Qu’est-ce qui a causé l’implosion de la Silicon Valley Bank ? Qu’est-ce qui est en jeu pour les marchés, les entreprises et les investisseurs ? Dans cet épisode, Stu Kedwell, cochef, Actions nord-américaines, donne son avis sur la situation actuelle.
Transcription
Bonjour et bienvenue à cette édition de À télécharger. Je suis votre hôte, Dave Richardson, et il s'agit d'une édition spéciale des mardis de Stu car, comme nous en avons beaucoup parlé sur ce plateau au cours des derniers mois, lorsque vous commencez à resserrer les conditions monétaires en augmentant les taux d'intérêt, ou lorsque les banques centrales comme la Réserve fédérale et la Banque du Canada vendent pour des milliards de dollars de bons du Trésor sur le marché dans le cadre d'un resserrement quantitatif, même s'il y a décalage, il arrive un moment où cela se fera sentir. Nous venons de le voir avec la faillite d'une banque aux États-Unis. Je pense qu'une autre a fait de même et il pourrait y en avoir deux ou trois autres. Nous commençons à voir l'impact de ces conditions financières plus strictes. Je voulais donc entendre Stu Kedwell en ce début de semaine, car il possède une expertise incroyable dans ce domaine. Il est co-responsable des actions nord-américaines chez RBC Gestion mondiale d’actifs, en plus d’être l'homme le plus intelligent que je connaisse. Un signe d'intelligence c’est certes d’être en mesure d’expliquer des choses complexes à des experts dans le domaine, mais la véritable intelligence— et c’est ce que j’explique à mes enfants quand ils trouvent que je simplifie tout— c’est d'être capable de décortiquer des questions complexes pour qu'une personne qui n'est pas dans le secteur financier puisse les comprendre. Et c'est ce que vous faites si bien avec nous chaque semaine. Alors, quand vous analysez la question en tant qu’investisseur, que comprenez-vous?
Lorsque les taux d'intérêt augmentent, on sait qu'il y aura un resserrement des conditions financières quelque part. On connait les endroits où cela peut se manifester, mais on ne sait pas exactement où ni quand. Mais pour y faire face, il faut donc se dire qu'un jour ou l'autre, cela se fera bien sentir et les bénéfices s'en ressentiront. Mais l'ampleur et la rapidité à laquelle cela va se produire est bien difficile à prévoir. Dans le cas qui nous intéresse, la semaine dernière, trois banques aux États-Unis ont fait l'objet d'une procédure devant la FDIC (la Federal Deposit Insurance Corporation), et chaque cas était différent. Certaines d'entre elles versent dans la crypto-monnaie. Mais dans le cas de la Silicon Valley Bank, la plus grande d’entre elles, leurs dépôts avaient augmenté en réaction à ce que nous avons vu au cours des douze derniers mois, et elle n'avait pas accordé de prêts en contrepartie de ces dépôts, ce qui est souvent à l'origine des problèmes. Si elle accorde un grand nombre de prêts, nous ne savons pas si le crédit est toujours bon, ce qui devient une source de préoccupation. La plupart des titres sont des titres garantis par l'État. Mais ce que nous avons vu, c'est que lorsque les taux d'intérêt augmentent très rapidement, même les obligations à court terme peuvent perdre de la valeur. Il faut savoir que les structures réglementaires varient selon les banques. Les institutions financières d'importance systémique, les SIFI, sont soumises à des normes de réglementation plus strictes face à ce genre d’événements. Quoiqu’il en soit, ces titres sont inscrits au bilan. Mais s’ils auraient dû représenter de l'argent sonnant— puisqu’ils sont, comme je l’ai dit, garantis par le crédit du gouvernement américain— il eut fallu que cette banque dispose de dépôts pour continuer à financer ce portefeuille de titres. Une institution financière mondiale d'importance systémique a accès à toutes sortes de dépôts: financement de gros, petits comptes, petites entreprises, comptes commerciaux, etc. S’ils existent, elle les détient. Mais les banques plus petites sont souvent dépendantes d'une seule catégorie de dépôts. Et dans le cas de la Silicon Valley Bank, elle dépendait surtout des dépôts de capital-risque. Supposons que je lève des fonds pour une nouvelle startup et que je les dépose à la Silicon Valley. Si mon entreprise ne génère pas de liquidités, je suis déjà vulnérable parce que je n'ai pas de rentrées d'argent. Au premier signe de difficulté, je voudrai peut-être transférer mes dépôts dans une autre institution. Et beaucoup de mes collègues ont fait la même chose le même jour, à la même heure. La Silicon Valley Bank avait quelque 160 milliards de dollars de dépôts, et je pense qu'elle a reçu des demandes pour 40 milliards de dollars jeudi dernier. Si vous êtes une banque, ce n’est pas facile à dénicher en un instant. Et c’est ce qui a conduit à la chute de la Silicon Valley. Dans le système bancaire aux États-Unis, il y a, à peu près, deux billions et demi de dépôts. Et là-dessus, un billion dans des petites banques. C'est pourquoi, ce week-end, la banque centrale a pris des mesures énergiques pour offrir des liquidités dont disposeront ces banques, si le besoin est, afin de protéger les dépôts. La Réserve fédérale a annoncé la mise en place d'un mécanisme qui permettrait de recevoir les titres qui figurent dans votre bilan. Elle donnera 100 dollars de liquidités en échange de 100 dollars d'obligations, même si celles-ci ont subi des pertes liées à leur évaluation au prix du marché. C'est donc une bonne façon de prendre soin des déposants.
