Inquiétudes du marché
L’inflation rigide aux États-Unis, qui pourrait empêcher la Réserve fédérale (Fed) d’abaisser son taux directeur, inquiète encore les marchés financiers, à juste titre. Les attentes ont donc changé : après le sommet des taux obligataires et les attentes de baisse imminente des taux d’intérêt, les taux obligataires ont repris leur ascension (voir le graphique suivant) et les prévisions de baisse des taux d’intérêt ont été repoussées et réduites (voir le deuxième graphique) ; on anticipe actuellement moins de deux baisses de 25 points de base (pb) d’ici la fin de 2024.
Les taux des obligations montent en raison d’un possible report des baisses des taux, alors que l’inflation s’avère rigide
Au 19 avril 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Trésor américain, Macrobond, RBC GMA.
Le marché s’attend à ce que les baisses de taux commencent en 2024
Au 15 avril 2024. Sources : Bloomberg, RBC GMA.
Les marchés financiers estiment maintenant qu’il n’y a pratiquement aucune chance que la Fed réduise les taux lors de la prochaine réunion qui se tiendra le 1er mai.
On craint que l’économie peine à surmonter une période plus longue que prévu de taux d’intérêt élevés. Nous reviendrons sur ce point dans la partie sur la révision de nos prévisions économiques.
Le marché boursier redoute quant à lui que les taux d’intérêt élevés plombent les valorisations et les bénéfices. Le S&P 500 a d’ailleurs perdu environ 5 % par rapport à son sommet de la fin mars (voir le graphique suivant). Pour mettre les choses en contexte, il se situe à peu près au même niveau qu’il y a deux mois ; ce recul n’a donc rien de désastreux. La période de publication des bénéfices a démarré et pourrait redonner confiance au marché.
La bourse américaine recule
Au 19 avril 2024. Sources : S&P Global, Macrobond, RBC GMA.
Pourquoi prévoir une croissance ?
La situation est soudainement très différente. Comme les marchés ont fléchi ces dernières semaines, il est devenu nécessaire de justifier les prévisions de croissance économique soutenue. Certes, l’économie donne depuis longtemps divers signes de faiblesse, notamment une hausse des défaillances sur les crédits des ménages et un recul de la confiance des petites entreprises. Le risque de récession n’est pas négligeable ; nous maintenons à environ 35 % la probabilité qu’il se concrétise aux États-Unis au cours de la prochaine année. C’est au moins le triple du niveau de risque normal.
Cela dit, en théorie, les dommages causés par la récente augmentation des taux d’intérêt ne devraient pas à eux seuls suffire pour déclencher une récession (même s’il est vrai que de nombreux éléments entrent en jeu et que les points de bascule sont incertains).
Par contre, on peut affirmer sans contredit que l’économie américaine a remarquablement bien résisté au niveau élevé des taux d’intérêt jusqu’à présent. L’indice ISM du secteur manufacturier dépasse à nouveau 50, après avoir signalé une contraction pendant un an et demi. Plusieurs indicateurs de récession se sont récemment inversés. La croissance du PIB des États-Unis pour le premier trimestre devrait s’établir à 2,9 % en rythme annualisé, ce qui est plutôt bon.
Un autre livre beige a récemment été publié et notre indicateur de la confiance des marchés montre un nouveau raffermissement après une période de faiblesse notable (voir le graphique suivant).
L’indicateur de sentiment du livre beige s’améliore
En date d’avril 2024. L’indicateur quantifie les réponses de points de contact locaux en attribuant des pondérations différentes à un éventail de mots positifs et négatifs utilisés dans le livre beige de la Réserve fédérale pour décrire le climat économique global. Sources : Réserve fédérale américaine, RBC GMA.
Plusieurs modèles d’analyse du langage naturel avec l’intelligence artificielle sont actuellement mis en œuvre pour évaluer la confiance des consommateurs à l’égard de l’économie à partir de billets publiés sur X (anciennement Twitter). Selon le modèle d’analyse en temps réel de Goldman Sachs, la confiance des consommateurs était assez bonne l’an dernier et a fortement augmenté au cours des dernières semaines. Ce modèle semble plus optimiste que les mesures plus traditionnelles de la confiance des consommateurs, comme l’enquête mensuelle de l’Université du Michigan.
Une autre méthode novatrice, qui consiste à repérer certains mots-clés dans les communications des sociétés du S&P 500, montre que les risques de baisse ont également diminué. Le mot « récession » a été de moins en moins utilisé au cours des derniers trimestres, au point que la fréquence de son utilisation représente maintenant moins d’un tiers de ce qu’elle était au deuxième semestre de 2022. Les entreprises suivent la conjoncture économique en temps réel. Il est donc encourageant de constater qu’elles sont de moins en moins préoccupées (voir le graphique suivant).
