Mise à jour à la suite de l’investiture
Le président Trump est maintenant en place pour un deuxième mandat, et le moins qu’on puisse dire est qu’il a commencé en force. Bien que son premier mandat se soit aussi ouvert sur de grandes visions, sa marge de manœuvre semble plus importante cette fois-ci, avec des plans tout aussi ambitieux, mais conjugués à une plus grande expérience et à un meilleur alignement idéologique des partenaires, à la fois au Congrès, à la Maison-Blanche et dans les tribunaux.
Cela dit, le président n’est pas un monarque : il fait face à des contraintes juridiques, politiques et pratiques qui limitent ce qu’il peut accomplir. En outre, comme en témoigne son livre « L’art de la négociation », Trump a l’habitude d’ouvrir les négociations en brandissant des exigences extrêmes, ce qui l’aide à obtenir des résultats moins radicaux, mais qui lui sont tout de même favorables, dans la suite des négociations. Autrement dit, comme sa première proposition passe rarement la ligne d’arrivée, nous pouvons penser que ses propositions politiques les plus radicales ne seront peut-être pas mises en œuvre dans leur intégralité.
En effet, nous continuons de croire que pour ce qui est des idées politiques de Trump les plus défavorables à la croissance, comme les tarifs douaniers, la restriction de l’immigration et les coupes dans les dépenses publiques, nous verrons sûrement des politiques plus modérées prévaloir sur la rhétorique extrémiste déployée durant la campagne électorale. Certes, depuis l’investiture de Trump le 20 janvier, les nouvelles ne vont pas vraiment dans ce sens, mais nous avons quelques raisons d’espérer que des politiques plus modérées verront le jour.
En ce qui concerne l’immigration : Nous anticipons un recul substantiel de l’immigration légale et illégale, ainsi qu’une augmentation tangible des déportations. Cependant, il est peu probable que les quelque 15 millions de résidents sans papiers des États-Unis soient massivement déportés, en dépit des grands discours de la campagne électorale. Si les mesures prises la semaine dernière ont été conséquentes, elles ne contredisent pas notre opinion. Ces mesures incluent une tentative d’abroger la citoyenneté de naissance (ce décret est temporairement bloqué en raison de l’opposition de plusieurs tribunaux), une déclaration d’état d’urgence national aux frontières et un effort pour augmenter les déportations de masse.
La croissance économique devrait souffrir du ralentissement de la croissance démographique, mais non de l’exode de près de 5 % de la population du pays.
Dans les faits, l’effort de déportation dans plusieurs grandes villes s’est soldé par 538 personnes à peine au cours de la première semaine. Certes, ce n’est que la première semaine. Mais les États-Unis devraient expulser un nombre incroyable de 10 000 personnes par jour pendant les quatre années du mandat de Trump s’ils veulent éliminer la totalité des résidents sans papiers, en supposant qu’il n’y ait plus du tout d’immigration illégale.
Le plus probable est que le rythme des déportations passera d’environ 1000 par jour, soit le niveau observé durant les récents mandats présidentiels, à quelque chose comme 2000 par jour. Trump a d’ailleurs parlé d’« expulser les criminels », au lieu de se concentrer sur l’ensemble de la population sans papiers, ce qui semble conforter cette interprétation. Par conséquent, la croissance économique devrait souffrir du ralentissement de la croissance démographique, mais non de l’exode de près de 5 % de la population du pays.
Jusqu’à présent, les mesures d’austérité ont été relativement modestes – un gel de l’embauche publique et une maigre économie de 145 millions de dollars liée à l’annulation de contrats de diversité, d’équité et d’inclusion.
En ce qui concerne la réduction des dépenses : Il n’y a tout simplement pas moyen de faire des coupes de 2 billions de dollars par année, à moins de supprimer des prestations sociales – ce qui est peu probable. Jusqu’à présent, les mesures d’austérité ont été relativement modestes – un gel de l’embauche publique et une maigre économie de 145 millions de dollars liée à l’annulation de contrats de diversité, d’équité et d’inclusion. Les idées « coup de poing » comme l’élimination du ministère de l’Éducation n’ont pas été mises en œuvre. La suppression des subventions environnementales aurait une incidence importante sur le budget national – une aide de plusieurs centaines de milliards de dollars serait ainsi retirée –, mais en même temps, Trump a mentionné des centaines de milliards supplémentaires en faveur de l’IA et de la technologie, et exprimé son désir de revitaliser le secteur militaire.
Sur le front des tarifs douaniers : Les grandes menaces continuent d’être proférées, mais elles ne sont pas mises à exécution. Nous aborderons cette question dans la prochaine section.
Les plans de dégrèvements fiscaux restent à l’ordre du jour et il existe une possibilité pour que le projet de taux d’imposition de 15 % pour les sociétés soit déployé plus largement que prévu.
En ce qui concerne la croissance : Les plans de dégrèvements fiscaux restent à l’ordre du jour et il existe une possibilité pour que le projet de taux d’imposition de 15 % pour les sociétés soit déployé plus largement que prévu. Les États-Unis ont déjà annoncé leur retrait de l’accord mondial sur la taxation minimale des multinationales.
Au chapitre de la déréglementation : Il n’y a pas de grandes nouvelles, mis à part un engagement solennel à intensifier le forage pétrolier aux États-Unis. Nous continuons de croire que la déréglementation sera un important facteur de croissance, en particulier dans les secteurs des services bancaires et de l’énergie.
Enfin, l’optimisme reste inébranlable : la confiance des entreprises en particulier s’est envolée à la suite de l’élection, et il n’y a pas de signes de repli pour le moment.
Les avantages liés aux dégrèvements fiscaux, à la déréglementation et au vent d’optimisme semblent encore capables de surmonter les inconvénients liés aux tarifs douaniers, au ralentissement de la croissance démographique et aux réductions de dépenses.
Par conséquent, notre scénario de base pour les États-Unis prévoit toujours une accélération progressive de la croissance du PIB, plutôt qu’un ralentissement à court terme, une fois que l’effet net des politiques de Trump se fera sentir. C’est-à-dire que les avantages liés aux dégrèvements fiscaux, à la déréglementation et au vent d’optimisme semblent encore capables de surmonter les inconvénients liés aux tarifs douaniers, au ralentissement de la croissance démographique et aux réductions de dépenses. Il y a bien sûr une marge d’incertitude considérable dans les prévisions.
