Aperçu
Cette semaine, le bulletin apporte des précisions sur plusieurs thèmes clés, soit l’inflation élevée, les tendances économiques, le risque de récession, les prochaines interventions des banques centrales, les chaînes logistiques et la Chine. Il traite également de la situation du Royaume-Uni au bord de la stagflation et des turbulences qui secouent les cryptomonnaies.
Faits positifs :
- Les prix de certains produits ont baissé, ce qui est peut-être un signe précurseur d’un repli de l’inflation.
- Plusieurs données objectives publiées récemment annoncent encore une croissance de l’économie.
- On note une légère amélioration des chaînes logistiques et d’autres progrès semblent possibles.
Faits négatifs :
- Aux États-Unis, l’inflation a encore été plus élevée que prévu le mois dernier.
- Les banques centrales des pays développés semblent (une fois de plus) prêtes à dépasser les attentes en ce qui concerne les hausses des taux d’intérêt.
- Après avoir amorcé un déconfinement, la Chine impose de nouveau des restrictions après qu’une augmentation des cas de COVID-19 a été enregistrée à Shanghai et à Beijing.
- Les attentes des entreprises se sont considérablement détériorées au cours des derniers mois.
- La probabilité d’une récession était déjà élevée, mais a encore augmenté.
Hausse rapide des prix
Comme en témoigne le dernier relevé de l’indice des prix à la consommation (IPC) aux États-Unis, l’inflation poursuit sur sa lancée et a encore dépassé les prévisions générales. Rien qu’en mai, les prix à la consommation ont progressé de 1,0 %. Il s’agit de la deuxième hausse mensuelle en importance depuis le début de cette poussée d’inflation. Elle s’ajoute aux précédentes, de sorte que sur un an, les prix à la consommation ont grimpé de 8,6 %. Abstraction faite de l’alimentation et de l’énergie, les prix ont gagné 6,0 % sur 12 mois. La forte inflation a provoqué une chute des actifs à risque et une envolée des attentes relatives aux hausses de taux.
L’inflation s’est révélée conforme à nos prévisions qui excèdent celles des autres analystes depuis un an.
Cela dit, comme nous l’avons mentionné dans le dernier numéro du #MacroMémo, les prix de certains intrants semblent plafonner, d’après les anticipations inflationnistes, les prix des voitures d’occasion et une inflexion prévue des prix des propriétés. En outre, les prix du bois d’œuvre reculent depuis peu, étant donné que moins de gens entreprennent eux-mêmes des projets de construction.
Parallèlement, les prix des métaux de base ont enregistré une forte baisse. Ils restent supérieurs à ce qu’ils étaient avant la pandémie, mais ont nettement diminué par rapport aux sommets atteints après l’invasion de l’Ukraine par la Russie (voir les deux graphiques suivants). Ce déclin est en partie attribuable au fait que la Russie a réussi à trouver des acheteurs étrangers pour ses métaux, contrairement au pétrole, et en partie au fléchissement de la demande de la Chine, étant donné que son économie a ralenti.
Chute des prix au comptant du nickel
Au 10 juin 2022. Sources : London Metal Exchange (LME), Macrobond, RBC GMA
Les prix au comptant de l’aluminium sont aussi redescendus de leurs sommets
Au 10 juin 2022. Sources : LME, Macrobond, RBC GMA
Par ailleurs, bien que les prix de l’énergie demeurent problématiques, il convient de noter que le gaz naturel ne coûte plus aussi cher en Europe qu’au début de la guerre en Ukraine (voir les deux graphiques suivants).
Chute de l’indice du gaz naturel NCG (Allemagne)
Au 10 juin 2022. Sources : Intercontinental Exchange (ICE), RBC GMA, Macrobond.
L’indice du gaz naturel NBP (Royaume-Uni) a également reculé par rapport à son précédent sommet
Au 10 juin 2022. Sources : ICE, RBC GMA, Macrobond
Malgré ces bonnes nouvelles, l’inflation n’est toujours pas maîtrisée. Elle est maintenant généralisée et soutenue par la pression considérable des salaires. Les prix des produits alimentaires ne faiblissent toujours pas (voir le graphique suivant). Étant donné le délai entre l’ensemencement et les récoltes, le pire reste probablement à venir en ce qui concerne l’alimentation.
Les prix des produits agricoles grimpent en flèche
Au 10 juin 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : indices S&P Dow Jones, Macrobond, RBC GMA
En revanche, les intentions des petites entreprises américaines relatives aux augmentations de prix et de salaires ont légèrement diminué, ce qui est encourageant (voir le graphique suivant). Le pic de l’inflation pourrait donc être en train de passer.