Le nombre de fois où le mot « récession » est mentionné dans les communications des sociétés du S&P 500 a diminué régulièrement depuis la fin de 2022
Données en date du premier trimestre de 2024. Comprend les transcriptions de tous les appels avec les investisseurs, journées des investisseurs et journées des marchés des capitaux organisés par les sociétés du S&P 500. Sources : Bloomberg, RBC GMA.
États-Unis, les ventes au détail ont grimpé de pas moins de 0,7 % en mars, après un gain de 0,9 % en février. Il s’agit de hausses mensuelles notables qui confirment que la consommation continue de progresser.
La croissance démographique des États-Unis demeure aussi plus rapide que ce que dénotent les mesures traditionnelles, un sujet abordé en détail plus loin.
Ce qu’il est important de retenir, c’est que les données montrent indubitablement que la croissance de l’économie américaine se poursuit et que les signes de répercussions défavorables des taux élevés sont peu nombreux. Bien que la hausse des taux pose un risque pour la croissance, n’oubliez pas que les taux des obligations étaient encore plus élevés l’automne dernier et que l’économie s’est quand même bien comportée.
Révision des prévisions
La mise à jour trimestrielle de nos prévisions pour l’économie et l’inflation est en cours. Comme les chiffres n’ont pas encore été examinés par le Comité des stratégies de placement RBC GMA et qu’ils sont susceptibles de changer, ils pourraient se révéler trompeurs si nous les citions. C’est pourquoi il est préférable à ce stade de parler en termes qualitatifs.
En général, les perspectives de croissance des pays développés ont été revues à la hausse pour 2024, cet ajustement pouvant atteindre un point de pourcentage selon les pays.
Deux facteurs expliquent cette révision :
Les prévisions de croissance pour le premier semestre de 2024 ont été relevées au vu du dynamisme impressionnant dont l’économie fait preuve. Nous avions supposé que même si les économies évitaient la récession, elles connaîtraient une période de croissance modérée au premier semestre. Or, les données indiquent que ce n’est tout simplement pas le cas.
La hausse des taux d’intérêt devrait freiner la croissance économique en se faisant sentir avec un certain décalage. Nous avons donc légèrement abaissé les perspectives de croissance pour le deuxième semestre de 2024 et le premier semestre de 2025. Il faut savoir qu’une augmentation des taux obligataires et du taux directeur de 50 pb (ou une réduction des taux inférieure de 50 pb aux prévisions précédentes) devrait entraîner l’année suivante une baisse de la production de l’ordre de 0,25 % à 0,75 %.
Les projections pour 2025 sont donc abaissées en conséquence. La réduction est toutefois d’une ampleur moindre que les chiffres susmentionnés, car nous croyons que les taux obligataires perdront ultérieurement une partie du terrain gagné, en plus de divers autres facteurs en jeu.
Une croissance plus modeste du PIB en 2025 pourrait s’avérer bénéfique, puisqu’elle devrait contribuer à juguler l’inflation, qui reste la priorité absolue.
En somme, le point de départ est plus élevé et le déclin est plus lent que prévu, mais l’inflation continue de progresser vers la normale au fil du temps.
En ce qui concerne l’inflation, compte tenu de sa récente vigueur, les prévisions ont bien évidemment été revues à la hausse. Les trois mois consécutifs de forte inflation aux États-Unis font douter qu'elle puisse ralentir davantage si l’économie continue de progresser à un rythme soutenu. C’est pourquoi, à l’heure actuelle, de mauvaises données économiques plombent les marchés financiers, des données économiques médiocres sont bonnes pour eux et d’excellentes données économiques ont des effets néfastes. Pour 2024, les prévisions de l’IPC des pays développés ont été revues à la hausse, un relèvement qui peut aller jusqu’à 0,5 point de pourcentage.
Cependant, nous prévoyons toujours un léger relâchement des pressions inflationnistes pour le reste de 2024, puis une nouvelle baisse pour 2025, les prévisions de l’IPC pour cette année-là étant augmentées de « seulement » un tiers de point de pourcentage ou moins.
Dans les faits, cela signifie que l’inflation annuelle de l’IPC ne descendra pas sous la barre des 2,5 % avant le printemps prochain dans la zone euro et au Canada, et pas avant l’automne prochain aux États-Unis et au Royaume-Uni. En somme, le point de départ est plus élevé et le déclin est plus lent que prévu, mais l’inflation continue de progresser vers la normale au fil du temps.
