Le cycle économique signale-t-il une récession ?
Notre mise à jour trimestrielle sur le cycle économique américain a mis en lumière des évolutions assez intéressantes. La grande nouvelle est que la feuille de pointage est passée de « fin de cycle » à « récession » (voir le graphique suivant).
Le cycle économique des États-Unis montre des signes plus faibles de « fin de cycle ».
En date du 28 juillet 2023. Calcul effectué à l’aide de la technique de la feuille de pointage par RBC GMA. Source : RBC GMA
Cependant, ces résultats exigent des explications, parce que leur interprétation est loin d’être simple. Il est intéressant de noter que la note « fin de cycle » qui dominait depuis plusieurs trimestres n’a pas seulement diminué, mais qu’elle s’est effondrée. Certains des indicateurs sont passés à « récession », comme nous pouvions nous y attendre, mais une part encore plus importante a fait volte-face pour retourner en territoire « fin de cycle ». Autrement dit, même si un nombre important de variables économiques ont continué d’avancer, un nombre encore plus important a reculé. Il en résulte une distribution scindée, dans laquelle la « récession » est l’hypothèse la plus vraisemblable, mais une autre interprétation est que plusieurs trimestres pourraient s’écouler avant que l’économie entre en récession.
L’interprétation la plus logique, selon nous, est qu’une récession est maintenant de l’ordre du possible, mais avec une grande part d’incertitude compte tenu des signaux divergents que révèle la feuille de pointage.
En outre, la signification du signal « récession » est discutable. Signifie-t-il qu’une récession a déjà commencé ? Cela semble peu probable, compte tenu de notre interprétation des données économiques actuelles. Le signal « récession » est logiquement interprété comme si une récession était amorcée.
Or, une troisième interprétation, moins orthodoxe, serait que nous sommes au niveau le plus bas possible pour ce cycle. Autrement dit, le creux du cycle n’est pas encore assez profond pour provoquer une contraction économique. Le fait que le résultat « début du cycle » est actuellement en hausse avec 8 % des voix pourrait soutenir l’idée qu’une reprise est sur le point de commencer.
Si nous passons outre ce scénario radicalement différent, l’interprétation la plus logique, selon nous, est qu’une récession est maintenant de l’ordre du possible, mais avec une grande part d’incertitude compte tenu des signaux divergents que révèle la feuille de pointage.
Le risque de récession s’amenuise
Malgré les signes de mauvais augure pour le cycle économique, les nouvelles économiques se sont améliorées au cours des derniers mois (voir le graphique suivant). Au vu du repli de l’inflation, la plupart des analystes estiment que le risque de récession a grandement reculé dans certains pays (voir le graphique suivant). Notre propre évaluation du risque de récession aux États-Unis pour les 12 prochains mois est passée de 80 % il y a un trimestre à un niveau plus modéré de 65 % aujourd’hui.
Amélioration de l’indice de confiance selon les nouvelles quotidiennes
Au 23 juillet 2023. Sources : Federal Reserve Bank de San Francisco, Macrobond, RBC GMA
La probabilité de récession dans certains pays a diminué
En date du 28 juillet 2023. Probabilité médiane de récession selon les dernières prévisions reçues dans le cadre de sondages menés par Bloomberg. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Pourtant, les données économiques réelles – contrairement aux nouvelles sur l’économie – ne se sont pas améliorées autant que cela. De nombreuses mesures demeurent assez faibles (voir le graphique suivant).
Les attentes des entreprises américaines restent en berne
En date de juin 2023. Analyse des composantes principales fondée sur l’indice d’optimisme de la National Federation of Independent Business (NFIB) et les perspectives du monde des affaires, Nouvelles commandes dans l’industrie manufacturière et des services, données fournies par l’Institute for Supply Management (ISM), et prévisions des chefs de la direction du Conference Board à l’égard de l’économie. Sources : The Conference Board, ISM, NFIB, Macrobond, RBC GMA
Nous avons passé en revue un éventail de modèles économiques et d’antécédents historiques pour mieux comprendre la question la plus importante à ce jour : la récession est-elle terminée avant d’avoir commencé, ou est-elle en train d’émerger ?
Au départ, il était perturbant (du moins pour ceux qui prévoyaient une récession) de constater que selon la plupart des modèles économétriques des banques centrales, l’effet de la hausse des taux serait pleinement absorbé dans l’économie en l’espace d’un an. Si nous prenions cette affirmation au pied de la lettre, l’effet négatif de la politique monétaire que nous avons constaté serait sur le point de s’amenuiser, car nous approchons du premier anniversaire de la partie la plus intensive de la hausse des taux.
