Aperçu
- Les marchés financiers ont opéré un rebond impressionnant au cours de la semaine dernière et se comportent comme si l’inflation ne demeurera pas problématique.
- Les dommages économiques causés par la guerre en Ukraine semblent s’être aggravés.
- Les dernières données confirment la faiblesse de l’économie et le pessimisme risque d’exacerber les diverses difficultés réelles de l’économie.
- L’inflation est encore forte et problématique, mais elle suscite des craintes un peu moins vives qu’auparavant, car les produits dont les prix ont augmenté les premiers commencent à se stabiliser à mesure que les attentes fléchissent.
- Le risque de récession demeure élevé, mais le recul des préoccupations entourant l’inflation l’atténue quelque peu.
- Les dividendes de la paix qui ont contribué à la croissance des trois dernières décennies sont maintenant perdus. Ce changement a diverses répercussions légèrement négatives.
- L’économie de la Chine pourrait être sur le point de se stabiliser, grâce à l’assouplissement des restrictions et à la mise en œuvre de mesures de stimulation.
Signes d’inversion du marché
De toute évidence, une inflation élevée et croissante est néfaste pour la plupart des investissements traditionnels. Elle tire les taux des obligations vers le haut (et leurs prix vers le bas). Elle nuit habituellement au marché boursier, car les bénéfices futurs perdent de la valeur en raison de la hausse des taux d’actualisation. Dans ce contexte, les actions et les obligations peuvent se déprécier en même temps, une situation qui plombe les portefeuilles de placement.
Fait encourageant, cette dynamique est de moins en moins prononcée. Au cours des dernières semaines, les deux catégories de titres ont évolué dans des directions opposées pendant de longues périodes. Ainsi, les taux obligataires ont nettement chuté (les prix ont augmenté), tandis que le marché boursier a aussi perdu du terrain. Cela laisse entendre que les marchés s’inquiètent un peu moins de l’inflation structurelle élevée, même s’ils redoutent davantage une récession. Bien que les récessions n’aient rien de réjouissant, elles sont préférables à une inflation structurellement élevée.
Récemment, les actifs à risque, comme les actions, se sont appréciés, sur fond de déconfinement en Chine et de léger fléchissement des craintes d’inflation (sans que les craintes de récession s’intensifient).
Il n’est jamais facile de prédire l’orientation des marchés. Cependant, il se pourrait bien qu’ils aient rebondi trop fortement. Notre mesure de l’appétit pour le risque continue de signaler un risque de récession important (voir le graphique suivant).
L’appétit pour le risque des investisseurs est plombé par les craintes d’inflation et l’opération militaire russe
En date d’avril 2022. Les mesures de l’appétit pour le risque sont fondées sur 45 données normalisées. La zone ombrée représente une récession. Sources : Bloomberg, BofA ML, Consensus Economics, Credit Suisse, Federal Reserve Bank de Philadelphie, NedDavis, Haver Analytics, RBC GMA.
Le déclin du marché boursier depuis le début de 2022 s’explique par la réévaluation de la juste valeur du secteur de la technologie et par une baisse généralisée des valorisations vers un niveau proche de la moyenne historique. Cependant, le marché n’a pas encore pris en compte l’incidence considérable du ralentissement économique sur les bénéfices des sociétés. Les bénéfices publiés pour le dernier trimestre restent robustes et, jusqu’à présent, les analystes n’anticipent pas d’impact majeur pour l’avenir.
Les marges des sociétés sont également menacées. Au cours des dernières décennies, leur expansion a semblé illimitée, ce qui explique en grande partie le rendement supérieur du marché boursier par rapport à l’ensemble de l’économie. Jusqu’à récemment, les entreprises répercutaient la hausse des coûts des intrants sur leur clientèle. Cependant, les consommateurs se montrent de plus en plus réticents à effectuer des achats discrétionnaires et optent plus souvent pour des marques d’entrée de gamme. Les marges pourraient donc se trouver sous pression pendant le reste du cycle.
Par conséquent, nous prenons un peu moins de risque dans nos placements qu’en 2021, même si le marché a repris de la vigueur la semaine dernière.
La taxe de l’inflation
Petite remarque qui illustre à quel point il est difficile de gagner de l’argent dans un contexte d’inflation élevée : même si le marché boursier gagnait 10 % au cours de l’année à venir, ce qui n’est pas mal du tout, moyennant un taux d’inflation de 8 % et un taux d’imposition de 25 %, le rendement corrigé de l’inflation serait de -0,5 % ! À moins d’avoir des placements qui génèrent des rendements annuels nominaux supérieurs à 10 %, vous ne vous enrichissez pas en ce moment.
