Le problème du plafond de la dette est-il sur le point d’être résolu ?
L’information risque fort d’être obsolète avant même sa publication. Cela dit, le problème du plafond de la dette américaine semble sur le point d’être réglé.
Le président démocrate Joe Biden et le leader républicain à la Chambre des représentants Kevin McCarthy ont conclu un accord de principe visant à relever le plafond de la dette pour les deux prochaines années. En contrepartie, les dépenses publiques seront soumises à des restrictions pendant cette période de deux ans : elles resteront inchangées pour l’exercice 2024, avant qu’une légère augmentation de 1 % soit tolérée pour l’exercice 2025. Certains programmes seraient exemptés de ce plafonnement, comme le budget de la défense, les prestations de retraite et divers programmes de soins de santé. D’autres modifications plus modestes voulues par les républicains comprennent :
- un resserrement progressif de l’admissibilité à certains services sociaux
- une réduction du financement de l’Internal Revenue Service
- un engagement à accélérer les évaluations environnementales pour les projets d’infrastructure énergétique.
Le vote se tiendra le 31 mai. Certains républicains de la Chambre des représentants ont indiqué qu’ils s’opposeraient à l’accord (l’un d’eux l’a qualifié de « tartine de crotte »). Selon eux, M. McCarthy a trahi les promesses qu’il a faites au moment de son élection. En revanche, les démocrates favorables à l’accord sont probablement assez nombreux pour le promulguer.
Si la Chambre rejette l’entente, le gouvernement arrivera à court d’argent le 5 juin, plutôt que le 1er juin, selon les dernières estimations du département du Trésor, ce qui lui donne un tout petit peu plus de temps et fait en sorte que les retraités recevront leurs virements mensuels prévus au début du mois. En fait, le plafond de la dette pourrait même être atteint un peu après le 5 juin, selon le montant exact des recettes fiscales perçues au cours des prochaines semaines. Le 15 juin est une date clé, puisqu’on atteint d’importants versements au titre de l’impôt des sociétés, tandis que le gouvernement devra payer des intérêts astronomiques le même jour. Si le plafond de la dette n’est toujours pas atteint le 15 juin, le gouvernement aura probablement assez d’argent pour fonctionner jusqu’au mois d’août.
Toutefois, le scénario le plus probable à ce stade est qu’un accord soit conclu avant la date butoir. Dans le cas contraire, nous considérons le 5 juin comme la date butoir la plus pertinente. Nous croyons que le gouvernement donnera alors la priorité au remboursement de la dette afin d’éviter un défaut technique, mais il le fera au prix d’une paralysie temporaire.
Les tensions actuelles du système bancaire comparées à la crise des établissements d’épargne et de crédit
Les banques américaines de taille moyenne ont éprouvé des difficultés durant les trois derniers mois ; deux ont fait faillite et une a fait l’objet d’une acquisition de dernière minute.
Ces institutions financières ont essentiellement souffert des pertes sur les placements en obligations selon l’évaluation à la valeur de marché, après la forte augmentation des taux d’intérêt des 18 derniers mois. L’évaluation à la valeur de marché est une méthode comptable qui mesure la valeur des actifs en fonction de leurs cours actuels.
La vague de retraits a constitué un facteur secondaire, mais sans doute assez puissant. Au départ, les retraits étaient modestes et attribuables à des clients éprouvant des difficultés financières (des sociétés de technologie et de cryptomonnaies obligées de puiser dans leurs dépôts pour financer leurs activités) ainsi qu’à l’attrait des rendements supérieurs offerts en dehors des comptes chèques. Cependant, quand les problèmes du secteur bancaire sont apparus au grand jour, les sorties de fonds se sont accélérées et avérées fatales pour certaines banques de taille moyenne.
Nous restons d’avis que les restrictions imposées aux activités de prêt seront maintenues pendant un certain temps.
Heureusement, la base de dépôts globale des petites institutions financières américaines s’est stabilisée en mai. En date du 17 mai, les dépôts étaient légèrement plus élevés qu’à la fin d’avril. Bien sûr, cela ne veut pas dire que toutes les petites banques américaines se portent bien. En fait, certaines sont encore fragiles. Toutefois, il s’agit d’un signe encourageant pour la viabilité de l’ensemble du secteur.
