La conférence annuelle des Nations Unies sur les changements climatiques (COP28) permet aux gouvernements, au secteur privé et à la société civile de se réunir pour réfléchir aux risques systémiques découlant des changements climatiques, ainsi qu’aux mesures à prendre pour y faire face. Chaque année, la Conférence des Parties (COP) rassemble des représentants de plus de 190 pays afin d’évaluer les progrès accomplis dans l’atteinte des objectifs climatiques et de négocier des actions futures. Des participants du secteur privé se réunissent également lors d’événements parallèles pour traiter de sujets connexes.
En amont de la conférence de cette année, RBC Gestion mondiale d’actifs (RBC GMA) a présenté notre article Attentes des investisseurs envers la COP28. Alors que la COP28 prend fin, il est temps de réfléchir aux principaux engagements et mesures annoncés lors de la conférence, ainsi qu’à leurs répercussions pour les investisseurs. Même si les résultats complets des politiques gouvernementales et des mesures prises à la suite de la COP28 pourraient ne pas être visibles immédiatement, voici certaines de nos réflexions liées à la conférence sur le climat tenue cette année.
Transformation du système énergétique
À l’échelle mondiale, plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) proviennent du secteur de l’énergie, et découlent surtout de l’utilisation de combustibles fossiles pour le chauffage et la climatisation des bâtiments, le transport et l’industrie lourde.1 La réduction des émissions de GES et l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris exigeront une décarbonation du système énergétique, mais, malgré les progrès accomplis, le fait est que le monde continue de dépendre largement des combustibles fossiles. L’un des principaux sujets de discussion et de débat à la COP28 a été la manière dont la transition énergétique devrait se dérouler. Soulignons que pour la première fois, les pays participants sont parvenus à un consensus définitif sur « une transition hors des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, de manière juste, ordonnée et équitable » pour répondre à « la nécessité d’une réduction forte, rapide et soutenue des émissions de GES, en lien avec les trajectoires de 1,5 °C ».2 Bien que cet accord historique soit le fruit de bien des négociations, les critiques estiment que le libellé n’est pas suffisamment ambitieux, car il n’évoque pas explicitement une sortie progressive des combustibles fossiles, il manque de clarté sur les types de combustibles visés et il comprend une définition étroite de la transition.3 Il reste à voir quelles mesures gouvernementales seront prises suite à cet accord et si les réductions d’émissions qui en résulteront seront suffisantes pour réaliser l’ambition de l’Accord de Paris, qui vise l’atteinte d’une carboneutralité d’ici 2050.
La réduction des émissions de méthane a aussi figuré en bonne place à la COP28. Ainsi, 50 entreprises représentant 40 % de la production mondiale de pétrole ont signé la charte de décarbonation du pétrole et du gaz et se sont engagées à réduire leur intensité de méthane de 80 % à 90 % d’ici 2030.4 Ces initiatives des entreprises s’inscrivent en parallèle des engagements pris par les pays. Le Canada et les États-Unis ont annoncé des règlements visant à réduire les émissions de méthane de 75 % d’ici 2030 et de 80 % d’ici 2038, respectivement.5,6 Pour le Canada, qui est le quatrième plus grand producteur de pétrole et de gaz au monde, cela s’ajoute à l’annonce d’un plafond d’émissions axé sur la réduction des émissions du secteur.7,8
Pleins feux sur l’énergie à faible émission de carbone – énergies renouvelables et nucléaire
Nous savons déjà que les solutions d’énergie à faible émission de carbone deviennent de plus en plus abordables : les coûts de l’énergie solaire et des batteries ont baissé de 80 % entre 2012 et 2022.9 Par ailleurs, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit que l’utilisation annuelle des énergies renouvelables augmentera de 13 % par an jusqu’en 203010, et le récent bilan mondial (un inventaire des progrès collectifs des nations dans l’atteinte des objectifs liés au climat) souligne le besoin de tripler la capacité des énergies renouvelables et de doubler l’efficacité énergétique d’ici 2030.11 Dans cette optique, 120 pays ont signé l’engagement mondial en faveur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique, une initiative menée par l’Union européenne avec l’appui du Canada, des États-Unis, du Brésil et du Japon.12 Bien qu’il ne s’agisse pas d’un engagement contraignant, et que la mise en œuvre sera difficile, les nouvelles possibilités qui en découleront pourraient être importantes. Soulignons que la Chine et l’Inde, qui sont respectivement le plus grand producteur d’énergie renouvelable au monde et le troisième plus grand pays consommateur d’énergie13,14, n’ont pas souscrit à cet engagement, mais se sont montrées généralement favorables à celui-ci.15 L’énergie nucléaire s’est également retrouvée sous les projecteurs. Bien que plus coûteuse et potentiellement controversée, l’énergie nucléaire constitue une solution à faible intensité de carbone pour les pays qui cherchent à décarboner leurs réseaux électriques, en particulier ceux qui dépendent actuellement de centrales au charbon ou qui recherchent une source d’énergie fiable comme complément aux énergies renouvelables. Lors de la COP28, vingt-deux pays, dont les États-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne et la France, se sont engagés à tripler leur capacité d’énergie nucléaire d’ici 2050.16 Ces dernières années, les investissements dans l’énergie nucléaire ont stagné, car les nouveaux projets ont fait face à des obstacles réglementaires, des dépassements de coûts et des retards importants.17 Cet engagement, s’il est appuyé par la prise de mesures gouvernementales, permettra à de tels projets d’aller de l’avant.
