Aperçu
Le bulletin de cette semaine fait le point sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine et examine d’autres scénarios, les répercussions économiques, l’envergure des alliés de la Russie et les difficultés additionnelles que la situation représente sur le plan de la mondialisation. Il passe également en revue l’actualité économique, met l’accent sur l’importance de transformer les dépenses consacrées aux biens en dépenses consacrées aux services et présente quelques améliorations au niveau des chaînes logistiques. Nous traitons aussi des banques centrales, du déclin de la confiance de la société et de la plus récente vague de COVID-19.
Guerre Russie-Ukraine
La guerre en Ukraine se poursuit. La Russie a reporté une partie appréciable de son attention et de ses ressources militaires sur l’est et le sud de l’Ukraine. Toutefois, bon nombre des bataillons russes qui se sont retirés du nord de l’Ukraine ont été endommagés à un point tel qu’ils ne pourront pas se redéployer avant un certain temps. On rapporte que la Russie cherche à mobiliser 60 000 réservistes pour renforcer ses troupes.
Les forces ukrainiennes ont récemment freiné les avancées de la Russie dans l’est et le sud du pays, bien que la ville de Marioupol ait été en grande partie détruite. L’Ukraine tente de reprendre la ville de Kherson, la seule capitale régionale occupée par la Russie dans le sud.
Autres scénarios
Le scénario le plus plausible demeure celui où la guerre se poursuit à son intensité actuelle. Mais il en existe d’autres.
Une escalade en vue ?
La Russie peine à contrôler une toute petite partie de l’Ukraine ; il est donc peu probable que la guerre s’étende à l’ensemble du pays, et encore moins à d’autres parties de l’Europe de l’Est. La plus grande crainte concernant une escalade porte plutôt sur la possibilité que la Russie décide d’utiliser des armes chimiques ou des armes nucléaires tactiques.
La probabilité d’une attaque chimique est beaucoup plus élevée que celle d’une attaque nucléaire. Des armes chimiques à grande échelle ont été déployées par la Syrie en 2013, et ont été utilisées à plusieurs reprises depuis le dernier (et seul) recours à des armes nucléaires à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La Russie a posé son veto pour protéger la Syrie contre les sanctions exigées par les Nations Unies (ONU) à la suite de son utilisation d’armes chimiques.
De plus, la Russie a elle-même eu recours à des armes chimiques à petite échelle au cours des dernières années pour tenter de tuer différents adversaires politiques, prouvant ainsi qu’elle possède de telles armes et qu’elle est prête à les utiliser. Au cours du dernier mois, plusieurs membres d’une partie négociatrice cherchant à obtenir un cessez-le-feu entre la Russie et l’Ukraine ont également été empoisonnés, bien que le responsable n’ait pas été révélé.
Il est beaucoup moins probable que la Russie se serve d’armes nucléaires tactiques. Cela dit, il convient de noter que la Russie a modifié sa doctrine en matière de guerre nucléaire en 2020 afin de pouvoir utiliser des armes nucléaires non seulement pour répliquer à une éventuelle attaque nucléaire, mais aussi pour réagir à toute menace à l’intégrité territoriale de la Russie. En théorie, cela inclurait la perte de la Crimée, que revendiquent à la fois la Russie et l’Ukraine. Cela pourrait aussi inclure certaines régions des deux provinces de l’est de l’Ukraine.
La probabilité que la Russie utilise effectivement des armes nucléaires est toutefois extrêmement faible. Le risque qu’elle ait recours à des armes chimiques demeure bien en deçà de 50 %.
Une désescalade est-elle possible ?
Une désescalade des tensions, par le biais d’un cessez-le-feu, par exemple, est également possible. Un cessez-le-feu pourrait être signé, par exemple. Cependant, cette probabilité a diminué au cours des dernières semaines, en dépit du fait que le président ukrainien Zelensky a réitéré que l’Ukraine ne souhaitait plus se joindre à l’OTAN et que le président américain Biden a nuancé ses commentaires selon lesquels il fallait que le président russe Poutine soit démis de ses fonctions.
Il y a plusieurs raisons pour lesquelles un cessez-le-feu pourrait être difficile à instaurer à court terme :
- Avant que l’Ukraine puisse adopter la neutralité militaire exigée par la Russie, elle devrait tenir un référendum à l’échelle du pays. Un tel processus pourrait prendre un an et le résultat est incertain.
- L’Ukraine affirme avoir besoin de garanties militaires crédibles pour assurer sa protection future. Toutefois, l’Occident hésite toujours à prendre des engagements formels susceptibles de l’entraîner dans une future guerre contre la Russie.
- L’Ukraine pourrait éventuellement accepter la perte permanente de la Crimée, mais pas celle de la région du Donbass. Inversement, il est peu probable que la Russie accepte d’abandonner la partie de la région du Donbass que ses représentants contrôlent depuis huit ans.
- Il est possible que la Russie participe aux négociations uniquement afin d’avoir plus de temps pour atteindre ses objectifs militaires.
- La Russie affirme que le retrait de ses troupes de Kiev avait pour but d’améliorer la « confiance mutuelle » ; en réalité, il est plutôt un reflet de ce qui peut être accompli par l’armée russe.
- La Russie sera peut-être moins disposée à conclure un accord de paix maintenant que l’armée ukrainienne a mené une attaque visant à endommager un dépôt de pétrole en territoire russe.
- L’Ukraine pourrait être moins encline à accepter un cessez-le-feu étant donné qu’elle a réussi à repousser la Russie dans certaines régions, et que plus les sanctions se prolongeront, plus l’économie de la Russie s’affaiblira.