Néanmoins, entre le durcissement marqué des normes de crédit (amorcé avant cette période de fortes tensions dans le secteur bancaire) et les nouvelles contraintes financières des banques régionales, l’octroi de prêts diminue (voir le graphique suivant).
Des signes d’un fléchissement de la croissance du crédit aux États-Unis ?
Données pour la semaine se terminant le 17 mai 2023. Sources : Réserve fédérale, Macrobond, RBC GMA
Nous restons d’avis que les restrictions imposées aux activités de prêt seront maintenues pendant un certain temps. À court terme, ces restrictions pourraient être sévères si une récession se concrétise comme nous le prévoyons. Les banques américaines de taille moyenne pourraient également demeurer peu enclines à prêter pendant de nombreuses années. Voici pourquoi :
- Leur base de dépôts s’est érodée.
- Il leur faudra plusieurs années pour recouvrer les pertes subies sur le marché obligataire.
- L’attention accrue de la sphère politique se traduira probablement par un resserrement de la réglementation qui entraînera une réduction structurelle de l’endettement du secteur (et, par conséquent, de sa capacité à prêter).
- L’histoire montre que les problèmes du secteur bancaire prennent généralement des années à s’estomper et non quelques mois.
La crise du secteur de l’épargne et du crédit qui s’est produite aux États-Unis des années 1980 et du début des années 1990 ne constitue assurément pas un parallèle parfait et les problèmes actuels sont nettement moins importants. Elle offre tout de même une perspective intéressante.
Les établissements d’épargne et de crédit étaient des institutions financières américaines principalement axées sur les dépôts et l’octroi de prêts hypothécaires résidentiels. À la fin des années 1970 et au début des années 1980, la flambée de l’inflation et celle des taux d’intérêt qui l’a accompagnée ont mis ces établissements à rude épreuve, tout comme la hausse des taux d’intérêt engendre actuellement des pertes pour les banques. Cependant, les problèmes rencontrés par les établissements d’épargne et de crédit étaient certainement bien pires que ceux des banques régionales à l’heure actuelle, et ce, pour plusieurs raisons.
- Au début des années 1980, aux États-Unis, les établissements d’épargne et de crédit représentaient 15 % du marché des services bancaires et jusqu’à 50 % du marché des prêts hypothécaires. Les banques régionales occupent une maigre part de 6,5 % du marché des services bancaires (données de 2013).
- Comme leur financement repose principalement sur l’acceptation de dépôts très liquides, puis l’octroi de créances, surtout des prêts hypothécaires à très longue échéance (30 ans), les établissements d’épargne et de crédit ont souffert d’un énorme décalage au niveau de la duration. Par définition, les banques présentent également une certaine forme d’asymétrie de la duration, l’un de leurs principaux objectifs étant la transformation des échéances, mais rarement aussi importante. La transformation des échéances est le processus par lequel les banques acceptent des dépôts à court terme traditionnels et utilisent ces fonds pour octroyer des prêts à long terme.
- Les taux d’intérêt ont augmenté beaucoup plus à la fin des années 1970 et au début des années 1980 qu’au cours des 18 derniers mois. Les établissements d’épargne et de crédit avaient dans leurs livres un grand nombre de prêts hypothécaires qui, dans un contexte de taux d’intérêt élevés, avaient été émis à des taux beaucoup trop bas, ce qui les rendait déficitaires. L’inadéquation n’est pas aussi prononcée en ce moment.
- Au départ, la loi interdisait aux établissements d’épargne et de crédit d’offrir un taux supérieur à 5,5 % sur les dépôts. Cela s’est révélé nettement insuffisant pour retenir les déposants à mesure que les taux d’intérêt augmentaient. Si certains déposants sont aujourd’hui attirés par les rendements plus élevés des fonds du marché monétaire, maintenant, les banques sont au moins légalement autorisées à offrir des taux concurrentiels.
