La première chose qui m’a frappée lors de mon voyage au Moyen-Orient, c’est la porte d’embarquement au terminal 5 de l’aéroport de Heathrow : tout le monde était en tenue d’affaires. Il y avait eu trop de réservations, l’avion était plein à craquer. Les deux tiers des sièges étaient réservés à la classe affaires, et il n’y avait que quelques rangées de sièges en classe économique, entassés à l’arrière, comme si on les avait ajoutés après coup.
Nous avons atterri à Riyad, la vibrante capitale de l’Arabie Saoudite où se trouve le siège du Conseil de coopération du Golfe (CCG). C’était un lundi soir, à 23 h, et la ville était animée. Des établissements de restauration rapide colorés bordaient les routes, ironiquement entremêlés de pharmacies et d’hôpitaux privés. Dans ce pays où la prévalence de l’obésité et du diabète est parmi les plus élevées au monde, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il valait mieux prévenir que guérir.
Durant notre séjour d’une semaine, nous avions prévu de visiter trois des six pays du CCG : Bahreïn, le Koweït et l’Arabie saoudite. Décrit par le FMI comme étant « une heureuse exception dans l’économie mondiale »1, le CCG est en voie de devenir un acteur important sur la scène économique et géopolitique.
Figure 1 : La croissance économique devrait s’accélérer au Moyen-Orient selon les prévisions
Source : FMI, mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, janvier 2025. Estimations pour 2024, projections pour 2025 et 2026. https://www.imf.org/fr/Publications/WEO/Issues/2025/01/17/world-economic-outlook-update-january-2025
On s’attend à ce que la croissance économique s’accélère au cours des prochaines années et à ce qu’elle soit plus en plus stimulée par les revenus autres que pétroliers, tandis que les investissements et les réformes structurelles du gouvernement portent leurs fruits (figure 1). À première vue, le CCG représente une union régionale, politique et économique composée principalement de monarchies autocratiques, de populations musulmanes et d’économies pétrolières. Or, chaque pays membre a une dynamique et des traits qui lui sont propres et se trouve à un stade de développement différent. J’étais impatiente d’être sur le terrain et d’en découvrir davantage.
L’Arabie saoudite : la locomotive du Moyen-Orient
L’Arabie saoudite est le plus grand pays du CCG, qu’il soit question de superficie ou de population. Elle possède également l’économie la plus importante grâce à ses vastes réserves de pétrole, qui ont les plus connues au monde. Fait intéressant, c’est l’un des pays qui a travaillé le plus activement à diversifier son économie en vue de dépendre moins du pétrole, ces dernières années.
Le royaume est en pleine transformation depuis l’arrivée au pouvoir du prince héritier Mohammed ben Salman, en 2015, grâce à une série de réformes sociales et économiques et d’investissements gouvernementaux mis en œuvre dans le cadre de son ambitieuse initiative, Vision 2030. On peut constater son évolution dans l’indice mondial de diversification économique : il a grimpé de 30 rangs entre 2000 et 20232.
Tandis que nous traversions Riyad en voiture, j’ai pu observer le paysage urbain : bas et étendu, il était parsemé de quelques gratte-ciel futuristes qu’on aurait facilement pu prendre pour des œuvres d’art. La ville est en train de se transformer ; il y a des chantiers à tous les coins de rue. Il est vrai qu’elle aura besoin de nombreuses infrastructures pour répondre aux besoins de l’accroissement de la population prévu dans le cadre de Vision 2030. Laissant libre cours à mon imagination, je me suis demandé : de quoi la ville aura-t-elle l’air dans cinq ans ?
La première journée, nous avons assisté à une conférence. Le sujet de la table ronde était la diversification à l’échelle mondiale – à savoir si elle est suffisante pour les investisseurs (figure 2). Il est évident que les marchés émergents ont un gros rôle à jouer sur ce plan : il s’agit d’un groupe de pays diversifiés offrant toutes sortes d’occasions de croissance structurelle. Le lieu de la discussion était approprié, puisque la part des marchés boursiers du Moyen-Orient grandit rapidement au sein des indices de marchés émergents. (Leur pondération globale dans l’indice MSCI EM est passée de 4 %, il y a à peine cinq ans, à 7 % à l’heure actuelle.)
