Les banques centrales du monde entier abaissent enfin les taux directeurs, ce qui pousse les rendements des obligations à la baisse et stimule les rendements des titres à revenu fixe. La Nouvelle-Zélande est devenue le sixième pays du G10 à commencer à assouplir sa politique monétaire au début du mois d’août, et nous nous attendons à ce que les États-Unis lui emboîtent le pas lorsque la Réserve fédérale se réunira en septembre. Les investisseurs s’attendent à de fortes réductions des taux d’intérêt de la part des décideurs politiques au cours des deux prochaines années. Nous pensons que les investisseurs tablent sur de trop nombreuses réductions, dans un scénario d’absence de récession. Nous prévoyons des rendements à un chiffre pour les obligations d’État au cours des 12 prochains mois.
Après avoir rapidement augmenté les taux d’intérêt au cours des deux dernières années, les décideurs assouplissent maintenant leur politique. Dans la plupart des économies, l’inflation est retombée à un taux proche de la cible de 2 % (figure 1). À présent que l’inflation est plus proche de la cible, les banques centrales peuvent soutenir la croissance économique et l’emploi à l’aide d’une baisse des taux d’intérêt. Le fort ralentissement de l’inflation et la hausse des taux de chômage laissent penser que la politique monétaire a commencé à freiner la croissance économique. Un certain assouplissement des politiques au cours de la prochaine année serait logique.
Figure 1 : L’inflation est très proche de 2 % Taux d’inflation nationaux ou régionaux ajustés en fonction des différences méthodologiques
Nota : Données en juillet 2024. Sources : Bureaux nationaux de statistique, calculs de RBC GMA
Bien sûr, la baisse des rendements des obligations au cours des derniers mois reflète déjà les attentes de réductions des taux d’intérêt. Au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro, les investisseurs s’attendent à ce que les taux directeurs soient réduits d’environ deux points de pourcentage par rapport à leur sommet au cours des deux prochaines années, une grande partie de cette baisse étant déjà amorcée (figure 2).
Figure 2 : Baisse prévue des taux directeurs par rapport à leurs sommets respectifs Au cours des deux prochaines années
Nota : Au 28 août 2024. Sources : Bloomberg, calculs de RBC GMA
Nous sommes persuadés que les taux d’intérêt à court terme de ces marchés baisseront au cours de la prochaine année, pour deux raisons. La première est que même les modèles de politique monétaire les plus restrictifs (dits « bellicistes ») des banques centrales suggèrent que les taux d’intérêt devraient être réduits. L’autre raison est que la plupart des banques centrales ont commencé à couper les taux, et habituellement une première baisse donne suite à une série de réductions.
En même temps, la plupart des économies, et particulièrement les États-Unis, sont plus susceptibles de croître que de se contracter au cours de la prochaine année. Bien que le risque de récession soit plus élevé que d’habitude en raison de la politique monétaire actuellement restrictive, une récession n’est toujours pas notre hypothèse de base. En l’absence de récession, il est peu probable que les prévisions actuelles de fortes baisses des taux d’intérêt se matérialisent. Les obligations à long terme offrent déjà des rendements en revenu inférieurs à ceux des bons du Trésor à court terme et des liquidités ; aussi, en l’absence d’attentes encore plus modestes en ce qui concerne les taux directeurs, nous pensons que les rendements obligataires auront beaucoup de mal à surpasser ceux offerts par les liquidités.
En outre, les rendements obligataires pourraient en pâtir au cours des 12 prochains mois si la croissance s’avère plus résistante que prévu et l’inflation plus tenace. Nous croyons que l’inflation représente un risque particulièrement élevé pour les obligations. Même si l’inflation tourne autour de 2 %, la composition des variations de prix est loin d’être normale. Les prix augmentent généralement pour les biens aussi bien que pour les services, chacun contribuant à une hausse des prix d’environ 2 % dans l’ensemble de l’économie. Or, les prix des biens sont en baisse, ce qui est inhabituel. En même temps, les prix des services continuent d’augmenter de 4 % à 5 % par année (figure 3), ce qui est bien plus rapide qu’avant la pandémie, et ce rythme n’est pas en accord avec une inflation de 2 % à long terme.