- L’empoisonnement de plusieurs personnes participant aux pourparlers de paix est de mauvais augure pour les négociations.
- La Russie est maintenant accusée d’avoir commis des atrocités en Ukraine, un développement qui ne favorise en rien les négociations.
À la lumière de tous ces facteurs, les marchés des paris ont considérablement revu à la baisse la probabilité d’un cessez-le-feu, qui s’établit maintenant à seulement 17 % d’ici le 1er juin et à 56 % d’ici le 1er décembre. Ce dernier résultat était de 73 % il y a quelques semaines.
Nouvelles sanctions
D’autres sanctions – relativement modestes par rapport à la vague initiale – semblent sur le point d’être adoptées en réponse aux rapports faisant état d’atrocités commises par les militaires russes en Ukraine. Elles comprennent notamment :
- de nouvelles sanctions contre les Russes fortunés ayant des liens avec le pouvoir politique ;
- une application plus stricte des sanctions existantes ;
- l’ajout de quatre banques russes sur la liste d’entités faisant l’objet de restrictions de l’Union européenne (UE) ;
- une possible fermeture des ports européens aux navires russes.
Les dirigeants de l’UE doivent également se réunir cette semaine pour déterminer si une interdiction pure et simple des importations de charbon et de pétrole en provenance de la Russie s’impose. Toute interdiction éventuelle du pétrole russe serait probablement mise en œuvre de façon progressive. Les États-Unis ont laissé entendre qu’ils tenteraient d’inciter davantage de pays à appliquer leurs propres sanctions contre la Russie.
Les entreprises continuent également de quitter le pays. Maersk, l’une des plus importantes sociétés de transport par conteneurs au monde, a suspendu toutes ses expéditions vers la Russie. Ikea, H&M, Toyota, Honda, Mercedes-Benz et Volkswagen figurent parmi les autres sociétés qui ont récemment quitté la Russie.
Marchandises
Les prix des marchandises de base se sont un peu stabilisés. Les prix du pétrole et du gaz ne sont pas aussi élevés qu’ils l’étaient il y a un mois, mais ils demeurent élevés (voir le graphique suivant). Il en va de même pour les prix de plusieurs métaux. Cela dit, le débat est loin d’être clos à cet égard.
Indice du gaz naturel NCG Germany
Données au 8 avril 2022. Sources : Intercontinental Exchange (ICE), RBC GMA, Macrobond.
Gaz naturel
Plus précisément, un risque appréciable subsiste à l’égard des prix du gaz naturel en Europe.
L’approvisionnement en gaz naturel russe n’a pas été entravé, ce qui laisse croire que les prix pourraient encore baisser. La Russie continue d’en offrir et l’Europe, d’en importer – en plus grande quantité qu’avant – dans le but sans doute d’étoffer ses stocks. Par conséquent, l’augmentation du prix du gaz naturel est entièrement attribuable à une prime de risque plutôt qu’à une véritable pénurie d’approvisionnement.
Cela dit, l’Europe continue de chercher d’autres fournisseurs de gaz naturel. Le marché du gaz naturel est fortement régionalisé, ce qui signifie que tout achat supplémentaire de la part de l’Europe se traduira par un manque à gagner difficile à combler ailleurs dans le monde. Un potentiel de différends importants persiste donc à cet égard.
Par ailleurs, rien ne garantit que la Russie maintiendra son approvisionnement en gaz naturel. Elle pourrait cesser ses exportations de façon arbitraire. De plus, elle exige maintenant que les acheteurs étrangers paient leur gaz en roubles, ce que l’Europe refuse de faire jusqu’ici. Le paiement est exigible au début du mois de mai, et l’approvisionnement pourrait être suspendu si cette condition n’est pas remplie.
L’énergie nucléaire, longtemps boudée, suscite de nouveau l’intérêt. Ce n’est d’aucun secours dans l’immédiat, mais cela en dit long sur la répartition prévue de l’énergie à long terme. Après la Chine et la France, qui ont déjà adopté cette source d’énergie, quatre provinces canadiennes ont annoncé des plans visant la mise en œuvre d’un nouveau type de petits réacteurs nucléaires.
Pétrole
Nous continuons d’estimer que l’offre mondiale de pétrole a enregistré une baisse nette de 2 millions de barils par jour, en raison de la répugnance à s’approvisionner auprès de la Russie. Les choses pourraient toutefois ne pas être aussi graves pour plusieurs raisons.
- Les États-Unis ont récemment annoncé qu’ils libéreraient un million de barils de plus par jour de leurs réserves stratégiques au cours des six prochains mois.
- Divers producteurs tentent également d’accroître leur production (pétrole de schiste des États-Unis, Canada et d’autres pays) ou sont invités à le faire (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, éventuellement Venezuela ou Iran). L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a refusé d’aider jusqu’à présent.
- Certains pays, comme l’Inde, profitent aussi du fait que le pétrole russe est impopulaire et donc bon marché pour augmenter leurs achats.
De son côté, l’Agence internationale de l’énergie a récemment évalué à plus de trois millions de barils par jour la perte entraînée par la guerre. Comme nous l’avons mentionné précédemment, l’Europe pourrait emboîter le pas à une poignée d’autres pays et interdire carrément le pétrole russe.
En raison du déséquilibre entre l’offre et la demande, les prix du pétrole devraient se trouver dans une fourchette de 100 $ à 150 $ le baril. Or, ils se situent actuellement dans la partie inférieure de cette fourchette. Avant même que la guerre éclate, le marché du pétrole était passé d’une surabondance à une capacité plutôt limitée (voir le graphique suivant).
