Webémission mensuelle
Notre webémission mensuelle sur l’économie est maintenant accessible : Le variant Delta régresse, l’économie se remet, mais de nouvelles difficultés émergent. [en anglais seulement]
Aperçu
Le billet de cette semaine porte sur un éventail exceptionnellement varié de sujets. Nous y abordons notamment les conditions défavorables sur les marchés financiers, l’évolution des cas de COVID-19, l’abandon des politiques « zéro COVID-19 », l’évitement d’une paralysie du gouvernement américain et le caractère stagflationniste de notre économie, et faisons le point sur la société chinoise Evergrande. Nous examinons aussi les pénuries au Royaume-Uni, présentons une série de capsules sur le Canada, dont une discussion sur le renouvellement imminent du mandat de la Banque du Canada, et passons en revue la théorie monétaire moderne.
Les développements récents ont été plus positifs que négatifs. Voici les principaux points positifs :
- Les infections à la COVID-19 continuent de diminuer même si la température se refroidit dans l’hémisphère nord.
- La reprise économique se poursuit, bien qu’à un rythme plus lent.
- La situation actuelle ne ressemble guère à une stagflation, malgré des similitudes superficielles.
- Les États-Unis ont assuré le financement de leur gouvernement pour deux mois supplémentaires, évitant ainsi une paralysie.
- La société chinoise Evergrande semble réussir à réunir des fonds en cédant certaines de ses divisions.
On observe toutefois certains points négatifs :
- La situation d’Evergrande est loin d’être entièrement réglée.
- Les interruptions de production au Royaume-Uni demeurent fort préoccupantes.
- Les problèmes liés aux chaînes logistiques mondiales sont toujours irrésolus.
- Les marchés financiers ont été nerveux ces derniers temps, et ont affiché des rendements obligataires plus élevés et des cours boursiers plus bas.
Conditions de marché défavorables
Les marchés financiers ont éprouvé des difficultés ces derniers temps. Le taux des obligations américaines à 10 ans est passé de 1,18 % au début d’août à 1,49 % au début d’octobre en raison de préoccupations à l’égard de l’inflation élevée persistante et du durcissement de ton de la Réserve fédérale. Aux États-Unis, l’indice S&P 500 a pour sa part chuté de 4 % depuis le début de septembre.
Du point de vue de la construction d’un portefeuille, il est regrettable que la corrélation entre les actions et les obligations soit temporairement inversée, ce qui signifie que les deux catégories d’actifs perdent du terrain en même temps.
Une mise en contexte s’impose toutefois.
- Le nouveau niveau des rendements obligataires ne date pas d’hier : les taux de rendement ont en effet été plus élevés tout le printemps et pendant la plus grande partie de l’été.
- Les taux de rendement actuels n’ont en soi rien d’intrinsèquement insoutenable. Nous nous attendions à ce que les taux augmentent, comme ils le font fréquemment durant les périodes de reprise. En fait, nous croyons que les taux pourraient augmenter un peu plus au cours de la prochaine année et atteindre 1,75 % sans conséquences graves. Nous avons en conséquence réduit notre pondération en obligations au cours des derniers mois dans l’espoir de réintégrer le marché une fois que les taux seraient plus intéressants.
- L’inflation élevée est là pour de bon. Par ailleurs, comme nous l’avons écrit la semaine dernière, la problématique des chaînes logistiques devrait persister au cours de la prochaine année. Cela dit, nous ne pensons pas non plus que nous nous trouvons dans une nouvelle ère d’inflation structurellement plus élevée qui exige que nous redéfinissions ce qui constitue un taux d’intérêt neutre ou, par extension, un ratio cours/bénéfice équitable.
- La Réserve fédérale a adopté une position légèrement plus ferme que prévu, et laissé planer la possibilité d’une hausse des taux au cours du deuxième semestre de l’an prochain. Pourtant, il est difficile de soutenir que ce changement d’orientation constitue une erreur de politique. Le resserrement par les banques centrales devrait tout de même survenir beaucoup plus tard que ne le dicterait une fonction de réaction de la politique traditionnelle, et l’économie américaine est sur la bonne voie pour atteindre, voire dépasser, son plein potentiel bien avant qu’un resserrement s’amorce. Il est donc difficile de prétendre que les banques centrales nuisent à la croissance. Au contraire, elles continuent d’accorder une place trop importante à l’inflation.
