Alors que les risques environnementaux et géopolitiques continuent de s’accroître et menacent la stabilité économique, les critères ESG sont devenus aussi importants pour les investisseurs en titres à revenu fixe que pour les détenteurs d’actions.
Ils façonnent la manière dont nous investissons tous, en faisant passer la priorité du simple potentiel de hausse à une perspective plus large qui tient compte de la durabilité à long terme pour les humains et la planète.
Par conséquent, un changement important s’est produit en ce qui concerne l’engagement des investisseurs en obligations. Les acheteurs d’actions sont depuis toujours ceux qui dialoguent avec les sociétés dans lesquelles ils investissent. À titre d’actionnaires et, donc, de propriétaires de la société en question, ils jouissent du droit de vote par procuration, ce qui leur donne l’occasion d’influer sur la gouvernance d’entreprise et d’échanger directement avec les équipes de direction sur la façon dont l’entreprise est gérée.
Les détenteurs d’obligations sont des prêteurs, et non des propriétaires, et ne profitent d’aucun mécanisme juridique direct d’influence. Or, l’importance des critères ESG dans le milieu des placements a renversé cette dynamique, libérant ainsi la voix du détenteur d’obligations. Les détenteurs d’obligations n’ont pas de droit de vote, mais ils ont la force du nombre et peuvent ainsi exercer une influence. À titre individuel ou collectif, les détenteurs d’obligations ont le pouvoir de soutenir financièrement l’émission de nouvelles obligations ou de retirer leur appui à cet égard et, pour cette raison, la capacité de faire grimper les coûts d’emprunt.
Par le passé, si un investisseur en obligations ignorait une émission à cause d’enjeux ESG, un autre achetait probablement les obligations, soutenant ainsi la demande. Toutefois, à mesure que les critères ESG gagnent en importance auprès des clients, l’ensemble du secteur se tourne vers un modèle d’exploitation plus rigoureux. Les mauvaises pratiques ESG sont de moins en moins tolérées. Une société peu soucieuse des critères ESG pourrait être confrontée à un manque d’intérêt pour son émission, puis à la hausse des coûts d’emprunt pour compenser les risques ESG que les investisseurs sont disposés à courir en souscrivant son titre.
Mode d’engagement
L’engagement des détenteurs d’obligations exige une approche de gestion active. Les algorithmes de reproduction de l’indice et de gestion passive ne tiennent pas compte de toutes les nuances associées à l’engagement. L’analyse en profondeur des valeurs, de la culture et des pratiques ESG d’une société exige une approche directe.
Le fait de ne pas acheter d’obligations d’une société permet d’exprimer clairement son désaccord à l’égard des pratiques ESG, mais ne suscite pas nécessairement des changements. Sans droit de vote, l’engagement des détenteurs d’obligations prend généralement la forme d’un dialogue : réunions, appels et lettres. Les gestionnaires d’actifs peuvent s’engager à titre individuel ou tirer parti ensemble d’une proportion de l’influence collective des détenteurs d’obligations. Le recours aux médias peut également accroître la puissance du message d’un investisseur en obligations.
Nous croyons que l’engagement ESG ne se limite pas à un seul secteur d’activité. Selon la nature de l’initiative, notre équipe spécialisée en investissement ESG pourrait diriger les efforts ou travailler en collaboration avec des équipes de placement précises. L’engagement collaboratif auprès des émetteurs et à l’échelle sectorielle est généralement mené par des membres des équipes des placements et de l’investissement ESG, tandis que les activités visant les enjeux ESG ou l’industrie sont principalement dirigées par l’équipe de l’investissement ESG.
Comprendre l’engagement dans le secteur des titres à revenu fixe
Il est rarement facile de susciter des changements, ce qui signifie que les détenteurs d’obligations et d’actions ont du mal à se faire entendre. Au sein de l’univers des titres à revenu fixe, de nombreuses nuances peuvent influer sur l’efficacité des méthodes d’engagement : certaines représentent des obstacles potentiels et d’autres, des occasions.
« Le fait de ne pas acheter d’obligations d’une société permet d’exprimer clairement son désaccord à l’égard des pratiques ESG, mais ne suscite pas nécessairement des changements. »
Sociétés et États
- Les obstacles et les défis de l’engagement auprès des États peuvent être plus fréquents qu’auprès des sociétés.
- L’engagement auprès des États vise généralement à obtenir de l’information, mais il peut aussi offrir des occasions d’exercer une influence, comme l’amélioration de la transparence budgétaire et le maintien de conditions d’exploitation qui donnent confiance aux investisseurs.
Différences entre les sous-catégories d’actifs
- L’engagement peut être plus facile auprès d’émetteurs de catégorie investissement que dans la catégorie à rendement élevé, compte tenu de la taille et des ressources généralement importantes de l’émetteur et de sa capacité ou de son besoin d’échanger sur des sujets tels que les résultats.