Hélas, il n’est pas facile d’échapper à cette taxe de l’inflation. Le résultat serait encore pire avec tout placement qui rapporte moins de 10 % ou avec des instruments dont le traitement fiscal est moins favorable que celui des actions.
Néanmoins, on peut déterminer les gagnants et les perdants, en théorie, d’un contexte d’inflation élevée.
Les perdants sont :
- L’économie dans son ensemble
- Ceux qui empruntent à un taux variable
- Les entreprises ayant un faible pouvoir d’établissement des prix
- Les retraités qui ont un revenu fixe
- Les investisseurs en obligations à long terme
Inversement, les gagnants comprennent :
- Les placements dans les actifs réels, comme l’immobilier ou les métaux précieux (bien que ni l’un ni les autres ne semblent particulièrement bien placés pour profiter pleinement de ce cycle)
- Les producteurs de ressources
- Les entreprises ayant un fort pouvoir d’établissement des prix
- Les retraités qui reçoivent des prestations indexées
- Ceux qui empruntent à un taux fixe
Le marché boursier se situe quelque part au milieu. Il bénéficie d’une croissance nominale plus rapide des bénéfices et de la capacité d’augmenter les prix en réponse à des coûts plus élevés. En revanche, il pâtit d’un déclin des valorisations attribuable aux taux d’actualisation plus hauts.
Le point sur la guerre en Ukraine
Sur le plan militaire, la Russie continue d’avancer progressivement dans l’est de l’Ukraine. Les analystes gonflent l’importance des diverses petites victoires de l’Ukraine et la balance pourrait encore pencher en faveur de ce pays, auquel les États-Unis ont promis une aide de 40 milliards de dollars, tandis que les armes russes se dégradent peu à peu. Néanmoins, le vent n’a pas encore tourné.
Les chances d’un cessez-le-feu d’ici décembre 2022 restent faibles ; les marchés estiment cette probabilité à 17 %. En fait, les sanctions et les restrictions commerciales sont plus susceptibles d’augmenter que de diminuer. Plus précisément, l’approvisionnement en pétrole et en gaz naturel russes pourrait encore diminuer.
Fissure dans la détermination de l’Occident
La détermination de l’Occident à l’égard de la Russie commence à se fissurer. Après que la Russie eut fermé les pipelines qui acheminent son gaz naturel à la Pologne et à la Bulgarie, probablement pour semer la discorde, la Bulgarie s’est entendue directement avec la Russie, sans passer par l’Union européenne (UE), pour reprendre les importations.
Les efforts de l’UE pour interdire les importations de pétrole russe ont échoué après que la Hongrie eut refusé de coopérer et que la Slovaquie eut exprimé ses préoccupations. Un accord demeure possible moyennant certaines exclusions.
Par ailleurs, la Turquie s’oppose à ce que la Finlande et la Suède deviennent membres de l’OTAN. On finira peut-être par l’amadouer, mais reste que l’Occident est désormais divisé au sujet de la Russie.
Alors que la guerre en Ukraine ne fait plus la une des journaux, les gouvernements pourraient bien être moins enclins à la financer, ce qui confère un avantage supplémentaire à la Russie.
Marchandises
Nous continuons de signaler des risques de hausse des prix de l’énergie. En théorie, le fait qu’il manque 2 millions de barils de pétrole par jour sur le marché pourrait justifier un prix nettement plus élevé à l’avenir. Même si cette hausse ne se matérialisait pas, les raffineries américaines sont suffisamment sollicitées par la reconfiguration du marché mondial pour que les prix de l’essence grimpent encore sensiblement aux États-Unis.
En ce qui concerne le gaz naturel, les risques se situent aux deux extrémités des pipelines. L’Occident tente de se passer du gaz russe, tandis que la Russie a fermé plusieurs robinets. L’Ukraine a abaissé le flux de certains gazoducs qui la traversent. Le gaz naturel pourrait donc se faire rare de différentes façons.
Les données reflètent une décélération économique
Les données économiques continuent de s’essouffler, comme nous l’avons souligné dans notre précédent MacroMémo. Nos prévisions de croissance restent plus modestes que les prévisions générales, alors que ces dernières ont décliné le mois dernier pour la plupart des pays.
