La guerre en Ukraine se poursuit et les tentatives d’apaisement du conflit se sont jusqu’à présent avérées vaines. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine aura des répercussions profondes à long terme, surtout pour les pays aux avant-postes. Vu la hausse brutale des coûts énergétiques et alimentaires et les nouvelles perturbations touchant les chaînes logistiques, le reste du monde pâtit également de cette guerre. Une forte volatilité règne sur les marchés financiers. Les investisseurs ont absorbé les conséquences potentielles de la guerre, à savoir un ralentissement de la croissance et une hausse de l’inflation, ainsi que l’impact d’une telle crise sur les politiques budgétaires et monétaires. Ils ont également pris en considération un risque plus élevé de récession. Dans ce contexte, les banques centrales ont commencé à relever les taux d’intérêt, ce qui marque la fin de la période de détente monétaire exceptionnelle et le début d’une ère qui devrait être marquée par le retrait des programmes d’assouplissement quantitatif, voire par des mesures de resserrement quantitatif. Ces perspectives auront vraisemblablement un impact négatif sur l’économie et le cours des actifs en général. Nous prévoyons un ralentissement prolongé de la croissance économique ainsi qu’une hausse plus forte et plus durable de l’inflation. Toutefois, nous estimons que les pressions sur les prix commenceront à s’atténuer vers la fin de l’année et au début de l’année prochaine. Nos prévisions restent plus pessimistes que la moyenne en ce qui concerne la croissance, mais supérieures à la moyenne pour l’inflation (figures 1 et 2).
Figure 1 : PIB réel moyen pondéré, selon les prévisions générales
Estimations de croissance des principaux pays développés
Nota : Données au 21 mars 2022. Source : Consensus Economics
Figure 2 : IPC moyen pondéré selon les prévisions générales
Estimations d’inflation pour les principaux pays de l’OCDE
Nota : Au 21 mars 2022. Source : Consensus Economics
Phase avancée de l’expansion caractérisée par une croissance plus faible, un resserrement des marchés du travail et une inflation élevée
Après la croissance exceptionnelle qui a suivi la récession causée par la pandémie, il est tout à fait normal d’observer un ralentissement, d’autant plus que l’économie se rapproche de son plein potentiel. Les indices des directeurs d’achats (PMI) demeurent à des niveaux conformes à une expansion. Ils ont néanmoins diminué progressivement après avoir atteint un sommet au début de 2021 (figure 3). Cette baisse des PMI survient fréquemment lors de l’arrivée à maturité du cycle économique. Les risques de récession seraient plus élevés si les PMI se rapprochaient davantage de la barre des 40. Le ralentissement de la croissance s’explique en partie par la baisse considérable des capacités économiques excédentaires. Par exemple, alors que le taux de chômage aux États-Unis atteignait 15 % au début de l’expansion en cours, il s’élève désormais à moins de 4 %. Il avoisine aujourd’hui le taux le plus faible des 50 dernières années, relevé avant la pandémie (figure 4). Même si l’économie peut continuer à se développer, il est normal d’anticiper un rythme plus modéré, en particulier dans un contexte de conflits géopolitiques, de perturbations des chaînes logistiques et de flambée des prix des marchandises (figure 5).
Figure 3 : Indices mondiaux des directeurs d’achats
Nota : Au 28 février 2022. Sources : Haver Analytics, RBC GMA
Figure 4 : États-Unis
Taux de chômage
Nota : Au 28 février 2022. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Figure 5 : Indice des marchandises Bloomberg
Nota : Au 24 mars 2022. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Des banques centrales conscientes de la nécessité de lutter contre l’inflation
Il est de plus en plus évident que les banques centrales ne considèrent plus l’inflation comme temporaire et qu’une intervention musclée est de mise. Le 16 mars, la Réserve fédérale des États-Unis (Fed) a relevé son taux directeur de 0,25 %. Cette mesure annonce le début d’un cycle de relèvement et pourrait être suivie de nouvelles hausses régulières lors des mois à venir. Au cours d’un récent discours devant la National Association for Business Economics, le président de la Fed, Jerome Powell, a déclaré qu’il pourrait être nécessaire de procéder à une ou à plusieurs hausses de 50 points de base en raison d’une inflation résolument élevée. Sur le marché des contrats à terme, les prix laissent envisager une hausse totale de 200 points de base d’ici la fin de l’année, suivi d’une nouvelle hausse de 75 points en 2023. Le taux des fonds fédéraux dépasserait alors le sommet de 2,50 % observé lors du cycle de resserrement entrepris entre 2015 et 2018 (figure 6). Il convient de noter que le Comité fédéral de l’open market ne se réunira plus que six fois en 2022. Les investisseurs s’attendent donc au minimum à une hausse de 50 points. Lors d’un cycle normal, les mesures de resserrement des banques centrales dénotent un renforcement de l’économie : les hausses de taux visent alors à empêcher une surchauffe. À l’inverse, lorsque les banques centrales rehaussent vigoureusement les taux d’intérêt pour lutter contre une inflation problématique, elles risquent d’entraîner le fléchissement d’une croissance déjà au ralenti, jusqu’à atteindre un niveau inquiétant pour la Fed tout comme pour les investisseurs.
