Des données économiques en dents de scie
Le marché de l’emploi aux États-Unis
Les marchés financiers sont agités ces derniers temps. Celui des actions a récemment reculé de façon importante pour diverses raisons. Mentionnons notamment la déception relative aux projections financières (encore excellentes) du fabricant de puces NVIDIA et le dernier rapport sur l’emploi aux États-Unis, qui a été inférieur aux attentes.
Il y a lieu de préciser que la création de 142 000 emplois en août ne peut guère être qualifiée de désastreuse. Nous avions annoncé qu’un résultat inférieur à 100 000 aurait sans doute intensifié les craintes de récession, qu’un résultat supérieur à 200 000 les aurait apaisées et qu’un résultat entre 100 000 et 200 000 laisserait planer une certaine ambiguïté.
C’est donc cette dernière option qui prévaut. Les partisans du scénario d’atterrissage brutal peuvent encore prétendre que ce rapport représente la dernière étape vers une récession. En revanche, ceux qui penchent en faveur d’un atterrissage en douceur (dont nous faisons partie pour l’instant) peuvent affirmer qu’il ne s’agit là que d’une étape nécessaire du processus d’évacuation de la pression excessive dans l’économie.
Pour mettre les choses en perspective, il convient de se rappeler que dans les années 2010, on pensait généralement qu’au cours d’un mois « normal », le nombre maximal d’emplois créés ne devait pas dépasser 100 000, voire 125 000. Or, on est loin de ce point de référence dans le cas qui nous occupe.
Le fait que les résultats sont perçus comme étant légèrement décevants s’explique par un certain nombre de facteurs.
Les prévisions générales tablaient sur seulement 23 000 postes de plus. Soit dit en passant, d’autres estimations oscillent autour de 142 000. Selon l’enquête auprès des ménages, 168 000 emplois ont été créés en août, tandis que selon l’enquête d’ADP, ce nombre ne serait que de 99 000.
Il est essentiel de noter qu’après les révisions, on compterait 86 000 emplois de moins qu’on le pensait pour les deux mois précédents. Il y a comme une impression de déjà-vu : dans le cas des cinq derniers rapports, les deux mois précédents ont tous été révisés à la baisse. Il est donc tentant d’avancer l’idée que, si 142 000 emplois ont été officiellement créés en août, ce nombre risque d’être ramené plus près de 100 000 quand la poussière sera retombée (et ce, avant les révisions des valeurs de référence qui ont considérablement amputé les résultats présumés de l’an dernier).
D’une façon ou d’une autre, le rythme de création d’emplois a manifestement ralenti, bien qu’à partir d’un point de départ extrêmement élevé et insoutenable (voir le graphique suivant).
La croissance de l’emploi a sensiblement ralenti aux États-Unis
En date d’août 2024. Sources : Bureau of Labor Statistics (BLS) des États-Unis, Macrobond et RBC GMA.
Si la conclusion nette du rapport sur l’emploi doit, en conséquence, être au moins légèrement négative, nous pouvons également souligner quelques points positifs. Dans l’ensemble de l’économie, le nombre total d’heures travaillées a augmenté. Cela peut sembler évident étant donné qu’il y avait plus de travailleurs que le mois précédent, mais ce n’est pas toujours le cas. Nous ne nous en plaindrons toutefois pas.
Par ailleurs, le taux de chômage a reculé, passant de 4,3 % à 4,2 %. C’est une bonne chose, car il ne cessait d’augmenter depuis un moment. Néanmoins, ce n’est pas tout à fait vrai. Nous soupçonnons que les distorsions liées à l’ouragan Beryl, en juillet, ont pris fin en août. Cela a entraîné une diminution du nombre de personnes temporairement incapables de travailler à cause des conditions météorologiques (412 000 en juillet, contre seulement 24 000 en août). Autrement dit, le taux de chômage était anormalement élevé en juillet, puis cette distorsion s’est dissipée en août.
Par contre, ce qui semble véridique, c’est la légère tendance à la baisse observée récemment dans les demandes hebdomadaires de prestations d’assurance-emploi. Celles-ci avaient pris une ampleur inquiétante au début de l’été, mais la tendance est en train de s’inverser (voir le graphique suivant). Il est difficile d’imaginer qu’il se passe quelque chose de grave sur le marché du travail quand le nombre personnes admissibles à l’assurance-emploi est non seulement faible, mais en repli.
