Le 7 décembre 2022, des représentants de gouvernements du monde entier se réuniront à Montréal, au Canada, en vue de négocier et de parachever les dispositions du cadre mondial pour la biodiversité pour l’après-2020. La 15e réunion de la Conférence des Parties (COP15) à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (CDB) est souvent comparée à l’Accord de Paris de 2015, qui avait mobilisé les gouvernements et la communauté financière de la planète dans la lutte contre les changements climatiques. Beaucoup espèrent donc qu’elle propulsera l’action mondiale pour protéger et reconstituer la biodiversité et le capital naturel de la Terre.
Dans le présent article, nous examinons l’importance financière de la biodiversité pour les investisseurs, ce qui est attendu de la COP15 et la façon dont les investisseurs peuvent évaluer les risques liés à la biodiversité et à la nature dans leurs portefeuilles de placement.
Définition de la nature et de la biodiversité
La nature comprend la terre, les réserves d’eau douce, les océans et l’atmosphère. Elle englobe à la fois l’étendue (la quantité) de ces éléments sur Terre, ainsi que l’état et la santé des espèces et des écosystèmes qui les habitent. Du point de vue économique, le capital naturel représente le stock de ressources renouvelables et non renouvelables, grâce auxquelles les entreprises, les sociétés et les économies créent de la valeur.
La biodiversité est une caractéristique de la nature et du capital naturel. Elle désigne la variété des espèces vivantes sur Terre, y compris la flore et la faune, ainsi que les bactéries, les champignons et les écosystèmes naturels.
Une bonne biodiversité est essentielle au maintien d’un capital naturel de qualité. Elle favorise la santé des écosystèmes, afin qu’ils puissent éliminer les impuretés de l’eau et de l’air, maintenir les sols, réguler le climat, recycler les nutriments et fournir de la nourriture.
Incidences financières de la biodiversité
Les investisseurs considèrent depuis longtemps la biodiversité comme un facteur environnemental faisant partie des risques environnementaux, sociaux et de gouvernance potentiellement importants. Cependant, depuis quelques années, le déclin de la biodiversité et la perte de milieux naturels sont aussi de plus en plus souvent inclus dans les risques systémiques. Cela signifie que ces reculs pourraient avoir des répercussions importantes et généralisées sur les marchés financiers, les régions et les sociétés. Comme il est de plus en plus évident que les entreprises et la société dépendent de la nature et ont sur elle des effets négatifs, les efforts visant à mesurer les éventuelles répercussions financières de ces risques augmentent.
En ce qui concerne les entreprises, celles qui ont une incidence directe sur la nature ou qui en dépendent sont les plus exposées aux risques liés à la nature. Elles se trouvent dans les secteurs suivants : aliments et boissons, transformation des minéraux et des matières extractibles, soins de santé, transformation des ressources, biens de consommation, ressources renouvelables et énergies de remplacement, transport et infrastructure1.
Par exemple, les entreprises dont les activités ou les revenus sont fortement tributaires de milieux naturels peuvent être exposées à des risques physiques disproportionnés, car les dommages causés à la nature peuvent entraîner une baisse directe de leurs activités. Celles qui nuisent beaucoup à la nature, par exemple, en raison de leurs émissions ou de leurs déchets, peuvent courir un risque de responsabilité démesuré en raison des éventuels litiges. Dans les deux cas, les entreprises font face aux risques liés à la transition découlant des nouvelles politiques, technologies ou attitudes du marché. Ces risques peuvent avoir de nombreuses conséquences, notamment perturber les activités ou les chaînes de valeur des entreprises, attiser la volatilité des prix des matières premières, ou entraîner des coûts d’adaptation, le délaissement d’actifs ou la destruction du capital. Chacune de ces conséquences est susceptible d’influer sur le profil risque-rendement d’un placement dans ces entreprises et de poser un risque de placement pour les investisseurs en actions et en titres à revenu fixe2.
Exemple : Risques liés à la nature dans le secteur agricole
Le secteur agricole dépend étroitement de la nature et engendre des répercussions directes sur elle. Plusieurs risques liés à la nature peuvent menacer les entreprises de ce secteur, dont les suivants :
- Risque physique, sous forme d’actifs délaissés, étant donné que la diminution des précipitations et la vulnérabilité accrue aux parasites menacent le rendement des cultures, réduisent la valeur des terres et compromettent la viabilité des entreprises.
- Risque lié à la transition découlant de l’augmentation des coûts pour passer à des méthodes agricoles de remplacement et à de nouvelles lignées de culture résistantes à la sécheresse ou aux maladies.