L’indice des surprises économiques de Citigroup a plongé en territoire négatif en ce qui concerne les États-Unis, et il connaît une chute rapide parmi les pays du G10 (voir le graphique suivant). Autrement dit, les données économiques sont à la traîne par rapport aux attentes, après avoir régulièrement surpassé les prévisions pendant la première partie de l’année.
Les surprises économiques plongent à l’échelle mondiale, et les États-Unis sont en territoire négatif
Au 25/05/2022. Sources : Citigroup, Bloomberg, RBC GMA
Un certain nombre de détaillants commencent à faire état d’une plus grande prudence dans le comportement des consommateurs. Walmart a annoncé des bénéfices décevants, et constaté un tassement de ses marges bénéficiaires. Walmart aussi bien que Target ont fait remarquer que les acheteurs se reportaient sur les biens ménagers essentiels, en s’écartant des dépenses discrétionnaires. C’est un signe que les consommateurs se laissent gagner par le stress lié à l’inflation élevée. Dans le même ordre d’idée, selon une série de détaillants et de fabricants, les consommateurs se rabattent sur les marques moins chères en raison de la hausse des coûts.
L’appétit pour les articles coûteux est en baisse depuis un certain temps, et il continue de diminuer. Force est tout de même de reconnaître qu’un sondage à ce sujet a fait ressortir une aversion modérée pour ce type d’articles au cours de la pandémie, même si les dépenses réelles ont affiché une certaine vigueur pendant la majeure partie de la période.
Choc négatif de la confiance
La montée des coûts d’emprunt, conjuguée à la hausse des factures de combustible et d’épicerie, fait du mal aux porte-monnaie. Ces hausses ont également assombri les indicateurs de confiance.
La confiance des entreprises s’est effondrée, d’après l’indice de confiance des chefs d’entreprise publié par le Conference Board, qui est passé sans transition du niveau robuste observé les deux derniers trimestres à un niveau faible au deuxième trimestre de 2022. Il y a maintenant plus de réponses négatives que de réponses positives, et elles sont particulièrement négatives en Europe.
Les entreprises ont déjà considérablement revu à la baisse leurs plans de constitution de stocks. Le risque le plus évident est qu’elles coupent aussi dans leurs plans d’embauche et de dépenses en immobilisations, décisions qui auraient de lourdes retombées sur les perspectives économiques. Le taux d’embauche des États-Unis s’est légèrement replié au cours des derniers mois, tandis que les demandes d’assurance-chômage hebdomadaires ont commencé à remonter (voir le graphique suivant).
Les demandes d’assurance-chômage commencent à monter aux États-Unis, bien qu’elles demeurent proches de leurs niveaux d’avant la pandémie
En date de la semaine se terminant le 21 mai 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : Département américain du Travail, Haver Analytics, RBC GMA
La confiance des consommateurs a aussi été touchée, ce qui s’est traduit par un changement dans le comportement des consommateurs. La question est de savoir dans quelle mesure les consommateurs malmenés choisiront de faire grève des achats, en suspendant leurs dépenses d’articles discrétionnaires jugés « trop chers » au vu de l’inflation galopante, ou par crainte de futures pertes d’emploi, même si techniquement ils ont suffisamment d’argent pour acquérir ces articles.
Un vent de changement souffle sur le marché du logement
Dans le contexte de la montée des taux, le secteur le plus sensible aux taux d’intérêt commence inévitablement à perdre de la vitesse. Aux États-Unis, les ventes de logements neufs ont cédé 17 % en avril. Le taux des ventes est maintenant en dessous des niveaux d’avant la pandémie, après une longue période d’activité soutenue (voir le graphique suivant). Pour l’heure, les mises en chantier se maintiennent (voir le graphique ci-après).
Les ventes de logements neufs ont baissé aux États-Unis, après le pic initial lié à la pandémie
En date d’avril 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : Census Bureau des É.-U., Macrobond, RBC GMA
Les mises en chantier sont demeurées robustes aux États-Unis pendant la pandémie
En date d’avril 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : Census Bureau, Macrobond, RBC GMA
Les conditions du marché canadien du logement commencent aussi à se retourner, y compris dans les quartiers périphériques de Toronto qui annoncent des prix plus bas.
Autres tendances
Plusieurs autres tendances économiques méritent d’être mises en avant.
Le premier point est que l’indice d’activité économique hebdomadaire de l’Allemagne semble rebondir, après un épisode difficile pendant la première phase de la guerre en Ukraine (voir le graphique suivant). Il reste à savoir si cette tendance est durable. Nous pensons que non.