Stabilisation des demandes de prestation d’assurance-emploi aux États-Unis
Données pour la semaine se terminant le 24 août 2024. Sources : Department of Labor des États-Unis, Macrobond, RBC GMA.
Qu’en est-il de la règle de Sahm qui a été déclenchée le mois dernier lorsque le taux de chômage tendanciel a augmenté d’un demi-point de pourcentage par rapport à son creux ? Elle prédit toujours une récession (voir le graphique suivant). Cela dit, il y a deux points importants à retenir.
Même Claudia Sahm, qui a popularisé la règle, a des réserves sur ce que celle-ci indique actuellement. En effet, une partie disproportionnée de la hausse du taux de chômage est attribuable à la force bénigne d’un nombre supérieur de chercheurs d’emploi, plutôt qu’à la force maligne d’un nombre inférieur de postes disponibles. Dans le graphique suivant, la ligne jaune montre le rapport emploi-population inversé, qui est plus efficace pour déterminer si les emplois disparaissent véritablement. Bien qu’il se soit légèrement détérioré, ce rapport n’a pas atteint son propre seuil de récession.
Le rapport emploi-population aux États-Unis ne signale pas encore une récession
En date d’août 2024·. Moyenne mobile sur trois mois du taux de chômage et du rapport emploi-population. Sources : Bureau of Labor Statistics (BLS) des États-Unis, UBS, Macrobond et RBC GMA.
Aucun indicateur de récession n’est parfait. Certains ne se sont peut-être pas encore trompés, mais aucun n’est totalement sans défauts. C’est pourquoi nous préférons examiner un panier d’indicateurs. Dans ce contexte, la traditionnelle règle de Sahm a effectivement été déclenchée (avec un astérisque), mais bon nombre d’autres signaux ne l’ont pas été. Plus important encore, certains indicateurs qui pointaient auparavant vers une récession ont depuis changé de cap. Le risque de récession persiste et le marché du travail aux États-Unis mérite qu’on s’y attarde, mais on est loin d’une certitude.
Le plus récent livre beige témoigne aussi d’un affaiblissement provisoire de l’économie américaine. Carrément bas, cet indicateur fait état d’une détérioration pour une deuxième fois d’affilée (voir le graphique suivant). Heureusement, le niveau absolu n’est pas pire qu’au début de l’année.
L’indicateur du climat économique selon le livre beige s’affaiblit
En date de septembre 2024. L’indicateur quantifie les réponses de points de contact locaux en attribuant des pondérations différentes à un éventail de mots positifs et négatifs utilisés dans le livre beige de la Réserve fédérale pour décrire le climat économique global. Sources : Réserve fédérale américaine, RBC GMA.
Ailleurs dans l’économie, les choses ne vont pas si mal
Voilà pour les mauvaises nouvelles. Or, il y en a sans doute autant de bonnes. D’abord, après une longue période de surprises négatives, voire de détérioration des données économiques aux États-Unis et dans le reste du monde, on semble observer un début de stabilisation (voir le graphique suivant). On est loin du territoire positif, mais ce changement n’en demeure pas moins remarquable.
Les surprises économiques sont négatives
Au 6 septembre 2024. Sources : Citigroup, Bloomberg, RBC GMA.
Un vent d’optimisme souffle sur les petites entreprises américaines, qui ont longtemps éprouvé une profonde méfiance (voir le graphique suivant). C’est logique. Comme elles sont très sensibles aux taux d’intérêt, leur confiance s’est effondrée lorsque les taux d’intérêt ont commencé à monter. À l’heure actuelle, le phénomène inverse s’opère.
Les petites entreprises sont plus optimistes
En date de juillet 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : National Federation of Independent Business, Macrobond, RBC GMA.
