Nous pensons que les perspectives des principaux marchés obligataires ont rarement été aussi variées. Les investisseurs sont peut-être trop optimistes à l’égard des perspectives de l’économie américaine et trop pessimistes à l’égard de celles du Canada et de l’Europe. Nous nous attendons à ce que les obligations du Trésor américain obtiennent de solides résultats, étant donné que l’économie aura probablement du mal à répondre aux attentes déjà élevées, peu importe l’incidence des nouvelles politiques de l’administration Trump.
Les rendements obligataires restent proches de leurs sommets atteints dans la foulée de la pandémie et l’inflation est beaucoup plus faible. Nous nous attendons à ce que les obligations procurent au moins des rendements proches des taux nominaux, soit aux alentours de 5 %, au cours de la prochaine année. La diminution de l’inflation est également une aubaine pour ceux qui s’attendent à ce que les obligations servent de contrepoids au risque de décrochage des marchés boursiers, car la corrélation négative entre les rendements des actions et des obligations s’est habituellement manifestée lorsque l’inflation était à son niveau actuel ou à un niveau inférieur. Cela dit, comme nous l’avons mentionné précédemment, nous prévoyons que les rendements des marchés obligataires afficheront une divergence accrue au cours de la prochaine année comparativement aux dernières années.
Aux États-Unis, les investisseurs se concentrent sur le fait que l’économie surpasse les attentes depuis déjà un long moment et évite une récession, malgré un resserrement monétaire énergique et l’inversion prononcée de la courbe des taux, un indicateur habituellement fiable de l’imminence d’une récession. Les perspectives des investisseurs sont tellement optimistes, en fait, qu’ils ne semblent pas prévoir de récession aux États-Unis au cours de la prochaine décennie. Comment le savons-nous ? Bien que le taux des fonds fédéraux devrait baisser de 0,75 % de plus au cours de la prochaine année, les investisseurs s’attendent à ce qu’il reprenne son ascension l’an prochain et qu’il demeure au-dessus de 3,50 % jusqu’en 2035.
Évidemment, l’élection du président Trump et le balayage du Congrès par les républicains ont ravivé les espoirs des investisseurs d’observer un regain d’optimisme au sein de l’économie américaine en raison de la déréglementation et des baisses d’impôt à venir. Toutefois, les sondages sur lesquels les investisseurs se fondent pour mesurer l’optimisme des consommateurs avaient affiché la même hausse après la victoire du président Trump en 2016. Cette hausse avait été interrompue à cause de l’incertitude politique et de l’imposition de droits de douane. Or, l’élaboration des politiques de la deuxième administration Trump est jusqu’à présent plus désordonnée, et l’ampleur des droits de douane envisagés est beaucoup plus importante. Nous croyons que les investisseurs qui attendent un boom seront probablement déçus, tout comme ils l’ont été pendant le premier mandat de Trump.
Plus important encore pour les investisseurs en obligations, l’économie américaine reflétait déjà des attentes élevées avant la victoire de Trump. Contrairement à ce qui s’était produit il y a quelques années, lorsque la plupart des investisseurs s’attendaient à une récession aux États-Unis, les prévisions de croissance sont déjà plutôt favorables. Compte tenu d’une série impressionnante de résultats supérieurs aux attentes qui remonte à 2022, la barre à franchir pour l’économie américaine est désormais beaucoup plus haute.
Enfin, deux des trois piliers de l’exceptionnalisme américain – l’idée selon laquelle l’économie américaine est structurée pour croître plus rapidement que ses pairs au fil du temps – semblent être menacés par la nouvelle administration. Il s’agit de l’immigration et des largesses budgétaires. L’afflux important d’immigrants représentait une aubaine pour l’activité économique aux États-Unis, en raison de l’accroissement de la population active. Mais des rapports ponctuels provenant des États-Unis donnent à penser que les flux d’immigrants ont fortement ralenti. De plus, les mesures du département officieux de l’Efficacité gouvernementale, ainsi que celles visant à interrompre les versements à certains organismes, portent à croire que les dépenses publiques marginales pourraient être considérablement réduites. Plus important peut-être, il existe un risque que l’élaboration chaotique des politiques sape la confiance des entreprises, entraînant un ralentissement de l’embauche et une baisse des investissements. Le dernier pilier de l’exceptionnalisme américain – la capacité des consommateurs à continuer d’acheter malgré la hausse des coûts d’emprunt – semble également s’estomper par rapport aux autres pays. Au moment où d’autres pays devraient commencer à constater les bienfaits de l’assouplissement de leur politique monétaire, le taux directeur de la Fed reste proche de son sommet et la plupart des taux d’intérêt en vigueur sur le marché sont encore plus élevés que ceux des emprunts en cours (figure 1).