Ce qui laisse espérer des résultats positifs est que Trump est connu pour se soucier du marché boursier et, en tant que dirigeant d’entreprise, il se soucie probablement de l’économie. La Maison-Blanche est remplie de dirigeants d’entreprise de premier plan qui partagent le même état d’esprit. Les petites entreprises semblent importantes à ses yeux. Par conséquent, il serait surprenant que des dommages importants soient infligés à l’économie américaine.
Parmi les autres engagements de Trump qui ne cadrent pas exactement avec le cadre de croissance ci‑dessus, il y a la promesse de réduire l’inflation. En dehors de l’augmentation de la production de pétrole, il n’y a pas d’indications claires sur les moyens d’y parvenir, compte tenu d’une croissance économique potentiellement accrue et du fait que les tarifs douaniers ont tendance à être inflationnistes. De fait, nous supposons que sa politique entraînera une hausse progressive de l’inflation aux États-Unis.
Trump a également réitéré ses déclarations expansionnistes précédentes sur le canal de Panama, le Groenland et le Canada. Nous discuterons de ces idées dans une section ultérieure.
Pleins feux sur les tarifs douaniers
Parmi les nombreuses idées politiques actuellement diffusées par la Maison-Blanche, la menace de tarifs douaniers a particulièrement marqué les esprits des investisseurs et des acteurs économiques.
Malgré la menace d’importants tarifs douaniers qui plane au-dessus de plusieurs pays – avec notamment le taux inquiétant de 25 % proposé à l’égard du Canada et du Mexique – la première semaine aurait pu être pire de ce point de vue. Le discours d’investiture du président Trump s’est avéré relativement léger à ce sujet et, fait important, il n’a pas mis en place de tarifs douaniers lors de son premier jour en fonction, malgré toutes les autres mesures prises ce même jour.
Au lieu de cela, il a commandé une étude sur les pratiques commerciales qui devrait être terminée d’ici le 1er avril. Cela ne garantit pas que les pays ciblés vont gagner deux mois de délai, car il a aussi mentionné la possibilité d’imposer des tarifs douaniers le 1er février. Mais le fait est que nous observons une certaine hésitation, ce qui conforterait l’idée selon laquelle la menace de tarifs n’est qu’une tactique pour obtenir une réponse à d’autres exigences américaines, et non seulement un objectif en soi (bien que le discours sur le financement des dégrèvements fiscaux au moyen de tarifs douaniers souligne la probabilité de certains tarifs).
Le président Trump a également déclaré qu’il n’appliquerait pas nécessairement de tarifs douaniers importants contre la Chine, mentionnant plutôt un tarif de 10 % (bien loin des 60 % dont il avait menacé ce pays pendant la campagne). Sa décision de revenir sur la toute nouvelle interdiction de TikTok laisse aussi entendre que son antagonisme a diminué à l’égard de la Chine. Par ailleurs, Trump a déclaré qu’il n’était pas encore prêt pour un tarif universel de 10 % sur tous les pays. Les tarifs douaniers européens ont été mentionnés, mais sans précision quant à l’ampleur ou au calendrier de ces mesures.
Théorie tarifaire
Comment les tarifs douaniers influent-ils sur l’activité économique et les prix ? Calculer les dommages économiques découlant de l’imposition de tarifs ne se résume pas à multiplier les tarifs par le nombre de produits importés touchés. Ce calcul pourrait de prime abord représenter la hausse des revenus du gouvernement, mais seulement en présumant une demande totalement inélastique, ce qui est peu probable, et que les revenus du gouvernement ne sont pas par ailleurs réduits en raison de la faiblesse de l’économie. En outre, les revenus du gouvernement diffèrent considérablement des dommages économiques : après tout, le gouvernement pourrait affecter les revenus supplémentaires à une réduction de taxes ; ainsi, les consommateurs rebutés par le prix élevé d’un produit pourraient simplement acheter autre chose, sans que cela les rende moins productifs ni plus pauvres.
Il vaut plutôt mieux envisager l’ensemble des dommages économiques dans le contexte d’un petit nombre d’effets positifs et d’un grand nombre d’effets négatifs (voir le graphique suivant). Oui, le pays qui impose des tarifs pourrait percevoir davantage de recettes fiscales et gérer une plus grande production nationale des produits touchés. Les facteurs négatifs s’additionnent toutefois rapidement, sous la forme de prix plus élevés pour les produits – ce qui entraîne une diminution de ce que les gens peuvent se permettre, l’appréciation de la devise, une baisse de la spécialisation, une restriction des choix et des perturbations de la chaîne logistique à court terme.
Pour calculer tout cela, il faut plus qu’une calculatrice et un bout de papier, et toute estimation laisse inévitablement place à une marge d’erreur considérable. Nous discuterons sous peu de nos propres estimations fondées sur des modèles.
Les dommages économiques causés par les tarifs douaniers surviennent par un éventail de canaux subtils
Au 29 juillet 2024. Source : RBC GMA.
Les tarifs constituent une inflation nette, mais il est difficile de déterminer quelle portion est imposée au consommateur par rapport aux autres points de la chaîne logistique (voir le graphique suivant). Une chose est sûre, l’élasticité relative de la demande et de l’offre à chaque point de la chaîne logistique joue un grand rôle. Les fournisseurs étrangers qui offrent des produits particulièrement différenciés ou qui profitent d’une grande élasticité de l’offre sont en meilleure position pour passer les tarifs douaniers à d’autres, tandis que ceux qui produisent des marchandises ou dont l’offre est peu élastique sont les plus susceptibles d’avoir à payer les tarifs eux-mêmes.
À l’inverse, à l’autre extrémité de la chaîne logistique, les consommateurs qui achètent des biens ou des produits discrétionnaires pour lesquels il existe un substitut sur le marché intérieur sont les mieux placés pour éviter de payer directement les tarifs, alors que ceux qui achètent des produits de première nécessité ou des produits différenciés sont moins en mesure d’éviter l’effet sur les prix.
Au milieu de cette chaîne logistique, la devise et les grossistes/détaillants absorbent aussi parfois une partie du choc.
L’expérience tarifaire de 2018-2019 a révélé que très peu de ces tarifs étaient directement pris en charge par les fournisseurs étrangers, et qu’ils étaient en majorité assumés par le consommateur américain qui a dû payer un prix plus élevé. Par ailleurs, si cette situation devait se répéter en 2025, nous pourrions décrire les tarifs douaniers américains comme s’apparentant à une taxe de vente. La majeure partie des revenus proviendrait indirectement des poches des consommateurs.