Hausse des pressions inflationnistes attribuables à l’établissement des prix et aux salaires
Nota : Prix de vente en avril 2022, rémunération des travailleurs en mai 2022. Sources : Étude économique menée par la NFIB auprès des PME, Haver Analytics, RBC GMA
Baisse des prévisions économiques
Les prévisions économiques continuent de se dégrader. À cet égard, les révisions effectuées par la Banque mondiale et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont été particulièrement marquantes : la première a abaissé ses prévisions de croissance mondiale de 4,1 % à 2,9 % pour 2022 et la deuxième les a réduites de 4,5 % à 3,0 %. Ces rajustements apportés d’un seul coup sont considérables, mais ils auraient sans doute dû être faits depuis longtemps.
Les deux organismes ont également revu leurs projections pour 2023, qui s’établissent respectivement à 2,2 % et à 2,8 %, soit une baisse de 1,0 et de 0,5 point de pourcentage.
Dans le secteur privé, les prévisions suivent la même tendance. En mai, elles ont été abaissées relativement à onze marchés développés sur treize pour 2002, et à neuf sur treize pour 2023.
Nos prévisions de croissance ont été nettement inférieures aux prévisions générales pour l’année écoulée et le restent encore aujourd’hui (voir le tableau suivant). Toutefois, elles n’ont pas toujours été justes. Nous les avons aussi fortement réduites pour 2022 et 2023, sauf que le niveau de départ et le niveau final sont plus bas.
Nos prévisions de croissance demeurent inférieures à la moyenne
Prévisions de RBC GMA au 28 mai 2022. RBC GMA relativement à Consensus Economics (CE) calculé en soustrayant les prévisions de CE de celles de RBC GMA. Les pays développés comprennent les États-Unis, le Canada, la zone euro, le Royaume-Uni et le Japon. Le monde comprend les pays développés susmentionnés, ainsi que la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, le Brésil, le Mexique et la Russie. Sources : CE, RBC GMA
Aux États-Unis, après une contraction du PIB de 1 % probablement ponctuelle, la Réserve fédérale d’Atlanta, dont les projections sont suivies de près, estime la croissance annualisée à 1 % pour le deuxième trimestre. Par conséquent, une certaine décélération semble bel et bien en cours.
Au Canada, la croissance a été soutenue au premier trimestre. Cependant, le taux annualisé de 3 % est nettement inférieur à la croissance de 5 % que les marchés anticipaient.
Marché du travail résilient
Les données économiques objectives commencent à décevoir, sans toutefois être carrément mauvaises.
Ainsi, 390 000 emplois ont été créés en mai aux États-Unis, un résultat robuste qui a permis de maintenir le taux de chômage à 3,6 % seulement. Le marché du travail est encore plus serré que le taux de chômage ne le suggère. Fait intéressant, la croissance des salaires a légèrement diminué, mais elle demeure solide d’une année sur l’autre (+5,2 %).
La situation est comparable au Canada, où 40 000 emplois ont été créés en mai. Le nombre d’emplois à temps plein a augmenté de 135 000 au cours du mois. Dans ce contexte, le taux de chômage a chuté à 5,1 %, son plus bas niveau de l’histoire moderne. Après avoir été à la traîne des États-Unis l’année dernière, la croissance des salaires a bondi, passant de 3,4 % à 4,5 % d’une année sur l’autre.
Cela dit, quelques petits signes indiquent un très léger fléchissement du marché du travail. Par exemple, le taux d’embauche, bien que solide, a ralenti par rapport à l’année dernière. Aux États-Unis, le nombre de demandes de prestations d’assurance-chômage a commencé à progresser au cours des dernières semaines, ce qui donne à penser que les mises à pied augmentent. Le marché du travail n’est pas en difficulté pour autant.
Affaiblissement des données en temps réel
Les données en temps réel demeurent mitigées, et affichent un certain affaiblissement. L’indice économique hebdomadaire de la Réserve fédérale de New York est particulièrement éloquent à cet égard (voir le graphique suivant).
Ralentissement de l’indice économique hebdomadaire de la Réserve fédérale de New York
Données pour la semaine se terminant le 4 juin 2022. La variation par rapport à 2019 est établie en comparant l’indice économique hebdomadaire pour la semaine en cours et son niveau pour la même semaine des années précédentes. Sources : Réserve fédérale de New York, Macrobond, RBC GMA.
Le nombre des vols mondiaux affiche une forte remontée par rapport à la même période il y a deux ans, mais semble aujourd’hui stagner à des niveaux nettement inférieurs à ceux d’avant la pandémie (voir le graphique suivant). La situation est en partie attribuable à une diminution du nombre de voyages d’affaires et aux difficultés des compagnies aériennes et des aéroports à embaucher des travailleurs supplémentaires dans un marché du travail serré. Elle pourrait aussi être le signe de l’adoption d’habitudes de dépenses plus prudentes.