Cependant, cela ne se vérifie que dans quelques circonstances extrêmement limitées. Face à un choc des taux d’intérêt, ces modèles présument que le choc s’atténuera rapidement, et que le taux directeur reviendra bientôt à son niveau de référence. Dans la pratique, les choses sont souvent différentes, et le choc ne s’est pas atténué cette fois-ci : non seulement les taux directeurs n’ont pas réussi à faire marche arrière, mais ils continuent d’augmenter.
Notre propre analyse historique des cycles de resserrement révèle que le délai entre la première hausse des taux et la récession est de 27 mois en moyenne. Si c’est le cas cette fois-ci, une récession surviendrait au milieu de 2024.
Sur la base d’hypothèses plus réalistes, ces modèles – y compris celui que nous utilisons pour notre propre modélisation – estiment que chaque hausse des taux constitue un frein assez stable dont la durée est de deux ans et demi environ. Si nous cumulons l’effet de toutes les hausses de taux réalisées, les unes après les autres, alors le frein lié à la politique monétaire devrait progressivement s’alourdir au cours de la prochaine année par rapport aux derniers trimestres. La probabilité de récession est toujours en train de s’élargir.
Certes, le fait que le frein soit de plus en plus lourd ne garantit pas qu’une récession se produira. L’économie a jusque-là résisté à la récession, malgré l’ampleur actuelle de l’effet négatif. C’est pourquoi les probabilités de récession sont bien inférieures à 100 %.
D’un autre côté, une vaste étude publiée dans l’International Journal of Central Banking nous apprend que le délai moyen entre les hausses de taux et le recul de l’inflation peut atteindre deux ans, voire quatre ans. D’après ces données, si une récession survenait maintenant, elle serait largement en avance par rapport aux prévisions.
De même, notre propre analyse historique des cycles de resserrement révèle que le délai entre la première hausse des taux et la récession est de 27 mois en moyenne (voir le tableau suivant), ce qui placerait une récession au milieu de 2024.
Enfin, du point de vue du bon sens, les hausses des taux ne se sont pas encore pleinement répercutées dans l’économie, étant donné que de nombreux détenteurs de prêts hypothécaires et autres emprunteurs n’ont pas encore renouvelé leurs prêts à des taux d’intérêt plus élevés.
Historiquement, les récessions surviennent longtemps après le resserrement
Cycles économiques et de resserrement aux États-Unis. Sources : Réserve fédérale, National Bureau of Economic Research, Macrobond, RBC GMA
Malheureusement, en matière d’économie, rien n’est bien précis. L’économie est une science inexacte. Il est tentant d’abandonner l’idée d’une récession alors que l’économie refuse toujours de céder, que l’inflation se replie et que les hausses des taux arrivent probablement à leur fin. Cela dit, en théorie, l’ampleur du resserrement déjà réalisé est suffisante pour provoquer une récession, et les délais prévus dans les modèles laissent beaucoup de temps pour voir pointer une récession.
De même, notre étude du cycle économique et les divers paramètres que nous utilisons pour mesurer le risque de récession (voir la dernière version dans le graphique suivant) continuent d’affirmer qu’une récession reste plus probable qu’improbable. Nous ne devons pas laisser les émotions occulter ces données.
Les signes de récession indiquent surtout « oui » ou « probable » : nous estimons à 65 % la probabilité d’une récession au cours de la prochaine année
En date du 24 juillet 2023. Analyse de l’état de l’économie aux États-Unis. Source : RBC GMA
Nouvelles prévisions de croissance plus optimistes
Dans le numéro précédent du #MacroMémo , nous avons indiqué que la récession anticipée ne surviendrait plus au cours du second semestre de 2023, mais au dernier trimestre de 2023 et au premier trimestre de 2024.
Nous avons aussi mis à jour nos prévisions de croissance au cours des semaines qui ont suivi, et nous tablons maintenant sur l’hypothèse que l’ampleur de la récession sera légèrement inférieure à celle supposée auparavant. Aux États-Unis, le déclin du sommet au creux est passé de -1,4 % à -1,1 %. La correction est semblable dans d’autres pays développés. D’un point de vue qualitatif, la récession prévue se rapproche d’un déclin « modéré » au lieu d’un déclin « modéré à moyen ».