C’est fascinant, car dans la mesure où le gouvernement parle d’utiliser les tarifs comme source de financement des baisses d’impôt, l’un des moyens les plus efficaces théoriquement pour le gouvernement de lever des fonds est d’utiliser une taxe de vente. Bien sûr, l’opinion publique américaine ne tolérerait jamais une taxe de vente fédérale réelle, ce qui constitue peut-être un habile moyen détourné, bien qu’associé à d’importants coûts économiques ailleurs.
L’effet des tarifs sur les prix peut se manifester dans divers secteurs
Au 25 janvier 2025. Les symboles (+) et (-) indiquent si les répercussions des tarifs douaniers se font plus ou moins sentir sur ce secteur. Source : RBC GMA.
Dommages tarifaires
Quels types de tarifs seront vraisemblablement imposés au cours des prochaines semaines ou des prochains mois ? Personne ne le sait, c’est pourquoi il est probablement plus utile d’y réfléchir en s’appuyant sur plusieurs scénarios concurrents. Nous soulignons cinq scénarios principaux (voir le graphique suivant). Deux de ces scénarios sont assez négatifs, deux ne sont que légèrement négatifs et l’un a un effet neutre sur l’économie. Tous supposent que les pays répondent de façon proportionnelle aux tarifs douaniers américains.
Un éventail assez large de répercussions tarifaires possibles – des « tarifs partiels » restent plus probables
Au 24 janvier 2025. Effet cumulatif maximal sur la production économique. Sources : RBC GMA, Oxford Economics.
Les deux premiers scénarios sont des versions du pire scénario et se fondent sur la concrétisation des dires de M. Trump : imposer ses tarifs maximaux. Heureusement, nous croyons que la probabilité que chacun de ces scénarios se matérialise n’est que de 10 %.
Plan tarifaire initial : probabilité de 10 %
Le premier de ces scénarios porte sur le plan tarifaire initial présenté lors de la campagne. Il laisse entrevoir des tarifs de 60 % pour la Chine et de 10 % pour le reste du monde. Nous estimons qu’en quelques années, l’économie des États-Unis perdrait ainsi environ 1,2 % (ce qui signifie que l’économie continuerait probablement de croître, mais à un rythme moindre), que la Chine perdrait 1,4 %, que le Canada perdrait 1,9 %, que le Mexique perdrait 1,5 % et que l’économie mondiale perdrait 1,0 %. Tout cela pour dire que les dommages économiques seraient importants, mais probablement pas suffisants pour entraîner une récession.
Tarifs ciblant l’Amérique du Nord : probabilité de 10 %
Le deuxième scénario tient compte des plus récentes menaces de M. Trump : des tarifs douaniers de 25 % pour le Canada et le Mexique, et de 10 % pour la Chine. Cela serait naturellement très néfaste pour le Canada et le Mexique, qui perdraient respectivement 4,5 % et 4,0 % de leur production économique. Les États-Unis se porteraient aussi mal, car ils auraient éliminé leurs principaux partenaires commerciaux, leur production fléchissant de 1,5 %. Toutefois, le choc économique mondial est légèrement plus faible dans ce scénario, compte tenu de son orientation régionale : -0,8 %.
Les deux scénarios suivants sont beaucoup moins négatifs et beaucoup plus probables à notre avis.
Tarifs substantiels, mais temporaires : probabilité de 25 %
Ce scénario suppose que l’un ou l’autre des deux scénarios précédents se concrétise, mais seulement temporairement. D’importants tarifs douaniers sont imposés pour exercer une pression maximale, mais un accord est conclu après une période de plusieurs mois à quelques trimestres, ce qui permet de lever les tarifs douaniers importants et de relancer l’économie. Des dommages continuent de se faire sentir, mais le choc entre le sommet et le creux est considérablement plus faible – un tiers seulement de la moyenne des deux scénarios précédents. L’économie américaine croît de 0,4 point de pourcentage de moins, la Chine perd 0,3 %, le Canada perd 1,0 %, le Mexique perd 0,9 % et l’économie mondiale perd 0,3 %.
Tarifs partiels : probabilité de 45 %
Même s’il a moins de 50 % de chances de se réaliser, le scénario le plus probable est celui des tarifs partiels. Il s’agit de notre hypothèse de base depuis le début. Advenant ce scenario, des tarifs additionnels seraient appliqués à un certain nombre de grands partenaires commerciaux, mais à une échelle modérée et de manière ciblée, par exemple, sur des produits comme l’acier, l’aluminium et une poignée d’autres. Dans l’ensemble, les pays perdent de 0,1 % à 0,3 % de leur production économique, et ceux qui sont particulièrement liés aux États-Unis, comme le Canada, se trouvent dans la tranche supérieure de la fourchette.
Aucun tarif : probabilité de 10 %
Enfin, à l’instar de ce qui s’est récemment passé avec la Colombie, il est techniquement possible que la vaste majorité des pays parviennent à négocier un accord mutuellement acceptable en fonction des exigences de M. Trump et qu’aucune surtaxe ne soit imposée. Cela ne semble pas très probable, parce que M. Trump parle d’utiliser les droits de douane pour financer les dégrèvements fiscaux et qu’il est profondément préoccupé par les déficits commerciaux considérables avec certains partenaires. Il est à noter que ces déséquilibres ne peuvent pas être corrigés du jour au lendemain et, soit dit en passant, qu’ils ne sont pas nécessairement un problème économique ni même un désavantage pour les États-Unis.
Avec un tel éventail de résultats possibles, on ne peut pas se prononcer avec certitude sur l’avenir, mais on peut quand même faire preuve de perspicacité. Quelques calculs simples nous permettent de déterminer que les scénarios tarifaires les plus modestes présentent collectivement une probabilité de 70 %. Ce résultat plutôt élevé est compatible avec une croissance économique vigoureuse aux États-Unis et modérée dans les pays touchés.
À l’inverse, les tarifs douaniers élevés, d’une ampleur qui nuirait sérieusement à la croissance économique, n’ont que 20 % de chances de devenir réalité, et ceux qui provoqueraient carrément une récession (du moins au Canada et au Mexique) n’en ont que 10 %. Ces probabilités sont bien sûr susceptibles de changer.