Figure 1 : Les coûts d’emprunt devraient continuer d’augmenter aux États-Unis
Nota : Au 10 mars 2025. Sources : Bloomberg, Apollo Research, calculs de RBC GMA
À l’extérieur des États-Unis, les investisseurs sont plutôt pessimistes en ce qui concerne les perspectives de croissance dans la plupart des régions, en particulier celles qui sont très exposées aux changements et à l’incertitude de la politique commerciale américaine, comme le Canada et l’Europe. Avant même la menace de droits de douane, nous pensions que les attentes à l’égard du Canada et de l’Europe étaient exagérément négatives. L’Allemagne se distingue par des attentes particulièrement défavorables à son égard pour 2025 (figure 2). Dans ce contexte, les investisseurs en obligations de ces régions ont enregistré des rendements relativement solides au cours de la dernière année, mais nous estimons qu’il est peu probable que cela se reproduise. En fait, nous sommes généralement plus optimistes à l’égard des perspectives de croissance et d’inflation en Europe et au Canada que de nombreux investisseurs.
Figure 2 : Les investisseurs semblent beaucoup trop pessimistes à l’égard de l’Allemagne
Nota : Au 10 mars 2025. Source : Prévisions moyennes de Bloomberg pour le PIB de 2025
Dans l’ensemble, nous pensons que les droits de douane seront probablement beaucoup moins élevés que ceux que Trump menaçait d’imposer ou qu’il a brièvement imposés. En outre, nous prévoyons qu’un important soutien budgétaire sera mis en place si les droits de douane devaient être imposés pendant une longue période. En plus des bienfaits qu’un assouplissement important de la politique monétaire a déjà procurés, nous croyons que la croissance pourrait être supérieure aux attentes, surtout par rapport aux États-Unis. En Europe, la perspective d’une fin anticipée de la guerre de la Russie en Ukraine dynamiserait probablement les résultats économiques de la région, quelle qu’en soit l’issue.
Enfin, au Japon, les taux directeurs continuent de se normaliser après avoir passé des décennies autour ou au-dessous de zéro. L’inflation et la croissance des salaires restent supérieures aux prévisions dans ce pays, ce qui laisse croire que les pressions sur les prix sont attribuables au marché intérieur, plutôt qu’en raison de la faiblesse de la monnaie. Qui plus est, l’économie japonaise a résisté pendant plus d’un an à la hausse des taux obligataires ainsi qu’à quelques hausses de taux de la Banque du Japon, ce qui laisse croire que les craintes que l’économie ne puisse composer avec des taux d’intérêt plus élevés ont été exagérées. Au cours de la prochaine année, nous croyons que les perspectives de rendement des obligations d’État japonaises sont mauvaises, car la politique continue de se normaliser.
Orientation des taux
États-Unis
La Fed n’a pas modifié son taux directeur en janvier et ne devrait pas le modifier le 19 mars, à moins d’un ralentissement marqué de l’activité économique. La fourchette cible du taux des fonds fédéraux se situe actuellement entre 4,25 % et 4,50 %, ce qui est supérieur à ce que la Fed et les investisseurs considèrent comme un niveau ni stimulant ni restrictif pour la croissance économique et les prix.
Au même moment, le taux de chômage est passé presque sous la barre des 4 % et l’inflation commence à remonter. Les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par une hausse de l’inflation plutôt que par une baisse. À ce rythme, la Fed risque de réduire à néant une grande partie du bon travail accompli et de la crédibilité qu’elle a accumulée en relevant vigoureusement les taux en 2022 et 2023. La tâche des décideurs est de plus en plus compliquée en raison de l’élaboration des politiques de l’administration Trump, qui cherche à réduire l’immigration et la main-d’œuvre fédérale, tout en imposant des droits de douane beaucoup plus élevés aux principaux partenaires commerciaux des États-Unis. Les investisseurs craignent de plus en plus que ces politiques seront néfastes pour la croissance et l’inflation, et ces craintes commencent à supplanter l’optimisme initial selon lequel la volonté de déréglementation de la nouvelle administration, ainsi que l’optimisme naissant et, de façon générale, un regain de confiance galvaniserait le taux de croissance déjà élevé des États-Unis.