- Au début des années 1980, plus des deux tiers des établissements d’épargne et de crédit étaient techniquement insolvables, ayant épuisé tout leur capital. La grande majorité n’était pas non plus rentable, ce qui ne laissait entrevoir aucune possibilité de recapitalisation. En comparaison, bien que les estimations varient considérablement, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) rapporte que les banques américaines de toutes tailles partagent actuellement environ 620 milliards de dollars américains en pertes sur obligations à la valeur de marché. C’est un gros montant, mais il correspond seulement à 2,7 % des actifs bancaires. Selon l’estimation la plus pessimiste, environ la moitié des banques américaines tomberaient sous le seuil minimal de fonds propres établi par les organismes de réglementation si ces pertes étaient entièrement prises en compte dans les bilans. Cela dit, il y a une énorme différence entre le fait de tomber sous le seuil minimal de fonds propres et celui de devenir insolvable, et à mesure que les obligations arriveront à échéance, le montant des pertes à la valeur de marché devrait diminuer.
- Les organismes de réglementation n’ont pas réagi de la bonne manière aux problèmes initiaux des établissements d’épargne et de crédit. Au lieu de resserrer les règles du secteur, ils ont procédé à une déréglementation. Certaines mesures étaient sensées, comme la suppression du plafond des taux sur les dépôts, mais beaucoup ne l’étaient pas. En définitive, soudainement libres de toutes contraintes dans leurs activités, les établissements d’épargne et de crédit se sont retrouvés à jouer avec ce qui équivalait à de l’argent public, puisqu’ils étaient déjà insolvables (le gouvernement serait responsable de toute faillite par l’intermédiaire de l’assurance-dépôts). Ils ont alors été nombreux à effectuer des investissements à haut risque dans des projets immobiliers et autres afin de redevenir solvables.
Tout cela s’est produit à un bien mauvais moment, les établissements d’épargne et de crédit étant concentrés au Texas, où il y a eu une crise pétrolière et un effondrement de l’immobilier dans les années 1980. Par ailleurs, certains dirigeants d’établissement étaient incompétents ou carrément fraudeurs. Bon nombre des paris importants ont donc échoué, ce qui a gonflé encore davantage les pertes des établissements d’épargne et de crédit. Même les incitatifs réglementaires étaient mal alignés, car c’était souvent les autorités étatiques qui assouplissaient les restrictions, tandis que les fonds fédéraux servaient pour l’assurance-dépôts en cas de problème.
Aujourd’hui, toutefois, le débat s’articule surtout autour de l’imposition de règles plus strictes pour les banques régionales. Néanmoins, la décision de fournir une assurance-dépôts générale aux deux banques en faillite s’apparente à la déréglementation qui a finalement plombé les établissements d’épargne et de crédit dans les années 1980. De même, on pourrait critiquer la décision d’accorder des liquidités illimitées aux banques par l’intermédiaire de la Réserve fédérale aujourd’hui, car cela cache les ennuis de liquidité et de solvabilité.
Il n’y a donc pas lieu de s’attendre à une crise bancaire aussi longue et profonde que celle vécue par les établissements d’épargne et de crédit
Finalement, après plus d’une décennie de contrariétés, des réformes adéquates ont été adoptées pour les établissements d’épargne et de crédit en 1989. Un nouvel organisme de réglementation a été mis en place et la Resolution Trust Corporation (RTC) a été créée pour s’occuper des établissements en difficulté. En tout, 747 établissements d’épargne et de crédit ont été fermés dans le cadre de ce processus, sur un total de 4 000 au plus fort de leur popularité. Au bout du compte, cela a coûté aux contribuables 124 milliards de dollars américains, et l’opération a pris fin en 1995. Le fossé réglementaire s’est depuis tellement rétréci qu’à l’heure actuelle, les établissements d’épargne et de crédit ne sont guère différents des banques ordinaires.
Il existe, en effet, des parallèles évidents entre la situation passée et la situation actuelle. Dans les deux cas, des institutions financières ont été prises au dépourvu en raison de la hausse des taux d’intérêt et, sans doute, d’un trop grand appétit pour le risque, et ont subi des pertes en capital considérables. À l’instant présent, certaines banques sont peut-être techniquement insolvables, comme la plupart des établissements d’épargne et de crédit. Les organismes de réglementation d’hier et d’aujourd’hui ont assoupli les règles de façon à maintenir à flot les institutions financières insuffisamment capitalisées, malgré l’aléa de moralité qui en découle.