Indice hebdomadaire de l’activité économique Deutsche Bundesbank
Données pour la semaine se terminant le 22 mai 2022. L’indice hebdomadaire de l’activité estime le taux de croissance de l’activité économique corrigé de la tendance, en comparant la moyenne des 13 dernières semaines avec la moyenne des 13 semaines précédentes. Sources : Deutsche Bundesbank, Macrobond, RBC GMA
Enfin, les demandes de créations d’entreprises américaines cèdent du terrain, bien que la base de comparaison soit extrêmement exigeante (voir le graphique suivant). Il n’y a probablement pas lieu de s’inquiéter, étant donné que l’esprit entrepreneurial reste environ deux fois plus élevé qu’avant la pandémie. La poussée des demandes de créations d’entreprises pendant la pandémie n’a pas d’explication tout à fait claire. Parmi les explications avancées, nous pouvons citer le fait que la société a été tellement remaniée pendant la pandémie que de nombreuses nouvelles occasions commerciales sont apparues ; que tant d’entreprises ont fait faillite qu’il y a eu de la place pour de nouvelles entreprises ; que beaucoup de personnes ont perdu leur emploi pendant la pandémie et que certaines sont devenues entrepreneuses ; ou que les aides financières gouvernementales ont été si généreuses que les personnes ont eu les moyens financiers de créer des entreprises.
Baisse des demandes de créations d’entreprises, mais d’un niveau très élevé
Données en date de semaine se terminant le 7 mai 2022. Moyenne mobile sur un an. Sources : Census Bureau des É.-U., Macrobond, RBC GMA
Atténuation des craintes liées à l’inflation
L’inflation reste extrêmement élevée et est donc plutôt préoccupante. Le taux d’inflation en Europe a récemment rattrapé celui des États-Unis ; il oscille autour de 8 %, et la plupart des données sur l’inflation demeurent supérieures aux prévisions générales.
Cela dit, nous sommes peut-être un peu moins inquiets qu’il y a quelques semaines. En effet, plusieurs facteurs qui ont contribué à la hausse de l’inflation commencent à reculer, ou semblent sur le point de le faire.
Les prix des voitures – et plus particulièrement ceux des voitures d’occasion – ont grimpé en flèche au cours des deux dernières années. Ils commencent enfin à diminuer (voir le graphique suivant), bien qu’ils soient encore loin de leurs niveaux d’avant la pandémie.
Les prix des véhicules commencent à diminuer aux États-Unis
Données en avril 2022. Sources : Bureau of Labour Statistics des États-Unis (BLS), Macrobond et RBC GMA.
Les pressions inflationnistes attribuables aux coûts des logements devraient s’atténuer à mesure que les prix des maisons retomberont.
Le fait que les consommateurs modifient leurs habitudes d’achat et optent pour des marques moins chères démontre une certaine sensibilité à l’égard des prix, ce qui signifie que le pouvoir de fixation des prix des entreprises est susceptible de diminuer. Les entreprises perdront des clients si elles continuent de hausser leurs prix au rythme où elles le font actuellement.
Les anticipations d’inflation ont enfin commencé à fléchir, en grande partie parce que le resserrement de la politique monétaire a largement été pris en compte par le marché (voir le graphique suivant). Il s’agit là d’un développement utile, puisque les attentes peuvent se concrétiser d’elles-mêmes.
Les anticipations d’inflation sont élevées aux États-Unis, mais commencent à diminuer
Au 25 mai 2022. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Le taux de croissance des salaires pourrait aussi commencer à ralentir aux États-Unis ; c’est du moins ce que révèle l’examen de la variation sur trois mois en pourcentage (voir le graphique suivant). Cette situation va à l’encontre de la théorie, étant donné le resserrement du marché du travail et l’intensité de l’inflation, et pourrait donc se révéler temporaire. Cela dit, la tendance pourrait se maintenir si l’embauche continue à ralentir au cours des prochains mois.
Ralentissement possible de la croissance des salaires aux États-Unis
Données en avril 2022. Sources : BLS, Macrobond, RBC GMA
Un relâchement notable des mesures de confinement en Chine – comme nous le verrons plus loin dans le présent rapport – pourrait avoir pour effet d’améliorer considérablement les chaînes logistiques et de réduire les pressions exercées sur l’inflation.
Enfin, la décélération de l’économie mondiale devrait également atténuer les pressions inflationnistes.