Avant que ces préoccupations n’apparaissent, les investisseurs s’attendaient à une forte croissance aux États-Unis par rapport au reste du monde, comme c’était le cas depuis quelques années. Toutefois, comme nous l’avons souligné précédemment, nous pensons que d’autres régions pourraient commencer à connaître un regain de prospérité, au moment où les États-Unis commencent à éprouver des difficultés à répondre à des attentes élevées ; il s’agirait d’un contexte bien différent de celui qui consistait à surpasser les attentes très faibles des années précédentes grâce à une forte croissance.
Au cours de la prochaine année, nous prévoyons que le FOMC ne modifiera pas les taux, car la Fed sera aux prises avec une inflation trop élevée dans un contexte de croissance légèrement plus faible, mais pas de récession. Les perspectives des États-Unis sont très incertaines et fortement tributaires des politiques. Comparativement au reste du monde, les investisseurs qui investissent dans les obligations du Trésor américain sont bien rémunérés en termes de rendements réels élevés, d’anticipations d’inflation élevées et de prime de terme importante. Nous aimons détenir des titres du Trésor américain, même si nous prévoyons que la Fed ne décrétera aucune baisse de taux au cours des douze prochains mois. Si la croissance se révélait particulièrement décevante aux États-Unis, les taux pourraient chuter plus fortement que prévu. Si la Fed opte pour le statu quo, nous prévoyons que le taux des obligations américaines à dix ans se situera à 4,50 % en un an.
Zone euro
Comme nous nous y attendions, la Banque centrale européenne (BCE) a réduit ses taux d’intérêt de 0,25 % à chacune de ses réunions en décembre, janvier et mars. La baisse du début de mars, la cinquième d’affilée, a porté le taux des dépôts à tout juste 2,50 %. Nous prévoyons d’autres baisses pour les décideurs en Europe, puisque les taux devraient fléchir à tout juste 2,00 % au cours de l’année à venir.
Toutefois, même si nous pensons que la croissance européenne a besoin d’un soutien supplémentaire de la part de la politique monétaire, nous pensons aussi que les investisseurs sont beaucoup trop pessimistes quant aux perspectives de la zone de la monnaie unique. Nous sommes d’avis que la croissance devrait surpasser les attentes en Allemagne, après avoir été léthargique pendant de longues années. La levée de l’incertitude électorale en Allemagne devrait donner un coup de pouce à la croissance en diminuant l’incertitude politique et en augmentant peut-être les dépenses budgétaires. Les rajustements proposés aux règles budgétaires allemandes représenteraient un grand facteur de soutien à la croissance du pays et dynamiseraient tant les dépenses militaires que celles d’infrastructure.
Une résolution du conflit entre la Russie et l’Ukraine est plus incertaine, mais serait aussi favorable pour l’Europe. L’inflation est également supérieure à sa cible dans la zone euro, alimentée par la hausse des prix de l’énergie et l’affaiblissement de l’euro, et nous croyons que cette situation empêchera la BCE de procéder à un abaissement trop énergique de son taux directeur.
Nous nous attendons toutefois à ce que la BCE poursuive l’abaissement des taux au cours de l’année à venir. Nous prévoyons que le taux des obligations d’État allemandes à dix ans se négociera autour de 2,50 %, contre 2,41 % au moment d’écrire ces lignes.
Japon
La Banque du Japon, qui a relevé ses taux directeurs à deux reprises en 2024, est restée sur la touche jusqu’ici en 2025, malgré les attentes élevées des investisseurs. Les taux des obligations d’État japonaises ont bondi, même si la Banque du Japon s’est abstenue de décréter des hausses énergiques des taux d’intérêt. En fait, les taux des obligations à long terme sont aussi élevés qu’ils l’étaient au milieu des années 1990, bien avant la longue période au cours de laquelle le Japon a été aux prises avec une inflation obstinément faible et des taux d’intérêt exceptionnellement bas. L’inflation reste forte au Japon. Selon certaines mesures, le Japon est le pays du G7 qui enregistre à la fois la croissance des salaires la plus rapide et l’inflation la plus forte, un énoncé qui aurait semblé absurde il y a quelques années à peine.