- Malgré son récent repli, le marché boursier a inscrit des gains impressionnants au cours de la dernière année, et les reculs comme celui qu’il a enregistré ces derniers temps sont fréquents en périodes d’expansion.
- Les craintes récentes du marché – concernant notamment une possible paralysie du gouvernement américain, le problème lié au plafond de la dette et la situation du promoteur immobilier chinois Evergrande – semblent se dissiper plus favorablement que prévu.
Le variant Delta continue de régresser
Heureusement, le nombre d’infections à la COVID-19 dans le monde continue de diminuer (voir le graphique suivant).
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 dans le monde
Au 3 octobre 2021. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
L’amélioration est encore plus impressionnante lorsqu’on considère le nombre de pays qui signalent une augmentation du nombre d’infections (voir le graphique suivant).
Pays signalant une augmentation des nouveaux cas quotidiens de COVID-19
Au 3 octobre 2021. L’évolution du nombre de cas est calculée d’après la variation sur sept jours de la moyenne mobile sur sept jours des nouvelles infections quotidiennes. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Les États-Unis font indubitablement partie des pays en voie d’amélioration (voir le graphique suivant).
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 aux États-Unis
Au 3 octobre 2021. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Au Canada, le nombre de cas commence à diminuer à l’échelle nationale, bien qu’il soit inquiétant – et étonnant – que le nombre de décès se rapproche de celui enregistré au sommet de la vague précédente malgré la diminution des cas quotidiens (voir le graphique suivant). Cela s’explique peut-être simplement par le fait que le variant Delta est plus dangereux que les variants précédents pour les personnes qui contractent le virus.
Cas de COVID-19 et décès causés par la COVID-19 au Canada
Au 3 octobre 2021. Moyennes mobiles sur sept jours du nombre quotidien de nouveaux cas et de décès. Sources : OMS, Macrobond, RBC GMA
Efforts de prévention
Au cours de l’été, nous avons fait valoir que les pays qui avaient adopté des stratégies de tolérance zéro à l’égard des infections à la COVID-19 pourraient regretter leur position en raison de la propagation du variant Delta, qui s’avère difficile à éradiquer. Cette prophétie semble s’être réalisée.
- Le produit intérieur brut (PIB) de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande devrait diminuer au troisième trimestre en raison des dommages causés par les fermetures récentes.
- L’Australie a renoncé à sa stratégie de tolérance zéro à la fin du mois d’août. Pour sa part, la Nouvelle-Zélande a annoncé qu’elle abandonnait ses politiques visant à éradiquer le virus pour en adopter d’autres qui lui permettront plutôt de le contrôler.
Il ne reste donc pratiquement plus que la Chine qui maintienne sa stratégie de tolérance zéro. Cette décision a d’ailleurs eu des répercussions sur son économie : en effet, plusieurs ports et usines ont récemment dû être fermés de façon temporaire à la suite d’une éclosion. Toutefois, contrairement aux autres pays, la Chine ne semble pas avoir l’intention de relâcher sa vigilance. Cela s’explique en partie par le fait qu’elle peut mieux cibler les éclosions en raison des contrôles plus stricts qu’elle exerce sur sa population (comme le confinement d’immeubles à appartements individuels plutôt que de villes entières). Cela lui permet de limiter les dommages économiques. Deuxièmement, ses citoyens ne sont pas en mesure de protester vigoureusement contre les restrictions gouvernementales ou d’aller à l’encontre de celles-ci.
Pour ce qui est du reste du monde, le fait qu’il y ait eu peu de nouveaux confinements malgré la propagation du variant delta est révélateur. La nécessité de rétablir l’activité économique semble prendre le dessus, et la fatigue causée par la pandémie chez les politiciens et dans le public est bien réelle. En toute honnêteté, peu de pays lèvent activement leurs restrictions, et un sondage récent a même révélé que les deux tiers des entreprises avaient reporté leurs plans de retour au bureau prévu pour cet automne. Les mandats de vaccination et les passeports vaccinaux demeurent les façons les plus populaires de limiter la propagation du virus à l’avenir.