Stagnation des vols commerciaux mondiaux suivis par Flightradar24
Au 9 juin 2022. Comprend les vols commerciaux de passagers, le fret, les vols nolisés et certains vols d’affaires sur des avions à réaction. Sources : Flightradar24 AB, RBC GMA
En ce qui concerne la circulation routière, les données ne permettent pas de dégager une tendance très nette – une région affiche une hausse, une est en baisse et une est stable. Pourtant, si l’on fait abstraction des variations, on constate que les embouteillages semblent plus intenses en Europe qu’avant la pandémie, tandis qu’ils demeurent bien en deçà des niveaux d’avant la pandémie en Amérique du Nord et en Asie (voir le graphique suivant). Reste à savoir pourquoi. L’économie ne s’est pas redressée plus rapidement en Europe que dans les autres régions. Serait-il possible que des entreprises européennes intraitables continuent d’insister pour que leurs employés se présentent au bureau tous les jours ? C’est ce que semblent indiquer certaines données secondaires.
L’intensité de la circulation routière varie à l’échelle mondiale
Au 25 mai 2022. Moyenne mobile sur cinq jours (en semaine) des agrégats régionaux indexés à la congestion maximale de la semaine moyenne en 2019. Données non disponibles du 21 mars 2022 au 18 avril 2022. Sources : TomTom, BloombergNEF, RBC GMA
Effondrement de la confiance des consommateurs
Le niveau de confiance des consommateurs continue de baisser, comme en fait foi le sondage de l’Université du Michigan, et atteint un creux inégalé depuis un demi-siècle (voir le graphique suivant).
La confiance des consommateurs américains s’effondre en raison des inquiétudes concernant l’inflation et la récession
En date de juin 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : Sondages de l’Université du Michigan sur la confiance des consommateurs, Macrobond, RBC GMA
Nous continuons d’affirmer que certaines autres mesures de la confiance des consommateurs sont moins sombres. C’est le cas notamment du paramètre équivalent du Conference Board, qui met davantage l’accent sur les conditions du marché du travail que sur l’inflation et les dépenses (voir le graphique suivant). Nous concédons toutefois que le sondage de l’Université du Michigan mérite probablement qu’on s’y attarde et que, par conséquent, cette faiblesse ne peut pas être complètement écartée.
Chute du niveau de confiance des consommateurs américains : autre point de vue
Indice de confiance des consommateurs du Conference Board en date de mai 2022, indice de confiance des consommateurs de l’Université du Michigan en date de juin 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : The Conference Board, Université du Michigan, Macrobond, RBC GMA
La chute du niveau de confiance des consommateurs n’a pas entraîné de réduction importante des dépenses globales. Un paramètre en temps réel qui analyse les dépenses par carte de crédit ou de débit aux États-Unis ne montre aucun véritable ralentissement (voir le graphique suivant). Cependant, les détaillants américains ont commencé à signaler un comportement plus prudent des consommateurs en matière de dépenses. Ces derniers optent notamment pour des produits de marques maison et accordent la priorité aux articles essentiels plutôt qu’aux articles discrétionnaires. Il pourrait s’agir d’un signe précurseur d’une diminution éventuelle des dépenses globales.
Hausse continue des dépenses quotidiennes globales par cartes aux États-Unis
Données au 4 juin 2022. Le total des dépenses par cartes (moyenne mobile sur sept jours) comprend l’ensemble des opérations par cartes de BAC, qui tient compte des ventes au détail et des services payés par cartes. Ne comprend pas les paiements ACH (Automated Clearing House). Sources : Bank of America Global Research, RBC GMA
Baisse des attentes des entreprises
Parallèlement aux consommateurs, les entreprises représentent l’autre élément important du casse-tête que constituent les dépenses. Notre indicateur composé des attentes des entreprises américaines signale une détérioration marquée de l’optimisme quant à l’avenir (voir le graphique suivant).
L’indicateur composé des attentes des entreprises américaines montre une détérioration de l’optimisme
En date de mai 2022. Analyse des composantes principales fondée sur l’indice d’optimisme de la NFIB et les perspectives du monde des affaires, les nouvelles commandes selon les indices ISM du secteur manufacturier et du secteur tertiaire, et les attentes des chefs de la direction du Conference Board à l’égard de l’économie. Source : Conference Board, Institute for Supply Management (ISM), NFIB, Macrobond, RBC GMA
Cela n’a pas encore donné lieu à une diminution significative de l’investissement des entreprises ou du taux d’embauche, mais pourrait finir par le faire. Les dépenses en immobilisations prévues demeurent robustes selon un paramètre, malgré une légère diminution (voir le graphique suivant), et affichent une baisse marquée selon un autre (voir le graphique subséquent).