Les stocks de brut mondiaux sous leur moyenne historique
En date de février 2022. D’après les stocks commerciaux de pétrole brut et la consommation des pays de l’OCDE. Moyenne historique depuis 1997. Sources : Energy Information Administration (EIA) des États-Unis, RBC GMA
Enjeux économiques
La Banque mondiale estime que l’économie de l’Ukraine se contractera de 45 % en 2022. La banque centrale du pays prévoit un déclin d’une ampleur à peu près comparable de 50 %.
Pour ce qui est de la Russie, la Banque mondiale s’attend à une baisse du PIB de 11,2 % en 2022. C’est un peu plus marqué que les prévisions générales, mais assez proche de ce que nous anticipons, soit un recul de 10 %. Afin d’atténuer les dommages économiques, la banque centrale russe a abaissé son taux directeur de 20 % à 17 %, après l’avoir augmenté de 10 % au début de la guerre pour défendre la monnaie et maintenir l’épargne nationale.
Néanmoins, l’économie russe sera probablement mise à mal. Les secteurs de l’automobile, de l’aviation et de l’électroménager du pays dépendent tous de matériel importé qui n’est plus disponible. Par ailleurs, le gouvernement russe a, de manière préventive, coupé l’accès à des sites comme Facebook et Twitter, et menace de bloquer YouTube. Il semble que des professionnels quittent le pays, provoquant une importante fuite des cerveaux pour la Russie.
D’après les projections de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la guerre retranchera un point de pourcentage à la croissance mondiale. Le secteur privé table plutôt sur une diminution de 0,5 % (ce qui est très proche de nos propres prévisions). Bien sûr, la croissance réelle dépendra en grande partie du niveau auquel les prix des marchandises finiront par se stabiliser et de la durée des sanctions.
Alliés de la Russie
Beaucoup croient que la Russie est un État paria ou qu’elle n’a guère d’alliés. En fait, elle en a plus que ce que l’on imagine souvent, que ce soit en Europe, en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et en Amérique du Nord (voir le graphique suivant).
Si on considère que les pays qui ont refusé d’exiger la fin des opérations militaires en Ukraine, lors d’un vote des Nations Unies tenu le 2 mars, sont les alliés de la Russie, alors 48 pays sur 195 peuvent aujourd’hui être inclus dans ce groupe. Collectivement, ces pays génèrent 27,7 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Ils comprennent l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Vietnam, l’Afrique du Sud et l’Irak, ainsi que la Chine qui se taille la part du lion.
Les pays alliés de la Russie génèrent 26 300 milliards de dollars, soit 27,7 % du PIB mondial
Au 7 avril 2022. La zone ombrée représente les pays qui ont voté contre, qui se sont abstenus ou qui étaient absents lors du vote des Nations Unies sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Sources : Trading Economics, Wikipedia, mapchart.net, RBC GMA
Ensemble, ces pays représentent 39 % de la production mondiale de pétrole et 24 % de la production mondiale de blé et de cuivre.
Notons que le groupe des alliés de la Russie n’est pas une nouvelle mouture de l’ancien Pacte de Varsovie, qui s’est posé comme adversaire pro-russe de l’OTAN pendant la guerre froide. En fait, aucun des anciens membres du Pacte de Varsovie ne fait partie de ce groupe aujourd’hui. Certains figurent au contraire parmi les plus farouches opposants à la Russie.
Les pays qui appuient la Russie aux Nations Unies sont actuellement nettement moins nombreux qu’en 2014, lors de l’invasion de la Crimée. À ce moment-là, pas moins de 93 pays avaient refusé de s’exprimer contre la Russie. Il est difficile de dire si le soutien s’est effrité parce que la Russie s’est conduite de façon beaucoup plus choquante cette fois-ci ou parce que son influence s’est amenuisée au fil des ans.
Désormais, la Russie pourrait jouer un rôle plus important auprès des pays les plus pauvres du monde. Les pays développés occidentaux délaissent les ressources russes et s’approvisionnent ailleurs au prix fort. Ce faisant, ils poussent les pays pauvres à se rapprocher de la Russie, afin d’obtenir des matériaux devenus rares en quantité suffisante.
Obstacles à la mondialisation
La guerre menée par la Russie accentue une fracture géopolitique qui existait déjà et cela nuit à la mondialisation. Les divisions n’avaient pas été aussi profondes depuis le plus fort de la guerre froide. Il est particulièrement inquiétant que des pays comme l’Inde et la Chine semblent choisir le camp opposé à celui des États-Unis et de la plupart des pays développés.
La mondialisation avait déjà amorcé un ralentissement avant même ce nouveau coup dur (voir le graphique suivant). À un moment donné, les échanges commerciaux croissaient deux fois plus vite que l’économie mondiale. Puis, l’écart a régulièrement rétréci au cours des deux dernières décennies, au point qu’ils progressent maintenant à peu près au même rythme (en pourcentage). Autrement dit, la mondialisation stagne au lieu de s’étendre.
Depuis le début du siècle, les échanges commerciaux croissent moins vite que le PIB
Ratio de la croissance sur 5 ans des exportations réelles de biens et de services à la croissance sur 5 ans du PIB réel. Ratio pour 2021 établi selon les prévisions de l’OCDE. La zone ombrée représente une récession aux États-Unis. Sources : OCDE, Haver Analytics, RBC GMA.
Pourquoi la mondialisation a-t-elle ralenti au cours des deux dernières décennies ? Plusieurs facteurs sont en jeu.
- Depuis longtemps, les tarifs douaniers sont relativement bas. Par conséquent, les occasions de signer de nouveaux accords commerciaux importants en vue de favoriser l’intégration se sont faites rares.