Problèmes politiques évités aux États-Unis
Le problème politique le plus pressant aux États-Unis, soit la paralysie imminente du gouvernement au début d’octobre en raison du financement inadéquat, a été évité au dernier moment. Un projet de loi bipartite a prolongé le financement gouvernemental jusqu’au 3 décembre.
Cette mesure a empêché la mise à pied temporaire des employés du gouvernement et la réduction des services non essentiels. Malheureusement, le problème n’a été repoussé que de deux mois au lieu d’un an, comme c’est habituellement le cas.
Les règles relatives au plafond de la dette n’ont pas été levées dans le cadre de cette initiative. En fait, c’est précisément à cause des discussions à cet égard qu’il a fallu tellement de temps pour en arriver à une entente provisoire sur le financement gouvernemental. Cela signifie que le gouvernement américain est toujours en voie d’épuiser sa capacité d’emprunt dès le 18 octobre, date à laquelle le pays ne pourra plus maintenir les mesures extraordinaires déjà en vigueur.
Par ailleurs, les négociations se poursuivent sur un projet de loi d’infrastructure de plusieurs billions de dollars. Les démocrates centristes s’opposent à l’étiquette de prix de 3 500 milliards de dollars, préférant un chiffre compris entre 1 500 et 2 000 milliards de dollars. Une partie de la pression temporelle entourant cet enjeu a récemment été éliminée par la prolongation de 30 jours du financement des routes. Selon nous, il y a de bonnes chances qu’un important ensemble d’infrastructures soit finalement mis en chantier, même si cela risque de prendre un mois ou deux de plus. Bien que les montants avancés soient ahurissants, le projet de loi n’aura pas un effet de stimulation aussi important qu’on pourrait l’imaginer. Une partie de son coût sera compensée par des hausses d’impôt et les dépenses seront réparties sur de nombreuses années.
Pas de stagflation
Le mot « stagflation » a reçu pas mal d’attention ces dernières semaines. La stagflation désigne un environnement indésirable dans lequel la croissance économique est lente et l’inflation, élevée. C’est le pire des deux mondes. Normalement, une croissance lente va de pair avec une inflation jugulée. À l’inverse, une forte inflation est associée à une croissance rapide. Dans les rares cas où la croissance est lente et l’inflation est élevée, le pouvoir d’achat de l’argent s’érode plus rapidement qu’à l’accoutumée. Par contre, les banques centrales n’ont pas la possibilité de revigorer la croissance en baissant les taux d’intérêt, puisqu’elles luttent simultanément contre l’augmentation des prix.
Certains décrivent nos prévisions pour 2022 comme stagflationnistes. En effet, les perspectives de croissance sont légèrement inférieures aux prévisions générales, tandis que celles d’inflation y sont légèrement supérieures.
Par contre, nous ne considérons pas cette situation comme un cas de stagflation. Certes, l’inflation devrait rester élevée au cours de la prochaine année. Cependant, même si la croissance ralentit activement et qu’elle risque de se situer en deçà du consensus, on peut difficilement affirmer qu’un taux réel de près de 4 % est synonyme de stagnation de l’économie. En fait, cela correspond à une croissance extrêmement rapide selon toute autre référence que celle de l’année écoulée.
De plus, l’inflation devrait quelque peu s’atténuer au cours des 12 prochains mois et se rapprocher des niveaux plus normaux dans les années à venir. Les dommages causés par la forte inflation devraient donc être assez limités.
D’un point de vue théorique, il vaut la peine de réfléchir à la source de l’inflation supplémentaire. La stagflation est généralement attribuable à un choc d’approvisionnement négatif. Par exemple, dans les années 1970, l’embargo pétrolier de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a simultanément nui à l’activité économique et contribué à l’augmentation des prix. Il est indéniable qu’un choc d’approvisionnement médian est en train de se produire, compte tenu de la difficulté de fabriquer et d’expédier suffisamment de marchandises. Il s’agit toutefois bien plus d’un choc positif sur la demande, celle à l’égard des biens de consommation étant nettement supérieure à la normale. En gros, réellement, ce qui semble en apparence être un choc de l’offre ne l’est pas. On observe plutôt une augmentation de l’offre, mais celle-ci ne parvient pas à suivre pleinement le rythme de la demande grandissante. Un choc de la demande correspond à la forte croissance et à l’inflation élevée qui se produisent actuellement. Ce n’est pas de la stagflation.