Les attentes en matière de dépenses en immobilisations aux États-Unis sont robustes, mais affichent une baisse
Les dépenses en immobilisations dans six mois (mai 2022, avancées sur trois mois) correspondent à la moyenne mobile sur trois mois d’un ensemble d’indicateurs normalisés des dépenses futures provenant d’enquêtes sur les entreprises manufacturières et non manufacturières menées par la NFIB et les réserves fédérales de Chicago, Dallas, Kansas City, New York, Philadelphie et Richmond. Investissement réel en matériel au premier trimestre de 2022. Sources : Haver Analytics, RBC GMA
Les intentions de dépenses en immobilisations des chefs de la direction aux États-Unis sont maintenant faibles
Au deuxième trimestre de 2022. Estimation obtenue en regroupant les intentions relatives à la croissance des dépenses de différentes catégories en une seule série. Sources : Conference Board, Université Duke, réserves fédérales de Richmond et d’Atlanta, Macrobond, RBC GMA
Sur le plan de l’embauche, le nombre d’emplois à pourvoir demeure extrêmement élevé. Les plans d’embauche demeurent solides, mais commencent à fléchir (voir le graphique suivant). Les intentions de hausse des salaires peuvent également commencer à diminuer, mais leurs points de départ sont très élevés (voir le graphique suivant).
L’enthousiasme des entreprises américaines à l’égard de l’embauche commence à s’estomper
En date de mai 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : Étude économique menée par la NFIB auprès des PME, Macrobond, RBC GMA
Les intentions de hausse des salaires aux États-Unis pourraient avoir atteint un sommet
Moyenne mobile sur six mois des intentions de hausse des salaires au cours des trois prochains mois (mai 2022), avec une avance de six mois. Salaires et traitements au premier trimestre de 2022. Sources : Étude économique menée par la NFIB auprès des PME, Bureau of Labor Statistics (BLS), Haver Analytics, RBC GMA
En bref, les consommateurs sont stressés, mais continuent à dépenser dans l’ensemble, du moins pour le moment. Les entreprises sont également sous pression et semblent adapter leurs activités en conséquence, bien que de façon provisoire seulement jusqu’ici. Le risque évident, sur les deux fronts, est que la hausse des taux d’intérêt et des prix de l’essence, l’inflation élevée, les problèmes liés aux chaînes logistiques et le ralentissement de l’économie chinoise finiront par inciter les consommateurs et les entreprises à faire preuve d’une prudence accrue, non seulement dans leurs attitudes, mais dans leurs actions.
Hausse du risque de récession
Le risque de récession est toujours à l’ordre du jour. Dans un sondage qui vient d’être mené par le Financial Times auprès d’économistes universitaires de premier plan, 70 % des répondants ont dit anticiper une récession aux États-Unis l’an prochain. Cela ne veut pas dire que la probabilité qu’une récession survienne est de 70 % – après tout, 70 % des économistes interrogés pourraient avoir prévu une récession dans leur scénario de base, mais selon une probabilité de seulement 51 %, tandis que les 30 % restants pourraient avoir fixé cette probabilité à 0 %. On obtiendrait ainsi un risque de récession de seulement 36 % ! Bien sûr, c’est un peu extrême, mais on peut sans doute conclure que la probabilité implicite est nettement supérieure à 50 %.
Nombreuses sont les règles générales qui indiquent qu’une récession est plus probable qu’improbable d’ici les deux prochaines années. D’abord, on associe fortement les cycles de hausse de taux aux récessions qui les ont suivis dans le passé, comme nous l’avons expliqué dans notre dernier billet. Il en est de même pour les envolées des cours du pétrole comme celle qui a eu lieu récemment. Enfin, des pics d’inflation aussi élevés ont toujours été résolus par une récession. Les indicateurs de la courbe des rendements sont plus nuancés, car la plupart des segments de la courbe ne se sont pas encore inversés. La situation pourrait cependant être sur le point de changer, puisque la montée des taux obligataires à court terme réduit rapidement l’écart par rapport aux obligations à long terme.
Par ailleurs, lorsque les banques centrales du monde se mettent à relever les taux toutes en même temps, l’activité économique a tendance à fléchir considérablement 10 mois plus tard (voir le prochain graphique). L’intensité du resserrement actuel cadre effectivement avec une récession.
Ralentissement de l’activité économique prévu aux États-Unis en raison du resserrement de la politique monétaire des banques centrales
D’après les données disponibles au 10 juin 2022. Sources : Plusieurs banques centrales du monde, Macrobond, RBC GMA.