Figure 6 : Taux implicite des fonds fédéraux
Contrats à terme sur 12 mois
Nota : Au 23 mars 2022. Sources : Bloomberg, Réserve fédérale américaine, RBC GMA
Déroute des obligations sur fond d’envolée des taux
La forte inflation et le durcissement de ton des banques centrales ont fait grimper les taux obligataires et provoqué d’importantes pertes pour les investisseurs en titres à revenu fixe. Depuis le début du mois, le taux des obligations américaines à dix ans a bondi de plus de 50 points de base et atteint à présent 2,40 %, soit son plus haut niveau depuis le printemps 2019. La hausse importante et rapide des taux depuis décembre a entraîné une chute de 7 % du ICE BofA U.S. Broad Market Index, un indice populaire composé d’obligations d’État et de catégorie investissement. Il s’agit du pire recul de cet indice depuis le début des années 1980 (figure 7). Malgré cette augmentation massive des taux obligataires, nos modèles indiquent toujours que ces taux sont anormalement bas, compte tenu des données actuelles sur la croissance et l’inflation (figure 8). Néanmoins, l’ampleur de cette récente hausse des taux a grandement atténué le risque de valorisation des obligations d’État sur une courte période.
Figure 7 : ICE BofA U.S. Broad Market Index
Baisses (indice de rendement global)
Nota : Au 23 mars 2022. Le graphique indique les baisses par rapport aux nouveaux sommets, en fonction des valeurs de clôture mensuelle pour l’indice de rendement global du ICE BofA U.S. Broad Market Index. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Figure 8 : Taux des obligations du Trésor américain à dix ans
Fourchette d’équilibre
Nota : Au 24 mars 2022. Sources : RBC GMA, RBC MC
Aplatissement de la courbe de rendement normal à un stade avancé du cycle
L’aplatissement considérable de la courbe de rendement depuis le début de l’année inquiète une partie du marché, qui craint y voir l’approche d’une période de récession. La figure 9 présente la pente de la courbe de rendement comme en témoigne l’écart entre les taux des obligations du Trésor à deux et à dix ans. Une ligne ascendante sur le graphique indique que la courbe de rendement s’accentue, tandis qu’une ligne descendante indique que la courbe s’aplatit. Une inversion survient lorsque la pente de la courbe de rendement atteint des valeurs négatives. Ce phénomène s’est produit avant chacune des six récessions aux États-Unis depuis 1980. La courbe de rendement se rapproche à nouveau du point d’inversion. Fait important, l’inversion a toutefois lieu généralement bien avant le début de la récession qui en résulte. En moyenne, les inversions de la courbe de rendement des obligations à deux et à dix ans se produisent 18 mois avant le début de la récession, et 15 mois avant le sommet du cycle du marché boursier. Puisque la courbe de rendement est actuellement (très légèrement) positive, il est possible que nous soyons à l’abri d’une récession pendant encore quelque temps. Toutefois, cet aplatissement substantiel de la courbe de rendement laisse penser que nous nous trouvons dans la deuxième moitié du cycle économique.
Figure 9 : Courbe de rendement des effets du Trésor américain
Écart de taux entre titre à 10 ans ettitre à 2ans
Nota : Au 24 mars 2022. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Les marchés du crédit n’entrevoient pas de risques majeurs
Les liquidations sur les marchés des titres à revenu fixe découlent principalement de la hausse des taux des obligations d’État. Les marchés du crédit se sont pour leur part relativement bien comportés. Bien qu’ils se soient légèrement creusés depuis le début de l’année, les écarts des obligations à rendement élevé demeurent nettement en deçà des moyennes historiques. De même, les taux de défaillance restent faibles et le pourcentage d’obligations à rendement élevé en difficulté est au plus bas (figure 10). En période de récession, les taux de défaillance et les écarts de crédit seraient bien plus élevés. Compte tenu de l’incertitude croissante vis-à-vis des perspectives ainsi que des risques accrus de récession, les risques encourus par les investisseurs des marchés de crédit ne semblent pas suffisamment compensés.
Figure 10 : Écart de taux des obligations à rendement élevé
Nota : Au 18 mars 2022. Sources : BofAML, Credit Suisse, RBC GMA
Rebond des actions et retour aux niveaux d’avant-guerre dans la plupart des cas
Les actions mondiales ont enregistré un rebond impressionnant peu de temps après les liquidations colossales qui ont suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février. L’indice S&P 500 a augmenté de plus de 8 % depuis son récent creux à la mi-mars, et les actions hors Amérique du Nord affichent même des hausses encore plus importantes. L’indice composé TSX du Canada a tiré profit de la progression des prix des marchandises pour atteindre cette semaine un nouveau record. Il a gagné plus de 3 % depuis le début de l’année. La plupart des marchés financiers sont revenus à leur niveau d’avant-guerre, à l’exception des marchés émergents (figure 11). Ces derniers ont tout de même connu une importante reprise. Les titres technologiques chinois se sont notamment beaucoup redressés en réponse aux promesses de soutien des prix des actifs par le gouvernement chinois, combinées à la dissipation des craintes d’une radiation des actions chinoises sur les marchés boursiers américains.