Je vous interromps car j'aimerais, pour les auditeurs, définir certains points que vous avez soulevés. Pour les Canadiens, la FDIC est l'équivalent de la SADC, l’assurance-dépôt du gouvernement. Pas tout à fait identique, avec des différences au niveau des minimums, mais c’est comparable. Mais aussi, pouvez-vous me donner un exemple de SIFI aux États-Unis? Et au Canada, les SIFI existent-elles?
JPMorgan serait un bon exemple. Au Canada, les six grandes banques sont ce que l'on appelle des institutions financières d'importance nationale. Les banques TD et Royale sont devenues des G-SIFI, des institutions financières internationales, mais à cette occasion, l'autorité de régulation canadienne avait appliqué une même réglementation pour l'ensemble des six banques.
D'un point de vue canadien, je tenais à souligner que la situation est différente. Il existe quelques grandes banques aux États-Unis, mais aussi des centaines de petites banques qui acceptent les dépôts. Il s'agit là d'une différence importante. Il y a aussi la question des modalités. Au Canada, par exemple, vous achetez un CPG dans une banque. Disons que vous déposez 1000$ pour cinq ans avec un taux d'intérêt établi. Les 1000$ déposés sont entièrement remboursés à la fin de la période. Et la banque vous verse des intérêts. Il n'y a pas de fluctuation de la valeur parce que vous le laissez là jusqu'à l'échéance. En règle générale, lorsque les banques font ce que faisait la Silicon Valley Bank, elles prennent cet argent, l'investissent ailleurs et se portent garantes qu'il arrivera à échéance. Le milliard de dollars qui entre est un milliard de dollars qui sort. Mais ce n'était pas le cas cette fois-ci. Ils investissaient dans des domaines dont la valeur pouvait fluctuer. À la valeur du marché, quand il faut encaisser cet argent, cela pose problème.
Exact. Supposons que j'aie 100 dollars pour une obligation d'un an et qu'elle rapporte 4 dollars d'intérêts. Si les taux d'intérêt passent à 5% le lendemain, combien me paieriez-vous pour l'obligation à 4%? Je pourrais mettre 100$ et obtenir 5%, ou je pourrais acheter la vôtre et obtenir 4%. Je vous paierais donc 99 dollars. Et j'obtiendrais un dollar supplémentaire de capital. Les deux obligations sont équivalentes. Mais si j'ai cette obligation dans mon bilan, elle est réduite de 1% jusqu'à ce que les 365 jours se soient écoulés. De nombreuses banques opèrent donc avec ces portefeuilles de titres, dont la duration est de deux ou trois ans, ce qui est tout à fait raisonnable dans le contexte de l'appariement avec la franchise de dépôt. Certaines banques américaines ont acheté des titres adossés à des créances hypothécaires. Ces titres fonctionnent différemment, en particulier aux États-Unis. Si le taux d’intérêt de votre prêt hypothécaire baisse, vous pouvez le refinancer. Et s'il augmente, vous pouvez le bloquer pendant 30 ans. C'est ce qu'on appelle la convexité. Lorsque vous possédez un titre adossé à une hypothèque et que les taux d'intérêt dépassent le taux incorporé, la duration du titre s'allonge rapidement et la valeur du titre diminue davantage que le taux d'intérêt. Ce n'est pas comme si tout leur portefeuille de titres était concerné, mais peut-être qu'ils en détenaient un pourcentage, ce qui a suscité plus d'inquiétude.