En revanche, il y a des différences importantes :
- De nos jours, les banques régionales représentent une fraction beaucoup plus petite du secteur financier.
- Le décalage au niveau de la duration est moins marqué
- Les taux d’intérêt n’ont pas augmenté de manière aussi spectaculaire cette fois-ci.
- Un nombre bien inférieur de banques sont carrément insolvables.
- L’environnement réglementaire n’était pas aussi mal en point au début de la période de crise
- Les interventions faites à l’apogée de la crise n’ont pas autant faussé les incitatifs que dans les années 1980.
Il n’y a donc pas lieu de s’attendre à une crise bancaire aussi longue et profonde que celle vécue par les établissements d’épargne et de crédit. Par contre, il faut se rappeler que ces situations prennent plusieurs années à régler et qu’il convient de renforcer la réglementation dès que la poussière initiale est retombée.
Les données économiques restent floues
Les données économiques restent floues. Certains paramètres, comme le nombre de vols commerciaux mondiaux, continuent d’augmenter, dépassant maintenant considérablement le pic d’avant la pandémie (voir le graphique suivant). De façon plus générale, la demande de services discrétionnaires est forte, car les gens rattrapent le temps perdu.
Le nombre de vols commerciaux mondiaux augmente, suivi par Flightradar24
Au 25 mai 2023. Comprend les vols commerciaux de passagers, le fret, les vols nolisés et certains vols d’affaires sur des avions à réaction. Sources : Flightradar24 AB, RBC GMA
À l’inverse, la confiance des entreprises américaines continue de se détériorer. Elle est maintenant encore plus basse qu’au moment le plus pessimiste de la pandémie (voir le graphique suivant).
Recul de la confiance des entreprises américaines
En date d’avril 2023. La zone ombrée représente une récession. Sources : The Conference Board, National Federation of Independent Business, Macrobond, RBC GMA
Le flou s’étend même à des perspectives contradictoires sur le même sujet. Le produit intérieur brut (PIB) réel des États-Unis est en voie d’inscrire un gain annualisé décent de 1,9 % au deuxième trimestre selon l’indice GDPNow de la Réserve fédérale d’Atlanta, mais d’à peine 0,4 % selon les prévisions moyennes d’économistes de renom, et une baisse de 0,3 % selon les prévisions immédiates de la Réserve fédérale de Saint-Louis. Il s’agit d’une fourchette assez large de résultats possibles pour un trimestre dont les deux tiers sont terminés.
Le PIB réel de l’Allemagne a quant à lui enregistré une perte de 0,3 % (non annualisée) au premier trimestre de 2023. Le pays a maintenant connu deux trimestres consécutifs de contraction, un vague indicateur de récession (voir le graphique suivant). Étrangement, l’indice hebdomadaire de l’activité de la banque centrale a affiché une tendance à la hausse pendant plusieurs trimestres (voir le graphique suivant). .
L’Allemagne entre dans une récession technique
En date du premier trimestre de 2023. Sources : Statistisches Bundesamt, Macrobond, RBC GMA
L’indice hebdomadaire de l’activité de la Deutsche Bundesbank continue de progresser
Données pour la semaine se terminant le 21 mai 2023. L’indice estime le taux de croissance de l’activité économique corrigé de la tendance, en comparant la moyenne des 13 dernières semaines avec la moyenne des 13 semaines précédentes. Sources : Banque centrale d’Allemagne (Deutsche Bundesbank), Macrobond, RBC GMA
Ultimement, il vous suffit de choisir vos indicateurs économiques pour vous faire une opinion positive ou pessimiste. C’est une période étrange et très incertaine.
Des problèmes de productivité émergent
Un autre enjeu économique curieux qui reste entier est la récente baisse marquée de la productivité. Aux États-Unis et au Canada, le niveau de productivité est nettement inférieur à ce qu’il était il y a quelques années (voir le graphique suivant). Il est très inhabituel de voir une diminution aussi nette de la productivité sur plusieurs années. Les entreprises ont-elles troqué leurs nouveaux ordinateurs pour leurs anciens modèles ? La main-d’œuvre a-t-elle spontanément oublié une année d’études ?