Le point sur la société chinoise Evergrande
Dans notre dernier numéro, nous avons évoqué les malheurs d’Evergrande, un important promoteur immobilier chinois qui croule sous les dettes.
Il semblerait que la société ait maintenant raté un deuxième versement obligataire aux investisseurs étrangers, ce qui confirmerait ses problèmes de liquidités. Le délai de grâce de 30 jours sur ces paiements expire à la fin d’octobre.
Alors qu’elle fait des pieds et des mains pour obtenir des liquidités, la société vend des divisions. Elle s’est d’abord départie de sa participation dans une banque. Elle aurait aussi entrepris des négociations pour vendre sa division de gestion Evergrande Property Services Group. Les opérations en bourse de la société ont été suspendues le temps que la transaction soit finalisée. Cette vente rapporterait plusieurs milliards de dollars – une somme importante, bien qu’insignifiante par rapport à la dette estimée de 300+ milliards de dollars américains.
Si d’autres ventes ont lieu, l’entreprise pourra peut-être continuer à exercer ses activités. Signe prometteur, Evergrande a redémarré la construction sur près de 20 projets.
Néanmoins, il existe toujours un risque que la société soit insolvable, auquel cas elle pourrait devoir être convertie en une forme d’entreprise d’État, qui serait liquidée ou démantelée au fil du temps. Il s’agirait d’une issue plus favorable que l’insolvabilité pour les investisseurs individuels en produits de gestion de patrimoine de la société, les acheteurs qui attendent l’achèvement de la construction de leur propriété et les fournisseurs qui ont des factures impayées.
La semaine dernière, nous avons également abordé le sujet de la répression réglementaire en Chine. Une partie de ces mesures touchent le logement. Par exemple, la Chine a :
- limité l’effet de levier des promoteurs ;
- établi un plafond sur le capital que les banques peuvent allouer aux prêts immobiliers par rapport à d’autres secteurs ;
- imposé provisoirement un prix maximal pour l’admissibilité à une hypothèque dans un marché.
La répression réglementaire est toutefois axée de manière disproportionnée sur les sociétés technologiques et vise à prévenir la formation de monopoles dans ce domaine. L’une de ces initiatives dont nous n’avons pas parlé dans notre article initial est la récente interdiction générale des cryptomonnaies. Ce n’est pas la première fois que la Chine légifère en la matière, puisqu’elle a fermé de nombreuses bourses de cryptomonnaie par le passé. Dorénavant, les opérations en cryptomonnaie et le minage de cryptomonnaie seront illégaux dans le pays. La Chine est un important marché de cryptomonnaies et le plus grand site mondial de minage de bitcoins, ce qui porte un coup dur au secteur.
Nous ne sommes pas surpris de l’attitude de la Chine. En plus de représenter exactement le contraire du modèle du gouvernement centralisé chinois, les cryptomonnaies permettent aux citoyens d’échapper au contrôle des capitaux et de transférer leur patrimoine hors des frontières.
Bien que les obstacles soient moins graves dans les autres marchés, le même problème fondamental existe, à savoir que les cryptomonnaies subtilisent le pouvoir et les recettes fiscales des gouvernements qui ont la capacité de les éliminer.
Pénuries au Royaume-Uni
Si les problèmes d’approvisionnement semblent toucher la planète entière, aucun pays ne souffre autant des pénuries que le Royaume-Uni. Les difficultés causées par la pandémie et les perturbations sur les chaînes logistiques mondiales sont exacerbées par la trop forte dépendance du pays aux produits expédiés par bateau et surtout par le Brexit. Non seulement le Brexit a-t-il été une source de chaos additionnelle pour les chaînes logistiques britanniques, mais il a aussi empêché de nombreux travailleurs étrangers de travailler au Royaume-Uni.
Évidemment, cette situation a causé une pénurie aiguë de camionneurs. Il manque 100 000 conducteurs de camion au pays, ce qui limite l’arrivée des produits sur le marché (précisons quand même que le Brexit n’est pas le seul responsable puisqu’il n’aurait entraîné l’exclusion que de 15 000 à 20 000 conducteurs européens).