Tout à fait exact. Et quand je parle d'évaluation au prix du marché, je parle de l’évaluation au niveau du marché à un moment spécifique. Si vous devez vendre à ce moment du marché, voici ce que cela vaut. On pourrait faire la comparaison avec la maison que vous habitez. Elle a la valeur que vous avez payée, mais tant que vous ne la vendez pas, cette valeur n’a pas d’importance, à moins que vous ne vouliez obtenir un prêt en échange, auquel cas, vous pourriez la faire évaluer ce jour-là précisément. Ce n'est peut-être pas la meilleure comparaison, et je devrais peut-être vous laisser cette tâche, mais bon, Stu, quelles seront les conséquences pour l'ensemble du marché? Nous avons assisté à un vaste mouvement de repli ou de déplacement vers la qualité. Les rendements obligataires de 2 à 30 ans ont baissé de façon spectaculaire, et cela nourrit les craintes. Cela revient à votre affirmation selon laquelle, tôt ou tard, le resserrement de la politique monétaire finira par avoir un impact sur l'économie.
Il y a deux ou trois choses à cela. Tout d'abord, la baisse des taux d'intérêt aussi agressive qu'elle l'a été au cours des trois derniers jours a permis d'atténuer les effets négatifs de l'évaluation au prix du marché. Voilà pour un petit point positif. Mais deuxièmement, selon toute vraisemblance, la réglementation sera plus stricte lorsque les banques commenceront à voir les dépôts circuler dans le système. Malgré l'action de la Réserve fédérale pour protéger les dépôts, je ne suis pas sûr qu'elle empêchera une migration vers les banques les plus solides. Cela ne peut que resserrer les conditions financières, ce qui entraîne souvent des difficultés d'accès au crédit et un coût du capital plus élevé, et peut avoir un impact sur les bénéfices. Et je pense que c'est ce que le marché boursier tente d’éviter ou de gérer. Comme vous l'avez dit, lorsque vous avez une évaluation au prix du marché, le marché boursier va entrer en jeu et essayer de recalculer les probabilités des scénarios qui s’offrent à nous. Pour les perspectives de bénéfices, on parlait d’un scénario d'atterrissage en douceur, puis d'un atterrissage plus difficile. C'est ce que le marché boursier essaie de réajuster ou de réorganiser depuis deux jours, et on verra la suite. À court terme, il est probable que la situation soit plus volatile. À plus long terme, comme nous en avons discuté avant l'appel, cette notion selon laquelle lorsque l'inflation atteint un sommet, douze mois plus tard, les taux d'intérêt atteignent le leur. L'inflation a atteint son sommet à la fin du printemps dernier. Les taux d'intérêt semblent être en phase finale d'augmentation. Nous avons un chiffre important pour l'IPC demain, mais ce qui se passe dans le système bancaire est susceptible d'être pris en considération. Et les bénéfices sont souvent au plus bas douze mois plus tard. Il y a donc cette mesure historique de la façon dont les choses se déroulent, même si les histoires qui émergent à tout moment sont différentes. C'est ce sur quoi nous nous concentrons. Et c’est ce qui complique l’histoire. Les obligations ont connu deux jours très forts, et nous allons maintenant continuer à travailler sur les bénéfices et à rechercher ces vulnérabilités clés pour nous assurer de protéger le portefeuille. Ce n’est pas facile de dire à quelle manche nous sommes rendus. On en est peut-être à la septième, qui sait.
Oui, c'est un point important pour les investisseurs en obligations. Un Canadien typique est investi à 55% en obligations et à 45% en actions. Il est fort probable que votre portefeuille d'obligations, ou la partie la plus prudente de votre portefeuille, ait très bien tiré son épingle du jeu en raison de l'évolution des taux d'intérêt gouvernementaux.