La productivité de la main-d’œuvre aux États-Unis et au Canada est en baisse
États-Unis : au T1 de 2023. Canada : au T4 de 2022. La productivité correspond à la production horaire de toutes les personnes du secteur d’activité sur celle de l’économie totale. Tendance fondée sur le taux de croissance de 2002 à 2019. La zone ombrée représente une récession aux États-Unis. Sources : Macrobond, RBC GMA
En ce qui concerne la productivité, la réalité est bien plus nuancée. La productivité a bondi au début de la pandémie jusqu’à des niveaux auxquels elle n’aurait pas pu se maintenir indéfiniment. Depuis, elle est progressivement retombée à des niveaux plus raisonnables. Cette augmentation initiale s’explique au moins en partie par un changement dans la composition de la main-d’œuvre : un grand nombre de postes à faible niveau de compétences ayant été supprimés, la productivité moyenne a fortement augmenté sans que les travailleurs soient forcément plus productifs. Comme ces postes ont été rétablis ces dernières années, la productivité moyenne a de nouveau baissé.
Nous restons d’avis que la croissance de la productivité pourrait décoller du niveau anémique des dix dernières années et s’accélérer légèrement au cours des prochaines décennies. Notre opinion reflète notre enthousiasme pour toute une gamme de nouvelles technologies.
Toutefois, cela n’explique pas tout. La productivité aux États-Unis reste aujourd’hui légèrement inférieure au taux de croissance tendancielle auquel on aurait pu s’attendre si la pandémie n’avait pas eu lieu. La productivité du Canada se situe quant à elle très en dessous de la croissance tendancielle (voir les lignes en pointillé orientées à la hausse dans le graphique précédent).
Comment peut-on l’expliquer ?
Une raison possible, mais controversée, serait que le télétravail nuit à la productivité. Les résultats publiés sur ce sujet ne sont pas encore concluants. En théorie, le télétravail devrait entraîner des gains de productivité en réduisant le temps de navettage et les distractions sur le lieu de travail. En revanche, il pourrait aussi freiner la productivité en raison d’une technologie moins performante à domicile, de la tentation de travailler moins et d’une communication moins efficace avec ses collègues.
Le télétravail a peut-être favorisé une hausse de la productivité au départ. Toutefois, la productivité a ensuite progressivement décliné à mesure que la culture d’entreprise s’est érodée et que les interactions faisant germer les nouvelles idées essentielles à la réussite à moyen et à long terme d’une entreprise sont devenues moins fréquentes. Si les entreprises réclament le retour au bureau de leur personnel en dépit des loyers élevés dans les immeubles de bureaux, c’est bien parce qu’elles constatent une perte de productivité.
Par ailleurs, les nouveaux employés ne sont généralement pas aussi productifs que les plus chevronnés. Il y a une courbe d’apprentissage à chaque prise de fonctions, qui s’étend parfois sur plusieurs années. Les entreprises ayant beaucoup embauché ces dernières années, une proportion inhabituellement importante de leur main-d’œuvre est nouvelle. La productivité remontera peut-être à mesure que l’apprentissage de ces nouveaux employés avance.
En réalité, avant même la pandémie, la croissance de la productivité n’avait rien d’extraordinaire depuis longtemps. Le Canada, en particulier, a toujours largement tiré de l’arrière et le fait que c’est encore le cas laisse entrevoir des facteurs structurels. Parmi les différentes explications possibles, les politiques publiques du Canada de ces dernières années n’ont pas misé sur la croissance de la productivité.
Nous sommes peut-être un peu obstinés et à contre-courant de la tendance, mais nous restons d’avis que la croissance de la productivité pourrait décoller du niveau anémique des dix dernières années et s’accélérer légèrement au cours des prochaines décennies. Notre opinion est confortée par divers facteurs, mais reflète surtout notre enthousiasme pour toute une gamme de nouvelles technologies, en particulier dans les domaines de la santé et de l’intelligence artificielle (IA). Certains experts estiment que les technologies d’IA génératives qui ont récemment dominé les manchettes ne feront pas qu’améliorer la productivité, mais la stimuleront dans une mesure comparable à l’invention d’Internet.
