Adam Phillips, chef, Situations particulières, Marchés développés à RBC Global Asset Management (UK) Limited, explique que l’endettement élevé, la hausse des taux d’intérêt, les changements d’habitudes des consommateurs et les tensions géopolitiques créent de nouvelles occasions.
1. Quelle est l’incidence du contexte macroéconomique actuel sur les sociétés émettrices ?
Le contexte macroéconomique est particulièrement difficile. Avant même le début de la pandémie, la plupart des sociétés des marchés des obligations à rendement élevé, des prêts à effet de levier et du crédit public avaient déjà atteint un niveau d’endettement plus élevé que la norme des dernières décennies. Au sortir de la pandémie, elles étaient non seulement encore plus fortement endettées, mais aussi moins aptes à prospérer par suite de la transformation des marchés.
Prenons l’exemple des cinémas, où la reprise est peu vigoureuse alors que les gens continuent d’utiliser les services de diffusion en ligne auxquels ils ont eu recours pendant les confinements. D’après nos recherches, les taux d’achalandage de la plupart des chaînes de cinéma à l’échelle mondiale ne se situent qu’à 65 à 70 % des taux de 2019. Même si certaines réussissent à compenser cette chute en augmentant le prix des billets et en vendant plus de nourriture et de boissons, la tendance est à une modification du modèle d’affaires.
Pour les fabricants en particulier, la situation s’est aggravée du fait des perturbations des chaînes logistiques qui persistent à ce jour. Il faut aussi compter avec la fin de la période de quelque 30 années de faibles taux d’intérêt, ces derniers tendant à revenir à des niveaux plus normaux. Actuellement, le taux final américain se situe à environ 5,3 % 1. L’augmentation des taux d’intérêt combinée à l’endettement élevé peut évidemment s’avérer problématique.
Enfin, il y a les effets micro et macroéconomiques de la guerre dans les pays en bordure de l’Europe. D’un point de vue microéconomique, de nombreuses entreprises ont dû cesser leurs activités en Europe de l’Est, en Ukraine et en Russie. Du côté macroéconomique, les perturbations des chaînes logistiques dans les secteurs des produits de base et des autres biens se sont aggravées. Par exemple, les problèmes d’approvisionnement en gaz naturel ont exacerbé l’inflation des prix de l’énergie.
Bref, les difficultés éprouvées par les sociétés émettrices offrent aux investisseurs des occasions qui vont aller en se multipliant.
2. Comment les banques réagissent-elles en termes d’appétit pour le risque et de capacité de prêter ?
Sans surprise, on voit les critères de crédit se resserrer. La Banque centrale européenne lance d’ailleurs des avertissements quant à l’augmentation prévue des prêts à risques. Les banques se trouvent dans une situation fondamentalement différente de celle qui prévalait lors des récessions précédentes : elles ont réduit leurs services de conclusion d’arrangement avec leurs emprunteurs et elle sont pénalisées en termes de capital par suite de leurs prêts à risques. Elles sont donc plus susceptibles de vendre des actifs en difficulté plus tôt que par le passé, et c’est exactement ce que nous constatons. La conjoncture est clairement avantageuse pour les investisseurs qui s’intéressent aux situations particulières.
3. Dans quels secteurs et régions se trouvent les occasions les plus attrayantes ?
L’Europe est sans aucun doute l’épicentre des tensions en ce moment. On y compte pour environ sept billions d’euros de prêts aux entreprises, de sorte que les situations particulières y abondent. Le Royaume-Uni est dans une situation particulièrement précaire en raison de l’instabilité politique, et aussi de la contraction de la main-d'œuvre qui a suivi le Brexit. Cela dit, il existe des occasions dans toute l’Europe, bien que nous nous concentrions sur le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, la Scandinavie et l’Italie.
Le ralentissement économique actuel se distingue des précédents en ce qu’il est très généralisé. Les effets inflationnistes de la guerre en Ukraine se sont fait sentir non seulement dans les secteurs primaires qui utilisent beaucoup de gaz naturel, mais aussi dans les produits de base et les matières premières, ce qui a affecté de nombreux fabricants. Les attentes inflationnistes ont déjà mené à des négociations salariales de sorte que de nombreux pays européens luttent pour limiter l’inflation des salaires, en particulier dans le secteur public. La crise du coût de la vie qui sévit dans certaines régions de l’Europe influe sur les dépenses discrétionnaires des consommateurs. En effet, si les gens peinent à payer leur facture de chauffage, ils ne vont certainement pas s’offrir une nouvelle voiture ou rafraîchir leur garde-robe. Les données indiquent également que les consommateurs dépensent moins pour les aliments et les boissons. Le ralentissement touche les produits chimiques, le papier et l’emballage, les soins de santé, les automobiles et les pièces automobiles, les cinémas, les aliments et les boissons, les loisirs, l’immobilier, les croisières, les fabricants, les voyages, les salles de sport, les hôtels, les constructeurs d’habitations et les entreprises de détail.
4. Compte tenu de l’ampleur des occasions, comment abordez-vous le montage des prêts et la sélection des actifs ?
RBC Global Asset Management (UK) Limited pratique la collaboration et les échanges d’idées au sein de ses équipes de placement. Nous travaillons en étroite collaboration avec l’équipe Financement à effet de levier, qui gère des actifs de plus de 15 milliards de dollars US. Nous voyons donc de nombreuses opérations conclues par cette équipe, dont certaines aboutissent chez nous.
De plus, notre équipe Situations spéciales est composée de six professionnels qui cumulent collectivement plus de 130 ans d’expérience et qui ont bâti un vaste réseau de contacts avec des conseillers en restructuration, des avocats, des banques d’investissement et d’autres intermédiaires. Nous avons investi partout dans le monde dans presque tous les secteurs imaginables, de sorte qu’aucune situation ne nous est étrangère. Nous croyons que notre riche expérience ne peut que porter des fruits dans des temps comme ceux que nous vivons actuellement.
5. Pourquoi les stratégies fondées sur des événements ponctuels sont-elles attrayantes pour les investisseurs en ce moment ?
D’abord et avant tout, ces occasions se font de plus en plus nombreuses. Il y a un an, notre liste de surveillance ne comptait que 70 à 80 noms ; elle en comporte maintenant 300 dans le secteur public seulement. Dans un contexte où le marché des actions et des titres à revenu fixe est en baisse, de nombreux investisseurs pourraient être attirés par les investissements non corrélés.