Pourquoi devrait-on s’attendre à ce que l’inflation, plus particulièrement l’inflation américaine, diminue dans les deux prochaines années, alors même qu’elle n’a montré aucune tendance en ce sens au cours des derniers mois ? Il y a plusieurs raisons :
Nous partons du principe qu’il existe toujours une force d’attraction fondamentale vers une inflation de 2,0 %. Comme ce postulat est à la base de l’établissement des salaires et des prix depuis 30 ans, il serait relativement facile d’y revenir.
Les banques centrales s’efforcent d’atteindre cette cible de 2,0 % et les marchés tentent d’anticiper leur prochaine décision. Il en a récemment résulté une hausse des taux obligataires susceptible de freiner progressivement l’inflation.
Nous prévoyons encore un ralentissement de la croissance économique au deuxième semestre de 2024 et au premier semestre de 2025, ce qui devrait atténuer davantage la pression sur les prix.
Les données sur les attentes d’inflation varient grandement, mais de manière approximative, elles tablent sur une fourchette de 2,5 à 3,0 %. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est nettement moins que l’IPC actuel des États-Unis (3,5 % d’une année sur l’autre). Autrement dit, la situation devrait s’améliorer.
La croissance des salaires continue d’afficher une tendance baissière, et d’après les indicateurs prospectifs, celle-ci devrait se poursuivre.
L’ampleur de la poussée d’inflation s’est amoindrie durant les derniers trimestres (quoique, faut-il le reconnaître, pas ces derniers mois).
Les décalages intégrés dans la composante logement de l’IPC plaident en faveur d’un certain assouplissement au cours des trimestres à venir.
Certains experts pensent que la récente pression haussière liée à l’augmentation du coût de l’assurance automobile est retardée, étant donné la réinitialisation des contrats d’assurance de 12 mois. Cela laisse présager un soulagement plus tard.
Il est possible que l’IPC des États-Unis soit faussé par des facteurs saisonniers au premier trimestre de chaque année. Cela semble contre-intuitif, car l’IPC est déjà désaisonnalisé, mais les ajustements officiels ne permettent pas de rendre bien compte des changements brusques. Certains experts soutiennent que les récents changements des habitudes de consommation ont donné lieu à des relevés exagérés de l’IPC en janvier, en février et en mars – les trois derniers mois « chauds ».
Fait sans doute rassurant : ailleurs dans le monde développé, l’inflation de base d’une année sur l’autre a continué de diminuer ou est inférieure à celle des États-Unis. Et elle pourrait également ralentir aux États-Unis.
Cet ensemble convaincant d’arguments constitue le fondement de notre conviction que l’inflation peut encore baisser. Cela dit, il ne s’agit pas d’une théorie à toute épreuve. L’évolution de la situation dépendra en grande partie du ralentissement de l’économie à partir de maintenant. Il existe indéniablement un autre scénario dans lequel l’inflation demeure trop élevée et les banques centrales ne peuvent pas réduire les taux du tout en 2024 ou sont même contraintes à les relever temporairement.
Et ensuite ?
Si une récession a été évitée, que se passe-t-il ensuite ? Cette question en sous-tend d’autres :
Sommes-nous au début d’un nouveau cycle ou assistons-nous simplement à la continuation du cycle précédent ? Il n’y a pas de réponse définitive, et notre feuille de pointage du cycle économique est quelque peu divisée à cet égard. Certains indicateurs pointent vers la première option et d’autres, vers la deuxième.
Toutefois, logiquement, ce qui se passera ensuite devrait être considéré comme une continuation du cycle précédent et non comme quelque chose de complètement nouveau. Cela s’explique par le fait qu’au début d’un nouveau cycle, on observe généralement ce qui suit : taux de chômage élevé, perte de vigueur économique, faibles bénéfices des entreprises, valorisations boursières bon marché, taux d’intérêt bas et inflation contenue – autant de facteurs permettant ensuite une longue période de croissance robuste. Or, aucune de ces conditions ne s’applique en ce moment (voir le graphique suivant). Le taux de chômage est faible, l’économie est plutôt vigoureuse, les bénéfices des entreprises sont élevés, les valorisations boursières sont importantes, les taux d’intérêt sont hauts et l’inflation est forte.
Peu de possibilités de ralentir l’économie sans déclencher une récession
En date de mars 2024. Moyenne mobile sur trois mois du taux de chômage. Sources : Bureau of Labor Statistics, NBER, Macrobond, RBC GMA.
En date de mars 2024. Moyenne mobile sur trois mois du taux de chômage. Sources : Bureau of Labor Statistics, NBER, Macrobond, RBC GMA.
Il est donc judicieux d’envisager la suite comme la continuation du cycle précédent.