Bref, nous pensons encore que le risque de récession à l’échelle mondiale est assez élevé, et même qu’il continue de croître compte tenu des attentes qui ont augmenté ces dernières semaines concernant l’inflation et les banques centrales.
Bien sûr, un atterrissage en douceur est également possible grâce à l’élan notable dont ont profité les économies tout juste avant cet épisode. À ce stade-ci, toutefois, il faudrait avoir de la chance pour y arriver : une amélioration subite des chaînes logistiques, un rebond plus rapide que prévu en Chine, une baisse marquée des coûts de l’énergie, ou une diminution de l’inflation dans un avenir très proche.
Heureusement, les récessions ne sont que temporaires et sont habituellement suivies d’une période de croissance dynamique tandis que les dommages économiques se résorbent. De plus, nous estimons qu’il pourrait s’agir d’une récession « utile » qui ferait redescendre l’inflation à des niveaux plus tolérables, ce qui favoriserait une longue période de prospérité économique insoumise aux effets corrosifs de l’inflation.
Attentes croissantes envers les banques centrales
Les banques centrales ont déjà entamé un cycle de redressement exceptionnellement vigoureux qui progresse environ quatre fois plus vite qu’à l’habitude. Il semble maintenant qu’elles pourraient même accélérer le pas.
Aux États-Unis, une augmentation de 50 points de base supplémentaire semble imminente, et une autre de 50 points de base est attendue à la réunion de juillet. Désormais, le marché s’attend aussi à une hausse de 50 points de base en septembre, et à une autre en novembre. Le taux directeur implicite pour la fin de 2022 est passé de 2,4 % il y a deux mois à 2,7 % un mois plus tard, et s’élève actuellement à 3,4 %.
Le Canada ne fait pas bande à part. Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a indiqué que les hausses de taux pourraient être encore plus marquées qu’elles ne le sont actuellement (50 points de base). Les marchés ont réagi à cette annonce en anticipant pour la plupart une augmentation de 75 points de base en juillet. La banque centrale avait parlé d’un sommet qui avoisinerait les 2 % ou 3 %. Aujourd’hui, elle prévoit dépasser les 3 %, si bien que les marchés s’attendent à un taux du financement à un jour de 3,5 % pour la fin de 2022.
Avec un resserrement aussi important, la poursuite de l’expansion économique est encore moins probable.
Taux d’intérêt à long terme
Même si la hausse des taux d’intérêt est évidente, nous croyons qu’il est plus pertinent de parler de cycle plutôt que de structure. Autrement dit, lorsque l’inflation aura été vaincue, les taux n’auront pas à être bien plus élevés qu’ils ne l’étaient avant la pandémie. Ils devraient demeurer assez bas pendant un moment, puisqu’ils continueront d’être influencés par les forces dynamiques du vieillissement de la population et des hauts niveaux d’endettement, forces qui dominaient déjà avant la pandémie.
Et si l’inflation devait rester légèrement plus élevée qu’avant, on pourrait avancer que les taux nominaux seront un peu plus élevés eux aussi. De plus, il importe de souligner que les taux obligataires très faibles observés pendant la majeure partie de 2020 et de 2021 étaient dus à une crise économique, et non pas à des conditions normales. Bref, il est peu probable que les taux d’intérêt retournent à un niveau « normal » comme dans les années 2000, et encore moins les années 1990, 1980 ou 1970.
Quand l’abaissement des taux commencera-t-il ?
Il est peut-être encore tôt pour en parler, mais comme les banques centrales semblent prêtes à dépasser ce qui est considéré comme les taux neutres, nous devrions nous attendre à une réduction des taux plus tard. Il est tout à fait plausible qu’une récession se produise, que l’inflation recule considérablement, et que les banques centrales se sentent suffisamment à l’aise pour relever le pied de la pédale de frein.
On peut difficilement prévoir ces baisses de taux, alors qu’on ne sait pas encore à quel niveau les taux se situeront à la fin du cycle de resserrement en cours et que les conséquences sur l’économie et l’inflation sont encore imprécises.
Normalement, les banques centrales abaissent les taux d’intérêt lorsqu’elles détectent une faiblesse au sein de l’économie. Ce signal pourrait bien se manifester sous peu. Il est toutefois peu probable que les banques centrales réduisent les taux aussi tôt cette fois-ci. Il faudra d’abord que l’inflation diminue considérablement et que les banques centrales aient l’assurance qu’elle ne reprendra pas de la vigueur dès que la pression sera levée. Cela ne se produira sans doute pas avant 2023 ou 2024.
Pour mettre les choses en perspective, signalons que d’après le graphique à points de la Réserve fédérale américaine (Fed), le taux directeur augmentera en 2023, puis restera inchangé en 2024. Comme la Fed croit que le taux directeur à la fin du cycle de resserrement sera supérieur au taux neutre, on peut en conclure qu’il sera abaissé par la suite.