Figure 3 : L’inflation reste supérieure à la cible partout dans le monde, sauf au Canada
Nota : En date de d'avril 2024. Source : Bureaux nationaux de statistique, RBC GMA
L’énorme pression sur les prix à l’issue de la pandémie a également pesé sur le moral des consommateurs. Bien que le consommateur moyen s’attende à une inflation d’un peu plus de 2 % en moyenne à long terme, une grande partie des consommateurs prévoient maintenant une inflation très élevée (figure 4). Ce changement dans les attentes pourrait se dissiper, mais seulement après une longue période d’inflation faible et stable.
La sensibilité accrue des consommateurs et des entreprises aux variations de prix signifie que les banques centrales pourraient réagir très rapidement à toute réaccélération de l’inflation. En outre, elles réagiraient indépendamment de l’origine des pressions accrues sur les prix. Avant la pandémie, les banquiers centraux insistaient souvent sur l’observation de l’inflation passée attribuable à la hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie – appelées sources transitoires d’inflation. Nous pensons qu’il serait peu prudent de s’appuyer sur cette logique, actuellement, au vu de la rapide hausse des prix de ces derniers temps.
Figure 4 : Les anticipations d’inflation des consommateurs américains sont moins ancrées qu’il n’y paraît Variation annuelle prévue des prix au cours des 5 prochaines années
Nota : En date de juillet 2024. Sources : Université du Michigan
Comme nous l’avons mentionné dans les derniers numéros de Regard sur les placements mondiaux, nous sommes très préoccupés par l’état des finances publiques. L’augmentation des dépenses budgétaires due à la pandémie ne s’est repliée que partiellement, et les gouvernements sont aux prises avec de vastes déficits. Bien que les gouvernements européens prennent des mesures pour corriger les déséquilibres budgétaires, beaucoup d’autres, en particulier celui des États-Unis, ne réagissent pas. Les investisseurs peuvent hésiter à reprendre confiance, dans cette conjoncture d’endettement des gouvernements. Qui plus est, ils semblent être devenus plus exigeants : en 2022, les investisseurs en obligations d’État britanniques ont provoqué le renversement du tout nouveau gouvernement de Liz Truss, et en France, les élections anticipées de l’été dernier ont entraîné une flambée des coûts d’emprunt du gouvernement. Bien que le moment de la prise de conscience soit incertain, nous pensons que les gouvernements les plus dépensiers courent un risque de plus en plus élevé de payer beaucoup plus pour emprunter. Certaines de nos préoccupations portent sur l’état alarmant des finances publiques, mais aussi sur les taux d’intérêt maintenant beaucoup plus élevés.
Au cours des 12 prochains mois, nous prévoyons que les obligations généreront des rendements à peu près égaux à leurs rendements actuels.
Orientation des taux
États-Unis
Comme nous l’avions prévu, l’inflation a ralenti aux États-Unis, à savoir la plus grande économie au monde, et l’ensemble des marchés anticipent une réduction des taux d’intérêt de la part de la Réserve fédérale américaine (Fed) en septembre. Parallèlement au ralentissement de la hausse des prix, le marché du travail s’est affaibli. Le taux de chômage américain s’est hissé à 4,3 % en juillet, soit presque un point de pourcentage au-dessus de son creux de 3,4 % de janvier 2023. Plus important encore, la hausse du taux de chômage a déclenché la « règle de Sahm », laquelle coïncide généralement avec une récession imminente ou en cours aux États-Unis. Les préoccupations accrues au sujet des perspectives de croissance signifient que les investisseurs ont accumulé de larges attentes en matière de réduction des taux d’intérêt. Nous pensons que les préoccupations entourant la croissance sont excessives. L’économie américaine devrait croître à un rythme de plus de 2 % au troisième trimestre, ce qui est relativement robuste. En outre, le marché du travail est probablement plus solide que ce que l’on pourrait déduire de l’augmentation du taux de chômage. Le nombre de personnes qui perdent leur emploi à la suite de mises à pied est extrêmement faible, et la quasi-totalité de la hausse du chômage est attribuable à l’accroissement du bassin de travailleurs à la recherche d’un emploi. D’un point de vue économique, cette situation est beaucoup moins grave que la hausse des mises à pied, et elle contribuera sûrement à réduire les pressions exercées sur les employeurs pour qu’ils augmentent les salaires, ce qui ralentira la hausse des prix.