Dans l’ensemble, la survenance retardée de la récession augmente les prévisions de croissance pour 2023 et les fait baisser pour 2024.
Nos prévisions de croissance restent inférieures aux prévisions générales et, du fait de ces perspectives affaiblies, nous continuons de prévoir que l’inflation chutera plus rapidement que ce que présume le marché, fortement à l’instar de la situation au cours des derniers trimestres.
Malgré la diminution de l’intensité de la récession, le bilan des nouvelles forces économiques tant positives que négatives qui s’opposent se répartit de manière assez égale.
Parmi les évolutions positives, soulignons les suivantes :
- L’économie a continué de croître, tout en résistant à la récession pendant un autre trimestre. Il s’agit d’un facteur mathématique positif pour la croissance du produit intérieur brut (PIB) en 2023, ainsi que d’un signal indiquant que l’économie conserve une certaine résilience.
- L’inflation, du fait de son repli marqué, a un effet moins corrosif sur la croissance.
- Le logement poursuit son rétablissement.
- Il se peut que l’enthousiasme à l’égard de l’IA générative ne stimule pas la croissance de la productivité à court terme, mais améliore légèrement les dépenses en recherche et développement et en immobilisations.
- Le marché boursier évolue à la hausse, tout en produisant ainsi un léger effet positif sur le patrimoine.
À l’inverse, voici certaines évolutions négatives :
- Les banques centrales ont procédé à plus d’augmentations de taux que prévu auparavant.
- Les augmentations de taux antérieures comportent encore un effet à retardement important.
- L’entente sur le plafond de la dette américaine s’est soldée par un fardeau budgétaire de niveau modeste pour les États-Unis.
- Les remboursements de prêts aux étudiants américains reprendront en août, ce qui représentera des mensualités de plusieurs centaines de dollars pour des dizaines de millions d’Américains.
- L’économie chinoise continue de piétiner, et déçoit ainsi les attentes.
- Au cours du trimestre, le secteur bancaire a connu un autre épisode de tensions, quoique cela remonte au mois de mai.
Nos prévisions de croissance restent inférieures aux prévisions générales et, du fait de ces perspectives affaiblies, nous continuons de prévoir que l’inflation chutera plus rapidement que ce que présume le marché, fortement à l’instar de la situation au cours des derniers trimestres (voir le graphique suivant).
Prévisions de RBC GMA c. prévisions générales pour 2024
L’écart correspond à la différence entre les prévisions de RBC GMA (au 24 juillet 2023) et les prévisions générales (en date de juillet 2023). Sources : Consensus Economics, RBC GMA
L’inflation continue de fléchir
L’inflation continue de diminuer sensiblement. Aux États-Unis, l’IPC (indice des prix à la consommation) s’est établi au taux de 3,0 % par rapport à l’année précédente, il y a quelques semaines. L’IPC canadien vient de lui emboîter le pas, s’établissant à 2,8 % sur 12 mois en juin. Dans la zone euro, l’inflation accuse un retard, ayant toutefois fléchi à 5,3 % en glissement annuel. Les petites entreprises sont devenues un peu moins frileuses à l’égard de l’inflation (voir le graphique suivant).
L’inflation demeure le principal problème des petites entreprises
En date de juin 2023. La zone ombrée représente une récession. Sources : Étude économique menée par la NFIB auprès des PME, Macrobond, RBC GMA
L’amélioration devrait ralentir
Cependant, le rythme d’amélioration de l’inflation devrait ralentir. Le prix du pétrole West Texas Intermediate a bondi, passant de moins de 70 $ US le baril à près de 82 $ US au cours du dernier mois, exerçant des pressions à la hausse par l’intermédiaire des prix de l’essence.
Pour leur part, les effets de base deviennent moins favorables. L’inflation a commencé à ralentir il y a exactement un an, de sorte que les taux annuels n’effaceront plus les énormes gains mensuels réalisés 12 mois plus tôt.
Les entreprises ont aussi légèrement raffermi leurs intentions en matière de tarification (voir le graphique suivant).
Le pourcentage d’entreprises américaines qui envisagent d’augmenter les prix continue d’augmenter
En date de juin 2023. La zone ombrée représente une récession. Sources : Étude économique menée par la NFIB auprès des PME, Macrobond, RBC GMA
Dans le même ordre d’idées, l’un de nos principaux indicateurs d’inflation en temps réel donne à penser que l’inflation n’a peut-être pas diminué davantage en juillet (voir le graphique suivant).