Quel peut être le rythme de croissance au cours de la prochaine période d’expansion ? Et combien de temps cette période peut-elle durer ? Les réponses : pas si rapide et pas si longtemps.
Ainsi, il est probable que l’économie parvienne à dégager encore de deux à cinq ans de croissance, mais pas une autre décennie. Cela dit, nous sommes favorables à l’idée que le cycle économique puisse devenir plus effacé que par le passé, créant une tendance à des expansions prolongées, toutes choses étant égales par ailleurs.
Avec un taux de chômage déjà faible et une inflation élevée, l’économie doit tourner à un rythme égal ou inférieur à son taux de croissance potentiel, et non supérieur à celui-ci. En conséquence, la croissance peut être bonne, mais pas spectaculaire.
D’un point de vue temporel, il n’y a pas beaucoup d’antécédents historiques pour prédire la suite des choses. Au mieux, on pourrait comparer la situation actuelle à celle de 1967 ou de 1995.
En 1967, le taux de chômage était stable ou en légère hausse depuis un certain temps, comme aujourd’hui. Ce qui se passe habituellement ensuite, c’est qu’il monte en flèche et qu’une récession survient. Mais au lieu de cela, le taux de chômage est reparti à la baisse en 1968 et en 1969, ce qui a permis d’enregistrer deux années de croissance supplémentaires avant que la récession frappe.
En 1995, le taux de chômage stagnait depuis un moment, alors qu’une récession avait été évitée de justesse. L’économie a alors connu cinq autres années de croissance avant la récession de 2001.
Ainsi, il est probable que l’économie parvienne à dégager encore de deux à cinq ans de croissance, mais pas une autre décennie. Cela dit, nous sommes favorables à l’idée que le cycle économique puisse devenir plus effacé que par le passé, créant une tendance à des expansions prolongées, toutes choses étant égales par ailleurs.
Les stocks gérés « juste à temps » amortissent le cycle des stocks qui faisait parfois trébucher l’économie. (Par le biais de l’« effet coup de fouet », un détaillant possédant autrefois un grand entrepôt rempli de produits et ayant vu la demande diminuer légèrement aurait annulé toutes les commandes auprès de ses fournisseurs, poussant le secteur manufacturier en contraction. De nos jours, par contre, les stocks moins importants tendent à assurer un flux plus stable de produits des fabricants aux détaillants).
Par ailleurs, l’économie d’aujourd’hui est davantage axée sur les services. Elle est donc moins volatile que celles d’autrefois orientées sur les biens, d’autant plus que de nombreux services sont récurrents, comme la téléphonie mobile et les abonnements à des plateformes musicales qui font l’objet de paiements mensuels.
Dès lors, l’économie reste vulnérable aux chocs exogènes, comme la pandémie de 2020, la crise financière mondiale de 2008 et la combinaison de la bulle Internet et des attentats du 11 septembre en 2001. En revanche, on pourrait voir moins d’effondrements « autogénérés » du cycle économique.
Pourtant, le positionnement inhabituel de l’économie à l’heure actuelle donne à penser qu’il reste moins d’années d’expansion à venir.
Les grandes entreprises par rapport aux petites
On obtient une perception très différente de l’économie selon qu’on se concentre sur les grandes entreprises ou sur les petites. Les grandes entreprises ont pris du mieux ces derniers temps, comme le montre l’indice composé ISM, qui s’est stabilisé à un niveau correspondant à une croissance économique modeste (après une longue décélération par rapport à des niveaux extrêmement élevés pendant le boom qui a suivi la pandémie). À l’inverse, l’indice d’optimisme de la National Federation of Independent Business – qui représente la situation des petites entreprises – vient de se replier à son niveau le plus faible depuis plus d’une décennie (voir le graphique suivant).
Écart de confiance entre les grandes entreprises et les petites entreprises
En date de mars 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : ISM, NFIB, Haver Analytics, RBC GMA.
Il semble que les petites entreprises se portent très mal, tandis que les grandes – du moins le secteur des affaires dans son ensemble – se portent bien. La portion des petites entreprises qui déclarent que la « faiblesse des ventes » représente leur plus gros problème est encore faible, mais elle a sensiblement augmenté ces derniers mois. Elles font aussi mention d’une diminution de leurs intentions d’embauche.
En effet, un coup d’œil au graphique illustrant l’écart de confiance entre les petites et les grandes entreprises montre que l’écart actuel est en fait en place depuis la majeure partie des 14 dernières années. Les petites entreprises sont généralement plus moroses que les grandes, ce qui rend leur aigreur actuelle moins remarquable.