Selon les marchés financiers, les taux seront moins élevés en 2024 qu’en 2023 aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni et en Australie, mais pas dans la zone euro (où il faudra peut-être attendre 2025).
Nous soulignons la possibilité que l’inflation chute suffisamment d’ici le milieu de 2023 pour que des baisses de taux soient décrétées dès le second semestre de l’année, mais ce scénario ne nous semble pas le plus probable.
Légère amélioration des chaînes logistiques
Les chaînes logistiques donnent des signes modestes d’amélioration. En particulier, les ports de la Californie du Sud font état d’un nombre moins important de navires en attente (voir le graphique suivant).
Déclin du nombre de porte-conteneurs au mouillage ou en zone d’attente à Los Angeles et à Long Beach
Au 9 juin 2022. Sources : American Shipper, Bourse maritime de Californie du Sud, RBC GMA.
Toutefois, cette amélioration est largement illusoire. Une partie des navires en attente a simplement pris la route de la côte est des États-Unis et d’autres se sont rendus en Chine et en Europe (ou leur manifeste donne d’autres raisons) (voir le graphique suivant).
La congestion dans les ports s’est déplacée (Chine, États-Unis et mer du Nord)
Au 24 mai 2022. Pourcentage de la capacité mondiale de chargement des porte-conteneurs qui est bloquée à cause de la congestion des ports. Ports inclus : Géorgie, Guangdong, Hong Kong, mer du Nord, Shanghai, Californie du Sud, Caroline du Sud, Zhejiang. Sources : Institut de Kiel, Macrobond, RBC GMA.
À l’échelle mondiale, la congestion des ports reste donc problématique (voir le graphique suivant). Elle semble toutefois beaucoup moins intense que l’automne dernier, et commence peut-être à s’atténuer à nouveau.
La congestion dans les ports pourrait s’atténuer (Chine, États-Unis et mer du Nord)
Au 24 mai 2022. Somme des pourcentages de la capacité mondiale de chargement des porte-conteneurs qui est bloquée à cause de la congestion des ports. Ports inclus : Géorgie, Guangdong, Hong Kong, mer du Nord, Shanghai, Californie du Sud, Caroline du Sud, Zhejiang. Sources : Institut de Kiel, Macrobond, RBC GMA.
Dans ce contexte de va-et-vient, il est encourageant que le coût d’expédition d’un conteneur dans le monde diminue assez régulièrement depuis de nombreux mois (voir le graphique suivant). Il s’agit certainement de l’indicateur ultime de la santé du secteur du transport par conteneurs, et il s’améliore de toute évidence, même s’il n’est pas encore revenu à la normale.
Les frais d’expédition poursuivent leur déclin
Données pour la semaine se terminant le 9 juin 2022. Sources : Drewry Supply Chain Advisors, RBC GMA.
Autre signe de léger progrès dans les chaînes logistiques, plusieurs sondages menés par les Réserves fédérales de districts montrent que les délais de livraison sont beaucoup plus courts et qu’on s’attend à d’autres améliorations (voir le graphique suivant).
Amélioration des délais de livraison actuels et prévus
En date de mai 2022. Moyenne à pondérations égales des délais de livraison actuels et prévus. Sources : Federal Reserve Bank de Dallas, du Kansas, de New York, de Philadelphie et de Richmond ; Macrobond, RBC GMA
Le hic est que les facteurs saisonniers devraient aggraver la situation au cours des prochains mois. Le croirez-vous ? La période d’achats des Fêtes est déjà d’actualité sur le plan logistique pour les fabricants et les détaillants, et les chaînes logistiques pourraient se gripper à l’automne.
Néanmoins, étant donné que l’appétit pour les services revient – il a presque renoué avec son ancienne tendance – et que les dépenses consacrées aux produits se tassent en conséquence, nous pensons toujours que les problèmes liés aux chaînes logistiques s’atténueront probablement au cours des mois et années à venir (voir graphique suivant).
Rotation en cours des dépenses de consommation, des biens vers les services, aux États-Unis
En date d’avril 2022. PCE is the Personal Consumption Expenditures price index. Sources : BEA, Macrobond, RBC GMA.
À première vue, le fait que l’augmentation des dépenses en biens durables pendant la pandémie a simplement ramené ces dépenses à la moyenne historique peut sembler déconcertant (voir graphique suivant). On pourrait être tenté d’en conclure que les dépenses en biens durables ne devraient plus reculer et que les chaînes logistiques pourraient donc demeurer un casse-tête. Mais ce serait une interprétation erronée de la tendance historique. En effet, la part des dépenses consacrées aux biens diminue progressivement depuis plusieurs décennies, tandis que la part des services, notamment les soins de santé, l’éducation et le tourisme, gagne en importance. Ce qui était normal il y a dix ans ne devrait plus l’être aujourd’hui.