La paire d’indices ISM (Institute for Supply Management) des États-Unis, qui reflètent la confiance des secteurs manufacturier et des services, ont tous deux enregistré une légère hausse en août (voir le graphique suivant). Certes, les fabricants continuent de signaler des conditions défavorables, mais ils le font depuis la fin de 2022, sans qu’une récession ne se matérialise. La sous-composante des nouvelles commandes n’a pas considérablement chuté, mais elle a fléchi par rapport à il y a un peu plus d’un an, et la composante de l’emploi a réussi à se redresser. Le secteur des services, quant à lui, est prudent, mais ultimement conforme à une croissance modeste.
Les indices des directeurs d’achats (PMI) des États-Unis ont tous deux légèrement augmenté au cours du dernier mois
Indice PMI du secteur manufacturier en date d’août 2024. Indice PMI du secteur des services en date d’août 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Institute for Supply Management (ISM), Macrobond, RBC GMA.
À classer dans la catégorie « est-ce que cela signifie vraiment quelque chose ? » avec la stabilisation des indices des surprises économiques déjà citée ; laisse entendre que les défaillances de crédit des ménages aux États-Unis se stabilisent ou se détériorent moins rapidement (voir le graphique suivant). Les prêts automobiles en souffrance semblent avoir légèrement diminué, tandis que le taux d’augmentation des défaillances sur les cartes de crédit et les prêts hypothécaires semble ralentir. Ce serait bien si la baisse des taux d’intérêt commençait déjà à offrir du soutien.
Le taux de défaillance sur les prêts à la consommation aux États-Unis est actuellement en hausse
Au T2 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Réserve fédérale de New York, Macrobond, RBC GMA.
Pour conclure, la décélération économique a) est plutôt faible là où elle se produit et b) n’est pas universelle. Le risque d’atterrissage brutal est toujours réel, mais un atterrissage en douceur demeure un peu plus probable selon nous.
Mesures des banques centrales
L’ère des baisses de taux se poursuit. Depuis notre dernier #MacroMémo, la Banque du Canada a réduit son taux directeur pour une troisième fois consécutive, et plusieurs autres semblent prévues, étant donné que la Banque a déclaré qu’il était raisonnable de s’attendre à d’autres baisses. En effet, non seulement l’inflation a continué de chuter au Canada, mais l’économie peine sans aucun doute.
Malgré la création de 22 100 emplois après deux mois de recul (voir le graphique suivant), le taux de chômage continue d’augmenter à un rythme inquiétant (voir le graphique suivant). Bien que nous nous attendions officiellement à d’autres baisses des taux de 25 points de base, la Banque du Canada est mieux placée que la plupart de ses homologues pour au moins envisager une mesure plus importante. En effet, on a eu l’impression que la Banque du Canada avait peut-être débattu précisément de cette question compte tenu de ce que le gouverneur Macklem a laissé entendre lorsqu’un journaliste lui a posé la question sans détour.
Le marché du travail canadien s’est affaibli
En date d’août 2024. Sources : Statistique Canada, Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA.
Le taux de chômage au Canada est en hausse
En date d’août 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Statistique Canada, Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA.
Au moment où nous mettons sous presse le présent #MacroMémo, la Banque centrale européenne est sur le point de décréter une deuxième baisse de taux, et une troisième est attendue d’ici la fin de l’année.
Il reste les États-Unis, où l’on prévoit que la banque centrale devrait annoncer une première baisse de taux pour le cycle en cours, le 18 septembre. Les représentants de la Fed se sont assez clairement prononcés en faveur de ce point de départ.
Le marché continue de caresser l’idée que la Fed pourrait commander une réduction de taux de 50 points de base – cette idée ralliant près de 50 % des analystes après la publication d’un rapport décevant sur l’emploi – , mais cette proportion a depuis diminué à seulement 30 %, et nous croyons que la probabilité réelle serait encore moins élevée. Une baisse de 25 points de base est plus probable, à moins qu’une détérioration soudaine de l’économie se produise d’ici là.
Par la suite, le marché s’attend à ce qu’une baisse de taux soit décrétée à chaque réunion de la banque centrale, et ce, jusqu’au milieu de 2025. Cela pourrait très bien se produire, mais nous signalons une fois de plus la possibilité que les choses se déroulent un peu moins rapidement. Par conséquent, les taux obligataires ont peut-être déjà suffisamment diminué.