Cela ne veut pas dire que les arguments en faveur d’une baisse de l’inflation sont irréfutables – simplement qu’ils sont solides. Les pressions inflationnistes ne sont pas pour autant près de s’essouffler. L’inflation n’émane plus seulement des voitures, des maisons et des vélos. Les prix de certaines denrées alimentaires qui semblent ne pas être liées à l’Ukraine ou à la Russie, comme le café et les agrumes, grimpent en flèche (voir le graphique suivant). C’est le cas également de plusieurs services qui ne semblent pas être particulièrement en demande, comme le nettoyage à sec (voir le graphique suivant).
Montée en flèche de l’inflation des aliments aux États-Unis, notamment des agrumes et du café
Données en avril 2022. Sources : BLS, Macrobond, RBC GMA
Les coûts de la lessive et du nettoyage à sec aux États-Unis augmentent aussi
Données en avril 2022. Sources : BLS, Macrobond, RBC GMA
Comme nous l’avons vu plus haut, il est possible que les prix de l’énergie continuent d’augmenter, pour trois grandes raisons :
- Les perspectives de restrictions plus sévères qui pourraient être imposées à la Russie
- La production rigoureuse d’autres producteurs d’énergie
- Le marché du pétrole était déjà serré avant la guerre russe
Par ailleurs, les problèmes liés à la chaîne logistique demeurent intenses et s’avèrent plus difficiles à résoudre que prévu.
Alors même que la demande de biens diminue, la demande de services augmente. Les pressions inflationnistes pourraient donc s’intensifier à leur égard, d’autant plus que le secteur des biens s’est déjà approprié une grande partie de la main-d’œuvre disponible.
Encore une fois, l’orientation à la hausse des risques d’inflation est maintenant moins marquée. Il n’est toutefois pas certain que l’inflation diminuera en douceur à partir de maintenant, malgré plusieurs signaux favorables.
Réflexions sur le risque de récession
Le risque d’une récession au cours des prochaines années est considérable, s’établissant à son plus haut niveau depuis un certain temps. Il s’agit d’ailleurs d’un sujet dont nous avons discuté en détail dans des numéros récents du MacroMémo (voir ici et ici).
Cela étant dit, il est tout à fait possible que l’expansion économique se poursuive au cours des prochaines années, même si cela nécessitera un peu de chance. Il faudrait en effet que l’inflation diminue plus vite que prévu, peut-être à cause d’une amélioration rapide des chaînes logistiques ou d’une résolution plus rapide de la guerre en Ukraine. Ou encore, il faudrait que l’économie bénéficie d’un nouvel essor, dans la foulée par exemple d’un regain d’énergie de l’économie chinoise.
Nous observons plusieurs indicateurs de récession contradictoires ces derniers temps.
Selon les petites entreprises, l’inflation est plus problématique aujourd’hui qu’elle ne l’avait été depuis le début des années 1980 (voir le graphique suivant). Cela porte à croire que le secteur commercial commence à en ressentir les effets, qui pourraient rapidement se transmettre au reste de l’économie par le biais des décisions d’embauche et d’investissement.
Une inflation de plus en plus problématique
Données en janvier 2022. La zone ombrée représente une récession. Sources : Étude économique menée par la NFIB auprès des PME, Haver Analytics, RBC GMA
Les taux des obligations à long terme ont chuté au cours du dernier mois. Les taux à court terme continuent de progresser dans le contexte de hausse des taux et la courbe de rendement de 3 mois à 10 ans commence à s’aplatir, ce qui est révélateur d’une augmentation du risque de récession.
Les banques centrales s’attendent certainement à ce que leurs efforts visant à juguler l’inflation nuisent à l’économie. Aux États-Unis, le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, estime qu’une baisse de l’inflation ne se fera pas sans douleur, tandis que l’ancien président de la Réserve fédérale de New York, Bill Dudley, soutient qu’une récession est inévitable si l’inflation est retirée du système. La Banque d’Angleterre prédit explicitement une récession au Royaume-Uni en 2023.
À l’inverse, un examen plus approfondi des cycles historiques indique que les récessions ne suivent pas nécessairement tous les cycles de resserrement de la politique monétaire. En effet, dix des treize derniers cycles de resserrement aux États-Unis (77 %) sont associés à une récession survenue au cours des années qui les ont suivis (voir le graphique suivant).
Les cycles de resserrement de la politique monétaire américaine sont associés à une récession
Données en avril 2022. Les récessions sont illustrées en gris.