Notre modèle peine à dégager un consensus en ce qui concerne l’effet sur l’inflation. Nous nous contenterons de dire que selon nous, les droits de douane devraient être favorables à l’inflation américaine si leur ampleur ne dépasse pas la valeur absolue de l’impact sur le PIB des États-Unis pour chaque scénario. Il en irait sans doute de même au Canada, compte tenu des liens commerciaux étroits entre les deux pays, quoique le coup substantiel porté à la croissance contrebalancerait l’effet théorique. L’impulsion de l’inflation est plus ambiguë pour d’autres marchés, qui entretiennent des liens commerciaux plus ténus avec les États-Unis et dans lesquels les répercussions négatives des tarifs douaniers sur la croissance risquent de l’emporter sur leurs répercussions positives sur les prix.
Considérations tarifaires pour le Canada
Pour nos clients canadiens, et pour quiconque s’intéressant à cette querelle entre voisins normalement amis, voici quelques réflexions sur les droits de douane américains dans un contexte canadien.
D’abord, il est assez improbable que M. Trump mette à exécution sa menace d’imposer un tarif universel de 25 % sur les produits canadiens :
Le président a l’habitude de commencer ses négociations par des demandes excessives pour ensuite normaliser des positions moins extrêmes.
La menace tarifaire est explicitement brandie à d’autres fins, l’une des principales étant la sécurité de la frontière avec le Canada. Cela dit, le Canada devrait être en mesure de se conformer à cet égard.
Les tarifs douaniers nuiraient à l’économie américaine, particulièrement s’ils donnaient lieu à la loi du talion.
M. Trump aurait du mal à atteindre son objectif de réduction nationale des coûts énergétiques si soudainement, 4 millions de barils de pétrole canadien par jour lui coûtaient beaucoup plus cher. Cependant, l’inélasticité relative de la production pétrolière du Canada donne à penser qu’une bonne partie de l’impact des droits de douane se répercuterait de ce côté-ci de la frontière.
Par ailleurs, il serait extrêmement difficile pour le secteur automobile américain de fonctionner au sein d’un régime de surtaxe en Amérique du Nord, compte tenu de l’intégration de la chaîne d’approvisionnement. Wolfe Research estime que la voiture nord-américaine moyenne coûterait 3 000 $ US de plus, ce qui n’est certes pas une formule gagnante pour réduire l’inflation aux États-Unis.
Comme nous l’avons souligné dans la section précédente, les États-Unis infligeront probablement au Canada des tarifs moins élevés que ceux de 25 % dont ils le menacent.
L’expérience de 2018-2020 est instructive à cet égard. Les États-Unis avaient aussi brandi la menace des tarifs à ce moment-là pour forcer la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et atteindre d’autres objectifs. Le président Trump avait promis des tarifs de 25 % sur le secteur automobile du Canada et du Mexique, en plus d’évoquer la possibilité que les États-Unis quittent l’ALENA si l’accord n’était pas revu. M. Trump avait également envisagé d’imposer au Mexique un tarif douanier général de 5 %, qui augmenterait de 5 points de pourcentage par mois jusqu’à ce qu’il atteigne 25 % si le pays n’en faisait pas plus pour assurer la sécurité de la frontière.
En fin de compte, les États-Unis ont mis en place des tarifs moins élevés, et ce, temporairement. Le secteur de l’automobile a été épargné et le Mexique n’a jamais eu à subir une hausse des tarifs douaniers. Les États-Unis ont plutôt opté pour un tarif de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur celle d’aluminium. Le Canada a réagi en instaurant des tarifs douaniers sur des marchandises ciblées provenant des États-Unis, comme le bourbon, le ketchup et l’acier, d’une valeur de 12,6 milliards de dollars canadiens. De son côté, le Mexique a mis en place des tarifs sur l’acier et des produits alimentaires américains représentant 3 milliards de dollars américains. Tous ces tarifs ont été éliminés lors de la signature de l’Accord États-Unis–Mexique–Canada (AEUMC) au printemps 2019. (Par la suite, M. Trump a brièvement établi un tarif de 10 % sur l’aluminium canadien en août et en septembre 2020.)
Ce qu’il faut retenir, c’est que les tarifs mis en place étaient plus bas que ceux initialement envisagés, qu’ils sont restés en vigueur peu de temps et que, finalement, les négociations y ont mis fin (moyennant quelques concessions). La situation actuelle est différente et la menace semble plus sérieuse cette fois‑ci. Néanmoins, on peut penser qu’une résolution similaire sera trouvée.
Alors que l’application d’une nouvelle série de tarifs douaniers approche à grands pas, nous vous présentons un sommaire des exportations canadiennes par ordre d’importance (voir le graphique suivant). En bref, le pétrole et le gaz sont de loin les exportations les plus importantes, suivis par le matériel de transport (en grande partie des automobiles). Les produits alimentaires, les produits chimiques, les métaux primaires et les machines se trouvent à la fin de la liste. Il serait difficile pour M. Trump d’imposer des tarifs substantiels sur l’énergie et le matériel de transport et, ainsi, de se passer de 44 % des exportations du Canada.
Le pétrole et le gaz sont de loin les exportations les plus importantes du Canada aux États-Unis
Part des exportations de marchandises selon le total sur 12 mois en novembre 2024. Sources : Gouvernement du Canada, ministère Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Macrobond, RBC GMA.
Comment le Canada pourrait-il réagir aux tarifs douaniers des États-Unis ? Il agirait probablement de la même façon que pendant la période de 2017 à 2020, d’autant plus que le même gouvernement libéral est en place pour le moment (malgré le départ de la négociatrice en chef et ancienne ministre des Finances Chrystia Freeland).
La stratégie comprendrait essentiellement deux volets, à savoir des tarifs de réciprocité, et des négociations et des concessions.
Tarifs de réciprocité
Le Canada opterait probablement pour une stratégie de représailles consistant à imposer des tarifs douaniers sur les marchandises américaines qui feraient écho aux tarifs américains sur les produits canadiens. Certes, les dommages économiques seraient sans commune mesure. Le Canada serait le plus grand perdant selon la part du PIB attribuable à chaque série de tarifs douaniers, étant donné qu’il dépend davantage des échanges commerciaux avec son voisin. Toutefois, ce serait le prix à payer pour montrer aux États-Unis que le Canada ne se laissera pas faire.
