Webémission mensuelle
Notre webémission mensuelle sur l’économie du mois d’août a été enregistrée à la toute fin de juillet, mais elle renferme tout de même de précieux renseignements : L’intrigue (économique et politique) se corse.
Le point sur le cycle économique
Selon notre feuille de pointage trimestrielle du cycle économique, comme au dernier trimestre, les États-Unis se trouvent encore très probablement en milieu de cycle ou à un stade avancé (voir le graphique suivant). Cela laisse vaguement entendre que le pays pourrait bénéficier d’un sursis de 2 à 5 ans avant de connaître une récession.
Feuille de pointage du cycle de l’économie américaine
Au 9 août 2024. Calcul effectué à l’aide de la technique de la feuille de pointage par RBC GMA. Source : RBC GMA
Bien que cette possibilité concorde avec nos prévisions du scénario de base, en ce moment, nous faisons moins confiance qu’à l’accoutumée aux résultats de la feuille de pointage. En effet, ils ne découlent pas de données assez convaincantes.
Les variables sous-jacentes sont inhabituellement dispersées. Certes, les données indiquant une position en milieu de cycle ou à un stade avancé sont les plus plausibles, mais par une marge très faible par rapport à d’autres, y compris la fin de cycle, la récession et le début de cycle. La seule chose qu’on peut dire avec certitude, c’est qu’il ne s’agit pas d’un stade précoce du cycle.
Baisse des taux de la Fed en vue
La dynamique de réduction des taux se poursuit dans les pays développés et les États-Unis s’apprêteraient à emboîter le pas. Cette question revêt une importance démesurée, d’une part en raison de la portée de l’économie américaine et de sa pertinence pour les investisseurs et autres intervenants, et d’autre part parce qu’elle a le potentiel de produire une réaction en chaîne dans le reste du monde.
Par ailleurs, quand les taux d’intérêt américains diminuent, cela a des répercussions sur les taux de change mondiaux.
Le billet vert a déjà perdu 6 % par rapport à son niveau de juillet (les marchés anticipant la première baisse des taux).
Le recul des obligations américaines à 10 ans a une influence considérable sur d’autres marchés.
Les économies émergentes évaluent leur capacité à réduire leur propre taux directeur en fonction de l’ampleur du décalage relativement aux États-Unis.
Ces facteurs sont également au cœur du débat au Canada.
Avant même que la Fed ne mette les choses en branle, les taux des obligations à long terme ont chuté dans une proportion équivalente à l’assouplissement prévu : les obligations américaines à 10 ans sont passées de 4,70 % en avril à 3,80 % à l’heure actuelle. Dans l’ensemble, les États-Unis sont moins sensibles aux taux d’intérêt que la plupart des pays. Cependant, on peut dire que leur vulnérabilité aux taux à long terme est disproportionnée, mais que le taux directeur en tant que tel n’a pas une aussi grande incidence directe sur eux.
C’est parce qu’il y a très peu de prêts à taux variable ou à court terme sur le marché hypothécaire américain, la plupart ayant une durée de 30 ans. En conséquence, l’Américain type qui envisage d’acheter une maison a déjà largement tiré parti de l’anticipation de la baisse des taux.
Nous sommes d’avis que le marché surévalue un peu trop l’assouplissement aux États-Unis à court terme. Il n’est pas impossible qu’on assiste à une réduction de 50 points de base le 18 septembre, mais à moins d’une entrée soudaine en récession, c’est peu probable. Par le passé, les séquences d’assouplissement ont souvent comporté d’importantes baisses de taux. Néanmoins, celles-ci faisaient suite à des récessions, ce qui ne semble pas le cas en ce moment.
Les marchés ne s’attendent déjà plus tellement à une baisse de 50 points de base en septembre, estimant cette probabilité à 33 %, mais d’après nous, elle est inférieure. Le plus récent procès-verbal de la Fed et le discours de son président, Jerome Powell, lors du symposium de Jackson Hole pointent vers une diminution imminente, sans succomber à la panique.
Il faut se rappeler que le dernier relevé mensuel de l’indice des prix à la consommation (IPC) des États‑Unis (pour juillet) était correct et conforme aux attentes. Toutefois, il ne dénotait pas une aussi grande faiblesse que lors des deux mois antérieurs et les données sur le logement indiquaient une résistance dans ce secteur vital. Heureusement, l’inflation en temps réel semble avoir ralenti depuis (voir le graphique suivant), ce qui pourrait écarter les réductions de taux musclées.