Un vol intérieur à bord de Saudia, le transporteur local, nous a emmenés à Dammam, la capitale de la province orientale de l’Arabie Saoudite située sur la côte. Nous avons aperçu un groupe de jeunes adolescentes en tenue décontractée, en train de bavarder joyeusement. On nous a ensuite informés qu’il s’agissait de l’équipe nationale féminine de soccer des moins de 17 ans. Elles avaient un match à Bahreïn. Assez remarquable dans un pays où, il y a seulement quelques années, les femmes n’avaient pas le droit de conduire ni d’assister à des événements sportifs.
Nous avons rencontré un investisseur qui gère les actifs de régimes de retraite et d’assurance d’une grande société. Il nous a dit que, après Dubaï, l’Arabie Saoudite livre une concurrence féroce à Abu Dhabi, où les affaires et le tourisme sont en plein essor. L’attitude des investisseurs que nous avons rencontrés à l’égard des actions de marchés émergents est intéressante : étant eux-mêmes issus de la région, ils semblent plus réceptifs aux occasions de placement offertes par les jeunes économies qui connaissent actuellement une croissance rapide.
Bahreïn : une économie petite, mais diversifiée
À une heure de route de Dammam se trouve Bahreïn, un archipel de plus de 30 îles situé dans une baie, sur la côte sud-ouest du golfe Persique. À bien des égards, Bahreïn est à l’opposé de l’Arabie Saoudite. Le territoire de l’Arabie saoudite est vaste, et son économie est importante, tandis que la population du Bahreïn (environ 1,5 million d’habitants) et son économie sont les plus petites du CCG3. Comme ses réserves de pétrole sont relativement faibles, l’économie de Bahreïn est plus diversifiée. Les services financiers, les banques, la fabrication et le tourisme sont parmi ses secteurs les plus importants. Elle semble aussi moins dynamique, les réformes y étant limitées. Le climat de l’Arabie saoudite est aride, tandis que Bahreïn a une atmosphère plutôt tropicale. Sa proximité en fait une destination de fin de semaine populaire auprès des Saoudiens (figure 3).
Fait intéressant, plusieurs des investisseurs que nous avons rencontrés nous ont dit qu’ils ont augmenté leurs placements en Chine et qu’ils sont généralement optimistes à l’égard des actions des marchés émergents pour les prochaines années. Il s’agit d’un changement d’attitude important par rapport à dernièrement
Le Koweït : le retardataire de la région en matière de compétitivité mondiale
Notre dernière escale était le Koweït, pays situé au nord du golfe Persique, bordé par l’Irak au nord et par l’Arabie Saoudite au sud. L’architecture vieillissante et le processus de visa complexe à l’aéroport de la ville de Koweït nous ont laissé une impression tout à fait différente, alors que notre expérience avait été jusque là sans faille. Si l’on en croit le classement mondial de la compétitivité, la première impression est effectivement importante. Les économies du Moyen-Orient font généralement très bonne figure sur ce plan. Les Émirats arabes unis se classent au 7e rang, le Qatar, au 11e, l’Arabie saoudite, au 16e et Bahreïn, au 21e. Toutefois, le Koweït est à la traîne, en 37e place4. Peut-être est-ce lié à son système politique. D’une part, il semble plus démocratique que celui d’autres pays du CCG, car il est composé d’une assemblée nationale en plus d’un émir (le chef de l’État) ; d’autre part, le Koweït a souffert d’une grande instabilité politique qui a retardé des investissements et des réformes fort nécessaires.
Les investisseurs institutionnels locaux à qui nous avons parlé étaient amicaux et dynamiques. Ils nous ont dit qu’il était rafraîchissant de rencontrer des femmes gestionnaires d’actifs. Nous avons discuté des marchés boursiers locaux, en particulier de valorisations et de liquidité. Nous avons également abordé l’accès aux entreprises et la divulgation de l’information, qui sont selon nous les principaux obstacles à l’investissement au Moyen-Orient.
Résumé
Après avoir fait le bilan de mon séjour, je dois dire que cette région est très prometteuse. Ces marchés, bien qu’ils soient développés à certains égards, offrent un potentiel de croissance considérable pour les investisseurs, car de nombreux segments sont sous-développés et l’économie est encore généralement informelle.
De plus, ils sont attrayants d’un point de vue descendant. La croissance économique est de plus en plus structurelle, alors que les pays mettent en œuvre des réformes sociales et économiques pour diversifier leurs revenus afin de moins dépendre du pétrole.
Bien que nos placements dans la région soient actuellement limités, nous croyons qu’ils pourraient croître au fil du temps, à mesure que les marchés boursiers évolueront et que la communication des sociétés et leurs relations avec les investisseurs s’amélioreront.