- Le monde est devenu plus homogène au cours des dernières décennies. Les écarts de salaires et de productivité ont diminué au point que les avantages des échanges commerciaux sont moins intéressants.
- L’automatisation étant de plus en plus répandue, les différences de coûts de main-d’œuvre perdent en importance.
- La Chine, un puissant moteur de croissance et de mondialisation, a ralenti et son avantage concurrentiel par rapport aux pays développés a diminué.
Enfin, quand les tensions avec la Chine se sont accrues sous le gouvernement Trump (voir le graphique suivant) et que les problèmes des chaînes logistiques se sont aggravés pendant la pandémie, les entreprises ont réévalué leurs priorités. Au lieu de rechercher les coûts les plus bas et la production la plus fiable dans des conditions normales, elles ont commencé à privilégier la résilience des chaînes logistiques et l’accès en tout temps à des matériaux et à des technologies essentiels.
Cela ne signifie pas qu’elles ferment des usines existantes, mais plutôt que celles qu’elles ouvrent se situent souvent hors des lieux habituels. Les entreprises ont rapatrié une partie de leurs capacités, mais dans la plupart des cas, elles cherchent d’autres pays, souvent moins développés que la Chine, pour y installer de nouvelles usines. Cette orientation ne constitue absolument pas un recul de la mondialisation.
Les Américains ont tourné le dos à la Chine
Nota : Les résultats « je ne sais pas » ou « je refuse de répondre » ne sont pas inclus. Sources : Pew Research Center, RBC GMA
Donc les changements entourant la mondialisation étaient déjà bien avancés avant que la guerre n’éclate en Ukraine. La guerre a sans aucun doute aggravé les choses, à court terme, du fait que la Russie se voit limitée dans ses échanges commerciaux, et aussi à plus long terme, avec l’apparition de nouveaux blocs de pays.
Il est quelque peu préoccupant que plusieurs des nouveaux centres de production recherchés par les sociétés pour remplacer la Chine se soient rangés du côté de la Russie. C’est notamment le cas de l’Inde, du Bangladesh et du Vietnam. Mais tous ne l’ont pas fait, et le monde n’est pas tout noir ou tout blanc. La plupart des pays qui se sont rangés du côté de la Russie aspirent à entretenir de bonnes relations à la fois avec les États-Unis et la Russie (en incluant la Chine), et non avec un bloc seulement. À titre d’exemple, l’Inde semble décidée à conclure des contrats commerciaux avec plusieurs pays alliés aux États-Unis, après avoir traîné les pieds pendant près d’une décennie pour négocier avec l’Australie, le Canada et les États-Unis.
En outre, et contrairement à l’idée selon laquelle le commerce mondial devrait être impacté sous toutes ses formes, certaines institutions internationales sortiront renforcées de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. L’OTAN s’est dotée de nouveaux objectifs, et l’adhésion de la Finlande est attendue sous peu – une idée qui était inconcevable il y a quelques mois à peine. D’autre part, de nouveaux pays souhaitent entrer dans l’UE, et les membres actuels sont plus désireux d’élargir le périmètre de l’organisation. L’intégration est aussi une priorité pour les alliés occidentaux. À cet égard, les États-Unis et l’Union européenne ont récemment signé un accord sur les données numériques, et des négociations commerciales sont en cours entre d’une part le Royaume-Uni et les États-Unis, et d’autre part le Royaume-Uni et le Canada.
Le fait est que la mondialisation avait déjà presque cessé de progresser avant le début de cette guerre. La guerre en Ukraine semble l’avoir mise en pause, et pourrait même la faire reculer un peu. Mais il est peu probable que ce processus prenne fin. Les sociétés ont toujours un fort intérêt à produire à un coût concurrentiel. En outre, les nouvelles barrières commerciales se sont érigées uniquement autour de la Russie, pas autour de la Russie et de ses alliés. De ce fait, la croissance économique mondiale pourrait être un peu plus lente, et l’inflation mondiale un peu plus élevée que d’habitude sur une base structurelle.
Et pour ce qui est de l’inflation, nous devons nous garder de surestimer l’effet modérateur qu’a eu la mondialisation, lorsque celle-ci progressait à plein régime. Selon la plupart des estimations, la mondialisation a contenu l’inflation d’à peine quelques dixièmes de point de pourcentage par an par rapport à la normale, et non de plusieurs points de pourcentage. Et cet avantage s’est déjà pratiquement estompé au cours de la dernière décennie. Un renversement de cette dynamique devrait donc avoir une incidence plutôt bénigne, mais suffisante pour supposer que l’inflation sera un peu plus élevée à l’avenir que pendant la décennie qui a précédé la pandémie, sur une base stable.
Évolution de la conjoncture économique
Les données économiques restent mitigées. Un important indicateur économique en temps réel signale un regain d’enthousiasme dans le climat des affaires au Canada, à présent que les restrictions liées à la pandémie ont pratiquement été éliminées dans le pays (voir le graphique suivant). Malgré les difficultés apparues à l’échelle mondiale, la dernière enquête sur les perspectives des entreprises canadiennes indique que les sociétés sont encore très désireuses d’embaucher et d’investir. Ce vent d’optimisme constitue un solide soutien pour la croissance économique, et il souffle sur une grande partie du monde en ce moment.
La situation des entreprises canadiennes s’est améliorée avec la fin des restrictions dues à la COVID-19
Au 21 mars 2022. Moyenne à pondérations égales des indices de la situation des entreprises pour les villes suivantes : Calgary, Edmonton, Montréal, Ottawa-Gatineau, Toronto, Vancouver et Winnipeg. Sources : Statistique Canada, RBC GMA
En revanche, un indicateur en temps réel de l’activité en Allemagne montre maintenant la chute la plus prononcée depuis le début de la pandémie. Il s’agit probablement d’une réponse aux sanctions imposées à la Russie (voir graphique suivant).