Le transport de l’essence a été particulièrement ralenti, car il exige un permis spécial en raison de sa dangerosité. Ainsi, la plupart des stations-service britanniques ont été à court d’essence ces dernières semaines. On rapporte en outre que l’effet combiné des pénuries de bouchers et de conducteurs réduit considérablement l’offre de viande. Les clients des épiceries signalent également des pénuries sporadiques de produits essentiels.
Le problème est assurément amplifié par la frénésie d’achat, qui pousse les consommateurs à acheter bien plus que d’habitude. On avait d’ailleurs constaté ce phénomène au début de la pandémie, les gens s’étant rués sur le papier de toilette alors que leur consommation n’avait pas augmenté.
La panique s’estompera sans doute rapidement, mais il faudra du temps pour enrayer la pénurie de main-d’œuvre. Le gouvernement britannique n’est pas resté inactif ; il a autorisé des travailleurs étrangers à entrer au pays pour les prochains mois. Il n’est pas garanti cependant qu’ils répondront en grand nombre à l’appel sachant qu’ils devront repartir avant la fin de l’année.
Tandis que, théoriquement, l’économie du Royaume-Uni présente le potentiel de hausse le plus élevé parmi les grands pays développés du fait qu’elle a souffert davantage qu’eux au début de la pandémie (les perspectives de croissance rapide sont donc très bonnes), les obstacles évoqués précédemment viennent compliquer la situation.
Désorganisation sur le marché de l’emploi
Les défis à relever pour répondre à une demande croissante dans un contexte où l’offre peine à suivre le rythme sont aussi manifestes dans les données sur l’emploi qu’ils le sont dans celles sur les chaînes logistiques. C’est ahurissant que les États-Unis puissent à la fois se targuer d’avoir un nombre record d’emplois disponibles et afficher un taux de chômage élevé (voir le graphique suivant).
Le chômage demeure élevé aux États-Unis, même s’il y a plus d’emplois que de chômeurs
Chômage en août 2021, offres d’emploi en juillet 2021. Sources : Bureau of Labour Statistics des États-Unis, RBC GMA.
On compte actuellement 10,9 millions de postes vacants et 8,4 millions chômeurs. Une telle disparité n’est pas inédite. Durant les années qui ont précédé la pandémie, les chercheurs d’emploi s’étaient trouvés dans une situation semble, quoi que moins marquée. Si elle n’est pas inédite, elle n’est pas courante non plus. Dans tous les cas, elle favorise clairement les travailleurs.
On sait qu’il faut du temps pour jumeler les chômeurs à des emplois, mais il est surprenant de constater que sept mois après que les offres d’emploi ont commencé à augmenter sérieusement, la hausse n’a pas ralenti et est loin d’être terminée, et ce, malgré la fin des prestations spéciales, la réouverture des écoles et la chute du risque d’infection. Certaines personnes tentent de se réorienter et d’autres sont limitées par des questions géographiques, mais l’écart est tout de même difficile à comprendre.
Ce qu’il faut retenir ici, c’est qu’il faudra de nombreuses années pour combler cet écart, et non pas quelques trimestres comme on l’avait cru jusqu’ici.
Les finances du secteur privé ont été florissantes pendant la pandémie
La pandémie a déclenché un transfert financier massif depuis le secteur public vers le secteur privé. La dette du secteur public s’est envolée, tandis que les finances du secteur privé ont généralement pris des forces. C’est quelque chose que nous pouvons observer dans les valorisations du marché boursier et dans les taux d’épargne des ménages, mais aussi dans le fait que les acteurs du secteur privé ont connu moins de désagréments.
En cette récession la plus profonde observée depuis plusieurs générations, il est frappant de constater que les mesures de crise financière ont cédé du terrain dans le secteur privé. Selon les données du Canada, les faillites et les propositions de faillite d’entreprises ont fortement reculé au cours des deux dernières années. Cette amélioration a pris de vitesse la tendance structurelle positive enregistrée avant la pandémie (voir le graphique suivant). Une tendance comparable a été observée dans la plupart des pays, y compris aux États-Unis.
Les faillites d’entreprises se situent à un creux record au Canada
En date de février 2021. Sources : Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA
Du côté des consommateurs canadiens, les faillites, propositions de faillite et prêts hypothécaires en souffrance ont dégringolé de façon encore plus impressionnante pendant la pandémie (voir le graphique suivant). On peut s’attendre à ce qu’une partie de ces progrès soit annulée par le retrait de l’aide gouvernementale Cependant, on retiendra que les entreprises du secteur privé et les ménages sont dans une forme étonnante, en dépit du traumatisme lié à la pandémie.