Apparemment, le Canada a déjà établi la liste des produits américains qu’il pourrait cibler et ils représentent des importations de plusieurs dizaines de milliards de dollars par an. Pour dresser la liste, on a choisi des produits auxquels M. Trump est sensible pour des raisons politiques (par exemple, parce qu’ils sont produits dans des États qui le soutiennent), des produits pour lesquels la demande canadienne est très élastique (de sorte que l’augmentation des prix est répercutée de façon disproportionnée sur les fournisseurs américains) ainsi que des produits dont il existe des substituts non américains viables (pour réduire au minimum les perturbations pour les Canadiens).
Négociations et concessions
Dans la mesure où les tarifs douaniers américains visent à obtenir des concessions de la part du Canada, des négociations devraient permettre de dénouer la situation. Le Canada et le Mexique s’en sont remarquablement bien sortis la dernière fois, puisque l’AEUMC n’a pas unilatéralement favorisé les États-Unis. Il sera peut-être plus difficile d’arriver à un résultat semblable cette fois-ci et le Canada sera fort probablement obligé de faire des concessions. Voici quelques enjeux qui pourraient figurer à l’ordre du jour :
Sécurité frontalière – Le président Trump veut réduire l’afflux d’immigrés clandestins et de drogues illicites qui entrent aux États-Unis. Le Canada a beaucoup moins à se reprocher que le Mexique, mais il doit néanmoins redoubler d’efforts.
Dépenses consacrées à la défense – Le président Trump veut que les alliés de l’OTAN augmentent leur budget. Actuellement, les dépenses militaires du Canada représentent seulement 1,3 % du PIB. Les faire passer à 2,0 % du PIB est sans doute le strict minimum. M. Trump a même évoqué une cible de 5,0 % (mais elle nous semble peu réaliste).
Taxe sur les services numériques – Les États-Unis n’étaient pas favorables à la taxe du Canada sur les services numériques instaurée en 2024. Des pressions s’exerceront probablement pour l’éliminer. La taxe est prélevée sur les revenus des grandes entreprises technologiques, principalement américaines, dont les services numériques sont utilisés par des utilisateurs canadiens et en exploitent les données, mais dont les bénéfices sont en grande partie déclarés ailleurs. Les États-Unis pourraient aussi contester la proposition de taxe de 5 % sur les principales sociétés américaines de diffusion en continu en vue de financer le contenu canadien.
Protectionnisme canadien – Les États-Unis cibleront probablement de nouveau les secteurs canadiens visés par la gestion de l’offre, comme la production de lait et d’œufs, qui jouissent d’une protection contre la concurrence américaine.
Bois d’œuvre résineux – Le bois d’œuvre résineux canadien est déjà soumis à des tarifs américains importants, mais ce secteur controversé revient souvent dans les revendications commerciales.
Achat de produits américains – M. Trump exigera-t-il que le Canada achète davantage de produits américains pour combler le déficit commercial, comme il l’a fait pour la Chine lors de son premier mandat ? Ce serait une promesse facile à faire, mais difficile à tenir. Cette exigence fait néanmoins partie de la panoplie d’outils dont les États-Unis disposent.
Renégocier l’AEUMC ou sacrifier le Mexique ? – Il est presque certain que l’AEUMC sera renégocié. Reste à savoir si cela aura lieu immédiatement ou en 2026 lorsque l’accord fera l’objet d’un réexamen officiel. Certains scénarios prévoient une exclusion du Mexique, en raison de l’écart important des coûts de la main-d’œuvre, des problèmes frontaliers et des transbordements chinois. Par ailleurs, une nouvelle entente incluant les trois pays viserait probablement à obtenir de nouveaux engagements du Mexique en matière de salaire minimum afin de réduire son avantage concurrentiel et de restreindre davantage les transbordements chinois transitant par le Mexique à destination des États-Unis.
Pressions pour la constitution d’une « forteresse américano-canadienne » – Dans la mesure où les ressources du Canada sont dans la mire de M. Trump, les deux pays ont l’occasion de resserrer leurs liens face à un monde dangereux. Peut-être trouveront-ils des moyens de renforcer leur collaboration, plutôt que de créer une séparation artificielle.
Plan d’urgence
Enfin, si les négociations ne progressent pas et si les tarifs douaniers américains sont imposés pendant une longue période, le Canada pourrait envisager les mesures suivantes :
Taxes et restrictions à l’exportation – En plus de taxer les produits américains qui traversent la frontière, le Canada pourrait décider d’imposer des taxes de façon stratégique ou d’imposer des restrictions à l’égard de certains produits canadiens stratégiques qui sont normalement destinés aux États-Unis. Parmi les secteurs évidents, mentionnons les exportations de pétrole et de gaz, d’électricité, de minéraux, y compris la potasse et le nickel, de produits agricoles comme le canola et peut-être même d’autres options plus inhabituelles, comme les exportations d’uranium ou même d’eau.
Rapprochement et resserrement des liens avec l’Asie et l’Europe – Bien que la mesure dans laquelle il serait possible pour le Canada de réaliser une moins grande part de ses échanges commerciaux avec les États-Unis soit limitée à court terme, le Canada pourrait néanmoins se rapprocher visiblement d’autres régions, comme l’Asie et l’Europe, et commencer à y resserrer ses liens d’une manière qui pourrait contrecarrer les objectifs des États-Unis de s’accaparer les ressources nord-américaines.
Options non conventionnelles – Elles ne manquent pas. Parmi les possibilités avancées, mentionnons les restrictions de l’espace aérien pour les aéronefs américains (qui traversent fréquemment l’espace aérien canadien pour se rendre en Europe et en Asie), les restrictions portuaires au Canada pour les produits américains qui y sont transbordés, les barrières non tarifaires qui désavantagent les produits américains, etc.
En réponse aux préoccupations selon lesquelles le gouvernement canadien – qui fait l’objet d’une prorogation – n’est pas en mesure de négocier ou de riposter, le pays a toujours un premier ministre, et la législation existante ainsi que les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont plus que suffisantes pour que le pays puisse répondre aux tarifs douaniers américains en imposant ses propres restrictions commerciales.
La question du soutien budgétaire aux entreprises et particuliers canadiens qui seraient touchés est différente et pourrait être un peu plus difficile à résoudre. Mais compte tenu de la probabilité d’une élection au printemps, il serait possible d’agir avec un retard de quelques mois plutôt que « jamais ».