L’indice quotidien de l’inflation aux États-Unis de PriceStats fait du surplace
Indice de l’inflation PriceStats au 22 juillet 2023, IPC en date de juin 2023. Sources : State Street Global Markets Research, RBC GMA
Risque d’inflation des produits alimentaires
Il existe aussi des risques de hausse de l’inflation. Malgré le ralentissement de l’inflation des produits alimentaires (voir le graphique suivant), cette tendance favorable pourrait s’enrayer. La Russie ne permet plus le transit des céréales de l’Ukraine par la mer Noire, ce qui a pour effet de faire grimper modestement les prix mondiaux des céréales (voir le graphique suivant). Le problème n’est pas tant l’augmentation des prix jusqu’à présent que le risque de voir s’aggraver les problèmes d’approvisionnement. En outre, l’embargo a des répercussions sur les produits alimentaires qui ne se limitent pas au blé. Autre complication : la récente vague de chaleur à l’échelle mondiale pourrait nuire aux récoltes sur au moins trois continents.
L’inflation des prix des produits alimentaires recule aux États-Unis
En date de juin 2023. La zone ombrée représente une récession. Sources : Bureau of Labour Statistics des États-Unis, Macrobond, RBC GMA
Les prix du blé ont bondi à la suite du retrait de la Russie de l’accord sur le transit des céréales par la mer Noire
Au 27 juillet 2023. Sources : S&P Global, Federal Reserve Bank de St. Louis, Banque du Canada, Macrobond Financial AB, Macrobond, RBC GMA
Pressions salariales
Les spirales prix-salaires demeurent un autre important risque de hausse de l’inflation. Bien que la mesure officielle de la croissance du salaire horaire aux États-Unis soit en baisse, passant d’un sommet de 5,9 % à son rythme actuel de 4,3 %, ces chiffres donnent une image exagérée de l’amélioration et du caractère relativement maîtrisé des salaires actuels. Les effets de la composition faussent les chiffres, car les travailleurs peu qualifiés ont été les premiers à se retirer du marché du travail, avant d’y revenir (ce qui a d’abord fait paraître les salaires moyens plus élevés, puis plus bas).
L’outil de suivi de la croissance des salaires de la Federal Reserve Bank d’Atlanta porte sur ces questions. Il révèle que le taux réel de croissance des salaires demeure considérablement plus élevé que le chiffre officiel et a ralenti plus modestement, passant d’un sommet de 7,1 % à 6,0 % actuellement (voir le graphique suivant). Selon notre mesure des attentes relatives aux salaires, le taux de croissance des salaires devrait ralentir considérablement à partir de maintenant, bien que les salaires réels aient récemment fait fi de ces prévisions.
Diminution des pressions salariales aux États-Unis
Outil de suivi de la croissance des salaires de la Federal Reserve Bank d’Atlanta en date de juin 2023, attentes relatives aux salaires en date de juillet 2023. Indice composite des pressions salariales construit à partir des intentions des entreprises d’augmenter les salaires. La zone ombrée représente une récession. Sources : Macrobond, RBC GMA
Comme nous l’avons déjà mentionné dans le passé, la croissance des salaires au Royaume-Uni continue de s’accélérer de façon inquiétante (voir le graphique suivant. Voilà pourquoi la Banque d’Angleterre est l’unique grande banque centrale d’un pays développé pour laquelle on attend toujours un durcissement monétaire important.
Accélération de la croissance de la rémunération hebdomadaire moyenne au Royaume-Uni
En date de mai 2023. Sources : Office of National Statistics du Royaume-Uni, Macrobond, RBC GMA
Après avoir connu une inflation aussi élevée et un taux de chômage extrêmement faible, de nombreux marchés sont aux prises avec le mécontentement croissant de la main-d’œuvre.
- Aux États-Unis, une grève du syndicat Teamster a récemment été évitée de justesse.
- On s’attend de plus en plus à ce que les travailleurs d’un important constructeur automobile américain entrent en grève le 14 septembre.
- Le nombre d’arrêts de travail aux États-Unis commence à augmenter (voir le graphique suivant).
- Le Royaume-Uni a été aux prises avec un nombre vraiment surprenant de grèves au cours de la dernière année (voir le graphique suivant).