Indice hebdomadaire de l’activité économique Deutsche Bundesbank
Données pour la semaine se terminant le 27 mars 2022. L’indice hebdomadaire de l’activité estime le taux de croissance de l’activité économique corrigé de la tendance, en comparant la moyenne des 13 dernières semaines avec la moyenne des 13 semaines précédentes. Sources : Deutsche Bundesbank, Macrobond, RBC GMA
En Chine, l’indicateur de la fréquentation du métro était déjà en berne depuis que le pays a commencé à lutter contre les variants Omicron et BA.2. Il a encore baissé lorsque la ville de Shanghai a été placée sous confinement (voir graphique suivant). La plupart des indicateurs économiques concernant la Chine sont moins alarmants. Cependant, il va sans dire que nous prévoyons toujours que l’économie chinoise progressera à un rythme moins rapide que les 5,5 % visés par le gouvernement en 2022.
La fréquentation du métro chinois dans les grandes villes a fortement chuté
Au 10 avril 2022. L’indice est la somme pondérée sur périodes mobiles de sept jours des trajets en métro à Beijing, Guangzhou, Nanjing, Shanghai, Suzho et Zhengzhou. Sources : Sociétés de métro chinoises, Macrobond, RBC GMA
À l’échelle mondiale, les indices des directeurs d’achat continuent de glisser. Cela reflète la décélération de la reprise économique (voir le graphique suivant).
L’expansion de la production manufacturière mondiale a nettement ralenti
Données en date de mars 2022. L’« indice PMI » désigne l’indice des directeurs d’achats de l’industrie manufacturière, qui mesure l’activité économique. Sources : Haver Analytics, RBC GMA
Les indicateurs de l’emploi en Amérique du Nord sont restés solides en mars. Les États-Unis ont créé 431 000 nouveaux postes, ce qui a fait reculer le taux de chômage à 3,6 %. Ce taux se situe à peine un dixième de point de pourcentage au-dessus du niveau le plus bas atteint avant la pandémie. Au Canada, 73 000 emplois ont été créés en mars. Le taux de chômage est tombé à 5,3 %, soit son niveau le plus bas depuis 1976 au moins.
Bien que l’emploi aux États-Unis reste légèrement plus faible qu’avant la pandémie, cet écart pourrait être de courte durée. À court terme, le rythme soutenu des embauches devrait aider l’emploi à retrouver son ancien niveau en une poignée de mois seulement. À mesure que les salaires augmentent et que les craintes s’apaisent, une partie des personnes qui s’étaient absentées du travail ces deux dernières années pourraient choisir de revenir. Certaines resteront peut-être en dehors de la population active, car elles ont d’autres priorités. Toutefois, il y a de plus en plus d’exemples de retraités qui réintègrent le marché du travail, étant donné que leurs pensions ne leur permettent plus de faire face à la récente augmentation des prix.
À long terme, la pandémie pourrait faire grimper l’offre de main-d’œuvre au-delà des normes d’avant la pandémie. Le travail virtuel offre une plus grande flexibilité géographique et temporelle, et permet de donner du travail à des personnes qui se trouvent dans des endroits éloignés, ou qui jonglent avec d’autres responsabilités.
Biens et services
La plupart des problèmes de la chaîne logistique ont été dus à une demande de biens exceptionnellement forte pendant la pandémie. Cela s’explique sans doute par le fait que de nombreux services n’étaient pas disponibles au moment des restrictions.
C’est également l’une des principales raisons pour lesquelles l’inflation a autant augmenté : les prix des biens ont grimpé en flèche en raison d’une demande plus forte, tandis que les prix des services n’ont pas reculé dans la même mesure, malgré la diminution de la demande. Les prix des services baissent plus difficilement, parce que la main-d’œuvre représente souvent une part importante du coût d’un service, d’autant plus que les salaires sont eux-mêmes résistants à la baisse.
Ainsi, pour résoudre les problèmes de la chaîne logistique et donc de l’inflation élevée, la demande de biens doit diminuer et, idéalement, se réorienter vers les services. En théorie, cette attente semble raisonnable. Les consommateurs ont déjà acheté beaucoup de téléviseurs, de vélos et d’ordinateurs, et devraient revenir à un niveau plus normal de consommation de biens, tout simplement parce qu’ils n’ont plus de besoins à combler. Il existe même un risque que la consommation de biens soit artificiellement basse pendant un certain temps, si tous les consommateurs ont déjà réalisé leurs achats. En même temps, il est désormais possible de manger au restaurant et de partir en vacances, et il n’est pas déraisonnable de penser qu’il existe une forte demande accumulée pour ces services.
Dans la pratique, il semble que les gens consomment en effet davantage de services. Les réservations de restaurants ont rebondi (voir le graphique suivant). Les voyages en avion sont presque revenus à la normale aux États-Unis (voir le graphique suivant).