Asymétrie des politiques monétaires
Dans ce contexte, nous estimons qu’un certain resserrement monétaire produit un effet plus puissant qu’un niveau comparable de stimulation monétaire, et donc, que l’effet des baisses de taux pourrait se faire sentir plus rapidement que celui des hausses de taux. Ces deux notions ne sont pas seulement intéressantes à envisager, elles sont pertinentes dans la situation actuelle : selon la première idée, les baisses de taux en cours « comptent davantage », étant donné qu’elles réduisent le resserrement monétaire ; selon la deuxième idée, les effets favorables des baisses de taux pourraient se faire sentir un peu plus rapidement.
Politique monétaire restrictive ou conciliante
Commençons par l’idée selon laquelle une politique monétaire restrictive produirait un effet plus puissant qu’une politique monétaire conciliante. Selon les calculs de la Réserve fédérale de Richmond, un point de pourcentage de resserrement monétaire produit un effet environ trois fois plus puissant qu’un point de pourcentage d’assouplissement monétaire. Cela signifie-t-il qu’une banque centrale doit réduire son taux directeur de trois points de pourcentage seulement pour faire contrepoids à une hausse d’un point de pourcentage ? Non, ce serait de la folie, car le taux directeur neutre devrait diminuer constamment d’un cycle à l’autre.
L’idée est plutôt que la mise en place d’une politique monétaire restrictive, avec un taux directeur supérieur d’un point de pourcentage au taux neutre, devrait provoquer un ralentissement économique environ trois fois plus important que la relance générée par la fixation d’un taux directeur inférieur d’un point de pourcentage au taux neutre.
Cela pourrait aider à comprendre pourquoi les banques centrales ont tendance à établir leur taux directeur sensiblement en deçà du taux neutre lorsque les choses vont mal, mais qu’elles dépassent dans une moins grande mesure ce taux neutre lorsque tout va bien (ou, comme ce fut le cas récemment, lorsque l’inflation est beaucoup trop élevée). Actuellement, le taux des fonds fédéraux aux États-Unis n’est que de 2,5 points de pourcentage au-dessus du taux neutre (estimé à environ 3,0 %) malgré la menace d’une inflation qui a dépassé sa cible de plus de 7 points de pourcentage. En revanche, les banques centrales n’ont pas hésité à porter leur taux directeur 2,5 points de pourcentage en deçà du taux neutre en période de récession, alors que l’écart de l’inflation à la baisse était beaucoup plus modeste.
Pourquoi une politique monétaire restrictive fait-elle sentir ses effets défavorables de manière disproportionnée ? Le secteur bancaire se comporte souvent de façon différente lorsque les taux sont élevés, réduisant de façon disproportionnée l’accès au crédit en raison des craintes que les emprunteurs soient plus susceptibles de faire défaut. Les entreprises, à l’inverse, ont tendance à réduire leur production plutôt qu’à baisser les prix et les salaires lorsque les conditions sont mauvaises, ce qui requiert plus de baisses de taux pour rétablir la santé économique. Le pessimisme des consommateurs semble aussi beaucoup plus prononcé en période de faiblesse économique que leur optimisme en période de vigueur, ce qui exige une réduction des taux plus marquée pour compenser la situation précédente.
Dans le contexte actuel d’assouplissement de la politique monétaire, chaque baisse de taux produit sans doute un effet peu plus marqué que normalement, en raison de l’élimination des restrictions.
Les baisses de taux se répercutent-elles plus rapidement que les hausses de taux ?
Les effets de la politique monétaire se font toujours ressentir avec un certain décalage, qu’il s’agisse d’assouplissement ou de resserrement. En particulier, il faut du temps avant que les taux des prêts à taux fixe ne s’ajustent au sein de l’économie. Toutefois, nous estimons que les effets de la politique monétaire pourraient se répercuter un plus vite lors d’un cycle de baisse de taux que lors d’un cycle de hausse des taux, du moins aux États-Unis.
Cette idée tient entièrement au fait que les prêts hypothécaires américains sont assortis d’une option de renégociation de taux. Les ménages américains qui ont contracté un prêt hypothécaire peuvent renégocier leur taux hypothécaire à tout moment, moyennant des frais. Avec un taux hypothécaire à 30 ans qui est passé de plus de 8 % à moins de 7 %, une renégociation de taux est déjà envisageable pour des personnes qui ont contracté un prêt hypothécaire au moment où les taux d’intérêt étaient au plus haut.