- Risque de responsabilité qui peut se matérialiser par des amendes ou des dommages-intérêts potentiels lorsque le ruissellement d’engrais détériore la qualité des eaux souterraines.
Sur le plan macroéconomique, le Forum économique mondial a estimé que plus de la moitié du PIB mondial, soit environ 44 000 milliards de dollars américains, dépend modérément ou fortement de la nature et de ses services3. Cette estimation reconnaît que la perte de milieux naturels entraîne une baisse de la valeur économique et de la productivité, et éventuellement des épisodes d’agitation sociale et politique.
L’importance systémique de plus de 20 000 espèces de pollinisateurs (abeilles sauvages, mouches, papillons, chauves-souris, oiseaux, singes, etc.) pour la production alimentaire mondiale illustre bien ce lien de dépendance. Les pollinisateurs sont indispensables à plus de 75 % des cultures vivrières dans le monde et à environ 35 % de la production alimentaire mondiale4. Selon les estimations, la disparition des pollinisateurs entraînerait une perte directe pour le marché de 235 à 577 milliards de dollars américains à l’échelle mondiale5.
Au-delà des éventuelles pertes financières directes, la disparition des pollinisateurs pourrait provoquer une baisse marquée de la production d’aliments comme le cacao, les avocats, les noix, le café et divers fruits qui toucherait de manière disproportionnée les économies en développement où bon nombre de ces cultures sont pratiquées. Elle pourrait perturber l’approvisionnement et la sécurité alimentaires à l’échelle mondiale, mais peut-être plus particulièrement dans les pays développés, dont les régimes ont tendance à être davantage tributaires des pollinisateurs. Elle peut également nuire à d’autres services liés aux pollinisateurs, notamment les médicaments, les biocarburants, les fibres et les matériaux de construction.
Pour les investisseurs, l’évaluation de l’impact éventuel de la perte de milieux naturels sur les rendements prévus des portefeuilles pourrait gagner en importance.
Le rôle de la COP15 et du cadre mondial pour la biodiversité
La COP15 est la 15e réunion annuelle des pays signataires de la Convention sur la diversité biologique (CDB) élaborée dans le cadre du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). La conférence de cette année est particulièrement importante, car les pays devraient achever les négociations sur le cadre mondial pour la biodiversité pour l’après- 2020.
Le cadre mondial fixera des objectifs mondiaux pour 2030 en vue de lutter contre les cinq principaux facteurs de déclin de la biodiversité : changement de l’utilisation des terres et de la mer, changements climatiques, pollution, surexploitation et espèces envahissantes. Lors de la COP15, les pays devraient s’entendre sur ces cibles, en donnant la priorité aux thèmes suivants :
- Réduction des menaces à la biodiversité
- Satisfaction des besoins des gens par une utilisation durable et le partage des avantages
- Outils et solutions pour la mise en œuvre et l’intégration
Le but du cadre mondial pour la biodiversité est de créer un « Accord de Paris pour la nature », en référence à l’Accord de Paris signé en 2015 pour appeler à lutter contre les changements climatiques. À l’instar de l’Accord de Paris, qui a obligé les pays à prendre des engagements relativement au climat, appelés contributions déterminées au niveau national, l’objectif du cadre mondial pour la biodiversité est de faire en sorte que les pays établissent des stratégies et des plans d’action nationaux pour la biodiversité, qui seront suivis et mis à jour au fil du temps.
Établir des liens : biodiversité et changement climatique
Les risques liés à la nature et le déclin de la biodiversité sont souvent mentionnés de façon distincte des changements climatiques, mais en réalité, les deux enjeux sont liés.
Les changements climatiques constituent l’un des cinq facteurs qui conduisent directement au déclin de la biodiversité et à la perte de milieux naturels. En raison du réchauffement, le nombre d’espèces menacées d’extinction s’accroît. Même si le réchauffement climatique est limité à 1,5 °C, en vertu de l’Accord de Paris, jusqu’à 14 % des espèces des écosystèmes terrestres resteront probablement exposés à un risque d’extinction très élevé selon les estimations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). La part atteint 29 % en cas de réchauffement de 3 °C et 39 % si les températures augmentent de 4 °C6.
Le déclin de la biodiversité exacerbe les effets négatifs des changements climatiques. En effet, des écosystèmes sains et riches en biodiversité jouent un rôle important dans l’absorption des émissions et de la chaleur. Ils contribuent ainsi à atténuer les changements climatiques de même qu’à améliorer la capacité de la Terre à s’adapter aux catastrophes naturelles et à y résister.