Le nombre d’arrêts de travail aux États-Unis a augmenté depuis 2020
En date de juin 2023. Les données sur les arrêts de travail aux États-Unis incluent ceux d’au moins 1 000 travailleurs. Sources : Bureau of Labor Statistics, Macrobond et RBC GMA
Le nombre d’arrêts de travail au Royaume-Uni a explosé depuis la période précédant la pandémie
En date de mai 2023. Les données sur les arrêts de travail incluent ceux causés par des conflits de travail entre employeurs et travailleurs ou entre travailleurs et autres travailleurs, en lien avec les conditions d’emploi. Sources : Office for National Statistics (ONS) du Royaume-Uni, Macrobond, RBC GMA
Les flambées de l’inflation ont tendance à être plus prononcées au Royaume-Uni
Étant donné que ces derniers temps, l’inflation a été pire au Royaume-Uni que dans les autres pays développés, nous avons examiné les périodes précédant les épisodes d’inflation élevée pour voir s’il s’agissait simplement de malchance ou si cela s’inscrivait dans un schéma plus large.
La conclusion provisoire à laquelle nous sommes parvenus est que le Royaume-Uni semble plus structurellement vulnérable à une forte inflation (voir le graphique suivant). Non seulement l’inflation britannique a grimpé plus haut en 2022, mais elle a aussi largement dépassé celle des États-Unis au début des années 1990 et lors de la plupart des pics enregistrés dans les années 1970 et au début des années 1980.
Historiquement, l’inflation est pire au Royaume-Uni qu’aux États-Unis
En date de mai 2023. Sources : Bureau of Labor Statistics, Office of National Statistics du Royaume-Uni, Macrobond, RBC GMA
En toute franchise, le taux d’inflation au Royaume-Uni n’a rien eu d’exceptionnel pendant le reste des années 1990, 2000 et la majeure partie des années 2010. Autrement dit, cette observation ne s’applique pas à tous les cycles.
La meilleure explication générale, c’est que le Royaume-Uni est un petit pays insulaire ouvert qui dépend d’importations volatiles. Le Brexit apporte un élément de réponse supplémentaire pour la dernière flambée de l’inflation, tandis que les hausses des années 1970 pourraient être en partie attribuables à la forte adhésion syndicale. À l’époque, le taux de syndicalisation était supérieur à 50 % au Royaume-Uni. Bien qu’il soit toujours d’actualité, ce mouvement est beaucoup moins important aujourd’hui. Nous sommes d’avis qu’en l’absence de forces spéciales, à l’avenir, les pics d’inflation ne devraient être que légèrement pires au Royaume-Uni qu’aux États-Unis. Mais, tout d’abord, penchons-nous sur la situation actuelle.
Fin du resserrement en vue pour les banques centrales ?
Après un nouvel élan de resserrement monétaire supérieur aux attentes ces derniers mois, de nombreuses banques centrales de pays développés pourraient enfin s’approcher de la ligne d’arrivée.
La semaine dernière, la Réserve fédérale américaine a procédé à la hausse attendue de 25 points de base, faisant passer à 5,50 % la limite supérieure du taux cible des fonds fédéraux. Si le communiqué accompagnant l’annonce faisait état d’une amélioration de l’économie, la conférence de presse qui a suivi laissait transparaître moins d’enthousiasme. Il y a été question du caractère restrictif de la politique monétaire, de la distance déjà parcourue par celle-ci et de l’importance accrue de l’approche axée sur les données à l’avenir, ce qui est loin de garantir un assouplissement monétaire.
Par le passé, dans le cadre d’un cycle de resserrement, quand les banques centrales marquent une pause avant de recommencer à relever les taux (comme pour la Fed récemment), dans 80 % des cas, il y a eu plus d’une hausse.
Les marchés financiers croient que la Réserve fédérale est vraisemblablement arrivée à la fin de son cycle de resserrement, anticipant seulement un cinquième d’une nouvelle hausse de taux de 25 points de base cet automne. C’est un point de vue crédible, surtout compte tenu de la trajectoire favorable de l’inflation. Néanmoins, n’oublions pas que les graphiques de juin provenant de la Fed indiquaient une autre augmentation de 25 points de base avant la fin de l’année.
En outre, par le passé, dans le cadre d’un cycle de resserrement, quand les banques centrales marquent une pause avant de recommencer à relever les taux (comme pour la Fed récemment), dans 80 % des cas, il y a eu plus d’une hausse. Une autre augmentation n’est donc pas à exclure, surtout si l’économie reste vigoureuse et que l’inflation cesse de reculer aussi nettement dans les prochains mois.