Les déclarations d’insolvabilité des consommateurs canadiens ont reculé pendant la pandémie
Faillites et propositions en date de juillet 2021, prêts hypothécaires en souffrance en date de juin 2021. La zone ombrée représente une récession. Sources : Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA
Les mesures de l’activité en temps réel s’accélèrent au Canada
D’après une mesure relativement nouvelle de l’activité en temps réel de Statistique Canada, l’activité des entreprises canadiennes a pris de la vigueur pendant l’été. Les entreprises ont ainsi rattrapé le temps perdu pendant les épisodes de faiblesse liés aux deux confinements de 2021 (voir le graphique suivant). Ce n’est pas le cas aux États-Unis, où l’activité a manifestement ralenti en juillet et en août à cause du variant Delta.
La situation des entreprises canadiennes s’est améliorée après la troisième vague
Au 13 septembre 2021. Moyenne à pondérations égales des indices de la situation des entreprises pour les villes suivantes : Calgary, Edmonton, Montréal, Ottawa-Gatineau, Toronto, Vancouver et Winnipeg. Sources : Statistique Canada, RBC GMA
L’écart entre les deux pays pourrait cependant être de courte durée. Le dernier relevé de l’indice canadien sur la situation des entreprises est en légère baisse, laissant entendre que le variant Delta, arrivé plus tard au Canada, pourrait également ralentir la croissance au pays. Néanmoins, nous ne sommes pas trop inquiets. Les infections ont moins augmenté au Canada qu’aux États-Unis, ce qui laisse supposer que les dommages économiques seront modérés.
Par ailleurs, alors que le PIB du Canada semble avoir reculé de 0,1 % en juillet – ce qui contredit quelque peu les données en temps réel, et ajoute à la perplexité des économistes – l’estimation provisoire de Statistique Canada pour le mois d’août fait état d’un rebond important de 0,7 % qui fait plus que compenser ce curieux repli.
La Banque du Canada est sur le point de renouveler son entente
La Banque du Canada s’apprête à renouveler son entente avec le gouvernement canadien le mois prochain. Le renouvellement est effectué tous les cinq ans. Lors des cycles précédents, la banque centrale avait discuté de plusieurs options, parmi lesquelles une cible de niveau des prix, une cible d’inflation plus basse et même une cible d’inflation plus haute.
Cette période incite les banques centrales à la réflexion. Par exemple :
- La Réserve fédérale américaine est passée d’un double mandat à un régime de ciblage de l’inflation moyenne, en vertu duquel elle tolère une inflation plus forte, lorsqu’elle s’est maintenue pendant longtemps en deçà de la cible, comme c’est le cas actuellement.
- De manière plus subtile, la Banque centrale européenne a modifié sa cible d’inflation qui est passée de « proche de 2 %, mais inférieure à ce niveau », à 2 %. De plus, la BCE s’est accordé une plus grande marge de manœuvre pour atteindre son objectif, dont elle a souligné la symétrie (une inflation qui dépasse légèrement sa cible est moins problématique qu’une inflation qui y est systématiquement inférieure).
En général, ces mesures permettent aux banques centrales d’être légèrement plus conciliantes, compte tenu des conditions actuelles, et de maintenir des taux bas plus longtemps tout en laissant l’inflation s’intensifier quelque peu.
À l’inverse, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a demandé à sa Banque de réserve (RBNZ) de mieux prendre en compte les prix des logements dans ses décisions. Bien que cette mission n’ait pas été ajoutée au mandat officiel de la RBNZ (du moins pas encore), celle-ci devra néanmoins porter une plus grande attention à ce facteur. Dans un contexte où les marchés de l’immobilier sont en plein essor à l’échelle mondiale, cela pourrait amener la RBNZ à durcir sa politique. Il se pourrait bien que d’autres gouvernements lui emboîtent le pas.
Quelle sera la position finale de la Banque du Canada ?