Augmentation du financement climatique
Pour réaliser l’ambition de l’Accord de Paris et limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C d’ici la fin du siècle, les gouvernements et le secteur privé devront investir dans des mesures pour réduire les émissions et s’adapter aux changements climatiques.18 Au début de la COP28, une annonce importante a été faite : un fonds destiné à financer les pertes et dommages des pays vulnérables a officiellement été créé, les pays développés s’engageant à fournir un appui financier d’environ 700 milliards de dollars américains.19 Cette initiative est particulièrement importante pour les pays émergents, qui sont souvent plus vulnérables aux changements climatiques, même si les modalités d’accès à ces fonds doivent encore être confirmées. Les engagements en matière de financement climatique vont bien au-delà de ce fonds. D’autres résolutions ont été adoptées par des banques de développement et des partenariats public-privé, dont la Banque mondiale, qui a décidé d’accorder 45 % de son financement à des projets liés au climat.20 La mobilisation de capitaux mondiaux pour transformer les systèmes énergétiques, construire des infrastructures résilientes et soutenir les collectivités touchées par les changements climatiques demeurera prioritaire. Les estimations, bien que difficiles à établir, donnent à penser qu’il faudra 40 000 milliards de dollars américains supplémentaires pour atténuer les effets des changements climatiques et 600 milliards de dollars américains pour s’y adapter chaque année jusqu’en 2050.21 Le fonds pour les pertes et dommages et les engagements en matière de financement climatique sont une évolution positive. Cependant, il est probable que des sommes additionnelles importantes seront nécessaires pour faire face à l’augmentation des coûts et à l’incertitude persistante quant au respect par les gouvernements de leurs engagements volontaires.22
Atténuer les effets du changement climatique sur l’alimentation, la santé et la nature
Cette année, la conférence sur le climat a consacré plusieurs jours à la combinaison des changements climatiques, des gens et de la nature. L’avenir de l’alimentation et du secteur agricole a été mis à l’avant-plan. La transformation de notre système alimentaire peut réduire considérablement les émissions, alors que l’évolution des précipitations et des températures de même que la propagation des maladies continuent d’entraver la production de nourriture pour une population grandissante.23 Plus de 130 pays représentant 76 % des émissions mondiales du système alimentaire ont signé la déclaration sur l’agriculture durable, les systèmes alimentaires résilients et l’action pour le climat.24 Il s’agit de la première reconnaissance par les dirigeants mondiaux de la nécessité d’aborder le rôle des systèmes alimentaires dans l’action climatique. Le changement climatique n’influe pas seulement sur la capacité de produire de la nourriture, mais a aussi des effets sur la santé du fait de la propagation accrue de maladies et des incidences du climat. Par exemple, entre 2013 et 2022, il y a eu une hausse de 85 % des décès imputables à la chaleur.25 À la conférence de cette année, pour la première fois, les répercussions des changements climatiques sur la santé ont occupé le devant de la scène ; 124 pays, dont l’UE, les États-Unis et la Chine, ont annoncé la mobilisation de 1 milliard de dollars américains pour renforcer la résilience des systèmes de santé face au changement climatique.26 Les pays participants ont également montré qu’ils étaient de plus en plus conscients de la nécessité de s’attaquer aux risques liés à la nature en s’engageant à mettre un terme à la déforestation d’ici 2030,27 et qu’ils privilégiaient le rôle des personnes par le biais du programme de transition juste des milieux de travail, qui vise à réduire les inégalités liées à la transition énergétique.28 Bien qu’il soit admis depuis longtemps que le changement climatique est un problème important pour bien d’autres secteurs que celui de l’énergie, la COP28 a mis l’accent sur les risques et les opportunités dans tous les secteurs et a souligné la nécessité de placer les personnes au cœur de l’action climatique.
Les politiques et les règlements gouvernementaux annoncés à la COP28, ainsi que ceux qui devraient suivre, contribuent à l’analyse des coûts, des possibilités de revenus, des exigences en matière de dépenses en immobilisations, et des incidences politiques et juridiques de la transition mondiale vers une économie à zéro émission nette. Afin de permettre la prise de décisions efficaces concernant les facteurs climatiques importants, les investisseurs doivent pouvoir obtenir des émetteurs des rapports cohérents, comparables et normalisés sur les changements climatiques. C’est pourquoi RBC GMA s’est jointe à près de 400 organisations pour signifier son appui à l’adoption ou à l’utilisation des nouvelles normes mondiales d’information en matière de climat de l’International Sustainability Standards Board (ISSB).29 Nous sommes également encouragés par les efforts continus déployés pour rendre les données relatives au climat largement accessibles à tous. L’établissement de définitions communes et l’harmonisation des données et des méthodologies seront importants pour les émetteurs et les investisseurs.
La conférence annuelle sur le climat de cette année a répondu à nos attentes dans certains domaines, tels que les engagements en matière de méthane, d’énergie renouvelable et de financement climatique, et les a même surpassées dans d’autres. Plus particulièrement, l’accord conclu par plus de 190 pays relativement à la transition hors des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques témoigne d’un changement d’objectif et de perspective de la part des pays participants. La capacité de ces pays à parvenir à un consensus à la COP28 est un signal positif malgré les faibles attentes. Cependant, lorsque l’on considère les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de changement climatique, les premières analyses montrent que les engagements et les mesures des gouvernements ne sont toujours pas suffisants pour respecter l’Accord de Paris et limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C d’ici la fin du siècle.30 Il reste à voir comment les pays chercheront à combler ce fossé et à permettre une transition juste et ordonnée.
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