Il importe avant tout de retenir que les baisses de taux à partir d’un point de départ élevé peuvent en théorie contribuer à stabiliser l’économie un peu plus vite que ce que les modèles traditionnels pourraient laisser penser.
Dans la situation inverse, cette option ne fonctionne pas : lorsque les taux d’intérêt augmentent, les prêteurs n’ont pas la possibilité d’ajuster à la hausse les taux de leurs prêts hypothécaires à taux fixe. C’est la raison pour laquelle les ménages américains bénéficient plus rapidement de la baisse des taux qu’ils ne sont frappés par la remontée des taux d’intérêt.
Dans la mesure où les taux demeurent relativement élevés et qu’une grande partie des Américains ayant contracté un prêt hypothécaire ont réussi à bloquer un taux à des niveaux extrêmement bas, qu’on ne reverra pas avant quelques années (voire jamais), il est très probable que cette option de renégociation bénéficiera à un groupe de personnes moins important qu’en temps normal. Par conséquent, l’effet accéléré de la baisse des taux sera probablement plus faible que d’habitude. Mais cet effet existe toujours.
Rien de très étonnant dans tout cela. Cependant, ce qu’il faut retenir c’est que lorsque les taux se situent à des niveaux très élevés, l’abaissement des taux devrait vraisemblablement aider à stabiliser l’économie un peu plus rapidement que ne le prévoient les modèles conventionnels.
Réouverture de l’Accord États-Unis–Mexique–Canada en 2026
Nous avons évoqué le mois dernier la possible mise en place de nouveaux tarifs douaniers aux États-Unis après les prochaines élections. Un autre enjeu d’importance particulière pour le Canada (et le Mexique) est la poursuite de l’accord de libre-échange entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (AEUMC). Cet accord devra être renouvelé également au cours du prochain mandat présidentiel aux États-Unis.
Rappelons que l’AEUMC est entré en vigueur le 1er juillet 2020 et a remplacé l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Cet accord n’est toutefois pas gravé dans le marbre.
Comme c’était le cas auparavant dans l’ALENA, toute partie a la possibilité de se retirer à tout moment de l’accord, moyennant un préavis de six mois. Néanmoins, il est peu probable que l’une des parties prenne cette décision. Le Canada et le Mexique comprennent l’importance d’entretenir des relations économiques étroites avec les États-Unis. Même si le candidat républicain Donald Trump a tendance à se montrer protectionniste, il est celui qui a négocié l’AEUMC, donc il est peu probable qu’il y mette fin. De leur côté, les démocrates n’ont pas non plus manifesté leur intention d’abroger l’AEUMC.
L’AEUMC prendra automatiquement fin au bout de 16 ans (soit le 30 juin 2036), à moins que les trois parties ne confirment qu’elles souhaitent reconduire l’accord. Même s’il sera bien plus ardu d’opter pour une reconduction plutôt qu’une sortie de l’accord, étant donné qu’il faudra obtenir le soutien d’organes législatifs parfois instables, l’échéance de l’accord demeure lointaine.
Ce sera un sujet à traiter au cours du prochain mandat présidentiel : toutes les parties à l’AEUMC procéderont à une « révision conjointe » de l’accord le 1er juillet 2026. Pour les pays, ce sera l’occasion de soulever les problèmes rencontrés avec l’AEUMC et de renégocier éventuellement certaines dispositions de l’accord. C’est le premier grand accord commercial à intégrer un tel mécanisme.
Les problèmes devront être soulevés auprès de l’organisme chargé de la révision d’ici le 1er juin 2026. En outre, les États-Unis sont également tenus de faire un rapport au Congrès sur les demandes envisagées 180 jours avant la date de la révision conjointe, ce qui signifie que les éventuelles modifications qui seront demandées par les États-Unis deviendront un sujet d’attention d’ici la fin de 2025.