En effet. Et quelques points intéressants. Tout d'abord, oui, les rendements sont en baisse, donc les prix sont en hausse. Deuxièmement, nous avons beaucoup parlé de la pente de la courbe des rendements, entre la deux et la dix, qui s'est considérablement réduite. Elle est toujours négative, mais elle s'est beaucoup réduite. Nous verrons l'inflation demain. Selon les données de la semaine dernière, la situation des salaires a été meilleure. J’ai honte à le dire mais quand je dis «meilleure», je veux dire «plus faible». On aime toujours voir des salaires plus élevés pour les gens que l'on connaît, mais pas des salaires plus élevés en général pour l'économie, lorsque l'on est un investisseur. Les salaires ont donc légèrement baissé, et l'inflation peut continuer à diminuer. L'inclinaison de la courbe des taux suggère que la Fed peut alors commencer à réfléchir au niveau des taux d'intérêt et à la possibilité d'un assouplissement à l'avenir. Et ce qui se passe dans le système bancaire pourrait accélérer ces discussions.
D'accord, voilà pour un excellent résumé. Mais je voudrais terminer en disant que pour les personnes de 35 ans et plus, le souvenir le plus important qu'ils ont des marchés dans une situation économique inhabituelle est peut-être la crise financière mondiale de 2007 à 2009, et la récession qui s'est poursuivie jusqu'en 2010. Lorsqu'ils entendent parler de la faillite d'une banque, les gens se demandent bien sûr si cette situation risque de se transformer en une nouvelle crise financière mondiale. Si oui, pourquoi? Et si ce n'est pas le cas, qu'est-ce qui est différent cette fois-ci?
La principale différence est que, lors de la crise financière, l’endettement était plus important. Ensuite, nous nous sommes inquiétés de la qualité des actifs. Le prix d'un actif est déterminé par la qualité et par le taux d'actualisation pour créer ce prix. C'est donc le taux d'actualisation qui a exercé une pression. La hausse des taux d'intérêt a donc pesé sur la valeur de certains titres. Mais comme nous l'avons vu ces trois derniers jours, cela revient à rappeler que la Fed sait comment arrêter l'inflation et qu'elle sait comment relancer l'économie avec des taux d'intérêt plus bas. La baisse des taux d'intérêt atténuera la douleur qui cause la consternation actuelle autour des prix des actifs. Il ne s'agit donc pas d'un problème de qualité de crédit. Je ne doute pas qu'il y aura des pertes sur les prêts, mais il n'y a pas cette disparition du crédit qui s'est produite lors de la crise financière. Non seulement certains prêts hypothécaires étaient soumis à une forte pression, mais ils ont été découpés en tranches de sorte que certains titres ont perdu leur valeur très rapidement. Il s'agit davantage de l'impact négatif de la hausse des taux d'intérêt, ce qui constitue une différence significative. Enfin, le nombre de changements réglementaires intervenus depuis la crise financière, en particulier dans les institutions financières internationales, est considérable.
Oui, et je pense que l'on peut également dire que la réglementation fonctionne. D'après mes souvenirs de 2007-2008, alors que ces pressions s'accumulaient dans le système financier, les régulateurs n'étaient pas au courant et ont été un peu lents à réagir. Ce que nous avons vu ce week-end, c'est que l'autorité de régulation et le gouvernement américain sont intervenus promptement pour envoyer un signal aux marchés, leur indiquant qu'ils allaient intervenir et veiller à ce que cette situation ne se reproduise pas chez d’autres institutions financières. En soi, cela devrait nous rassurer. Ils ont surveillé la situation de très près; ils étaient là à la minute même où cette crise s'est produite.
Oui, c'est un excellent point. Entre vendredi midi, quand ils ont fermé la Silicon Valley Bank, et dimanche soir, ils ont réagi très promptement. Dans les prochains temps, le travail consistera, à court terme, à réfléchir à la manière dont cela pourrait se répercuter sur le système bancaire. Ensuite, un second effet est de savoir ce que cela fait à l'économie et au profil des bénéfices. Enfin, troisième impact, est-ce suffisamment pris en compte dans les prix? On verra la suite.
Bon, eh bien, restons-en là. Stu, merci encore pour le temps que vous nous avez accordé ce matin. Nous avons mis sur pied cette entrevue très rapidement et je sais à quel point vous êtes occupé, surtout après ce qui vient de se passer. Merci encore pour le temps que vous nous avez consacré, Stu.
Très bien. Merci beaucoup, Dave.