tant que cela, dans le sens où cela ne permet pas d’envisager un renversement complet des prix de l’immobilier jusqu’aux niveaux d’avant la pandémie. Je suppose que cela est simplement dû au fait que la population canadienne augmente encore beaucoup, et ce, surtout en raison de l’immigration. Et par conséquent, nous ne sommes vraiment pas dans une situation où l’on peut raisonnablement parler d’un retour des niveaux d’accessibilité historiquement normaux. Selon nous, le marché restera probablement, je suppose, plus cher que la moyenne.
Et peut-être que nous pourrions examiner cela de plus près en expliquant pourquoi nous ne pensons pas que le marché du logement se stabilisera dès maintenant. Je veux dire que nous avons récemment constaté une certaine stabilité, mais que nous ne sommes peut-être pas encore arrivés à la fin du processus, et ce en partie parce que beaucoup de gens n’ont toujours pas été exposés aux taux hypothécaires plus élevés. Ils le seront tôt ou tard. Certains en subiront donc les conséquences. L’autre aspect est simplement que, dans le cadre de nos prévisions économiques, nous pensons que la probabilité qu’il y ait une récession est plus élevée que celle qu’il n’y en ait pas. Il s’agit généralement d’un facteur qui ralentit le marché du logement.
Je répète que nous souhaitons un léger ralentissement du marché du logement, mais peut-être pas un retour à des niveaux historiquement normaux. Tout cela freine l’économie canadienne. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles l’économie canadienne pourrait avoir un rendement inférieur à celle des États-Unis lors de toute récession : ces facteurs liés au logement nous touchent un peu plus.