Les réservations de restaurant remontent
Au 30 mars 2022. Moyenne mobile sur sept jours de la variation en pourcentage par rapport à 2019. Nombre de clients dans les restaurants selon les réservations en ligne et par téléphone et les visites spontanées, établi au moyen d’un échantillonnage de restaurants sur OpenTable. Sources : OpenTable, RBC GMA
Les déplacements en avion aux États-Unis sont proches de la normale
Au 30 mars 2022. Variation de la moyenne mobile sur sept jours par rapport au même jour de semaine des années précédentes. Sources : Transportation Security Administration (TSA), Macrobond, RBC GMA
Par conséquent, il est un peu étonnant que la part des dépenses en biens corrigées de l’inflation par rapport au total des dépenses n’ait que récemment commencé à enregistrer une légère baisse. De leur côté, les dépenses en services corrigées de l’inflation ont légèrement augmenté, selon les statistiques économiques officielles (voir le graphique suivant). Cela s’explique peut-être en partie par le fait que les gens n’ont pas réellement fait le plein de biens. Par exemple, il est encore assez difficile de se procurer une voiture ou un électroménager. Par conséquent, la demande accumulée de certains produits est probablement encore appréciable. Cela se traduit par des ventes lorsque ceux-ci sont offerts.
Le mouvement à la hausse des dépenses en biens des consommateurs américains au détriment de leurs dépenses en services devrait se renverser
En date de février 2022. Sources : Macrobond, RBC GMA
Néanmoins, la demande de biens devrait se replier un peu avec le temps, ce qui atténuera les problèmes de la chaîne logistique et de l’inflation.
Pour autant qu’elle se poursuive, cette transition représente une véritable occasion pour les entreprises de services. Elle constitue aussi une menace pour les entreprises productrices de biens et les poids lourds de la fabrication, comme la Chine.
À la limite, la demande de biens connaîtrait-elle une augmentation structurelle après la pandémie, puisque certaines personnes trouvent plus commode de s’entraîner à la maison (ce qui nécessite l’achat de différents appareils) que de s’abonner à un centre d’entraînement ou cuisinent plus souvent à la maison (ce qui nécessite l’achat d’ustensiles de cuisine) au lieu d’aller au restaurant ?
Certes, mais ces dépenses supplémentaires devraient déjà avoir été effectuées en grande partie. De plus, il est fort possible que les forces structurelles sans lien avec la pandémie aillent à contre-courant, car de nombreux biens cèdent la place à des services offerts par abonnement. Par exemple, les gens délaissent l’achat de CD (au profit de l’abonnement à des plateformes de diffusion en continu), de livres (au profit des livres électroniques ou de l’abonnement à des services de livres audio) et de voitures (au profit de l’autopartage).
Améliorations des chaînes logistiques
Bien que les chaînes logistiques du secteur des ressources viennent d’être grandement compliquées par les sanctions imposées à la Russie, celles du secteur de la fabrication s’améliorent légèrement. Le nombre de porte-conteneurs en attente de déchargement dans le sud de la Californie (voir le graphique suivant) a nettement diminué. Le coût du transport de conteneurs a aussi légèrement reculé (voir le graphique subséquent).
Porte-conteneurs au mouillage ou en zone d’attente à Los Angeles et à Long Beach
Au 5 avril 2022. Sources : American Shipper, Bourse maritime de Californie du Sud, RBC GMA
Bien qu’ils demeurent élevés, les coûts de transport baissent
Données pour la semaine se terminant le 17 mars 2022. Sources : Drewry Supply Chain Advisors, RBC GMA
Par ailleurs, les coûts liés au transport maritime de vrac sec ont diminué, et il en va de même pour le coût du transport aérien de fret. Cependant, la situation ne s’améliore pas dans tous les ports. Comme on pouvait s’y attendre, en Chine, le port de Shanghai peine maintenant à répondre à la demande et Shenzhen, qui avait été confinée avant Shanghai, a enregistré une hausse des coûts de camionnage de 300 %. Finalement, plus d’un million de conteneurs provenant de la Chine qui seraient habituellement expédiés en Europe en passant par la Russie doivent maintenant emprunter la voie des eaux, ce qui alourdit la facture.
Les fabricants américains se plaignent un peu moins des livraisons des fournisseurs (mais la situation ne s’améliore pas en ce qui a trait à l’inflation, voir le graphique suivant). De plus, il est de bon augure de constater, même s’il s’agit d’indications très imprécises, que le nombre de fois où les termes « chaîne logistique », « pénuries », « pénurie de voitures » et « pénurie de puces » sont utilisés dans les recherches effectuées dans Google a grandement diminué (voir les deux graphiques subséquents). Bien sûr, une partie de cette baisse tient peut-être simplement au fait que ces sujets sont maintenant des réalités de la vie plutôt que des faits nouveaux.
Les fabricants américains se plaignent moins des fournisseurs, mais la hausse des prix s’est accélérée
Données en date de mars 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : Institute for Supply Management (ISM), Haver Analytics, RBC GMA
Recherche de nouvelles sur les « chaînes logistiques » et les « pénuries » dans Google
En avril 2022 (données partielles utilisées pour le mois). Le nombre de recherches de nouvelles dans Google à l’échelle mondiale a été réduit et normalisé en vue d’établir le degré d’intérêt au fil du temps. Sources : Google Tendances, RBC GMA
Recherche de nouvelles sur la « pénurie de puces » et la « pénurie de voitures » dans Google
En avril 2022 (données partielles utilisées pour le mois). Le nombre de recherches de nouvelles dans Google à l’échelle mondiale a été réduit et normalisé en vue d’établir le degré d’intérêt au fil du temps. Sources : Google Tendances, RBC GMA
Au cours des prochains mois, il faudra surveiller le fait que les débardeurs de la côte ouest des États-Unis pourraient entrer en grève à compter du 30 juin. Ils exigeront probablement une hausse importante de leur rémunération en raison de la demande exceptionnelle pour leurs services et de l’inflation élevée. En 2014, le lockout et le ralentissement ont entraîné un retard qui a mis six mois à se résorber.