En ce qui a trait à la Banque du Canada, le débat sur les tarifs consiste toujours à savoir si la banque centrale doit se concentrer sur la diminution de la production économique ou sur la hausse des prix. On peut soutenir que la première option devrait dominer, de sorte que la banque centrale devrait abaisser les taux plutôt que de les relever en réponse aux tarifs douaniers. La principale raison est que les tarifs douaniers représentent un choc de prix ponctuel et ne constituent donc pas une inflation persistante. À l’inverse, le ralentissement économique qui en résulte pourrait persister. En outre, le dollar canadien serait probablement un peu plus faible en cas d’imposition de tarifs douaniers importants, ce qui apporterait un soutien supplémentaire à l’économie.
Expansionnisme américain
À l’heure où Trump évoque la possibilité d’acheter le Groenland, propose au Canada de devenir le 51e État américain et proclame son intention de reprendre le canal de Panamá, les États-Unis sont manifestement dans un état d’esprit expansionniste.
Rupture de l’ordre international
Bien qu’il soit peu probable que la plupart des aspirations exprimées se concrétisent, il faut admettre que l’ordre international connaît une rupture qui rend beaucoup plus concevables des résultats qui auraient été improbables auparavant.
À l’échelle internationale, 32 % des frontières internationales dans le monde font l’objet de contestations d’une manière ou d’une autre.
Sans atteindre la mesure du redécoupage des frontières dans la foulée de la Première Guerre mondiale et de la Seconde Guerre mondiale, les grandes puissances mondiales cherchent à nouveau à s’approprier de nouveaux territoires, ce qu’on ne voyait plus à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle. La Russie s’est emparée de parties de la Géorgie et de l’Ukraine et cherche à mettre la main sur une plus grande partie de cette dernière. Elle se montre aussi plus ferme dans ses revendications concernant les fonds marins de l’Arctique.
La Chine revendique la plus grande partie de la mer de Chine méridionale et s’engage dans ce qui équivaut à la construction d’îles pour légitimer cette affirmation. Elle construit aussi des infrastructures dans un territoire disputé avec le Bhoutan et s’est querellée à plusieurs reprises avec l’Inde à propos de territoires disputés à sa frontière occidentale.
À l’échelle internationale, 32 % des frontières internationales dans le monde font l’objet de contestations d’une manière ou d’une autre. Or, il s’agit la plupart du temps de griefs statiques qui n’ont pas pour effet de modifier réellement les frontières. Le Moyen-Orient est particulièrement reconnu pour ses différends frontaliers, et bien sûr, on y trouve une variété de conflits ouverts. L’Inde et le Pakistan en particulier si disputent depuis longtemps le territoire du Cachemire.
En revanche, depuis plus d’un siècle, les États-Unis se sont abstenus de chercher à étendre leur empreinte géographique, manifestant plutôt leur puissance par l’intermédiaire de leur culture populaire et de leur soutien à la liberté, à la démocratie ainsi qu’à l’État de droit international. Mais cela pourrait bien changer à mesure que le monde se divise en une ère de multipolarité et qu’une nouvelle ère politique fait son apparition aux États-Unis.
Déjà, d’importants organismes internationaux ont été affaiblis.
Un contexte multipolaire, et d’autant plus un contexte marqué par une rupture de l’ordre international établi, tend à être défavorable à la croissance et favorable à l’inflation. Les alliances régionales prédominent et les accords mondiaux revêtent une importance moindre.
L’Organisation mondiale du commerce a été grandement affaiblie lors du premier mandat de Donald Trump, et le système de règlement des différends de l’organisation a été paralysé par les refus de l’administration Trump puis de l’administration Biden de nommer des juges au sein de l’organe d’appel pour remplacer les départs.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a peiné à adopter de nouvelles résolutions internationales, car les États-Unis, la Russie et la Chine se sont souvent opposés aux autres pays du Conseil. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont été fragilisés par certains grands pays émergents qui, mécontents de leur manque d’influence sur ces organes, ont préféré créer des institutions parallèles. Parmi ces substituts, on trouve l’organisation BRICS, dont le nombre de membres augmente rapidement et qui comprend désormais le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Indonésie, l’Iran et les Émirats arabes unis.
Par ailleurs, l’administration Trump remet activement en question la raison d’être de l’OTAN et a retiré les États-Unis de l’Accord de Paris (changements climatiques). Elle a aussi annoncé son intention de retirer les États-Unis de l’Organisation mondiale de la Santé (le processus actuel exige un délai de préavis de 12 mois).
Les mesures de coercition économique se multiplient. Les États-Unis menacent maintenant leurs partenaires commerciaux de représailles économiques sous la forme de tarifs douaniers pour leur arracher certaines concessions. La Chine a récemment employé une tactique similaire à l’encontre de ses partenaires commerciaux tels que l’Australie, la Corée du Sud, le Japon et le Canada.
Un contexte multipolaire, et d’autant plus un contexte marqué par une rupture de l’ordre international établi, tend à être défavorable à la croissance et favorable à l’inflation. Les alliances régionales prédominent et les accords mondiaux revêtent une importance moindre. Il n’est pas surprenant d’assister à une recrudescence des tarifs douaniers et des sanctions à l’heure actuelle. De tels facteurs incitent à choisir la délocalisation dans un pays allié et le rapatriement des activités, plutôt que le fournisseur le moins cher. Tandis que les grands pays usent de leur influence, les petits pays doivent choisir leur allégeance ou, de manière plus réaliste, accepter la collaboration qui leur a été imposée.
Histoire de l’expansionnisme américain
Lorsque les États-Unis ont été constitués pour la première fois à la fin du 18e siècle, les 13 colonies originelles et le territoire à l’ouest du Mississippi se sont émancipés à la suite de la guerre d’indépendance américaine contre la Grande-Bretagne et les populations amérindiennes ont été déplacées.
Le 19e siècle a fait germer l’idée de « destinée manifeste » des États-Unis, l’idée selon laquelle c’était leur destin d’occuper l’ensemble du continent, de l’Atlantique au Pacifique. En conséquence, l’achat de la Louisiane en 1803 (pour 15 millions de dollars US à la France, qui avait besoin d’argent et perdu tout intérêt de maintenir un empire colonial en déclin) a doublé la superficie des États-Unis. Le Texas a ensuite été annexé en 1845, ce qui a déclenché la guerre américano-mexicaine. La victoire des États-Unis en 1848 a obligé le Mexique à concéder une grande partie de ses terres, notamment le territoire correspondant aujourd’hui à la Californie.