Nous nous attendons à ce que les décideurs nippons finissent par reprendre l’augmentation des taux d’intérêt en raison de l’inflation toujours forte et de l’activité économique supérieure aux attentes. En effet, l’économie japonaise a jusqu’à présent résisté au ralentissement face à la hausse des rendements obligataires, ce qui indique que la banque centrale aura la confiance nécessaire pour poursuivre le relèvement des taux d’intérêt et la normalisation de sa politique. Au cours de la prochaine année, nous prévoyons que la banque centrale augmentera les taux à 0,75 %, comparativement à 0,50 % au moment d’écrire ces lignes. Au cours de la même période, nous prévoyons que les taux des obligations à dix ans augmenteront à 1,75 %, alors qu’ils s’établissent actuellement à tout juste 1,37 %.
Canada
La Banque du Canada a abaissé son taux directeur de 0,25 % en janvier, puis de nouveau en mars, portant ce taux à 2,75 %. Les décideurs ont mentionné la diminution soutenue de l’inflation à 2 % ainsi que l’atténuation des attentes des consommateurs à l’égard de l’inflation future. Selon certaines mesures, les anticipations d’inflation sont comparables à celles de la période précédant la pandémie. Le marché du travail et l’activité économique sont également restés faibles au cours des derniers mois de 2024, ce qui, parallèlement à la diminution de l’inflation, donne à penser que l’assouplissement de la politique monétaire est justifié.
Parallèlement à l’activité intérieure relativement terne, la menace d’imposition de droits de douane considérables pendant une longue période par le plus important partenaire commercial du Canada, soit les États-Unis, laisse entendre que les décideurs voudront privilégier une politique plus souple au cours de la prochaine année. Selon les estimations de la Banque du Canada, un taux directeur de 2,75 % n’est pas particulièrement accommodant ; il se situe au milieu de l’éventail d’estimations pour un taux d’intérêt neutre, soit le taux où la politique monétaire n’a aucun effet stimulant ou restrictif sur la croissance économique.
Les droits de douane stimuleraient probablement l’inflation, mais nous croyons que la banque centrale sera plus attentive aux inquiétudes concernant la croissance. Compte tenu de notre opinion selon laquelle les droits de douane ne seront probablement pas pleinement appliqués pendant une longue période et, le cas échéant, qu’ils seront au moins partiellement contrebalancés par une hausse des dépenses publiques, nous ne prévoyons aucun changement du taux directeur de la Banque du Canada au cours de la prochaine année. Nous prévoyons que le taux des obligations du gouvernement du Canada à dix ans atteindra 3,25 % au cours de la prochaine année, contre 2,90 % au moment de la rédaction du présent commentaire.
Royaume-Uni
À sa réunion du 6 février, la Banque d’Angleterre a réduit son taux directeur, faisant passer le taux d’escompte à 4,50 % et poursuivant l’abaissement lent et régulier des taux amorcé à l’été 2024. À l’instar de la Fed, nous pensons que la Banque d’Angleterre sera confrontée à des décisions difficiles, car la croissance est demeurée relativement solide et l’inflation semble se raffermir. En effet, l’inflation pour l’exercice terminé en janvier s’est accélérée à 3 %, son rythme le plus rapide depuis dix mois. Les mesures sous-jacentes de l’inflation ont aussi fait ressortir des signes de raffermissement, ce qui fait douter que la hausse des prix revienne à 2 % aussi rapidement que prévu. Par ailleurs, le marché du travail s’est renforcé de façon inattendue au début de l’année, parallèlement à la croissance économique. Nous pensons que la Banque d’Angleterre devrait rester sur la touche pendant un certain temps, à moins d’un ralentissement marqué de l’activité. Nous prévoyons que les décideurs finiront par décréter de nouvelles baisses de taux d’intérêt afin de soutenir l’activité économique, que le taux d’escompte fléchira à 4,00 % au cours de la prochaine année et que le taux des obligations d’État s’établira à 4,25 %, contre 4,48 % au moment d’écrire ces lignes.
Recommandations régionales
Nous prévoyons que les rendements seront inférieurs au Japon par rapport aux États-Unis et à l’Europe. Les taux de départ élevés d’environ 4,50 % et le risque que la croissance soit inférieure aux attentes élevées devraient permettre au marché obligataire américain de surpasser celui du Japon, où nous prévoyons que les taux d’intérêt continueront d’augmenter. Nous recommandons donc de surpondérer de 5,0 % les obligations du Trésor américain, et de sous-pondérer de 5,0 % les obligations d’État japonaises.