Figure 11 : Principaux indices boursiers
Indices de l’appréciation cumulative des titres en USD
Nota : Au 24 mars 2022. Appréciation des titres en USD. Sources : Bloomberg, RBC GMA
Réapparition du risque de valorisation et baisse du potentiel de rendement découlant de la reprise récente du marché boursier
Les valorisations boursières ont énormément oscillé d’une semaine à l’autre en raison de la volatilité intense provoquée par le contexte géopolitique, l’évolution des attentes à l’égard des taux d’intérêt et l’incertitude croissante des perspectives de croissance. Le mouvement de liquidation observé au début de mars a fait passer l’indice S&P 500 sous la barre des 4 200, à moins d’un écart type de la juste valeur estimée par notre modèle. Toutefois, à la suite de la récente reprise qui l’a porté à 4 500, cet indice s’est grandement éloigné de ce seuil pour atteindre une zone où la valorisation paraît excessive (figure 12). Par conséquent, le risque de valorisation a réapparu, ce qui amoindrit le potentiel de rendement global.
Figure 12 : Fourchette d’équilibre de l’indice S&P 500
Bénéfices et valorisations normalisés
Source : RBC GMA
Ralentissement potentiel de la dynamique positive des bénéfices
Depuis plus de 20 mois, le relèvement des prévisions des bénéfices apporte un soutien constant et considérable aux marchés. Il semblerait cependant que l’élan insufflé par les révisions de bénéfices diminue. La figure 13, qui illustre l’évolution mensuelle des prévisions des bénéfices du S&P 500, dénote une hausse constante depuis la mi-2020. Toutefois, les données des derniers mois démontrent que ces prévisions évoluent en dents de scie. Cette stabilisation laisse penser que, malgré une tendance haussière, les révisions de bénéfices ne stimulent plus les marchés boursiers. En outre, il est possible que les estimations des analystes n’aient pas encore totalement pris en compte le ralentissement de la croissance, le resserrement des conditions financières et les risques liés à la guerre. Les éventuelles révisions à la baisse des bénéfices pourraient s’avérer problématiques pour les marchés boursiers, notamment pour les actions à valorisation élevée.
Figure 13 : Indice S&P 500
Estimations générales des bénéfices
Nota : Au 23 mars 2022. Sources : Thomson Reuters, Bloomberg
Composition de l’actif – réduction de la surpondération des actions et affectation du produit aux obligations
Selon notre scénario de base, l’économie poursuivra sa croissance, mais à un rythme ralenti. Nous sommes conscients que le conflit actuel en Ukraine, l’envolée des prix des marchandises et le resserrement sensible des conditions financières élargissent considérablement l’éventail des résultats possibles. Nous nous attendons à ce que les banques centrales augmentent leurs taux d’intérêt à un rythme régulier tout au long de l’année afin de lutter contre l’inflation. Nous pensons toutefois que la récente hausse des taux des obligations tient déjà compte dans une large mesure du resserrement attendu. Étant donné que ces taux ont augmenté, il est moins probable que les pertes en capital effacent les revenus d’intérêt perçus. Les obligations d’État devraient afficher des rendements positifs faibles au cours de l’année à venir. Selon nous, l’augmentation de leurs taux offre aux portefeuilles équilibrés une meilleure protection en cas de récession. Nous restons d’avis que les actions rapporteront davantage que les obligations sur un horizon prévisionnel d’un an, et conservons donc notre surpondération en actions. Nous reconnaissons toutefois que la prime que s’attendent à recevoir les investisseurs qui détiennent des actions plutôt que des obligations est moindre, ce qui réduit dans une certaine mesure l’attrait des actions par rapport aux obligations (figure 14). Par conséquent, nous avons choisi de profiter de la reprise des actions et de la hausse des taux des obligations pour réduire notre surpondération en actions de 0,50 % au profit des titres à revenu fixe. Nos recommandations actuelles de répartition de l’actif d’un portefeuille équilibré mondial sont les suivantes : 63,5 % en actions (pondération stratégique « neutre » de 60 %), 34,5 % en obligations (pondération stratégique « neutre » de 38 %) et 2,0 % en liquidités.
Figure 14 : Ratio bénéfice/cours de l’indice S&P 500
Bénéfice des 12 derniers mois/niveau de l’indice
Nota : Au 24 mars 2022. Sources : RBC GMA, RBC MC
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