Dans quelle mesure l’invasion de l’Ukraine par la Russie a-t-elle changé les perspectives des marchés des titres mondiaux à revenu fixe et des devises ? Dagmara Fijalkowski, chef, Titres mondiaux à revenu fixe et devises, nous fait part de ses attentes à l’égard de l’inflation et du resserrement des écarts de crédit. Dan Mitchell, gestionnaire de portefeuille, analyse les effets de la hausse des prix des produits de base et des sanctions contre la Russie sur la vigueur du dollar américain.
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Transcription
Quels scénarios envisagez-vous à moyen terme pour les marchés des titres à revenu fixe ?
Le monde a changé le 24 février lorsque la Russie a envahi l’Ukraine. J’estime qu’il s’agit là du début d’une deuxième guerre froide. Les manchettes affluent et nous ne savons certes pas mieux que quiconque ce que le président Poutine envisage de faire.
Les liquidations forcées et le désir de réduire le risque expliquent plusieurs des fluctuations observées depuis l’annonce des sanctions.
Mis à part les perturbations à court terme, j’ai une liste des conséquences hautement probables, selon moi, de cette guerre. Tout d’abord, l’inflation augmentera à cause de la hausse des prix des marchandises et, en Europe, les gouvernements assoupliront leur politique budgétaire et chercheront à resserrer les liens entre eux.
La hausse des prix des marchandises et l’assouplissement de la politique budgétaire nuiront à long terme aux obligations. Celles-ci ont bénéficié à court terme de l’aversion pour le risque qui a entraîné une baisse des taux obligataires au cours des dernières semaines.
Pour la création des scénarios des six prochains mois, nous utilisons le pire scénario concernant l’obligation du gouvernement américain à dix ans, soit un taux de 2,5 %, qui est pire que les 2,05 % que laissent supposer les contrats à terme. Un taux de 2,5 % à la fin de juillet se classerait dans le 99e centile de toutes les variations enregistrées sur 12 mois depuis 1990. Ce pire scénario nous offre un rendement total (coupon et perte de capital) de -1,5 % sur six mois pour les obligations canadiennes universelles, tandis que celui qui sous-tend les contrats à terme offre un rendement total de 90 points de base. Qu’adviendrait-il des écarts de crédit ?
L’aversion pour le risque qui règne dans les marchés rend les écarts plus attrayants. Tout resserrement d’écart améliorerait les rendements globaux. Plus votre horizon de placement est éloigné, plus les écarts actuels sont attrayants.
L’analyse des scénarios indique que le rendement lié au risque à partir de maintenant n’a jamais été aussi bon depuis longtemps.
Quelles sont les répercussions du conflit entre la Russie et l’Ukraine sur les monnaies mondiales ?
Normalement, nous évaluons les monnaies et établissons des perspectives à leur égard en fonction de facteurs comme la trajectoire des taux d’intérêt relatifs, l’évaluation des monnaies, ou de facteurs propres à chaque pays, comme les déficits commerciaux et budgétaires.
Ces facteurs ont été relégués à l’arrière-plan à la fin de février lorsque la Russie a envahi l’Ukraine et que les investisseurs se sont rués vers la sécurité et la liquidité du dollar américain.
Ce sont toutefois des facteurs fondamentaux qui retrouveront leur importance. Pour l’instant, les marchés essaient de comprendre l’impact de trois facteurs relativement importants sur les perspectives d’évolution des monnaies.
Le premier facteur est la hausse prononcée des prix des marchandises, notamment du pétrole et des métaux industriels. Nous voyons bien un contraste entre les bons résultats des exportateurs de marchandises et la faiblesse des monnaies des importateurs de marchandises.
Le deuxième facteur est la quête actuelle de renforcement des devises, qui est une façon de stimuler le pouvoir d’achat et de lutter contre les effets de l’inflation. Nous sommes très loin d’où nous étions il y a dix ans, à l’époque de la « guerre des devises ». Ce terme a été utilisé pour désigner les pays qui essayaient d’affaiblir leur monnaie pour pouvoir jouir d’un net avantage concurrentiel sur les marchés d’exportation mondiaux.
Le troisième facteur, le plus important, est l’imposition de sanctions à la Russie après son invasion de l’Ukraine. Ces sanctions ne visent pas seulement les particuliers ou les entreprises, mais aussi la banque centrale russe, et ont pour effet de geler les réserves de change du pays. Les pays accumulent ces réserves de change sous forme d’une épargne nationale qui peut servir à stimuler la croissance économique ou à soutenir leur monnaie en temps de crise. L’utilité de ces réserves et leur accessibilité sont donc remises en question vu qu’il est possible de les geler.
Le monde dispose actuellement de quelque 13 billions de dollars de réserves mondiales en devises, dont 60 % sont affectés au dollar américain. Donc, si cette épargne baisse, que les investisseurs décident de délaisser le dollar américain et de se tourner vers des solutions de rechange, notamment vers des cryptomonnaies, l’or ou encore un panier plus diversifié de devises, les répercussions seront très dommageables pour le dollar américain.
Même si le dollar américain s’est raffermi à court terme, montre une vigueur temporaire et tarde à se replier à long terme comme prévu, bien des facteurs laissent penser qu’il faiblira à long terme.
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