L’hypothèse la plus vraisemblable est que sa cible d’inflation de 2 % restera inchangée, comme lors des cinq renouvellements précédents. La Banque du Canada ainsi que l’économie dans son ensemble se sont bien comportées relativement à la cible actuelle. La Banque semble moins préoccupée que ses pairs d’un niveau d’inflation inférieur à la cible. En outre, le caractère cyclique du dollar canadien réduit le risque que le Canada soit limité par le taux plancher zéro.
À long terme, le Canada a moins de problèmes démographiques (déflationnistes) que la plupart des pays développés. Tout cela laisse supposer qu’il n’est nul besoin de modifier radicalement le mandat d’inflation au pays pour contrer des forces déflationnistes.
Il serait tentant de suivre la trajectoire des États-Unis vers un ciblage de l’inflation moyenne, pour éviter de créer un important écart de taux d’intérêt avec ce pays au détriment du Canada. Selon une récente étude de la Banque du Canada, le ciblage d’une inflation moyenne, combiné à un double mandat, s’est avéré presque aussi efficace qu’une cible classique, selon plusieurs essais qui ont englobé divers chocs, modèles et hypothèses.
Mais il ne serait pas raisonnable de se précipiter vers un nouveau mandat pour la simple raison qu’une nouvelle approche a fonctionné à peu près aussi bien que l’approche existante. Pour ce faire, il faudrait que les résultats soient nettement meilleurs. En outre, il existe des moyens d’intégrer des éléments de ciblage de l’inflation moyenne, ainsi qu’un double mandat, dans le cadre existant. C’est précisément ce que dit le document de la Banque du Canada : « Il serait intéressant d’examiner la possibilité d’intégrer des éléments clés du [ciblage de l’inflation moyenne] et du double mandat dans le cadre [actuel de ciblage de l’inflation] ».
En fin de compte, dans la continuité des efforts issus des précédentes révisions de l’entente, la Banque du Canada maintiendra probablement une cible d’inflation de 2 %. Elle devrait cependant s’accorder un peu plus de souplesse pour atteindre cet objectif. À cette fin, elle pourrait laisser les taux un peu plus bas lorsque l’inflation dépasse temporairement la cible, comme en ce moment, en admettant que ces écarts s’estompent avec le temps – mais pas au point d’incorporer officiellement une dépendance aux données passées, comme c’est le cas avec le ciblage de l’inflation moyenne.
La théorie monétaire moderne revisitée
Les idées qui sous-tendent la théorie monétaire moderne (TMM) ont été passées au crible ces dernières années. Le concept au centre de cette théorie est que les gouvernements doivent reprendre le contrôle de la masse monétaire des banques centrales et imprimer de l’argent afin de l’utiliser dans de nouveaux programmes gouvernementaux, jusqu’au moment où l’inflation atteindra un niveau indésirable, après quoi ces excès pourraient être limités par une hausse d’impôts – ce qui ralentirait l’économie et finirait par faire baisser l’inflation.
Dans l’ensemble, nous restons sceptiques quant à la mise en pratique de ces idées. En définitive, imprimer plus d’argent sans augmenter en même temps la capacité de production de l’économie risque de stimuler l’inflation. Lorsqu’une telle politique est menée à l’extrême, elle provoque une hyperinflation désastreuse, comme l’ont connue l’Allemagne de Weimar, le Zimbabwe, l’Argentine, le Venezuela et la Chine après la Seconde Guerre mondiale.
Cela amène naturellement à se demander pourquoi il n’y a pas eu d’inflation extrêmement élevée au cours de la dernière décennie, bien que la planche à billets ait fonctionné à plein régime à deux reprises dans le cadre des programmes d’assouplissement quantitatif. Il y a deux réponses à cette question.
- L’impression d’argent a eu lieu à un moment où le multiplicateur monétaire et la vitesse de circulation de la monnaie s’effondraient en raison de conditions économiques défavorables. La base monétaire a dû être augmentée pour qu’une quantité normale d’argent puisse être injectée dans l’économie réelle. Une façon plus simple de voir les choses est que les clients n’avaient pas besoin des billions de dollars dont disposaient les banques commerciales, de sorte qu’une grande partie de l’argent excédentaire a été restituée à la banque centrale.