Malheureusement, 14 % des travailleurs des navires commerciaux de la planète sont soit russes, soit ukrainiens. Outre les tensions vives qui existent indubitablement sur certains navires, les Ukrainiens en particulier sont partis en grand nombre pour soutenir l’effort de guerre dans leur pays. Il est devenu difficile d’en recruter d’autres pour les remplacer sur les navires.
Resserrement de la politique monétaire des banques centrales
Cette semaine, la Banque du Canada pourrait décréter une hausse de taux de 50 points de base (pb), qui porterait son taux de financement à un jour à 1,00 %. Cette hausse serait justifiée, étant donné que le taux de chômage n’a jamais été aussi bas, ni le taux d’inflation aussi élevé, depuis des décennies.
La Réserve fédérale américaine ne devrait prendre sa prochaine décision de politique monétaire que le 4 mai et devrait alors décréter une hausse de 50 pb. Elle a aussi indiqué dans le compte rendu de sa dernière réunion qu’elle commencerait à vendre des obligations à cette occasion, afin d’accroître ces ventes sur une période de trois mois jusqu’à ce qu’elles atteignent 95 G$ par mois. À ce rythme, son bilan devrait revenir à un niveau neutre dans environ quatre ans, tandis que les ventes d’obligations équivaudraient à une autre hausse de taux de 25 points de base par année.
Le resserrement de la politique monétaire commence à faire sentir ses effets, étant donné que les marchés obligataires sont tournés vers l’avenir et qu’ils prennent déjà en compte un nombre assez élevé de hausses de taux. En effet, le taux des prêts hypothécaires à 30 ans aux États-Unis a bondi, passant de seulement 3,05 % à la fin de 2021 à 4,72 %. Il s’agit d’une hausse de 55 % du coût du service de la dette en un peu plus de trois mois. L’appétit pour les emprunts devrait donc diminuer en conséquence. Le marché canadien du logement mérite une attention particulière, compte tenu de l’accroissement démesuré des prix et du niveau élevé de l’endettement des ménages. Ces facteurs pourraient limiter la mesure dans laquelle la Banque du Canada resserrera sa politique monétaire par rapport à celle des États-Unis.
Comme nous l’avons déjà signalé dans le passé, la plus grande partie des emprunts additionnels ces dernières années a été le fait des gouvernements, plutôt que du secteur privé. Puisque les gouvernements ne sont pas particulièrement sensibles aux variations de taux à court terme, on ne peut prétendre que les taux d’intérêt ne pourront augmenter considérablement en raison de l’endettement élevé.
Cependant, l’opinion selon laquelle les hausses de taux pourraient poser problème au-delà d’un niveau plutôt bas reste peut-être vraie, mais pour une tout autre raison : les acteurs économiques n’ont pas l’habitude des coûts d’emprunt très élevés. Même s’ils ne risquent pas de se retrouver en situation de défaut de paiement, depuis plus d’une décennie les entreprises et les consommateurs ont pris des décisions en fonction de coûts d’emprunt très bas. Une augmentation marquée de ces coûts pourrait contrecarrer certaines de ces décisions et causer des difficultés économiques.
En revanche, parmi les points positifs, le fait que la part des obligations mondiales assorties de taux négatifs ait diminué, passant d’un sommet d’environ 30 % à quelque 5 % actuellement (voir le graphique suivant), est sûrement une bonne chose. Les taux négatifs représentent une source de perturbations qu’il est préférable d’éviter autant que possible. Les investisseurs en titres à revenu fixe, dont l’horizon de placement est plus long que la duration de leur portefeuille d’obligations, devraient aussi s’en réjouir.
La proportion d’obligations assorties de taux négatifs a diminué considérablement
Données au 7 avril 2022. Pourcentage d’obligations de l’indice global d’obligations mondiales Bloomberg Barclays qui sont assorties de taux négatifs. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Contrairement à ce qu’on observe dans la plus grande partie du monde, la banque centrale japonaise conserve une politique monétaire extrêmement expansionniste, malgré la hausse du taux d’inflation. Par conséquent, le yen est passé sous la barre de 120 par rapport au dollar, pour la première fois depuis 2016. Il est intéressant de noter que la banque centrale souligne le fait que si les salaires nominaux ont augmenté, la croissance réelle des salaires reste presque aussi faible qu’auparavant. La Banque du Japon fait valoir que cette situation pourrait nuire aux dépenses de consommation. Bien sûr, le Japon n’est pas le seul pays aux prises avec ce problème actuellement, mais celui-ci retient beaucoup moins l’attention ailleurs.
Une confiance qui s’effrite
Curieusement, la croissance économique de ces dernières décennies ne semble pas souffrir de manière visible du clivage économique plus marqué aux États-Unis. Il faut toutefois rester conscient que l’on pourrait assister à des difficultés économiques à l’avenir, soit du fait d’une baisse de la confiance de la société au point de gripper les échanges commerciaux à cause d’une élection contestée ou d’un coup d’État qui pourrait effrayer les marchés et doper les primes de risque, soit simplement à cause d’une dérive de la politique publique si éloignée du centre (dans l’une ou l’autre direction) qu’elle cesse de fournir une assise solide à la société et à l’économie.
Aux États-Unis, les faits anecdotiques de problèmes sociaux ne manquent pas : en témoignent la forte progression des taux d’homicides l’année dernière, la contestation des résultats des élections de 2020 alors censés être clairs et l’augmentation du nombre d’accusations de préjugés à l’égard de la presse.