Il y a cependant des nuances importantes à apporter :
Le resserrement monétaire n’est sans doute pas l’unique cause derrière toutes ces récessions. À tout le moins, il est évident que la récession provoquée par la pandémie en 2020 n’a rien à voir avec le cycle de resserrement des années précédentes. Et peut‑on affirmer que la récession de 2008-2009 était principalement attribuable au resserrement de 2004-2006, vu le nombre d’années qui les séparent et les piètres pratiques de prêt et d’emprunt qui étaient alors en vigueur ?
La liste est longue. Les optimistes pourraient dire que sur les treize cycles de resserrement, seulement sept ont entraîné une récession. C’est donc 54 % des cycles, ce qui revient pratiquement à tirer à pile ou face.
Encore mieux : des six derniers cycles de resserrement, seulement un a certainement provoqué une récession. Il y a d’autres explications plausibles pour toutes les autres (quoique le resserrement est probablement responsable en partie). Alors, les optimistes extrêmes peuvent affirmer que de nos jours, le risque qu’une récession soit causée par un cycle de resserrement n’est que de 17 %. Cependant, il y a tant d’obstacles économiques et de signes de récession que le risque est sûrement plus élevé.
D’un autre côté, notons qu’une récession a eu lieu chaque fois qu’un cycle de resserrement a été accompagné d’une forte inflation (comme ce fut le cas de la fin des années 1960 au début des années 1980).
Par ailleurs, ce serait faux de maintenir que le cycle de resserrement de 2016-2019 a permis d’éviter une récession. On ne le saura jamais : la pandémie s’est mise en travers du chemin. Avant son arrivée, les indicateurs laissaient croire de plus en plus à une fin de cycle, les courbes de taux étaient en train de s’inverser, et ainsi de suite.
Au lieu d’essayer d’attribuer une cause précise à chaque récession, il serait peut-être plus utile de souligner une chose : c’est toute une coïncidence qu’une récession se produise si régulièrement peu de temps après un cycle de resserrement monétaire. En fait, les récessions sont très souvent le résultat d’une surchauffe dans des secteurs particuliers, et il se trouve que les banques centrales ont tendance à resserrer leurs politiques en période de surchauffe. C’est pourquoi il est raisonnable d’anticiper une impasse quelque part dans l’économie lors d’un cycle de resserrement monétaire. Mais rien ne le garantit à 100 %, surtout à notre époque.
Hypothèses concernant le début d’une récession
Si une récession est imminente, quand pourrait-elle commencer ? Les possibilités sont assez variées. Compte tenu de l’optimisme décroissant, il serait réaliste d’envisager une récession dès la fin de l’été, à condition que les choses se détériorent grandement au cours des prochains mois.
À l’autre bout du spectre, il se peut qu’on ne voie pas de récession survenir avant le milieu de l’année 2023. Il faut généralement un an ou deux pour qu’un cycle de resserrement monétaire entraîne une récession.
Hypothèses concernant l’ampleur de la récession
Cette récession serait-elle superficielle ou profonde ? Il n’est pas facile de répondre à cette question non plus : les deux sont possibles. Mais il est tout de même utile d’examiner les deux possibilités.
Cette hypothétique récession pourrait être plus grave qu’à l’habitude pour plusieurs raisons. Le cycle de resserrement monétaire actuel est plus vigoureux que les autres, et il est moins probable que les banques centrales réduisent les taux pour atténuer la récession, s’il y en a une. Les récessions légères du passé n’ont pas toujours réussi à combattre une inflation structurellement élevée – il faudrait peut-être que le repli économique soit plus marqué. Par ailleurs, les économies ont sans doute largement dépassé leur capacité. On ne le voit pas officiellement dans les estimations d’écarts de production ni même dans les taux de chômage, mais le nombre de postes vacants et de démissions nous donne bel et bien cette impression. Une récession légère pourrait à peine ramener les économies à leur niveau de production potentiel, et ne suffirait donc pas à calmer l’inflation. Enfin, il y a tellement de freins à la croissance actuellement qu’une récession profonde est tout à fait possible.
D’un autre côté, il se peut qu’on ait affaire à une récession superficielle. La raison principale (et elle est importante), c’est que l’économie n’a pas énormément d’excès à éliminer à l’heure actuelle. Aucune crise financière en vue ni bulle technologique sur le point d’éclater. Tout ce qu’il faut, c’est un changement d’attitude envers l’inflation.
Pour conclure cette réflexion, nous tenons à souligner encore une fois que même si le risque de récession est indéniablement élevé, rien n’est encore certain.
Les banques centrales poursuivent leur resserrement
Le resserrement des banques centrales d’Amérique du Nord progresse actuellement quatre fois plus vite que la normale, environ. Elles qui avaient l’habitude de pratiquer des hausses de 25 points de base toutes les deux réunions relèvent actuellement les taux de 50 points lors de chaque réunion.