Aux États-Unis, les dépenses de consommation consacrées aux biens durables ont dépassé celles consacrées aux services, mais le vent est en train de tourner
Au premier trimestre de 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : BEA, Macrobond, RBC GMA.
Recrudescence de la COVID-19 en Chine
Au cours des dernières semaines, après une période difficile, l’économie chinoise a redémarré, alors que la COVID-19 reculait à Shanghai et passait sans laisser de traces durables à Beijing. Les données en temps réel de l’activité économique commençaient à se redresser (voir graphique suivant).
Reprise de la fréquentation du métro dans les grandes villes chinoises
Données au 8 juin 2022. L’indice est la somme pondérée sur périodes mobiles de sept jours des trajets en métro à Beijing, Guangzhou, Nanjing, Suzhou et Zhengzhou. Sources : Sociétés de métro chinoises, Macrobond, RBC GMA
Mais un changement brutal est survenu. Après seulement quelques semaines, une grande partie de Shanghai a de nouveau été confinée en réponse à la hausse du nombre de cas d’infection. Dans le même temps, Beijing a annoncé une éclosion de 200 cas provenant d’un seul bar et a restauré des protocoles de dépistage intensif.
Peu importe à quelle vitesse la situation sera maîtrisée, la politique de tolérance zéro de la Chine à l’égard de la pandémie ne semble guère réalisable, vu le caractère très contagieux des variants actuels. D’autres villes connaîtront probablement des éclosions ; les gens se montreront plus prudents que d’habitude, même lorsque leurs villes seront déconfinées, et des confinements occasionnels seront nécessaires. L’économie chinoise tournera donc au ralenti pendant un certain temps.
Stagflation au Royaume-Uni
Le Royaume-Uni souffre plus que la plupart des pays développés d’une inflation élevée couplée à des chocs économiques négatifs. En effet, il affiche maintenant l’un des taux d’inflation les plus élevés au monde, soit 9,0 % sur douze mois. La facture d’énergie des particuliers a bondi de 54 % en avril. Sur le plan de la croissance, la production économique du pays a baissé pour un deuxième mois consécutif et la Banque d’Angleterre prévoit une récession. D’ordinaire, les banques centrales sont évasives sur le sujet pendant les périodes difficiles, redoutant que leur projection se concrétise d’elle-même. Il est donc intéressant (et agréable de constater) que la Banque d’Angleterre juge nécessaire de formuler des prévisions explicites à ce titre.
Le Royaume-Uni subit plusieurs forces négatives, mais familières, notamment les problèmes des chaînes logistiques, les pressions inflationnistes, les hausses de taux, la guerre en Ukraine, etc. Toutefois, d’autres facteurs entrent en jeu :
- Le Royaume-Uni est plus exposé à la Russie, en raison de ses liens commerciaux et de sa proximité avec le conflit.
- Les problèmes des chaînes logistiques sont aggravés par la situation insulaire du pays.
- Le Brexit continue de nuire à l’économie et a pour effet d’augmenter le coût des produits.
- Le Royaume-Uni a amorcé un resserrement budgétaire, réduisant notamment les prestations sociales en plus de relever le taux d’imposition.
De la même manière que le Royaume-Uni a été l’un des premiers pays touchés par les nouveaux variants du virus, il pourrait aussi être l’un des premiers à subir le contrecoup sur l’économie et l’inflation des difficultés récentes. C’est pourquoi sa situation mérite qu’on s’y attarde.
Turbulences croissantes dans le monde des cryptomonnaies
Les cryptomonnaies ont été malmenées récemment, plongeant brutalement après avoir atteint des sommets historiques à l’automne dernier. Le bitcoin, le plus populaire des cryptoactifs, s’est déprécié de plus de 60 % depuis novembre. Ces « cryptomonnaies stables » ne sont finalement pas si stables que ça. Certes, les placements traditionnels n’ont pas échappé à la tourmente ; les obligations et les actions ont perdu du terrain ces derniers temps, mais l’ampleur de leur déclin n’est pas comparable.
Reste à savoir à quel niveau les cryptomonnaies finiront par s’établir à long terme. La technologie sous-jacente de chaîne de blocs demeure assez prometteuse pour créer des registres distribués et, par conséquent, supprimer les intermédiaires et réduire les coûts liés à la tenue de registres et aux opérations.
Pour le moment cependant, les cryptomonnaies ne sont pas à la hauteur de leur promesse.