Dans quelle mesure ce problème en est-il un ? L’enquête mondiale sur les valeurs (World Values Survey) peut nous aider à faire la part des choses. Tout d’abord, la confiance du public aux États-Unis s’est effectivement encore dégradée (voir le graphique suivant). Plus d’Américains pensaient en 2020 qu’en 1984 que la société doit changer en profondeur, qu’on ne peut faire confiance à personne, et que la presse et le gouvernement ne méritent pas leur confiance. Il convient de noter que l’humeur n’était pas exactement à l’optimisme en 1984, mais elle s’est assombrie depuis.
L’attitude politique des Américains est devenue plus pessimiste
Sources : Enquête mondiale sur les valeurs, RBC GMA
Cette dégradation de la confiance publique n’est pas propre aux États-Unis. Les mêmes données au Canada indiquent un effritement similaire (voir le graphique suivant). Il semblerait que certains des facteurs sous-jacents de cette érosion soient universels, quelle qu’en soit la cause : la fragmentation des médias, l’avènement des réseaux sociaux, l’anonymat d’Internet, une diversité croissante de la population ou d’autres aspects de la société moderne.
Hormis la confiance dans le gouvernement, les attitudes envers les politiques canadiennes se sont ternies davantage
Sources : Enquête mondiale sur les valeurs, RBC GMA
La vraie question est alors de savoir où se situent les États-Unis par rapport aux autres pays (voir le graphique suivant). Sur ce point, tout en tenant compte du fait que l’indicateur « moyen » intègre de très nombreux pays en développement pour lesquels des problèmes comme la guerre civile ou la corruption sont bien réels, les États-Unis semblent plus en crise que la plupart des autres pays. On y fait état d’une confiance amoindrie dans la presse, le gouvernement et les partis politiques par rapport au Canada ou à la moyenne, et d’une plus forte conviction de corruption élevée. Aux États-Unis, le niveau de satisfaction semble moindre qu’au Canada dans chacune des catégories sauf une.
Les Américains font moins confiance à leurs institutions que les Canadiens, mais la nécessité d’un changement en profondeur leur semble moins important
Sources : Enquête mondiale sur les valeurs 2020, RBC GMA.
À la question concernant la guerre civile qui n’existait pas en 1984, les États-Unis se montrent beaucoup plus inquiets que les Canadiens, quoique dans une moindre mesure par rapport à la moyenne. Malgré tout le reste, il est curieux de constater que les participants américains au sondage avaient moins tendance que la moyenne et les Canadiens à croire que leur société avait besoin d’un changement radical. Ceci peut s’expliquer par la grande estime que les Américains nourrissent pour leur constitution et leurs pères fondateurs.
En ce qui concerne le Canada, une question digne d’intérêt est de savoir si, au fond, le pays est moins en crise que les États-Unis ou s’il est au contraire simplement à la traîne de son voisin de plusieurs décennies sur le plan des tendances politiques et comportementales.
Le fait est que les réactions du public se sont véritablement exacerbées et que le spectre des répercussions économiques négatives à long terme commence à s’agiter. Quoi qu’il en soit, les primes de risque n’ont pas du tout augmenté jusqu’à présent, et les échanges commerciaux se poursuivent sans accrocs.
Une vague de COVID-19 non synchronisée
La vague BA.2 d’infections à la COVID-19 s’avère moins synchronisée par rapport à plusieurs des vagues précédentes. Elle est déjà en train de se retirer dans la plupart des pays d’Europe (voir le graphique suivant).
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 en France
Au 11 avril 2022. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : Organisation mondiale de la Santé (OMS), Macrobond, RBC GMA
Par contre, elle commence seulement à se former en Amérique du Nord. Aux États-Unis, les États où se multiplient les cas d’infection augmentent (voir le graphique suivant). Le nombre de cas grimpe également au Canada (voir le graphique suivant).
Nombre d’États américains dont le taux de transmission est supérieur au seuil clé de un
Données au 8 avril 2022. Le taux de transmission correspond à la variation sur sept jours de la moyenne mobile sous-jacente sur cinq jours du nombre de nouveaux cas par jour, lissée au moyen de la moyenne mobile sur sept jours. Un taux de transmission supérieur à un signale une augmentation du nombre quotidien de nouveaux cas. Comprend Washington D.C. Sources : Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA
Cas de COVID-19 et taux de positivité au Canada
Au 10 avril 2022. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et du taux de positivité. Sources : Our World in Data, OMS, Macrobond, RBC GMA
Par chance, en Europe le sous-variant BA2 a été moins virulent que le variant Omicron, ce qui suggère que l’effet sera le même dans d’autres pays ayant à ce jour des taux de vaccination et une situation pandémique comparables. Par conséquent, nous continuons de prévoir une vague médiane qui culminera le mois prochain en Amérique du Nord, suivie d’une baisse assez rapide et d’un faible nombre d’infections en été.
La Chine reste une exception. Si on inclut les cas asymptomatiques, on obtient des taux d’infection quotidiens records (voir le graphique suivant). Nous sommes toujours d’avis que la Chine aura de la difficulté à maintenir sa politique de tolérance zéro à l’égard du sous-variant BA2, qui est extrêmement contagieux. Il semble que d’autres régions du pays s’inquiètent de la propagation du virus à partir de Shanghai. Déjà, plus de 70 villes représentant environ 40 % de l’activité économique de la Chine ont mis en place certaines restrictions en réponse à cette nouvelle vague d’infections.
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 en Chine
Au 10 avril 2022. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès en Chine continentale. Les cas asymptomatiques ne sont pas inclus dans le décompte officiel des cas confirmés. Sources : Johns Hopkins University, Haver Analytics, RBC GMA.
– Avec la contribution de Vivien Lee, d’Andrew Maleki et d’Aaron Ma
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