La modernisation régulière de cet accord commercial présente certains avantages compte tenu de l’évolution du cadre des échanges commerciaux au fil du temps. Toutefois, elle engendre également un coût important. L’incertitude associée au mécanisme de révision dissuade les investisseurs et les entreprises de réaliser des investissements majeurs à long terme à l’étranger.
Soit dit en passant, à l’occasion de cette révision conjointe, il sera déjà possible de renouveler l’accord pour les 16 années suivantes, offrant une période de stabilité supplémentaire, au lieu d’attendre jusqu’en 2036 pour le reconduire. Néanmoins, si les participants à l’accord choisissent de ne pas retenir cette option, d’autres révisions conjointes auront lieu annuellement, ce qui engendrera chaque année une période d’incertitude autour des règles régissant les échanges nord-américains.
Soyons réalistes : du fait de leur économie gargantuesque, les États-Unis sont aux commandes de cette révision. Concernant le Mexique, les États-Unis devraient cibler les questions liées à l’agriculture, l’énergie et la main-d’œuvre. Ils souligneront aussi la façon dont les entreprises chinoises utilisent le Mexique comme une porte dérobée pour entrer sur le marché américain et échapper ainsi aux tarifs douaniers sur les importations chinoises. Concernant le Canada, les États-Unis pourraient s’en prendre à nouveau aux secteurs de la forêt et des industries sous gestion de l’offre, ainsi qu’à la taxe sur les services numériques récemment adoptée.
La modernisation régulière de l’accord commercial présente certains avantages compte tenu de l’évolution du cadre des échanges commerciaux au fil du temps. Toutefois, elle engendre également un coût important. L’incertitude associée au mécanisme de révision dissuade les investisseurs et les entreprises de réaliser des investissements majeurs à long terme à l’étranger, car il est possible que les échanges puissent être ultérieurement entravés dans certains secteurs.
Par ailleurs, sur le sujet des tarifs douaniers nord-américains, la décision du Canada de suivre l’exemple des États-Unis et de soumettre les véhicules fabriqués en Chine à d’importants tarifs douaniers a incité la Chine à ouvrir une enquête sur les exportations canadiennes de canola. Cette enquête pourrait aboutir à l’instauration de droits de douane.
Analyse du secteur du logement au Canada
Au Canada, les prix des propriétés restent peu élevés. Les prix continuent à évoluer latéralement au gré des fluctuations saisonnières (voir le graphique suivant).
Prix des propriétés au Canada par marché
En date de juillet 2024. Sources : Association canadienne de l’immeuble, Macrobond, RBC GMA.
Nous prévoyons toujours que les prix des propriétés resteront bas encore quelques années. Nous nous appuyons, d’une part, sur les leçons tirées de la dernière grande bulle immobilière au Canada au début des années 1990 et d’autre part, sur le fait que l’accessibilité à la propriété demeure assez faible et qu’elle commence tout juste à s’améliorer un peu (voir le graphique suivant).
L’accessibilité à la propriété demeure très faible au Canada
Au deuxième trimestre de 2024. Frais de possession actuels d’un logement par rapport à la norme historique. Sources : Association canadienne de l’immeuble, Statistique Canada, Haver Analytics, RBC GMA
Le nombre de reventes de logements par habitant a fortement chuté depuis le pic des ventes observé après la pandémie. Le chiffre actuel est même faible en comparaison avec le niveau des ventes enregistrées au cours des deux décennies précédentes (voir le graphique suivant). L’activité semble toutefois s’être stabilisée et la situation n’est pas pire que lors de la dernière bulle immobilière des années 1990.
Les reventes de logements par habitant au Canada se sont stabilisées
En date de juillet 2024. Sources : Association canadienne de l’immeuble, Statistique Canada, Macrobond, RBC GMA.
Même si le nombre de logements à vendre a considérablement augmenté par rapport aux creux atteints pendant la pandémie, il ne s’agit en réalité que d’un retour aux niveaux d’avant la pandémie (voir le graphique suivant).
Les stocks de logements ont augmenté au Canada
En date de juillet 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Association canadienne de l’immeuble, Macrobond, RBC GMA.
Le ratio ventes/nouvelles inscriptions de logements est un indicateur traditionnellement utilisé pour mesurer la vigueur du marché immobilier. Cet indicateur montre clairement que le marché n’est plus avantageux pour les vendeurs, sans toutefois véritablement indiquer que le marché est devenu favorable aux acheteurs (voir le graphique suivant).