Par ailleurs, le procès-verbal de la Banque du Canada révèle une approche fortement axée sur les données, qui penche en faveur du statu quo lors de la prochaine réunion : « Ils se sont aussi dits prêts à relever encore le taux directeur si les pressions inflationnistes ne s’atténuaient pas comme prévu... Ils ne voulaient cependant pas en faire plus que nécessaire. » (BdC 7/26/2023)
La Banque centrale européenne a relevé son taux des facilités de dépôt de 25 points de base pour le porter à 3,75 % et a également adopté une position étroitement liée aux données.
La Banque d’Angleterre constitue une exception, le marché anticipant toujours trois hausses de 25 points de base par rapport au niveau actuel 5,00 %.
Entre-temps, la Banque du Japon continue de suivre un rythme complètement différent. Contrairement aux autres pays, elle n’a pas connu la poussée inflationniste initiale, ne voyant que récemment les prix grimper un peu. De surcroît, après des décennies d’inflation inférieure aux cibles, le Japon peut beaucoup mieux tolérer que la plupart des pays une inflation élevée comme outil pour raviver les prévisions à long terme.
Toutefois, son indulgence à l’égard de l’inflation n’est pas infinie. Le Japon continue d’imprimer des billets et les distorsions abondent à la suite d’une longue période de taux d’intérêt négatifs. La Banque du Japon a d’abord assoupli son système de contrôle de la courbe des taux en décembre, permettant au taux des obligations à 10 ans d’atteindre 0,50 %, soit plus que la limite précédente de 0,25 %. La semaine dernière, elle a augmenté encore plus cette limite, indiquant qu’elle offrirait d’acheter des obligations d’État japonaises à 10 ans à un taux fixe pouvant aller jusqu’à 1,0 %. Fait déroutant, le taux de référence demeure à 0,50 %, mais il ne s’agit plus d’une limite rigide. En conséquence, les obligations japonaises à 10 ans se négocient actuellement au-dessus de la limite précédente de 0,50 %, à des taux inégalés depuis neuf ans (voir le graphique suivant).
La Banque du Japon affine prudemment sa politique de contrôle de la courbe des taux, alors que les taux grimpent dans le monde
En date du 28 juillet 2023. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Nous supposons que les taux des obligations japonaises continueront d’augmenter à mesure que le pays apportera d’autres modifications à sa politique.
Si nous revenons aux perspectives – et aux pays développés autres que le Japon – il est à noter que certaines économies émergentes commencent à réduire leur taux directeur. Le Chili vient de procéder à une baisse de 100 points de base, et le Brésil devrait entamer sa propre détente en août. D’autres emboîteront probablement le pas.
Cela est potentiellement pertinent pour le monde développé, parce que les banques centrales des marchés émergents sont souvent le canari dans la mine. Elles ont relevé leurs taux bien avant les banques centrales des économies développées, en 2021, en raison de leur plus grande sensibilité aux prix des denrées alimentaires et aux flux de capitaux. Or, aujourd’hui, elles pourraient signaler le début d’un cycle d’assouplissement. Mais honnêtement, il faudra sans doute attendre encore plusieurs mois avant que les pays développés changent de cap.
Un mot sur la politique budgétaire
Nous avons déjà mentionné que les déficits budgétaires d’un grand nombre de pays demeurent excessivement élevés à cette étape tardive du cycle économique (voir le graphique suivant). Les États-Unis avaient amorcé un virage constructif (et bénéficieront sous peu des restrictions liées au plafond de la dette). Toutefois, dans l’intervalle, leur déficit s’est encore creusé (voir le graphique suivant).
Persistance de déficits budgétaires structurels importants
Projections du Fonds monétaire international (FMI) pour 2023. Sources : Perspectives de l’économie mondiale du FMI (avril 2023), Macrobond, RBC GMA
Le déficit budgétaire des États-Unis s’accroît de nouveau
En date de juin 2023. Sources : Macrobond, RBC GMA
Les gouvernements font face à de fortes pressions les incitant à dépenser pour de nombreuses raisons :
- remboursement de la dette
- financement accru des forces armées
- soutien à la population vieillissante
- financement des initiatives vertes
- mise en œuvre de nouvelles politiques industrielles populaires.
Parallèlement, la sensibilité du marché obligataire s’accroît à mesure que les banques centrales mettent fin à leur assouplissement quantitatif, qui a longtemps freiné la dynamique du marché.