- L’engagement auprès des émetteurs de titres à rendement élevé peut être utile pour obtenir de l’information et mieux comprendre les pratiques et la gestion des risques ESG, particulièrement lorsque les données de tiers disponibles sont insuffisantes et que l’information publique est limitée.
Marchés émergents et marchés développés
- L’accès aux émetteurs de marchés émergents (ME) peut représenter un défi d’engagement, tant auprès des sociétés que des États.
- L’engagement auprès des émetteurs de ME peut être particulièrement utile pour comprendre les pratiques ESG lorsque l’information se fait rare, ainsi que pour susciter des changements et l’adoption de meilleures pratiques.
Titres de créance publics classiques et créances titrisées
- L’engagement est possible dans le segment des créances titrisées, mais comme la catégorie d’actifs est nuancée, une attention particulière doit être portée aux méthodes utilisées, au niveau d’engagement possible (p. ex., auprès du directeur) et à la mesure dans laquelle l’engagement peut servir à exercer de l’influence (plutôt qu’à des fins purement informatives).
Nos activités d’engagement en 2022
Nous utilisons un registre centralisé d’engagement dans notre plateforme exclusive de recherche sur l’alpha. Le système documente les cas d’engagement, les méthodes de consignation utilisées, les sujets soulevés et les perspectives après l’engagement, y compris en ce qui a trait aux critères ESG. Nous perfectionnons constamment cette technologie afin de recueillir des données plus détaillées, notamment en faisant le suivi des progrès par rapport aux objectifs et aux échéanciers. En 2022, nous avons réalisé 484 engagements ESG auprès de 311 émetteurs uniques. D’autres renseignements détaillés sont présentés ci-dessous.
* 1 Mentions légales : Les données comprennent les engagements ESG pour la période du 1er janvier 2022 au 31 décembre 2022 seulement. Les engagements ESG peuvent reposer sur plusieurs piliers de risque et d’occasion et porter sur de multiples sujets de risque et d’occasion. Les engagements d’information sont entrepris pour acquérir une meilleure compréhension en vue de la prise des décisions de placement. Les engagements d’influence sont entrepris pour faciliter le changement. Les engagements auprès des émetteurs comprennent ceux entrepris auprès des sociétés et des États. Les engagements auprès des non-émetteurs comprennent ceux menés au sein de la société civile et auprès des responsables des politiques.
Engagement collaboratif ESG
L’engagement collaboratif peut offrir un puissant mécanisme aux investisseurs en titres de créance pour inciter les émetteurs à améliorer leurs pratiques ESG. Il peut être vaste ou ciblé, et la collaboration a souvent plus d’influence que les efforts individuels.
Nous sommes déterminés à jouer notre rôle dans l’engagement collaboratif et à faire progresser les meilleures pratiques ESG au moyen d’activités de gérance. Les approches collaboratives peuvent parfois entraîner des changements qu’une seule personne ne pourrait provoquer ou aurait mis beaucoup plus de temps à provoquer. Dans certaines circonstances, nous pouvons prendre des mesures individuelles et collaboratives à l’égard d’un émetteur afin de maximiser l’incidence.
Au sein de notre secteur, nous sommes membres de nombreux organismes et participons à de nombreuses initiatives afin d’orienter et de renforcer nos propres pratiques ESG et de faire progresser l’adoption des critères ESG dans le domaine des placements à revenu fixe.
Études de cas : État
Cible: Ukraine
Objectif de l’engagement : Échanger activement sur divers enjeux ESG liés au conflit entre la Russie et l’Ukraine.
Aperçu de l’engagement
- Nous avons échangé sur les enjeux ESG liés au conflit entre la Russie et l’Ukraine en 2022 au moyen de divers mécanismes :
- Élaboration d’une déclaration de principe pour le gouvernement britannique sur la reconstruction de l’Ukraine et le rôle potentiel du secteur privé, ainsi que d’une déclaration de principe pour le CMI, groupe de réflexion de la fondation Martti Ahtisaari, sur les besoins économiques de l’Ukraine en période de guerre et de reconstruction.
- Copromoteurs et participants de la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine organisée par Wilton House et tenue à Varsovie, qui a réuni plus de 60 responsables des politiques ukrainiens et occidentaux.
- Participation à divers séminaires et téléconférences axés sur l’Ukraine, les efforts de reconstruction et les sanctions, et participation active aux discussions sur le rôle du marché financier en ce qui concerne les sanctions contre la Russie et l’exclusion de la Russie de divers indices de placement (indice sd’obligations des marchés émergents et MSCI) à la suite de l’invasion de l’Ukraine.
Résultat
Nous travaillons actuellement avec le secteur officiel à la tenue d’une conférence de donateurs pour discuter de solutions innovantes en matière de dette pour l’Ukraine et d’autres pays à faible revenu, et poursuivons nos efforts afin de recueillir plus de 3,5 millions de livres sterling pour une association caritative liée à l’Ukraine.