La situation n’est pas tout à fait la même sur le marché boursier, étant donné que la plupart des sociétés ouvertes sont plutôt grandes. Mais là aussi, une variation considérable du rendement est décelable en fonction de la taille. Ainsi, l’indice de sociétés à petite capitalisation S&P 600 tire de l’arrière par rapport à l’indice de sociétés à moyenne capitalisation S&P 400, lequel s’est laissé distancer par l’indice S&P 500 classique. À son tour, ce dernier a inscrit un rendement inférieur à celui de l’indice de sociétés à mégacapitalisation S&P 100, selon des données remontant à 2018 (voir le graphique suivant). Là aussi, les plus grosses entreprises l’emportent.
Augmentation des rendements par rapport à l’indice S&P 500 en fonction de la taille de l’entreprise
En date du 19 avril 2024. Sources : Haver Analytics, RBC GMA.
Pourquoi cet écart attribuable à la taille existe-t-il ? Il existe plusieurs théories.
Dans le monde des affaires, l’envergure a toujours représenté un avantage, du moins jusqu’à un certain point. Les charges fixes peuvent être réparties sur un plus grand volume de ventes. Les grandes entreprises ont donc naturellement tendance à l’emporter.
Mais il est censé y avoir une limite à la mesure dans laquelle la taille est un avantage, autrement un conglomérat finirait par gouverner le monde. Selon la théorie concernant les éléments qui limitent la taille maximale des entreprises efficaces, les forces du marché ne s’exercent pas aussi librement au sein des entreprises qu’entre elles. Par conséquent, la main-d’œuvre et le capital peuvent ne pas être répartis aussi efficacement au sein d’une entreprise tentaculaire, et la décision difficile de supprimer certains secteurs d’activité ou de modifier leur orientation ne peut pas être prise aussi rapidement. Une entreprise devient donc inefficace, s’éparpille et se heurte à des problèmes lorsqu’elle devient trop grande. General Electric en est un excellent exemple récent.
Les grandes entreprises peuvent améliorer l’affectation interne de leurs ressources, de sortent qu’elles demeurent efficaces même si leur taille augmente. Il est indéniable que les règles antitrust, soit l’autre contrainte imposée aux grandes entreprises, ont été appliquées de manière moins stricte pendant plusieurs décennies, ce qui a permis à certaines sociétés oligopolistiques de devenir très grandes. La concentration des sociétés au niveau sectoriel a nettement augmenté au cours des dernières décennies.
L’une des raisons cycliques d’un plus grand pessimisme des petites entreprises est que celles-ci ont tendance à avoir des dettes assorties d’un taux variable, ce qui les a bien sûr exposées plus directement à la hausse des taux d’intérêt.
En temps normal, la destruction créatrice élimine certaines entreprises existantes : de nouvelles idées proviennent de nouvelles entreprises de petite taille, qui ébranlent les grandes entreprises plus anciennes. Mais dans la mesure où la croissance de la productivité a été décevante ces deux dernières décennies, les effets de la destruction créatrice se sont peut-être aussi estompés, laissant les sociétés prédominantes en place.
L’Internet a annoncé un contexte où il n’y a qu’un seul gagnant, dans lequel le coût marginal des nouveaux clients est proche de zéro dans de nombreux secteurs, ce qui permet aux premières arrivées ou aux entreprises de qualité qui leur emboîtent rapidement le pas de prendre une longueur d’avance inexpugnable. Cette situation a permis la création d’une foule d’entreprises énormes, dont la domination est largement incontestée. Les petites entreprises peuvent difficilement perturber le type d’industries qui se sont développées avec une vigueur particulière à l’ère technologique. En effet, un coup d’œil au graphique illustrant l’écart de confiance entre les petites et les grandes entreprises montre que l’écart actuel est en fait en place depuis la majeure partie des 14 dernières années. Les petites entreprises sont généralement plus moroses que les grandes, ce qui rend leur aigreur actuelle moins remarquable.
L’une des raisons cycliques d’un plus grand pessimisme des petites entreprises est que celles-ci ont tendance à avoir des dettes assorties d’un taux variable, ce qui les a bien sûr exposées plus directement à la hausse des taux d’intérêt.
Une autre raison cyclique du pessimisme des petites entreprises est que les programmes de soutien gouvernementaux qui les ont avantagées de façon disproportionnée ont pris fin, exposant bon nombre d’entre elles à la dure réalité des forces du marché dont elles avaient été partiellement protégées durant quelques années. Certaines entreprises se révèlent non viables.
Jusqu’à récemment, la robustesse des entreprises paraissait limitée à une poignée de secteurs d’activité : quelques-uns affichaient un excellent rendement, alors que bon nombre étaient à la traîne (voir la part des secteurs faisant état d’une croissance, au graphique suivant). Au cours des derniers mois, nous avons toutefois constaté un bond dans la part des entreprises faisant état d’une croissance, ce qui semble démentir cette hypothèse.