- L’impression d’argent était et demeure temporaire – elle prend toujours fin. Il est vrai que certaines banques centrales, telles que la Réserve fédérale américaine, n’ont jamais mis fin à leur politique d’impression d’argent après la crise financière mondiale. Mais c’est sans doute parce que ses banques ont été contraintes de se désendetter structurellement lors de la reprise qui a suivi la crise. Une augmentation permanente de la base monétaire s’est alors avérée nécessaire, afin de maintenir une quantité raisonnable d’argent en circulation dans un monde moins endetté. Ainsi, l’impression d’argent liée à la pandémie sera probablement annulée un jour, au moins en grande partie. Si un reliquat de cette politique restait quelque peu appliqué, ce serait en réponse à ce qui semble être une décélération structurelle de la circulation de la monnaie sur une longue période.
En revanche, la TMM ne prévoit pas de mécanisme pour renverser l’impression d’argent. L’argent imprimé est distribué aux citoyens. La banque centrale ne peut retirer l’argent distribué, contrairement à la situation actuelle.
Dans les deux cas, l’inflation a été évitée grâce à des facteurs économiques très particuliers qui ne dureront probablement pas.
Les tenants de la TMM mettent l’accent sur la mesure dans laquelle le gouvernement pourrait accroître ses dépenses dans un contexte de faiblesse structurelle de l’inflation, mais ils font peu mention d’un contexte d’inflation élevée comme celui que nous connaissons actuellement. En théorie, les programmes de dépenses publiques devraient être annulés, ou il faudrait procéder à des hausses d’impôt, deux options peu attrayantes à un moment où les économies ne tournent toujours pas à plein régime.
En fait, si on prend la TMM au pied de la lettre, les périodes de faible inflation devraient s’accompagner de fortes hausses des dépenses et les périodes d’inflation élevée, de hausses d’impôt. Voilà qui entraînerait une expansion sans fin du gouvernement. À vrai dire, rien n’empêcherait un gouvernement plus à droite de procéder à des baisses d’impôt en période de faible inflation et de réduire les dépenses en période d’inflation élevée, mais de façon générale, cela ne correspond pas aux politiques des tenants de la TMM. Fait inquiétant, dans les deux cas, la mise en œuvre ou l’annulation d’importantes décisions des pouvoirs publics serait fonction du taux d’inflation plutôt que de visions politiques stables et à long terme.
Il est important de souligner qu’en imprimant de l’argent et en le dépensant en fonction des priorités du gouvernement, les groupes et les projets qui ne sont pas prioritaires s’appauvriront légèrement compte tenu de la hausse de l’inflation qui en résultera. Si le gouvernement augmente ses dépenses, mais que la capacité de production du pays reste inchangée, il y a forcément des perdants.
Selon les partisans de la TMM, il est bizarre et peu souhaitable que la décision d’imprimer de l’argent incombe aux responsables des banques centrales, qui ne sont pas élus, mais on peut supposer qu’il serait bien plus préoccupant que ces décisions soient prises par des politiciens. En fait, c’est généralement ce qui s’est produit dans les pays qui ont été aux prises avec de l’hyperinflation. Les politiciens sont connus pour leur vision à court terme ; ils préfèrent maximiser la croissance immédiate, avec pour résultat des problèmes dont hériteront les prochains élus. C’est particulièrement pertinent en ce qui concerne la maîtrise de l’inflation, étant donné que les décisions mettent longtemps porter leurs fruits ; il est possible d’imprimer une bonne quantité d’argent avant que cela ne commence à transparaître dans les données sur l’inflation.
À l’instar de l’école autrichienne d’économie, qui a gagné en popularité au cours de la crise financière mondiale (de même qu’une aversion pour un système de réserves fractionnaires), la TMM est revenue à l’avant-scène durant la dernière décennie, marquée par la faiblesse de l’inflation et l’importance de l’assouplissement quantitatif, car il semble possible de mettre la main sur de l’« argent gratuit ». Mais les apparences peuvent être trompeuses.
Cela dit, il est vrai que les limites budgétaires sont plus éloignées qu’on le croyait auparavant, surtout parce que les taux d’intérêt sont si bas. Mais les gouvernements profitent sans doute déjà pleinement de la situation, par l’intermédiaire d’importants programmes de dépenses qu’ils ont mis en œuvre durant la pandémie ou qu’ils cherchent à mettre en place dans la foulée de celle-ci.
– Avec la contribution de Vivien Lee
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