Nous prévoyons que la Fed ramènera le taux des fonds fédéraux dans une fourchette de 4,00 % à 4,25 % au cours des 12 prochains mois. Le marché anticipe des baisses encore plus importantes, jusqu’à 3,25 % ou 3,50 %. Selon nous, il est peu probable de voir des réductions d’une telle ampleur, à moins d’un ralentissement plus marqué dans l’activité économique. Du côté des obligations américaines à 10 ans, nous prévoyons que les taux demeureront inchangés à 3,75 % au cours des 12 mois à venir.
Zone euro
La Banque centrale européenne (BCE) a réduit les taux en juin, faisant passer le taux directeur de 4,00 % à 3,75 %, et nous prévoyons que le taux directeur sera de nouveau réduit à la réunion de septembre de la BCE. Le taux devrait chuter à 2,50 % au cours de la prochaine année, car l’inflation ralentit et la croissance économique demeure relativement faible.
L’Europe a connu un bond de sa croissance grâce à d’importantes dépenses publiques, mais ces dépenses ont soulevé de vives préoccupations budgétaires dans la zone de la monnaie unique. La solvabilité de la France a été remise en question à l’approche des élections parlementaires surprises survenues au début de l’été. Bien que ces préoccupations se soient estompées, la France paie aujourd’hui plus cher qu’avant les élections pour émettre de la dette, par rapport à l’Allemagne qui tient lieu de valeur refuge. La hausse des coûts d’emprunt pour un membre du noyau dur de la zone euro augmente le risque que d’autres pays dépensiers de la région, comme l’Italie, soient confrontés à des augmentations de coûts d’emprunt similaires, voire encore plus désastreuses. Pour l’instant, la confiance des investisseurs dans les gouvernements nationaux semble stable chez les membres les plus exposés à ces problèmes, et les récentes initiatives de la Commission européenne visant à réduire les dépenses budgétaires excessives sont les bienvenues.
Dans un contexte de restrictions budgétaires, de ralentissement de l’inflation et d’affaiblissement de l’activité économique, nous attendons normalement une baisse des rendements des obligations. Toutefois, les prix négociés sur le marché indiquent que les investisseurs établissent des prévisions de baisse des taux plus rapides que les nôtres, tandis que les obligations d’État allemandes offrent des rendements très faibles par rapport aux taux des liquidités, ce qui n’encourage pas vraiment les investisseurs à prêter pour une durée plus longue. Nous prévoyons que le taux des obligations d’État allemandes à 10 ans sera de 2,35 % dans un an, comparativement à 2,30 % aujourd’hui.
Japon
La Banque du Japon a augmenté ses taux d’intérêt pour la deuxième fois cette année lors de sa réunion de juillet, portant le taux directeur à 0,25 %. Même si nous pensons que les taux d’intérêt continueront de monter progressivement au Japon, cette décision semble avoir surpris de nombreux investisseurs, car elle a provoqué une appréciation du yen japonais accompagnée d’un effondrement de 12 % de la valeur des actions japonaises en une seule journée. Ces réactions se sont avérées éphémères, mais elles laissent entrevoir les inquiétudes de nombreux investisseurs quant à la capacité du Japon à sortir d’une longue période de taux directeurs extrêmement bas. Le taux directeur de la Banque du Japon est à peine au-dessus de zéro, mais il dépasse tous les niveaux enregistrés depuis 2007. Selon les attentes du marché et nos propres prévisions, au cours des 12 prochains mois les taux directeurs japonais grimperont à leur plus haut niveau depuis le milieu des années 1990.