Le ratio ventes/nouvelles inscriptions de logements au Canada indique un marché équilibré
En date de juillet 2024. Sources : ACI, Macrobond, RBC GMA.
La diminution des taux d’intérêt au Canada a évidemment une incidence positive (voir le graphique suivant). Néanmoins, le niveau absolu des taux demeure assez élevé et les premières baisses de taux n’ont pas déclenché une vague de nouveaux achats. Il en ressort que les taux devront encore considérablement diminuer avant de voir une vague de nouveaux acheteurs déferler sur le marché.
Les taux des obligations canadiennes diminuent à mesure que la banque centrale réduit ses taux d’intérêt
Au 4 septembre 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA.
Dans l’ensemble, le marché du logement canadien est certes déprimé, mais pas particulièrement déséquilibré.
La situation est un peu moins réjouissante lorsqu’on examine certains des plus grands marchés du Canada, comme Toronto et Vancouver. Nous nous concentrons ici sur celui de Toronto. Le ratio ventes/nouvelles inscriptions de logements de la ville révèle un marché plus favorable aux acheteurs. Cela signifie que le nombre des nouvelles inscriptions dépasse de façon inhabituelle celui des ventes (voir le graphique suivant).
Le ratio ventes/nouvelles inscriptions de logements de Toronto laisse penser que le marché est plus favorable aux acheteurs
En date de juillet 2024. Sources : Association canadienne de l’immeuble, Macrobond, RBC GMA
Telles des poupées russes gigognes, nous pouvons creuser davantage et dévoiler une source de faiblesse plus préoccupante : le marché des logements multiples de Toronto. Le ratio ventes/nouvelles inscriptions de copropriétés a considérablement chuté et a atteint un niveau encore plus bas (voir le graphique suivant).
Les ventes de copropriétés à Toronto ont nettement diminué par rapport aux nouvelles inscriptions
Au T2 2024. Sources : Toronto Real Estate Board, Macrobond, RBC GMA
Les nouvelles inscriptions de copropriétés à vendre et à louer à Toronto ont beaucoup augmenté et continuent de monter en flèche (voir le graphique suivant). Il s’agit d’un marché déséquilibré, qui connaît une certaine déprime, sans doute pour diverses raisons :
Certains propriétaires n’arrivent pas à rembourser leur prêt hypothécaire dans ce contexte de taux élevés.
D’autres ne sont pas en mesure de rentabiliser leur copropriété en raison des loyers qui accusent un retard par rapport au coût du maintien d’une hypothèque équivalente (voir le graphique suivant).
D’autres encore ont renoncé à rentabiliser leur copropriété et à s’en servir comme d’un placement spéculatif maintenant que les prix des copropriétés baissent.
Les inscriptions des unités à logements multiples ont augmenté à Toronto
Au T2 2024. Sources : Toronto Real Estate Board, Macrobond, RBC GMA
La location d’un logement est désormais plus abordable que l’achat d’une copropriété à Toronto
Au T2 2024. Locations moyennes d’appartements, tous types de chambres confondus. Les versements hypothécaires sont estimés d’après l’indice des prix des propriétés MLS, maisons unifamiliales pour les appartements et les taux hypothécaires fixes de cinq ans et plus de la Banque du Canada, en supposant une mise de fonds de 20 % et une période d’amortissement de 25 ans. Sources : Association canadienne de l’immeuble, Banque du Canada, Toronto Real Estate Board, Macrobond, RBC GMA
En ce qui concerne la construction de logements en copropriété, les nouveaux projets sont au point mort. Cette stagnation est notamment attribuable à l’abondance des logements existants sur le marché, au coût de financement élevé pour les constructeurs, à la main-d’œuvre qualifiée qui reste rare, et au fait que malgré la croissance massive de la population, les acheteurs ne sont tout simplement pas au rendez-vous. Les promoteurs des nouveaux projets de construction à Toronto s’attendent normalement à céder en prévente près de 70 % des unités. Une telle prévente constitue à la fois un outil de financement et confirme la viabilité des projets. Le ratio des préventes se situe désormais sous la barre des 50 % et continue de chuter, rendant de nombreux projets non viables.