Les cryptomonnaies sont encore loin de se comporter comme des devises :
- Les cryptomonnaies manquent de liquidité : elles peuvent être difficiles à acheter, à vendre et à conserver. De plus, le nombre d’opérations en bitcoin qu’il est possible de traiter en une seconde à l’échelle mondiale est, en théorie, limité à seulement sept, alors que Visa peut en traiter 56 000 par seconde. Une opération en bitcoin coûte actuellement 1,25 $ US, ce qui est raisonnable, mais pas beaucoup moins cher que les technologies existantes. De plus, les frais varient énormément ; ils ont même monté brièvement 63 $ par opération il y a un peu plus d’un an.
- Les cryptomonnaies ne sont toujours pas très fongibles ; elles ne permettent pas d’acheter grand-chose. Or, c’est une condition pour pouvoir servir d’unité d’échange appropriée.
- Les cryptomonnaies ne sont pas assez stables pour être considérées comme de vraies devises. Au contraire, leur volatilité est absolument incroyable et les cryptomonnaies conçues afin de demeurer stables semblent partir en vrille précisément au moment où leur stabilité serait la plus appréciée. D’ailleurs, les « cryptomonnaies stables » font également peser un risque sur les marchés du crédit, dans la mesure où pour éviter qu’elles se déprécient, leurs administrateurs doivent liquider leur réserve d’instruments de crédit traditionnels.
D’autres problèmes minent les cryptomonnaies :
- Le risque de vol est considérable, comme en témoignent les fréquents incidents de piratage des bourses et autres cas de vol. Le recours est limité en raison de l’anonymat voulu par le système.
- Le bitcoin consomme une énorme quantité d’énergie. Bien qu’il ne représente qu’une part infime de l’ensemble des opérations financières dans le monde, il accapare 0,55 % de la production électrique mondiale, soit autant qu’un pays développé de taille moyenne. Cela n’a rien d’anodin en cette période d’urgence climatique.
- Les cryptomonnaies sont perçues avec suspicion par les organismes de réglementation parce qu’elles favorisent l’évitement fiscal, l’évasion des capitaux, le blanchiment d’argent et le financement d’un certain nombre d’activités illégales. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles la Chine les a complètement interdites. Nous croyons fermement que si les cryptomonnaies parviennent à jouer un rôle de premier plan dans le système financier mondial, elles seront plus susceptibles de prendre la forme d’actifs créés par des banques centrales plutôt que de persister à travers les produits actuels, qui ont pourtant une longueur d’avance.
Les cryptomonnaies présentent un intérêt en tant que solutions de placement et elles pourraient constituer une valeur ajoutée dans un portefeuille diversifié. Elles se sont fortement appréciées depuis leur création, même si une fraction des gains ont été érodés dernièrement. Toutefois, cela ne garantit pas que leur valeur continuera de grimper. Et bien qu’elles représentent une option intéressante pour les spéculateurs, on ne peut pas dire qu’elles ont été à la hauteur des attentes des investisseurs :
- Couverture contre l’inflation : les cryptomonnaies étaient censées assurer une protection contre une inflation élevée puisque leur offre est strictement limitée, contrairement à la masse monétaire traditionnelle. Mais elles ont vu leur valeur s’effondrer au moment même où l’inflation atteint des sommets jamais égalés depuis des décennies.
- Valeurs refuges : d’autres ont qualifié les cryptomonnaies de valeurs refuges, capables de générer de meilleurs rendements lorsque les investisseurs fuient les autres catégories de titres ou que les conditions économiques se détériorent. Or, c’est la situation que nous vivons présentement et dans le contexte actuel les cryptomonnaies produisent de piètres résultats.
- Placement sans corrélation : certains ont fait valoir que la valorisation des cryptomonnaies devait être sans corrélation avec d’autres catégories d’actifs, ce qui signifie qu’elles pourraient réduire la volatilité d’un portefeuille bien structuré. Mais, jusqu’à présent, elles sont apparemment très volatiles et ont aussi une forte covariance avec les placements les plus risqués : entreprises technologiques non rentables, actions-mèmes et jetons non fongibles.
C’est pourquoi la secrétaire du Trésor américain, Janet Yellen, a déclaré récemment que les cryptomonnaies sont des placements très risqués pour les personnes qui épargnent en vue de la retraite. Ces critiques pourraient être vues sous l’angle d’une crise de croissance, mais des améliorations doivent être apportées au fonctionnement des cryptomonnaies avant qu’elles soient acceptées par la plupart des investisseurs.
– Avec la contribution de Vivien Lee, d’Andrew Maleki et d’Aaron Ma
Vous aimeriez connaître d’autres points de vue d’Eric Lascelles et d’autres dirigeants avisés de RBC GMA ? Vous pouvez lire leurs réflexions dès maintenant.