Il nous faut préciser que l’inflation est également à son plus haut niveau depuis les années 1990. En outre, les pressions sur les prix semblent plus persistantes que dans les périodes passées où l’inflation atteignait 2 % ou plus. Au cours de ces périodes passées, l’accélération de l’inflation était principalement attribuable à des hausses d’impôt ponctuelles ou visant les marchandises les plus sensibles à la faiblesse du yen. Dans l’environnement actuel, les pressions sur les prix touchent l’ensemble de l’économie japonaise et se manifestent dans les importantes augmentations de salaire. Nous pensons que les décideurs continueront de resserrer leurs politiques au cours de la prochaine année, augmentant le taux directeur à 0,75 %. Les rendements des obligations japonaises devraient également poursuivre leur ascension, avec un rendement des obligations à 10 ans de 1,50 % au cours des 12 prochains mois contre 0,90 % à l’heure où nous écrivons.
Canada
Alors que les tensions inflationnistes s’estompent et que la croissance économique s’apaise, la Banque du Canada a commencé à assouplir sa politique monétaire en juin, et depuis lors elle a procédé à trois réductions consécutives de 25 points de base. L’inflation a fléchi à 2,5 % par an en juillet, son plus faible taux en plus de trois années. Les décideurs semblent également plus confiants dans le fait que l’inflation poursuit une trajectoire durable vers l’objectif de 2 %. La Banque du Canada se concentre sur le soutien aux marchés du travail, étant donné que le taux de chômage est passé d’un creux de 5,0 % en septembre 2022 à 6,6 % en août 2024. Bien que les décideurs s’inquiètent de la possibilité que les baisses de taux attisent de nouveau le marché du logement, ils sont encore plus préoccupés par la faiblesse probable de l’économie dans les mois à venir.
À notre avis, la Banque du Canada continuera d’assouplir sa politique monétaire afin d’éviter un marasme économique plus profond, dans un contexte de chômage en hausse et de croissance économique ralentie. Selon les prévisions de notre scénario de base, le taux directeur chutera à 3,25 % au cours des 12 prochains mois (contre 4,25 % après la réunion de septembre) et les obligations d’État canadiennes à 10 ans se négocieront à 3,25 % au cours de cette période, contre environ 3,00 % au moment de la rédaction du présent rapport.
Royaume-Uni
La Banque d’Angleterre a assoupli sa politique monétaire en août, faisant passer le taux d’intérêt de référence de 5,25 % à 5,00 %. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre n’a donné aucune orientation sur la suite de l’assouplissement. Au vu de l’inflation résolument élevée dans le secteur des services et de l’activité économique supérieure aux attentes, même si nous pensons que la Banque d’Angleterre maintiendra sa politique d’assouplissement, elle devrait poursuivre à un rythme relativement modeste. Nous prévoyons d’autres réductions des taux de la Banque d’Angleterre à hauteur de 75 points de base, ce qui aboutirait à des taux de 4,25 % d’ici un an. Pendant ce temps, les investisseurs s’inquiètent du budget d’ouverture du nouveau gouvernement, dont la publication est attendue à la fin du mois d’octobre et qui promet de favoriser la croissance économique sans augmenter les impôts sur le revenu. Un relâchement trop important de la bourse fiscale risque d’étouffer les progrès réalisés pour juguler les tensions inflationnistes et de raviver les préoccupations entourant la situation budgétaire du Royaume-Uni.
Au moment de la rédaction de ce rapport, les investisseurs prévoient que le taux directeur de la Banque d’Angleterre chutera à 3,80 % au cours des 12 prochains mois. Nos prévisions d’assouplissement de la Banque d’Angleterre sont moins importantes que celles du marché. Nous nous attendons à ce que les taux des obligations d’État à 10 ans augmentent à 4,25 %, soit une légère hausse par rapport à 3,91 % au moment de la rédaction du présent rapport.
Recommandations régionales
Au Japon, le resserrement continu de la politique monétaire signifie que les investisseurs en obligations japonaises pourraient obtenir les rendements les plus faibles, comparativement aux autres régions. D’un autre côté, les rendements de départ raisonnables autour de 4 % combinés aux baisses de taux d’intérêt devraient donner lieu à des rendements supérieurs sur le marché obligataire américain. Nous recommandons donc de surpondérer de 2,5 % les obligations du Trésor américain, et de sous-pondérer de 2,5 % les obligations d’État japonaises.