Le Guano Islands Act, une loi promulguée en 1856, permettait aux citoyens des États-Unis de prendre possession d’îles non réclamées contenant des gisements de guano (un engrais provenant d’excréments d’oiseaux). Cette loi a marqué le début de l’expansion vers le Pacifique et d’une nouvelle période d’annexion de territoires. La plupart de ces îles étaient petites et peu habitées, à l’exception d’Hawaï. L’expansion vers le Pacifique s’est achevée avec l’annexion d’Hawaï en 1898, qui a été le fruit d’un mélange complexe d’intimidation militaire (mais pas de guerre), de pressions économiques et de machinations politiques.
En 1867, les États-Unis ont acquis l’Alaska auprès de la Russie dans le cadre d’une opération purement financière, en versant 7,2 millions de dollars US.
Quelques années plus tard, la guerre hispano-américaine de 1898 a donné aux États-Unis le contrôle de Porto Rico, de Guam et des Philippines. Même si les États-Unis ont versé 20 millions de dollars US à l’Espagne dans le cadre du traité de paix signé vers la fin de cette année-là, dans les faits, l’annexion de ces territoires était le butin de guerre. À l’exception d’une brève période d’occupation japonaise entre 1942 et 1945, les Philippines sont demeurées sous le contrôle des États-Unis de 1898 à 1946, date à laquelle le pays a acquis son indépendance à la suite de la Seconde Guerre mondiale.
La dernière grande acquisition territoriale des États-Unis date de 1904. Elle concernait la zone du canal de Panama, un territoire non incorporé des États-Unis où ceux-ci ont construit le canal de Panama.
La dernière grande acquisition territoriale des États-Unis date de 1904. Elle concernait la zone du canal de Panama, un territoire non incorporé des États-Unis où ceux-ci ont construit le canal de Panama. Après le rejet par la Colombie des ouvertures initiales des États-Unis, ceux-ci ont soutenu un mouvement d’indépendance panaméen et ont ensuite reçu l’autorisation du nouveau gouvernement du Panama de prendre le contrôle de la zone peu après. Après le mécontentement panaméen à l’égard de la convention de propriété, le contrôle du canal est rétrocédé au Panama en 1999 conformément à un traité signé en 1977.
Quelle histoire fascinante, n’est-ce pas ? Que peut-on toutefois en conclure sur les aspirations expansionnistes des États-Unis aujourd’hui ? D’emblée, voici longtemps que le pays a connu sa dernière expansion géographique (en 1904). La dernière fois que les États-Unis ont acquis des terres remonte à 1898 : il s’agissait d’Hawaï qui a fini par devenir un État des États-Unis. On peut entrevoir que toute nouvelle acquisition relèverait d’exigences assez élevées. Il faut toutefois mettre deux bémols : l’ordre international est aujourd’hui tendu et un président peu conventionnel occupe maintenant le Bureau ovale.
Par le passé, les acquisitions américaines ont été remportées par des guerres (guerre de l’Indépendance américaine, guerre du Mexique, guerre hispano-américaine), des acquisitions financières (achat de la Louisiane, Alaska), des annexions (Texas) et une interaction complexe entre la puissance militaire, les intérêts économiques et les machinations politiques (Hawaï, zone du canal de Panama).
Une guerre ouverte semble plutôt improbable au vu des visées actuelles du président Trump sur le Groenland, le Canada et le canal de Panama. Il est également peu plausible qu’aucune des régions ne renonce à sa souveraineté soit volontairement, soit en contrepartie d’incitations purement financières.
Il est plus probable que le canal de Panama demeure panaméen, quoiqu’en donnant la priorité aux navires américains et en réduisant le droit de passage de ceux-ci ou l’influence chinoise sur la région.
Les propos les plus véhéments de M. Trump dans son discours d’investiture portaient sur le canal de Panama. L’on pourrait concevoir que la puissance militaire, les intérêts économiques et les machinations politiques replacent, de manière combinée, le canal de Panama sous la coupe des États-Unis. Il est cependant plus probable que le canal de Panama demeure panaméen, quoiqu’en donnant la priorité aux navires américains et en réduisant le droit de passage de ceux-ci ou l’influence chinoise sur la région.
Il existe peut-être une certaine logique géographique à voir une affiliation plus étroite du Groenland avec l’Amérique du Nord en général, et avec les États-Unis en particulier parce qu’ils constituent l’acteur politique dominant du continent. Toutefois, il est difficile d’imaginer un renversement de situation sur ce point avec le Danemark ou l’Europe. On peut peut-être entrevoir un accord de libre-échange préférentiel entre le Groenland et les États-Unis, ou la facilitation d’un moyen d’extraction supplémentaire des ressources américaines au Groenland (même si cela est déjà permis et que des entreprises américaines sont présentes).
Faire du Canada le 51e État américain est bien sûr très improbable. Ce n’est pas la volonté des Canadiens, et les commentaires de M. Trump s’apparentent plutôt à une invitation qu’à une menace. Par ailleurs, les tentatives précédentes des États-Unis de revendiquer le Canada ont été rejetées (avec le Québec après la guerre de l’Indépendance américaine, la guerre de 1812, le slogan « 54° 40’ ou la bagarre » de 1818 à 1846, et les propositions d’invasion du Canada par l’armée unioniste immédiatement après la guerre de Sécession). Sur le plan pratique, les États-Unis ont déjà accès aux ressources canadiennes par le libre-échange ainsi que par l’intermédiaire de sociétés américaines implantées au Canada.
Données économiques
Les données économiques ont été reléguées à l’arrière-plan, derrière le tourbillon actuel provoqué par l’ensemble des déclarations et risques politiques impressionnants. Quoi qu’il en soit, plusieurs éléments d’ordre économique doivent être abordés.
Tout d’abord, le taux des obligations américaines à dix ans a heureusement battu en retraite au cours des dernières semaines. Il est passé d’un sommet de 4,79 % le 14 janvier à 4,52 % seulement le 27 janvier. C’est l’équivalent de quelques réductions de taux dans le cadre d’un assouplissement monétaire.
En ce qui concerne l’assouplissement ou, dans le cas présent, l’absence de celui-ci, on s’attend à ce que la Réserve fédérale américaine décide probablement un statu quo cette semaine, c.-à-d. un maintien du taux des fonds fédéraux dans une fourchette de 4,25 % à 4,50 %. Une telle décision constituerait une première suspension après trois réductions consécutives.
Une pause semble vraisemblable pour plusieurs raisons.
C’est ce que le marché attend vraiment, et il est rare que cette variable prenne celui-ci de court.
La vigueur de l’économie ne semble pas préconiser une autre réduction de taux.