Cible : Brésil
Objectif de l’engagement : Encourager les responsables des politiques brésiliens au niveau fédéral et des États à intensifier la lutte contre la déforestation en Amazonie et dans d’autres biomes clés.
Aperçu de l’engagement
- Depuis juillet 2020, nous coprésidons le Investor Policy Dialogue on Deforestation (IPDD). Cette initiative mondiale d’engagement collaboratif des investisseurs vise à sensibiliser les émetteurs souverains aux dangers de l’inaction contre la déforestation.
- Nous dirigeons également l’axe de travail de l’IPDD consacré au Brésil, où nous n’avons maintenant plus besoin d’essayer de persuader une administration Bolsonaro sceptique et pouvons échanger avec un gouvernement Lula beaucoup plus sympathique à la cause, qui est entré en fonction au début de 2023.
- Bon nombre de nos nouveaux vis-à-vis au ministère de l’Environnement et à la banque de développement nationale, par exemple, ont déjà participé à des séances d’éducation portant sur notre axe de travail afin de nous aider à comprendre les défis et les possibilités d’action liés à la diminution de la déforestation.
- Au niveau des États et de la banque centrale autonome, les vis-à-vis sont toutefois toujours les mêmes, mais nous espérons favoriser des progrès plus rapides vers la transparence et l’échange de données qui permettront de mieux comprendre les chaînes logistiques et, par conséquent, d’offrir des mesures incitatives mieux ciblées pour protéger le couvert forestier.
Résultat
- Nous avons fait passer notre cote d’investissement ESG pour l’État brésilien de -2 à +1 (sur une échelle de -3 à +3) en janvier après l’investiture de Luis Inacio (Lula) da Silva à la présidence, en prévision d’un changement radical de politique et de discours par rapport à l’administration Bolsonaro.
- Bien qu’il occupe une position minoritaire au Congrès, les instincts politiques de Lula seront nettement plus favorables aux critères ESG que ceux de son prédécesseur, en particulier dans son approche de la déforestation, et en collaboration avec des partenaires bilatéraux et multilatéraux à l’échelle internationale en ce qui concerne les changements climatiques et la nature.
Études de cas sur les sociétés
Cible : Une société du secteur de l’automobile
Objectif de l’engagement : Réévaluer notre cote de risque ESG fondamentale
Aperçu de l’engagement
- Après avoir été accusée d’utiliser des dispositifs pour tricher aux contrôles antipollution effectués sur des véhicules diésel, la société a amélioré ses pratiques ESG en apportant de nombreux changements au sein de la direction et de la structure de son organisation et en se concentrant davantage sur les véhicules électriques.
- Pourtant, nous pensons que les améliorations du pilier « G » sont à la traîne, puisque la participation des investisseurs externes à son actionnariat est limitée, ce qui crée une structure opaque. En outre, les allégations de travail forcé des minorités ouïghoures dans son usine automobile de la province du Xinjiang ont conduit MSCI à lui attribuer un indicateur rouge de controverse, et elle a obtenu une note d’échec relativement au Pacte mondial des Nations Unies.
- Par conséquent, nous avons communiqué avec la société et MSCI pour comprendre leur point de vue respectif. Les conversations ont laissé l’impression qu’il n’y a pas de solution ni de mesures correctives pouvant être rapidement adoptées pour modifier les révisions à la baisse. Nous avons également demandé des précisions à MSCI sur les révisions à la baisse de cette société automobile, étant donné que d’autres sociétés exerçant leurs activités dans la région et faisant l’objet d’allégations semblables n’ont pas subi le même sort.
Résultat
- Nous avons fait passer la cote ESG (de risque) fondamentale de « élevé » à « très élevé » et nous réduirons la pondération de tous nos fonds qui sont régis par l’article 8 du règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR).
- Nous continuerons de faire un suivi et d’échanger directement avec la société et MSCI, au besoin.
Cible : Un producteur canadien de minerai de fer
Objectif de l’engagement : Enquêter sur son approche en matière de santé et de sécurité, de relations de travail, de ressources humaines, de droits de la personne et de relations communautaires.
Aperçu de l’engagement
- La Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions (CNER) a recommandé de rejeter la demande de la société visant à augmenter les exportations de 6 à 12 TMPA (puis à 18 TMPA) pour son projet d’expansion du port ferroviaire.
- La direction de la société a été surprise par la décision de la CNER et, après notre engagement, nous avons estimé que le scénario le plus probable était que le gouvernement fédéral trancherait en faveur de la société.
- Cependant, la décision de la CNER souligne que la direction n’a pas su répondre aux préoccupations de la communauté inuite locale au cours des dernières années et que les progrès sont au point mort pour atténuer les principaux facteurs de risque environnementaux et sociaux.
Résultat
Compte tenu de la trajectoire négative des pratiques ESG de l’émetteur, nous avons décidé de liquider les placements de la stratégie avisée ESG et de la stratégie orientée ESG à la fin de mai et au début de juin 2022.