L’indice de l’industrie manufacturière ISM – Nouvelles commandes a gagné du terrain, 12 secteurs sur 18 ayant signalé une croissance
En date de mars 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : ISM, Macrobond, RBC GMA.
Le fait que les petites entreprises s’en sortent moins bien est-il préoccupant, tant que l’économie est globalement saine ? Sans aucun doute, la réponse est « oui » pour les petites entreprises elles-mêmes. Et la situation pourrait jeter une ombre sur la vigueur de l’économie dans son ensemble. Mais en fin de compte, si les grandes entreprises prospèrent – créant des emplois, payant des impôts et réalisant des bénéfices – suffisamment pour maintenir l’économie globale à un niveau de croissance acceptable, il n’est peut-être pas pertinent d’annoncer une récession imminente.
Forte hausse de l’immigration aux États-Unis
Habituellement, nous appuyons nos prévisions économiques sur les projections démographiques du Census Bureau des États-Unis. Ces données sont significatives, car la croissance économique est fondamentalement liée à l’accroissement de la population et à la croissance de la productivité. Si nous regardons la tendance à long terme, le facteur démographique a progressivement perdu de son influence sur la croissance économique depuis le début des années 1990 et jusqu’à une date récente.
Les statistiques officielles du Census Bureau portent à croire que cette tendance s’est poursuivie en 2022 et 2023, avec une croissance démographique estimée à un demi-point de pourcentage pour les deux années.
Mais ces chiffres pourraient induire en erreur. Bien que le Census Bureau s’efforce d’inclure l’immigration illégale dans ses statistiques, il a du mal à s’adapter à l’évolution des modèles migratoires. L’administration a grandement sous-estimé la vague d’immigrants sans-papiers supposément entrés aux États-Unis ces dernières années.
En revanche, le Congressional Budget Office estime que l’immigration réelle a augmenté trois fois plus vite que ce qui était prévu en 2022 et 2023, ce qui signifie que la croissance démographique réelle pourrait avoir été plus proche de 1,2 % pendant ces deux années (voir le graphique suivant). Il s’agit de la plus forte augmentation de la population américaine depuis le début des années 1960.
Augmentation de la population des États-Unis en raison de la hausse de l’immigration
Les données pour 2022-2027 sont estimées en fonction des hypothèses de RBC GMA. Sources : Census Bureau des États-Unis, Congressional Budget Office, Macrobond, RBC GMA.
Cette différence est gigantesque, et c’est sans doute la quatrième raison pour laquelle la croissance américaine a surpassé les attentes en 2023 et jusqu’à maintenant en 2024 (en plus du soutien budgétaire, de la frénésie de la consommation et de la faible sensibilité de l’économie aux taux d’intérêt).
Par ailleurs, l’écart semble expliquer une partie de l’énorme fossé observé entre le sondage sur les emplois rémunérés (qui est ressorti assez optimiste, et ne dépend pas directement des hypothèses de croissance démographique) et l’enquête menée auprès des ménages (dont le résultat est plutôt pessimiste, et qui repose grandement sur les données de croissance démographique et les chiffres prudents du Census Bureau).
Le Congressional Budget Office attend une immigration encore plus rapide en 2024, suivie d’une décélération progressive et de niveaux toujours élevés jusqu’en 2026. Si cette projection se concrétisait, la croissance du PIB américain pourrait dépasser d’un demi-point de pourcentage le taux normalement prévu pour cette période.
Cependant, le thème de l’immigration illégale est au cœur de l’élection présidentielle de cette année et les deux candidats souhaitent changer la situation. Il est donc tout à fait concevable qu’en réalité, l’immigration ne suive pas la tendance anticipée par le Congressional Budget Office. Les deux candidats parlent de resserrer les contrôles aux frontières, en particulier les républicains qui envisagent des mesures plus strictes.
D’un autre côté, les flux de réfugiés augmentent à l’échelle mondiale et les pressions pourraient s’accentuer aux États-Unis, produisant un effet inverse. Toutes choses étant égales par ailleurs, l’hypothèse la plus probable est que le flux d’immigrants sans papiers ralentira plus rapidement que ne le suppose le Congressional Budget Office, mais de nombreux scénarios restent envisageables.
Tour d’horizon de la Chine
Nous allons maintenant aborder plusieurs questions importantes pour la Chine.
Amélioration de la croissance en Chine
Tout d’abord, contrairement à l’idée reçue, l’économie chinoise ne se contente pas de croître. Techniquement, elle est en train d’accélérer, comme en témoigne la récente augmentation de son PIB qui a progressé de 5,3 % au premier trimestre en variation annuelle (voir le graphique suivant).