Les réflexions sur le risque de récession changent
Nous anticipons toujours une récession dans la plupart des pays développés au second semestre de 2023. Nous vous livrons trois réflexions rapides à ce sujet.
- Comme nous l’avons déjà mentionné, l’Allemagne vient sans doute d’entrer en récession, le pays ayant récemment fait état d’une baisse de la production pour un deuxième trimestre consécutif.
- Bien qu’il soit communément admis que la courbe des taux (comme la courbe de 2 ans à 10 ans et la courbe de 3 mois à 10 ans) est inversée, on pourrait remettre en question la fiabilité de cet indicateur, en période d’inflation élevée, pour prédire une récession. Après tout, le taux nominal des obligations intègre implicitement à la fois une croissance et une prime d’inflation. Une courbe des taux inversée signifie normalement que les investisseurs s’attendent à ce que l’économie ralentisse. Toutefois, elle pourrait aussi indiquer que l’on s’attend à ce que l’inflation soit plus basse à l’avenir.
C’est pourquoi il est utile d’examiner la courbe des taux corrigés de l’inflation (voir le graphique suivant). Or, cette courbe est également inversée, dans une mesure habituellement annonciatrice de récession. Le message est donc finalement le même. Il convient toutefois de noter que l’inversion de la courbe des taux réels est moins marquée. Aussi, la conclusion que l’on en tire est plus nuancée que si l’on se fiait uniquement à la courbe des taux nominaux.
La courbe des taux réels s’inverse à mesure que le risque de récession augmente
En date du 18 mai 2023. La zone ombrée représente une récession. Sources : Bloomberg, Macrobond, RBC GMA
- En ce qui concerne l’économie nord-américaine, le chef de la direction de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a récemment déclaré que les volumes actuels sont ceux que la société enregistre en période de légère récession et que l’entreprise prévoit un recul marqué de la production industrielle. Les compagnies ferroviaires ont une vue exceptionnellement large sur le secteur industriel.
L’inflation devrait encore baisser
Les chiffres de l’inflation pour avril ont été globalement décevants. L’inflation n’a que très peu baissé au cours du mois, voire pas du tout. Toutefois, on note des signes de progrès importants. En particulier, l’étendue de la poussée d’inflation s’est considérablement rétrécie. Comparativement aux mois précédents, le nombre de composants du panier des prix à la consommation qui augmentent de 10 % ou plus par an a fortement diminué.
En outre, alors que les indicateurs d’inflation en temps réel stagnaient à la fin d’avril et au début de mai, la tendance baissière a repris entre le milieu et la fin du mois de mai (voir le graphique suivant). Une autre mesure de l’inflation en temps réel de Trueflation est aussi à nouveau en baisse. On peut donc continuer d’espérer que l’inflation poursuivra son déclin.
L’indice quotidien de l’inflation aux États-Unis de PriceStats chute une nouvelle fois
Indice de l’inflation PriceStats au 23 mai 2023. IPC en date d’avril 2023. Sources : State Street Global Markets Research, RBC GMA
La Banque du Canada a récemment publié un graphique prometteur montrant que l’inflation des produits alimentaires devrait ralentir de façon marquée au cours des prochains trimestres. Elle se fie pour cela à l’évolution de la structure des coûts en amont de la chaîne d’approvisionnement des aliments (voir le graphique suivant).
Le relâchement des pressions sur les coûts des intrants indique que l’inflation des prix des aliments pourrait encore diminuer
En date de février 2023. Les prix des aliments sont estimés d’après la moyenne pondérée des coûts engagés dans le cadre de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, y compris les importations, la production, le transport et la main-d’œuvre. Sources : Statistique Canada, Haver Analytics, Banque du Canada, RBC GMA
Ventilation de l’inflation élevée
Voyons maintenant une tout autre réflexion au sujet de l’inflation. Un découpage pertinent des données économiques permet de ventiler l’inflation observée aux États-Unis depuis le début de la pandémie. Les trois principales composantes des coûts sont le coût de la main-d’œuvre, les bénéfices des entreprises et « autres » (voir la barre la plus à droite dans le graphique suivant).