En raison des effets positifs de la nature sur l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ces changements, les gouvernements et la communauté financière s’intéressent de plus en plus à des solutions fondées sur la nature, qui protègent et restaurent les écosystèmes naturels et réduisent les risques systémiques de la perte des milieux naturels et des changements climatiques.
Jusqu’à présent, dans le cadre de la High Ambition Coalition for Nature and People (HAC), plus de 100 pays se sont déjà engagés à protéger 30 % des terres et des océans d’ici 2030 (une initiative surnommée « 30x30 »). En outre, 94 pays ont signé la Leaders’ Pledge for Nature, l’engagement des dirigeants envers la nature qui vise à inverser le déclin de la biodiversité d’ici 2030. Soulignons qu’à l’heure actuelle, seulement 15 % des terres et 7 % des océans sont protégés dans le monde. Des changements politiques et technologiques radicaux seront donc indispensables pour doubler la part des terres et quadrupler celle des océans qui seront protégées7.
Toutes ces initiatives sont importantes et témoignent de l’orientation prise par la gestion de la biodiversité et des risques liés à la nature. Toutefois, la résolution des problèmes dépendra des politiques, des cadres et des plans d’action mis en place par les pays et les entreprises. L’évolution des politiques, de la technologie et des marchés pour lutter contre le déclin de la biodiversité et la perte des milieux naturels pourrait poser des risques importants pour les investisseurs et leurs portefeuilles.
Répercussions pour les investisseurs
Les conséquences financières du déclin de la biodiversité et de la perte des milieux naturels étant de plus en plus visibles, le rôle du système financier prend une place grandissante dans le débat sur la nature et la biodiversité. En mars 2022, le Réseau pour le verdissement du système financier, qui regroupe 114 banques centrales et organismes de supervision du secteur financier dans le monde, a publié une déclaration reconnaissant que les risques liés à la nature pourraient avoir des répercussions macroéconomiques importantes et que si rien n’est fait pour en tenir compte, les atténuer et s’y adapter, la stabilité financière pourrait être menacée8.
Toutefois, les méthodes et les outils pour mesurer ces risques sont encore en cours d’élaboration. Contrairement aux changements climatiques, pour lesquels un paramètre clé (les émissions de carbone) est au cœur de la comptabilisation de leur impact et de la mesure des risques, il n’existe pas encore d’indicateur de biodiversité établi par rapport auquel les entreprises, les pays et les investisseurs peuvent s’organiser. Bien que les risques liés à la biodiversité et à la nature soient difficiles à classifier et à quantifier, les données et les outils s’améliorent :
- Des initiatives comme le Groupe de travail sur la divulgation de l’information financière liée à la nature (TNFD) progressent rapidement pour fournir un cadre aux entités afin qu’elles puissent mesurer et rendre compte des risques liés à la nature.
- Des efforts sont en cours pour accroître l’offre de données et définir une méthodologie, par l’entremise de fournisseurs de données indépendants et d’initiatives sectorielles comme le Partnership for Biodiversity Accounting Financials (PBAF).
- Le Science Based Targets Network (SBTN) a également publié des lignes directrices préliminaires à l’intention des entreprises qui souhaitent établir des cibles fondées sur la science pour protéger la nature.
- Plusieurs autres outils, normes et initiatives sont en cours d’élaboration de publication ou de perfectionnement, notamment ceux de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), du Global Risk Institute (GRI), de l’IPBES, et de la Natural Capital Finance Alliance (NCFA, outil ENCORE)
À mesure que les données et les déclarations se précisent, les investisseurs devront déterminer l’importance des risques liés à la nature et du déclin de la biodiversité pour les portefeuilles et les placements. Et s’ils sont importants, ils devront tenir compte de ces facteurs au moment de prendre des décisions de placement.
Dans le cadre de l’intégration des critères ESG, les équipes de placement de RBC GMA évaluent les facteurs ESG importants durant le processus de prise de décision relatif aux types de placement visés9. Les critères pris en considération sont notamment la biodiversité et l’utilisation des terres, l’utilisation des ressources naturelles, le stress hydrique, la gestion durable des forêts et d’autres facteurs, lorsque ces facteurs sont importants financièrement pour un secteur ou un émetteur.
En tant qu’investisseur, RBC GMA appuie également l’Investors Policy Dialogue on Deforestation (IPDD) au Brésil. L’une des entités affiliées à RBC GMA, BlueBay Asset Management LLP (BlueBay), est coprésidente de l’IPDD et collabore avec les intervenants brésiliens et internationaux en vue de stopper la déforestation.
Pour en savoir plus, consultez Notre démarche en matière d’investissement responsable et Notre approche des changements climatiques.