Indice quotidien de l’inflation aux États-Unis de PriceStats
Indice de l’inflation PriceStats au 19 août 2024 ; IPC en juillet 2024. Sources : State Street Global Markets Research, RBC GMA
À partir de là, des baisses de taux sont probables à chaque occasion d’ici la fin de 2024. Cela dit, leur ampleur dépendra des données sur l’inflation et l’économie disponibles en temps voulu. À plus long terme, il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que le taux des fonds fédéraux se situe un peu au-dessus de 3 % à la fin de l’année prochaine, compte tenu de la détente de l’économie américaine (voir plus loin) et du repli de l’inflation.
Banques centrales internationales
l’extérieur des États-Unis, la tendance baissière des taux s’accentue également.
La Suède vient de les diminuer pour la deuxième fois (et d’autres réductions sont annoncées).
Le 4 septembre, le Canada devrait le faire pour la troisième fois (voir le graphique suivant).
Il arrive que les politiques monétaires du Canada et des États-Unis divergent légèrement
Au 22 août 2024. La zone ombrée représente une récession aux États-Unis. Sources : Macrobond, RBC GMA
La Banque centrale européenne a tergiversé plus longtemps que nécessaire cet été. Toutefois, elle devrait procéder à sa deuxième réduction le 12 septembre. Une autre baisse est prévue d’ici la fin de l’année.
La Banque d’Angleterre, qui a attendu au début d’août pour amorcer son processus d’assouplissement, est susceptible de laisser les taux tels quels en septembre. Elle devrait les abaisser de nouveau vers le mois de novembre.
Il convient de souligner le parcours de la Reserve Bank of Australia (RBA) qui, pendant un certain temps, semblait vouloir emprunter une direction opposée : jusqu’à la fin de juillet, les marchés anticipaient des hausses de taux. Il s’agissait d’une source d’inquiétude pour nous, parce que cela soulevait des doutes sur l’universalité du repli de l’inflation. Enfin, tout est rentré dans l’ordre, et la Reserve Bank of Australia semble vouloir remettre le cap sur les baisses de taux, ses préoccupations entourant l’inflation se dissipant. Il est peu probable qu’elle le fasse lors de sa réunion du 24 septembre, mais on s’attend à une réduction d’ici la fin de l’année.
Tour d’horizon des élections aux États-Unis
Dans un précédent numéro, nous avons parlé du bouleversement complet des élections américaines. Depuis, les changements ont été plus progressifs et sont survenus principalement autour de la convention nationale démocrate qui a eu lieu à Chicago.
La candidate démocrate Kamala a choisi son colistier : Tim Walz, gouverneur du Minnesota.
Elle a apporté des clarifications quant à son programme économique. En 2020, dans le cadre de sa campagne pour l’investiture démocrate, son programme penchait davantage à gauche : augmentation du taux d’imposition des sociétés à 35 %, revenu de base universel, Medicare pour tous, interdiction de la fracturation et mise en œuvre du « Green New Deal ». Depuis ce temps, elle a toutefois modéré ses opinions et fait preuve d’une bonne dose de pragmatisme.
Aujourd’hui, dans le droit fil du programme de M. Biden, Mme Harris prévoit de faire passer le taux d’imposition des sociétés de 21 % à 28 % et d’accroître le taux marginal supérieur d’imposition pour les particuliers, peu importe le type de revenu. Elle désire aussi maintenir la loi sur la réduction de l’inflation et ses priorités environnementales, conserver le programme Obamacare et veiller au resserrement des frontières, conformément à la législation proposée par la Maison-Blanche plus tôt cette année.
Voici quelques idées politiques qui lui sont propres :
Augmenter le crédit d’impôt pour enfants (de 2 000 $ à 6 000 $ par enfant)
Augmenter le crédit d’impôt sur les gains au travail au profit des Américains de la classe moyenne et à faible revenu
Relever le plafond des prix de certains médicaments
Interdire les prix abusifs dans les épiceries (on ne sait pas trop comment cela fonctionnerait ni comment cela éviterait le genre de contrôle des prix préjudiciable à l’économie qui a sévi dans les années 1970)
Aider les acheteurs immobiliers en leur offrant une aide à la mise de fonds de 25 000 $ et un crédit d’impôt de 10 000 $, éliminer les allégements fiscaux pour les grands propriétaires d’appartements et encourager la construction de nouveaux logements.