Contribution cumulative à l’évolution des prix unitaires aux États-Unis
Au quatrième trimestre de 2022. Les prix unitaires sont calculés pour les sociétés non financières. Sources : Bureau of Economic Analysis des États-Unis, Macrobond, RBC GMA
La conclusion est que la hausse des coûts de la main-d’œuvre explique 51 % de l’augmentation cumulative des prix, la croissance des bénéfices des sociétés, 34 %, le reste étant attribuable à d’autres facteurs. Au départ, cela semble assez surprenant, pour diverses raisons.
Premièrement, à première vue, l’analyse semble négliger des forces exogènes, comme la hausse des prix des produits de base. Mais rappelons que si la hausse des prix des produits de base représente un coût pour une entreprise, elle est une source du revenu pour une autre, de sorte que ses effets se neutralisent. Et dans le cas d’une entreprise qui extrait du sol des ressources naturelles, le coût d’extraction ne change pas quand les prix des produits de base augmentent. Par conséquent, la hausse des prix des produits de base devrait accroître la rentabilité de la première société et avoir un effet plutôt neutre pour les autres sociétés de la chaîne logistique. Autrement dit, l’augmentation des prix des produits de base devrait d’abord se traduire par la bonification des bénéfices des sociétés.
Deuxièmement, il n’est pas intuitif que plus de la moitié de l’augmentation des prix repose sur les coûts de la main-d’œuvre. En fait, les salaires réels n’ont-ils pas diminué ces dernières années ? Si les travailleurs sont moins riches qu’auparavant, comment peuvent-ils être responsables de l’inflation ? Par ailleurs, les salaires n’ont pas entraîné une hausse de l’inflation ; ils n’ont fait qu’augmenter dans son sillage. Dans ce cas, comment peut-on imputer cette situation aux salaires ?
La moitié de l’explication de ce mystère réside dans le fait que les salaires corrigés de l’inflation et de la productivité aux États-Unis sont en fait plus élevés qu’avant la pandémie (voir le graphique suivant). Certes, ils ont chuté pendant une grande partie de 2020, 2021 et 2022, mais seulement après avoir grimpé en flèche au début de 2020. Fait surprenant, les travailleurs semblent avoir été entièrement rémunérés pour l’inflation supplémentaire.
Les salaires corrigés de l’inflation aux États-Unis suivent toujours la tendance d’avant la pandémie
En date de mars 2023. Sources : Bureau of Labour Statistics des États-Unis, Macrobond, RBC GMA
L’autre moitié de l’explication tient au fait que si les salaires n’ont pas suscité la première poussée de l’inflation, ils ont néanmoins augmenté plus rapidement que la normale en réponse à cette poussée, alourdissant la structure de coûts des produits vendus aux consommateurs. Cet exercice d’attribution ne vise pas à jeter le blâme ou à déterminer la causalité. Il montre néanmoins que nous devons surveiller de près non seulement les marges bénéficiaires, mais aussi les salaires pour déterminer la trajectoire future de l’inflation.
Assiste-t-on à un boom des infrastructures aux États-Unis ?
La loi Inflation Reduction Act des États-Unis, promulguée en août 2022, a été l’occasion de mettre en place un vaste éventail de subventions destinées à encourager diverses formes d’investissement dans les infrastructures vertes.
Au cours des neuf mois qui ont suivi, de vastes efforts ont été déployés pour estimer l’effet de cette loi sur la croissance des infrastructures. Les chiffres varient radicalement. Le Congressional Budget Office estime que la loi Inflation Reduction Act entraînera un coût net de 306 milliards de dollars dans l’économie, car les hausses d’impôts dépassent largement les subventions en faveur de l’investissement vert. À l’autre extrême, certains analystes du secteur privé espèrent un essor de 3000 milliards de dollars dans le secteur des infrastructures.
L’effet potentiel de l’Inflation Reduction Act sur l’ensemble de l’économie américaine est important, mais pas aussi radical que ce que le chiffre de 3 000 milliards de dollars pourrait laisser croire à première vue. En revanche, l’incidence sur les émissions de carbone des États-Unis pourrait être considérable. Ce n’est pas seulement une question de PIB.