La croissance économique de la Chine s’est encore raffermie au premier trimestre de 2024
Données en date du premier trimestre 2024. Sources : China National Bureau of Statistics, Haver Analytics, RBC GMA
Le secteur de l’immobilier est encore assez faible, nous y reviendrons dans un instant. Les ventes au détail augmentent toutefois, quoique modestement, et le secteur manufacturier rebondit avec un peu d’enthousiasme alors que les décideurs le priorisent. Ce rebond n’est pas totalement bien accueilli à l’échelle internationale, car il représente l’expansion de la Chine d’une manière qui semble privilégier l’échelle plutôt que les bénéfices, ce qui soulève des inquiétudes quant à une surcapacité mondiale dans certains secteurs verts et ailleurs.
Bien que les exportations chinoises nominales soient toujours en baisse d’une année sur l’autre, cela est en grande partie dû au fait que les produits chinois sont devenus moins chers (en lien avec la préoccupation de surcapacité, susmentionnée). Plutôt mesuré en fonction du volume, le commerce chinois se redresse bien (voir le graphique suivant).
Croissance du volume des échanges commerciaux de la Chine
Données en date de janvier 2024. La zone ombrée représente une récession aux États-Unis. Sources : Netherlands Bureau for Economic Policy Analysis, Macrobond, RBC GMA
La productivité chinoise
La croissance de la productivité chinoise est en ralentissement depuis deux décennies ; depuis son sommet de 14 % par an à la fin des années 2000, elle a décliné à 5 % environ aujourd’hui. Néanmoins, ce chiffre est plus positif que négatif (voir le graphique suivant).
La productivité de la Chine suit une trajectoire baissière depuis dix ans
Données en date du premier trimestre 2024. Tendance estimée à l’aide du filtre Hodrick-Prescott. Sources : National Bureau of Statistics of China, Macrobond, RBC GMA
Tout d’abord, une croissance de 5 % de la productivité est quelque chose de solide. C’est plus du triple que le taux tendanciel des États-Unis. Cette croissance est assez rapide pour que le niveau de vie double tous les quatorze ans – autrement dit, chaque génération de Chinois est presque quatre fois plus riche que la génération précédente, par habitant. La productivité d’un pays est un indicateur de sa prospérité financière. Or, la Chine continue de progresser sur ce front.
Si la croissance de la productivité semble étonnamment rapide, étant donné que la croissance économique ne devrait être que de 4,5 % en 2024 et ralentir dans une fourchette de 3 à 4 % au cours des prochaines années, n’oubliez pas que la population de la Chine est en baisse ; il est donc logique que la croissance de la productivité soit plus rapide que celle de la croissance économique.
Certes, la croissance de la productivité chinoise ralentit probablement à mesure que le pays s’enrichit, mais elle ne montre aucun signe d’effondrement, malgré les nombreuses craintes suscitées par l’économie chinoise au cours des dernières années.
Les enjeux fondamentaux du logement en Chine
On peut en dire beaucoup sur les problèmes du marché du logement de la Chine. Ses constructeurs sont quasi-insolvables, ses gouvernements locaux cherchent de nouvelles sources de revenus, ses ménages se demandent maintenant quoi faire de leur épargne, et ainsi de suite.
Concentrons-nous sur les deux questions les plus fondamentales concernant le marché immobilier chinois : quelle trajectoire suivront les prix de l’immobilier et la construction résidentielle à partir de maintenant ?
Dans les deux cas, les réponses ne sont pas encourageantes.
L’accessibilité à la propriété en Chine est plutôt faible. Elle l’était en 2010, lorsque le logement moyen coûtait 15 ans de revenu moyen, et elle s’est depuis beaucoup détériorée, au point qu’un exorbitant revenu sur 30 ans est maintenant nécessaire (voir le graphique suivant).
L’accessibilité à la propriété est encore faible en Chine, même après la récente chute des prix des logements
En date de 2024. Sources : Numbeo, Macrobond, RBC GMA
En ce qui concerne l’accessibilité à la propriété, il est extrêmement difficile de dire ce qui est raisonnable et ce qui est déraisonnable. Certains comtés des États-Unis ont des ratios prix des maisons/revenus beaucoup plus élevés que d’autres, et pourtant les comtés les plus chers ne s’effondrent pas, les comtés les moins chers ne montent pas en flèche et la vie continue.
Mais il y a des absolus. Si vous supposez que la personne moyenne travaille quarante ans, il est assez difficile de s’imaginer que les trois quarts de l’argent avant impôt qu’elle gagne sur toute sa carrière doivent être affectés à l’achat d’un logement. C’est ce que signifie un ratio prix des maisons/revenus de 30.