Même si les chiffres varient en fonction du marché, le Globe & Mail souligne que, partout au Canada, environ 240 faillites immobilières sont en passe d’être enregistrées cette année. Ce nombre est de 57 % supérieur à celui de 2023. Et cela exclut les promoteurs et les projets qui ont été mis sous séquestre. Il semble que le marché des copropriétés restera particulièrement atone au Canada.
En bref
Politique canadienne
Le NPD a retiré son soutien au Parti libéral canadien au pouvoir, augmentant ainsi le risque théorique d’une élection éclair. Le gouvernement est déjà exceptionnellement vieux au regard des précédents gouvernements minoritaires.
Nous estimons toutefois qu’une élection imminente est peu probable. Le Parti libéral, comme le NPD, est en baisse dans les sondages par rapport à la dernière élection. Par conséquent, le NPD cherche peut-être à s’éloigner de son partenaire libéral de longue date avant l’élection de l’année prochaine.
Les deux partis trouveront sans doute un moyen de repousser les élections jusqu’à l’année prochaine. Cependant, les possibilités d’obtenir de grandes réalisations politiques au cours de cette année seront peut-être quelque peu réduites.
La prochaine élection canadienne doit avoir lieu avant octobre 2025. On peut supposer qu’elle se tiendra assez près de cette date, étant donné la forte probabilité de constitution d’un nouveau gouvernement. Les sondages montrent actuellement que le Parti conservateur, qui forme l’opposition, est en avance d’environ 17 points de pourcentage et en passe de remporter une grande majorité (212 sièges sur 343).
Bien entendu, beaucoup de choses peuvent changer dans l’année à venir. Cependant, si cette avance se maintient encore, le Canada sera doté d’ici un an d’un nouveau gouvernement à la suite d’une victoire électorale écrasante. Dans la foulée d’une période prolongée de faible croissance de la productivité canadienne et de perte de confiance, il y a de bonnes chances qu’un nouveau parti plus à droite (bien qu’avec un penchant populiste qui trouble l’économie) puisse aider à raviver ces forces à la traîne.
Perturbations imminentes dues à l’ouragan
L’ouragan Francine tourbillonne actuellement dans les Caraïbes et devrait toucher terre aux États-Unis dans la soirée du 11 septembre, près de La Nouvelle-Orléans. Il pourrait temporairement perturber l’économie américaine de diverses manières, en fonction de sa gravité et selon que de grandes zones métropolitaines seront touchées ou non.
Faiblesse de l’économie allemande
L’économie allemande est « l’homme malade de l’Europe » depuis un certain temps, mais elle se porte particulièrement mal ces derniers temps. Les deux obstacles majeurs sont les suivants :
La faiblesse de la demande chinoise pour les produits manufacturés allemands dans le contexte d’une économie chinoise décevante.
L’agitation importante du secteur automobile à travers l’Europe. En effet, les constructeurs automobiles chinois inondent les marchés étrangers, supplantant les marques européennes.
La production industrielle en Allemagne a baissé de 5,9 % d’une année sur l’autre et l’indice composite des directeurs d’achats (PMI) du pays n’est que de 48,4 (un indice inférieur à 50 signifie un déclin). Le PIB a reculé au cours de deux des trois derniers trimestres, même si l’on s’attend à ce que le troisième trimestre de cette année renoue avec une légère croissance.
Bonne figure pour le Royaume-Uni
À l’inverse, l’économie britannique se porte soudainement bien après une année 2023 horrible. Une partie de cette remontée est sans doute attribuable à la résilience naturelle qui découle de résultats particulièrement médiocres auparavant. Contrairement à la plupart des pays, l’indice PMI du secteur manufacturier du Royaume-Uni est supérieur à 50 (52,5). L’indice PMI du secteur des services semble lui aussi assez bon par rapport à la majorité des pays (53,7). L’embauche reprend et le PIB mensuel augmente à nouveau assez rapidement. Toutes les régions du monde ne connaissent pas une décélération économique !
– Avec la contribution de Vivien Lee et d’Aaron Ma
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