Qu’est-ce qui explique une fourchette de prévisions si large que les analystes ne sont pas même d’accord sur le signe qui précède le chiffre ? Il y a deux réponses principales
- Le Congressional Budget Office (CBO) reconnaît que malgré tout, près de 369 milliards de dollars de fonds publics supplémentaires seront injectés dans les infrastructures vertes en conséquence de la loi Inflation Reduction Act. Il n’y a donc pas de désaccord quant au signe si l’on tient compte uniquement de l’aspect des infrastructures.
- Une grande incertitude règne quant à l’ampleur de la stimulation des infrastructures qui résultera de la loi. Le gouvernement ne s’est pas engagé sur une enveloppe globale fixe. Au lieu de cela, il a promis de subventionner certains types d’infrastructures. Si personne ne veut profiter de l’offre du gouvernement, l’effet de stimulation sera nul. À l’inverse, certains analystes pensent que l’adoption des subventions sera trois fois plus importante que ce que prévoit le gouvernement. Cela triple la stimulation.
D’autre part, les sociétés du secteur privé devront engager des dépenses si elles souhaitent être admissibles à ces crédits. Nous pouvons estimer, dans une mesure raisonnable, que pour bénéficier d’un dollar de dépenses publiques le secteur privé aura besoin de dépenser environ 1,50 $. Ainsi, les 369 milliards de dollars de dépenses publiques estimés par le CBO deviennent 922 milliards de dollars. Et si l’adoption des subventions s’avère trois fois plus importante que ce qu’imagine le CBO, le total atteint 2 767 milliards de dollars.
Mais le calcul est faussé, car une partie des fonds privés aurait de toute façon été dépensée, soit dans des projets verts, soit dans des infrastructures plus polluantes. Si nous considérons que la moitié de la part du secteur privé aurait été dépensée de toute façon et que le multiplicateur économique de ces dépenses supplémentaires en infrastructures (publiques et privées, combinées) est proche de 1,0, le chiffre réel s’élève alors à 1 940 milliards de dollars. Le multiplicateur de 1,0 est faible sur le plan de la stimulation des infrastructures, mais n’oublions pas que certaines infrastructures en cours de construction n’améliorent pas la productivité autant qu’elles le devraient en théorie, puisqu’elles remplacent des centrales électriques et des véhicules qui sont parfaitement efficaces, quoique polluants.
Cependant, il nous manque encore trois facteurs :
- N’oublions pas le poids économique des hausses d’impôts. Si nous en tenons compte, il nous reste une stimulation de 1 260 milliards de dollars.
- L’argent sera probablement déployé sur une décennie. Cela représente 126 milliards de dollars de plus par année pour l’économie.
- Souvenons-nous que ces 126 milliards de dollars représentent le haut de la fourchette des estimations. Si nous refaisons tous les calculs à partir du chiffre initialement établi par le CBO pour les infrastructures, nous nous retrouvons avec une légère baisse de 3 milliards de dollars par année sur une base nette.
Par conséquent, la loi Inflation Reduction Act devrait ajouter entre 0,0 % et 0,5 % à la production économique américaine chaque année au cours des dix prochaines années. Mathématiquement, cela signifie jusqu’à 0,5 point de pourcentage de croissance supplémentaire la première année, puis neuf années de croissance inchangée, et enfin une dixième année où la croissance de l’économie serait inférieure de 0,5 point de pourcentage à la normale, à mesure de la disparition des mesures de stimulation.
En d’autres termes, l’effet potentiel sur l’ensemble de l’économie américaine est important, mais pas aussi radical que ce que le chiffre de 3 000 milliards de dollars pourrait laisser croire à première vue. En revanche, l’incidence sur les émissions de carbone des États-Unis pourrait être considérable. Ce n’est pas seulement une question de PIB.
Enfin, le programme d’infrastructure américain incite maintenant de nombreux pays à mettre en place leurs propres programmes de subventions vertes. Ainsi, l’essor net de l’économie en dollars à l’échelle mondiale pourrait être beaucoup plus important que la hausse de l’économie aux États-Unis.
Vous aimeriez connaître d’autres points de vue d’Eric Lascelles et d’autres dirigeants avisés de RBC GMA ? Vous pouvez lire leurs réflexions dès maintenant.