La Banque du Canada devrait augmenter le taux de 50 points de base supplémentaires cette semaine et effectuer une hausse similaire au cours de l’été. Les prévisions sont les mêmes aux États-Unis, avec deux semaines de décalage. Des mesures de resserrement quantitatif sont également en cours.
La Banque centrale européenne fait figure de retardataire dans l’actuel cycle de resserrement monétaire, mais elle a finalement annoncé qu’elle commencerait à relever les taux d’intérêt au cours de l’été. Cette décision a été particulièrement épineuse, puisqu’en raison de la guerre en Ukraine, la zone euro est aux prises avec des pressions inflationnistes extrêmes d’un côté et subit le plus gros des dommages économiques de l’autre. Or, ces problèmes exigent des solutions monétaires opposées. Pour l’instant, cependant, c’est l’inflation qui accapare l’attention en nécessitant une hausse des taux d’intérêt.
L’orientation de la politique monétaire de la zone euro revêt peut-être plus d’importance qu’on le croit généralement, et ce, pour plusieurs raisons :
- L’économie de la zone euro est à peine inférieure à celle des États-Unis – par conséquent, la politique monétaire européenne compte.
- La zone euro gagnerait sans doute à s’extirper de l’ornière des taux d’intérêt négatifs dans laquelle elle est restée pendant la majeure partie de la dernière décennie. La situation a créé diverses distorsions et grandement compliqué les choses pour les investisseurs étant donné que 30 % des obligations dans le monde étaient assorties de taux de rendement négatifs. Il n’y en a plus que 5 % (voir le graphique suivant), rien que sous l’effet des attentes de hausse des taux.
La proportion d’obligations assorties de taux négatifs a fortement diminué
Au 23 mai 2022. Pourcentage d’obligations de l’indice global d’obligations mondiales Bloomberg Barclays qui sont assorties de taux négatifs. Sources : Bloomberg, RBC GMA
- Les achats d’obligations de la Banque centrale européenne (BCE) ont eu pour effet de comprimer les écarts de taux des obligations d’État des pays européens périphériques. La fin de ce programme signifie que les coûts d’emprunt dans des pays comme la Grèce et l’Italie pourraient augmenter davantage que dans d’autres pays. Certains indicateurs pointent déjà en ce sens (voir le graphique suivant). Le risque d’une crise de la dette souveraine semble raisonnable, mais il n’est plus nul.
L’écart de taux entre obligations allemandes et obligations des pays périphériques de la zone euro se sont élargis en raison des craintes liées aux hausses de taux
Au 27 mai 2022. Écarts de taux entre obligations d’État à 10 ans des pays périphériques de la zone euro et celles de l’Allemagne. Sources : Macrobond, RBC GMA.
- La quête de rendement en revenu pendant la période d’extrême faiblesse des taux d’intérêt a provoqué la fuite de milliers de milliards de dollars hors de la zone euro vers des obligations procurant des rendements plus élevés. Les flux financiers ont donc été importants, mais cela a aussi contribué à la diminution des taux obligataires dans d’autres marchés, étant donné que la demande surpassait l’offre. Certains de ces flux et de ces effets commencent à s’inverser.
Perte des dividendes de la paix
Parlons à présent du vieux concept de « dividendes de la paix », au moment où les pays occidentaux doivent payer le prix d’une nouvelle confrontation avec la Russie et, dans une moindre mesure, la Chine.
Les dividendes de la paix désignent les retombées économiques et sociales positives engrangées après la fin de la guerre froide. Les plus évidentes ont été la possibilité pour les pays de réaffecter leurs dépenses militaires à d’autres domaines – le traditionnel débat entre nourrir ou armer – ou de réduire leurs déficits budgétaires. Les économies ont profité du fait que les emprunts et les dépenses destinés à la défense ont cessé de reléguer d’autres objectifs au second plan.
Les dividendes de la paix comprennent aussi l’essor du commerce et de la mondialisation une fois que les pays ont pu développer des relations plus fructueuses. Les cliques internationales se sont dissoutes, la confiance entre nations a augmenté, les transferts technologiques se sont accrus et la souffrance humaine a diminué. Avec un certain décalage, les taux d’alphabétisation et l’espérance de vie ont augmenté après la fin de la guerre froide dans les pays du bloc de l’Est, et les taux de mortalité infantile ont chuté.