Diverses solutions existent pour réduire les déficits élevés et l’endettement massif.
La stratégie la plus optimiste consiste tout simplement à stimuler la croissance pour résoudre le problème. Voilà qui est plus facile à dire qu’à faire pour accélérer la croissance du PIB. Dans la situation actuelle, le risque de croissance à court terme penche davantage vers une économie moins vigoureuse en cas de récession.
Certes, il est plausible que les nouvelles technologies accéléreront la productivité à long terme. Toutefois, ce n’est pas garanti, et nous ignorons le degré d’accroissement possible. En outre, une accélération très forte et soutenue de la croissance du PIB serait nécessaire pour remédier aux déficits, qui représentent actuellement de 4 à 7 % du PIB.
La stratégie standard de réduction du déficit consiste simplement à atténuer le déséquilibre entre les recettes publiques et les dépenses publiques. La tâche n’est jamais facile, car les hausses d’impôts et les coupes de dépenses sont toutes deux des mesures très impopulaires auprès des électeurs. La façon la plus délicate d’y parvenir prévoit une limitation de la croissance des dépenses plus judicieuse que la normale, ce qui devrait figurer dans toute solution.
Toute solution devra passer avant tout par l’austérité budgétaire, mais aussi en partie par une croissance à long terme plus rapide, la répression des taux d’intérêt et une inflation plus élevée.
Il existe également d’autres solutions, comme la répression des taux d’intérêt et l’acceptation d’une inflation un peu plus élevée. Nous avons répété à maintes reprises que la présente période devrait être caractérisée par des taux d’intérêt relativement bas, en grande partie à cause de l’ampleur de la dette. Cela dit, une dette élevée ne se traduit pas nécessairement par des taux d’intérêt faibles. Elle incite plutôt à une réduction des taux pour empêcher que le service de la dette ne devienne trop onéreux.
Nous croyons que l’inflation à long terme pourrait être légèrement supérieure à la cible, surtout en raison de facteurs non liés à la dette (principalement la démondialisation et les changements climatiques). Cependant, la tolérance à l’égard de l’inflation pourrait être un peu plus grande, car elle permet également de réduire le fardeau de la dette publique. Elle favorise la réduction de ce fardeau de deux façons :
- en augmentant le taux de croissance nominale du PIB (ce qui améliore le ratio dette-PIB) ;
- en réduisant de fait le taux d’intérêt réel des obligations gouvernementales déjà immobilisées.
En résumé, toute solution devra passer avant tout par l’austérité budgétaire, mais aussi en partie par une croissance à long terme plus rapide, la répression des taux d’intérêt et une inflation plus élevée. Jusqu’à présent, la plupart des pays n’ont pas choisi cette première option. Ils devraient toutefois le faire une fois que les marchés obligataires seront plus fragiles. Les pays aux prise avec des déficits considérables seront contraints de payer des primes de risque plus importantes sur leur dette, ce qui pourrait se traduire par des difficultés accrues.
Signes politiques positifs en Chine
La réunion du Politburo chinois en juillet n’a débouché sur aucune nouvelle mesure de relance budgétaire majeure pour redynamiser l’économie du pays. Toutefois, elle a sans doute préparé le terrain à un meilleur soutien gouvernemental plus tard. Quoi qu’il en soit, les pouvoirs publics sont plus préoccupés qu’au trimestre dernier : ils reconnaissent maintenant les problèmes économiques, notamment l’insuffisance de la demande intérieure et les difficultés des entreprises.
Le Politburo s’est engagé de façon typiquement laconique à accélérer les ajustements anticycliques, ce qui revient à dire qu’il mettra en place des mesures de stimulation économique quelconques. Il s’est également engagé à renforcer la demande intérieure, qui est en perte de vitesse, notamment dans les secteurs automobile et électronique.
Le marché du logement pourrait également bénéficier d’un certain soutien, le gouvernement ayant omis de rappeler que « le logement est fait pour vivre, et non pour spéculer ».
Enfin, le gouvernement s’est engagé à résoudre les problèmes d’endettement des gouvernements locaux que nous avions abordés dans notre #MacroMémo du 27 juin. Cette nouvelle est importante, car la dette des gouvernements locaux chinois pourrait s’élever à 10 billions de dollars US, voire plus, en raison de la détérioration du marché du logement. Bien entendu, les fonds publics qui servent à rembourser cette dette ne peuvent être consacrés à d’autres activités productives au sein de l’économie.