L’inflation reste trop élevée, malgré la légère amélioration des statistiques de décembre. Le problème vient des prix pétroliers qui ont encore renchéri par rapport aux derniers mois (malgré leur baisse par rapport il y a quelques semaines). Il est donc peu probable d’assister à une embellie des statistiques de l’inflation au cours du mois prochain.
Au chapitre des banques centrales, notons aussi que la Banque du Japon a procédé à une augmentation très attendue de taux. Son taux directeur a doublé (passage de 0,25 % à 0,50 %). Le pays continue son parcours à son propre rythme. L’inflation est plus élevée que de coutume pour le pays et les salaires semblent voués à atteindre une forte hausse de 5 % en glissement annuel au printemps.
Le PIB de la Chine au quatrième trimestre a largement dépassé les attentes. Il affiche un rendement en glissement annuel de 5,4 %. Le pays a donc bel et bien atteint son objectif de croissance de 5 %. Nous prévoyons une croissance plus proche de 4 % cette année.
Dernièrement, la Chine a fait profil bas. Le président Trump y a fait à peine allusion au cours de la première semaine de son mandat. Voilà qui est sans doute de bon augure pour le pays. Au chapitre des dernières données, le PIB de la Chine au quatrième trimestre a largement dépassé les attentes. Il affiche un rendement en glissement annuel de 5,4 %. Le pays a donc bel et bien atteint son objectif de croissance de 5 %. Nous prévoyons une croissance plus proche de 4 % cette année.
Selon les derniers indicateurs avancés, la croissance de la Chine pourrait en effet avoir légèrement ralenti au début de l’année. L’indice des directeurs d’achats (PMI) du secteur manufacturier du pays est passé de 50,1 à 49,1 (soit une contraction modérée) en janvier et l’indice PMI du secteur non manufacturier, de 52,2 à 50,2.
Et de se poser la question : Par quelles mesures de soutien le pays va-t-il réagir ? Par son dernier léger coup de pouce, le gouvernement encourage de nouveau les investisseurs à acheter davantage d’actions chinoises. Malheureusement, il est difficile d’interpréter les données chinoises pour les prochains mois, car le congé du Nouvel An lunaire fausse les statistiques.
Données canadiennes
Conformément aux prévisions, l’accroissement de la population du Canada commence à ralentir. Après la croissance fulgurante des trois dernières années, les récents changements brusques apportés à la politique d’immigration commencent à se faire ressentir (voir le graphique suivant). Nous prévoyons un ralentissement important au cours des prochains trimestres. Voilà un obstacle pour la croissance économique à court terme au Canada. Nous espérons toutefois que les réductions de taux combinées à la relance de la productivité combleront la majeure partie de cette érosion.
L’accroissement de la population du Canada a chuté à la suite de l’immigration réduite par le gouvernement fédéral
Au 1er octobre 2024. Sources : Statistique Canada, Macrobond, RBC GMA.
La Banque du Canada devrait également prendre sa prochaine décision cette semaine. Une réduction de 25 points de base du taux semble probable. Le taux directeur atteindrait alors seulement 3,0 %. La meilleure justification de cette décision proviendrait de l’existence de capacités excédentaires importantes dans l’économie canadienne.
Les dernières données sur l’inflation au pays justifieraient également un assouplissement, du moins en apparence. En décembre, l’inflation a diminué à un taux de 1,8 % seulement d’une année sur l’autre. Les paramètres de l’inflation de base se sont aussi légèrement améliorés.
Toutefois, les chiffres de l’inflation brossent probablement un tableau légèrement plus beau de la situation réelle, puisque la réduction temporaire des taxes de vente a réduit le taux d’inflation. À l’expiration de ce congé de taxe, nous prévoyons qu’avec l’augmentation des prix pétroliers combinée à des effets de base moins favorables, l’inflation globale canadienne pourrait atteindre 2,3 % ou 2,4 % au printemps. Voilà un résultat qui n’est pas trop mauvais. Cela ne signifie en tout cas pas la fin des efforts.
Heureusement, selon l’Enquête sur les perspectives des entreprises du Canada, les tensions inflationnistes s’apaisent. Peu d’entreprises signalent une surchauffe (voir le graphique suivant). De plus, les pénuries de main-d’œuvre se sont atténuées (voir le graphique suivant).
Augmentation de la proportion des entreprises canadiennes ayant déclaré une capacité excédentaire
Au quatrième trimestre 2024. Moyenne historique depuis 2000. Sources : Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, Macrobond, RBC GMA.
Le marché canadien du travail s’est considérablement refroidi
Au quatrième trimestre 2024. Sources : Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, Macrobond, RBC GMA.
La croissance des salaires devrait également évoluer à la baisse. Une autre tension inflationniste persistante pourrait ainsi être supprimée (voir le graphique suivant).
Les pressions salariales se sont apaisées au Canada
Au quatrième trimestre 2024. Sources : Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, Macrobond, RBC GMA.
Il se trouve que l’Enquête sur les perspectives des entreprises montre aussi que les entreprises canadiennes se disent moins pessimistes (voir le graphique suivant) et qu’on s’attend à une augmentation des ventes (voir le graphique suivant). Les entreprises semblent aussi avoir plus de projets d’investissement et des programmes d’embauche légèrement plus positifs (voir le troisième graphique).
L’indicateur de l’Enquête sur les perspectives des entreprises au Canada est devenu moins négatif
Au quatrième trimestre 2024. Sources : Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, Macrobond, RBC GMA.
Les entreprises canadiennes anticipent une amélioration des ventes
Au quatrième trimestre 2024. Sources : Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, Macrobond, RBC GMA.
Les intentions d’investissement et d’embauche des entreprises canadiennes ont augmenté
Au quatrième trimestre 2024. Sources : Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, Macrobond, RBC GMA.
Quelle leçon en tirer ? Eh bien, malgré l’affaiblissement de l’accroissement de la population et la menace des tarifs douaniers, l’économie canadienne progresse, voire s’accélère peut-être légèrement. Nous continuons de prévoir une croissance plus forte qu’en 2024 pour 2025, quoiqu’un peu freinée au deuxième semestre de l’année. D’ici là, on espère que les craintes liées aux tarifs douaniers se seront avérées exagérées, les réductions de taux devraient avoir eu le temps de se répercuter dans l’économie et la productivité devrait avoir repris le dessus effectivement.
– Avec la collaboration de Vivien Lee, d’Aaron Ma et d’Ana Ardila
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