À présent, cette dynamique fait marche arrière. Les dividendes de la paix ont été perdus à cause des actions récentes de la Russie, mais aussi en raison de l’antagonisme croissant entre la Chine et l’Occident.
Le Fonds monétaire international (FMI) a analysé l’effet des dépenses militaires sur l’ensemble de l’économie. Quand les dépenses militaires augmentent, les répercussions sur l’économie sont à peu près neutres au cours des cinq premières années, cette hausse étant compensée par des réductions ailleurs. Par la suite, le contrecoup de la hausse est négatif et pèse légèrement sur l’économie. À long terme, les pays membres de l’OTAN devront sans doute accroître leurs dépenses militaires, d’environ 1,5 % du PIB à la cible de 2,0 % ; la taille de leur économie pourrait alors diminuer de 0,3 point de pourcentage comparativement à ce qu’il en serait autrement.
C’est peu, mais c’est plutôt paradoxal, puisque les gouvernements envisagent d’augmenter les dépenses et non de les réduire. L’étude sous-estime sans doute le coût économique total de la perte des dividendes de la paix, en omettant de tenir compte des dommages directs que les sanctions et la réorganisation des chaînes logistiques, entre autres, entraînent pour la mondialisation.
Nous avons parlé des enjeux de la mondialisation dans un article publié à la mi-avril. En revanche, les périodes de forte inflation du milieu du 19e siècle et des années 1970 ont été suivies par une intensification de la mondialisation, les entreprises cherchant désespérément à limiter la hausse de leurs coûts. Cela paraît optimiste dans le contexte actuel de tensions géopolitiques. Cette éventualité pourrait toutefois se produire et vaut la peine d’être prise en considération.
La Chine en voie de stabilisation ?
Le nombre des cas de COVID-19 est retombé de ses sommets à l’échelle mondiale et cette tendance devrait se poursuivre cet été (voir le graphique suivant). Par contre, il est impossible de savoir ce que l’avenir nous réserve en matière de variants.
Les cas de COVID-19 et les décès causés par la COVID-19 dans le monde ont diminué
Au 29 mai 2022. Sources : Our World in Data, Macrobond, RBC GMA
À l’inverse, la Chine a éprouvé des difficultés importantes à endiguer la COVID-19 au cours des derniers mois (voir le graphique suivant). Le nombre de cas n’était pas particulièrement élevé en valeur absolue, mais il l’était selon les normes chinoises, le pays étant déterminé à suivre sa politique de tolérance zéro. Les cas d’infection en Chine ont considérablement reculé depuis. Les autorités semblent désormais contrôler la situation à Shanghai après une longue période de confinement et les mesures sont maintenant assouplies. Contre toute attente, Beijing a réussi à refouler les variants BA.2, BA.4 et BA.5 très contagieux qui circulent actuellement, grâce en grande partie à une vaste campagne de dépistage.
Les cas de COVID-19 et les décès causés par la COVID-19 en Chine sont en forte baisse
Au 29 mai 2022. Sources : Johns Hopkins University, Macrobond, RBC GMA
Cette politique de tolérance zéro a causé beaucoup de dégâts économiques. En avril, les ventes au détail ont baissé de 11 % d’une année sur l’autre et les ventes d’automobiles, de 47 % ; la production manufacturière a chuté de 2,9 % d’une année sur l’autre, la production industrielle de la région de Shanghai ayant reculé de 14,1 %. L’emploi en Chine a diminué lors de huit des neuf derniers mois. Cela n’est pas si terrible qu’on le pense, le nombre des personnes en âge de travailler étant en déclin perpétuel.
Le repli de la COVID-19 n’entraînera pas de redressement immédiat et automatique de l’économie. Une grande partie des dommages ne découle pas des confinements, mais plutôt de l’extrême prudence des gens qui craignent que la découverte d’un seul cas positif dans leur bureau, dans un centre commercial ou dans leur immeuble de logements entraîne une mise en quarantaine obligatoire immédiate. La COVID-19 pourrait aussi poser des difficultés dans des villes chinoises autres que Shanghai et Beijing.
Toutefois, Beijing prouve qu’une vaste campagne de dépistage (un dépistage tous les trois jours pour toute la population) peut s’avérer efficace. Les responsables politiques adoptent des mesures pour revigorer l’économie. Une autre baisse des taux a été dernièrement annoncée au niveau national ; les autorités municipales de Shanghai ont également dévoilé un plan en 50 points pour relancer l’économie de la ville.
– Avec la contribution de Vivien Lee, d’Andrew Maleki et d’Aaron Ma
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