La promesse future de l’Inde
L’Inde est un pays attrayant du point de vue de l’investissement et de l’économie à long terme. Fait étonnant, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit que l’Inde sera le deuxième moteur de la croissance économique mondiale d’ici 2028, devançant les États-Unis (voir le graphique ci-dessous).
La Chine restera le principal moteur de la croissance mondiale
Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI) pour la période allant de 2023 à 2028. Sources : Perspectives de l’économie mondiale du FMI (avril 2023), Macrobond, RBC GMA
En ce qui concerne le taux de croissance, le FMI estime en outre que l’Inde dépassera nettement la Chine dans la période à venir (voir le graphique suivant), et affichera ainsi la plus forte croissance parmi les grandes économies du monde. Précisons que l’économie chinoise est beaucoup plus importante que celle de l’Inde, si bien que son taux de croissance relativement faible se traduira tout de même par une hausse supérieure de la production en dollars chaque année. Toutefois, la production de l’Inde se rapprochera de plus en plus en pourcentage de celle de la Chine, et l’immense population du pays lui donne beaucoup d’espoir.
Croissance économique : l’Inde devrait progresser plus rapidement que la Chine
Sources : Perspectives de l’économie mondiale du FMI (avril 2023), Macrobond, RBC GMA
Certes, l’Inde a encore beaucoup de pain sur la planche. Ses infrastructures sont déficientes, non seulement par rapport à la Chine, mais aussi en regard de nombreux autres pays en développement (voir le graphique suivant). Par ailleurs, dans la catégorie des pays en développement, l’Inde présente un niveau de dette publique assez élevé (voir le graphique ci-dessous).
Le classement des infrastructures par pays montre que l’Inde est en retard sur la Chine et d’autres pays en développement
En 2022. Sources : Indice mondial de l’innovation, Macrobond, RBC GMA
La dette publique de l’Inde reste considérable
Au quatrième trimestre de 2022. Sources : Banque des Règlements Internationaux, Macrobond, RBC GMA
Toutefois, alors que les sociétés internationales poursuivent des politiques de diversification hors Chine, l’Inde devient naturellement un destinataire d’une grande partie des activités manufacturières diversifiées. Cette première percée contribuera à la mise en place des infrastructures, ce qui pourrait amorcer un cercle vertueux d’expansion. Le gouvernement indien a jeté les bases d’une période de croissance saine à plusieurs égards, notamment en implantant un nouveau système d’opérations électroniques qui a fait entrer le commerce dans le XXIe siècle (voir le graphique suivant).
Augmentation de la valeur de l’interface de paiements unifiée en Inde
Données en mai 2023. Sources : Banque de réserve de l’Inde, Macrobond, RBC GMA
Grève dans les ports de la C.-B. – deuxième partie
Il y a deux semaines, nous avons parlé d’une résolution de la grève dans les ports de la C.-B. par voie de négociation collective. Nous avions raison à ce moment-là, mais la suite des événements a été mouvementée : les dirigeants syndicaux ont rejeté l’accord avant de faire marche arrière, les membres du syndicat l’ont rejeté lors d’un vote, puis l’accord a été modifié et enfin conclu.
Vu la tournure que prennent les événements, nous pourrions encore avoir tort puis raison plusieurs fois. Ce nouvel accord de principe nécessite un vote. Le gouvernement fédéral pourrait intervenir davantage étant donné l’intérêt national en jeu advenant un vote négatif. Enfin, dans un scénario extrême, les tribunaux pourraient même s’en mêler, compte tenu des récentes décisions des tribunaux canadiens qui limitent l’utilisation des lois de retour au travail. Espérons que la situation n’en arrivera pas là et que le nouvel accord sera maintenu.
Les conséquences n’ont guère changé depuis notre dernière évaluation : nous estimons que l’économie pourrait céder quelques dixièmes de points de pourcentage de production, et que cette perte ne serait pas entièrement récupérée avant plusieurs mois. Toutefois, les dommages risquent de toute évidence d’être plus importants, soit à cause d’un rejet du dernier accord, soit à cause d’une accumulation de preuves que les premiers dommages pourraient être plus persistants qu’on ne l’avait pensé au départ. Le Canada doit à nouveau faire face à des problèmes relatifs aux chaînes logistiques, même si ces difficultés ne sont que temporaires.
-Avec la contribution de Vivien Lee, de Thao Le et d’Aaron Ma
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