Mais aujourd’hui, les prix de l’immobilier sont beaucoup moins susceptibles d’augmenter, et le calcul est beaucoup plus rebutant.
L’exécrable accessibilité à la propriété en Chine n’était pas aussi problématique lorsque les prix des maisons ont flambé ; les acheteurs pouvaient en effet compter sur la vente de leur maison pour faire un profit ultérieurement, quelle que soit leur trésorerie.
Les optimistes remarqueront que la formule Numbeo dont sont tirées ces estimations suppose seulement 1,5 revenu par ménage, alors qu’il pourrait facilement y en avoir deux voire plus (et également un seul). En Chine, on peut raisonnablement s’attendre à ce que le revenu d’une personne augmente beaucoup pendant la durée d’une hypothèque, et améliore ainsi considérablement l’accessibilité effective à la propriété au fil du temps. De plus, tout le monde ne possède pas une maison.
En revanche, les gens doivent payer de l’impôt sur leurs revenus, et les hypothèques entraînent des charges d’intérêts importantes sur des décennies. Selon une démarche prudente, ces charges d’intérêts pourraient absorber à elles seules 15 années supplémentaires de revenu. Cinq années de revenu devraient alors couvrir les versements d’impôts en plus des dépenses pour vivre ! Certes, dans d’autres pays, la période standard représente moins de la moitié du nombre d’années de revenus – et notons que le logement est très cher dans de nombreux endroits de la planète en ce moment, mais pas au point de la Chine (voir le graphique suivant).
Le ratio prix des logements/revenu en Chine figure parmi les plus élevés au monde
En date de 2024. Sources : Numbeo, Macrobond, RBC GMA
L’exécrable accessibilité à la propriété en Chine n’était pas aussi problématique lorsque les prix des maisons ont flambé ; les acheteurs pouvaient en effet compter sur la vente de leur maison pour faire un profit ultérieurement, quelle que soit leur trésorerie.
Mais aujourd’hui, les prix de l’immobilier sont beaucoup moins susceptibles d’augmenter, et le calcul est beaucoup plus rebutant. Il semble au moins peu probable que les prix des maisons augmenteront beaucoup au cours des prochaines années. Heureusement, compte tenu de la croissance assez rapide de la productivité du pays et de l’hypothèse d’une inflation modeste, la hausse des revenus combinée aux prix stables des maisons au cours des dix à quinze prochaines années suffira probablement à ramener l’accessibilité à la propriété à son niveau élevé quoique tolérable de 2010.
Les prix des maisons resteront-ils toutefois vraiment stables pendant plus de dix ans ? L’économie chinoise en pâtirait certainement.
En Chine, les constructions doivent probablement aussi diminuer avec le temps. La population du pays diminue, et fatalement, la demande de nouvelles constructions aussi.
La possibilité que les prix des maisons en Chine soient deux fois plus élevés qu’ils ne le devraient et que les constructions résidentielles doivent diminuer de 35 à 55 % est effrayante. Elle donne à penser que le secteur immobilier ne sera probablement pas un moteur de croissance économique dans les dix ans à venir.
Mais n’exagérons pas les répercussions du déclin démographique : de nombreuses nouvelles constructions seront encore nécessaires en Chine pour remplacer de vieilles propriétés qui ont dépassé leurs vies utiles, pour permettre l’urbanisation à mesure que les migrants s’installent en ville, et que le nombre de personnes par ménage diminue. En d’autres termes, la Chine aura encore besoin de nouvelles constructions, de l’ordre de 800 000 à 1,2 million par an au cours des dix prochaines années, selon les dernières estimations du FMI. C’est beaucoup.
La demande de logements en Chine a toutefois augmenté de 1,7 million d’unités par an au cours des dix dernières années. Ainsi, la demande de logements devrait ralentir de 35 à 55 % au cours des dix prochaines années. Les constructeurs chinois ont donc considérablement réduit leurs perspectives, qui plus est, à un moment où une bifurcation vers d’autres secteurs paraît a priori impossible, puisque le pays semble aussi de plus en plus déjà bien pourvu dans d’autres formes d’infrastructure.
La possibilité que les prix des maisons en Chine soient deux fois plus élevés qu’ils ne le devraient et que les constructions résidentielles doivent diminuer de 35 à 55 % est effrayante. Elle donne à penser que le secteur immobilier ne sera probablement pas un moteur de croissance économique dans les dix ans à venir. La Chine possède bien sûr d’autres sources de croissance, mais sa trajectoire économique devrait retomber.
– Avec la contribution de Vivien Lee, de Vanita Maharaj et d’Aaron Ma
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