Comme dans le cas du programme de M. Trump, il est difficile d’imaginer une diminution importante du déficit budgétaire des États-Unis, étant donné le coût de ces nouvelles idées. Quoi qu’il en soit, dans la pratique, le Congrès est raisonnablement susceptible de demeurer divisé, ce qui limitera les ambitions de l’un ou l’autre des candidats. Par contre, on ne peut exclure un balayage du Congrès si Mme Harris ou M. Trump remporte une victoire retentissante et rafle le reste de la mise. C’est pourquoi ces idées politiques doivent être prises au sérieux.
Plus généralement, bien que les divisions partisanes demeurent profondes entre les républicains et les démocrates, les politiques économiques proposées par les deux camps ont considérablement évolué vers le sens opposé. Alors que les droits de douane sont demeurés longtemps l’apanage des démocrates, c’est au tour du candidat républicain Donald Trump de les proposer. À l’inverse, c’est maintenant la candidate démocrate Kamala Harris qui propose des solutions du côté de l’offre pour remédier à la crise du logement aux États-Unis, alors que ces solutions ont longtemps été avancées par les républicains.
La course reste serrée et récemment, l’écart s’est encore réduit après l’importante remontée de Kamala Harris il y a quelques semaines. Les données de PredictIt indiquent que Kamala Harris a désormais 54 % de chance d’être élue (voir le graphique suivant), tandis que d’autres sources affirment que la course demeure bien plus serrée. Il ne reste qu’un peu plus de deux mois et chacun des candidats peut toujours remporter cette élection.
Les soubresauts de la course à la présidence
Au 26 août 2024. D’après les marchés de prédiction et les calculs de RBC GMA. Sources : Predictit, Macrobond, RBC GMA
Bilan de l’économie américaine
Le scénario économique général demeure celui d’une décélération de la croissance économique (voir le graphique suivant).
Les surprises économiques deviennent négatives
Au 22 août 2024. Sources : Citigroup, Bloomberg, RBC GMA
Ce ralentissement mondial s’illustre actuellement par le nombre de vols commerciaux internationaux qui baisse légèrement, après plusieurs années de progression (voir le graphique suivant).
Vols commerciaux mondiaux suivis par Flightradar24
Nota : Au 21 août 2024. Comprend les vols commerciaux de passagers, le fret, les vols nolisés et certains vols d’affaires sur des avions à réaction. Sources : Flightradar24 AB, RBC GMA.
Fait tout aussi important, les craintes les plus vives à l’égard de l’économie américaine s’estompent. Après la publication des données positives de l’indice ISM du secteur des services et de l’enquête auprès des responsables du crédit il y a quelques semaines, de nouveaux signes indiquent que l’affaiblissement du marché du travail n’est pas aussi problématique qu’on l’avait d’abord craint, que la consommation se porte toujours bien et que la situation des petites entreprises est devenue un peu moins sombre.
Sur le plan de l’emploi, les demandes hebdomadaires initiales de prestation d’assurance-emploi ont en fait légèrement reculé au cours des dernières semaines. Cette évolution a permis de renverser provisoirement la tendance inquiétante observée plus tôt (voir le graphique suivant). Au cours de l’été dernier, une brève détérioration avait également été constatée avant que la situation ne revienne à la normale à l’automne. Toutefois, l’évolution observée en 2023 s’expliquait au moins partiellement par les grèves dans le secteur automobile.
Stabilisation des demandes de prestation d’assurance-emploi aux États-Unis
Données pour la semaine se terminant le 17 août 2024. Sources : Département américain du Travail, Macrobond, RBC GMA
De même, on a beaucoup parlé du fait que le taux de chômage aux États-Unis a considérablement augmenté, au point de déclencher le signal d’une récession selon la règle de Sahm. Toutefois, cette hausse est davantage liée à une participation plus élevée au marché du travail (un facteur positif) qu’au facteur habituel de l’absence d’embauche. Cette situation est mise en évidence par la ligne dorée ci-dessous, qui montre que la proportion réelle de la population qui travaille n’a pas diminué autant que le taux de chômage a progressé (voir le graphique suivant et noter le sens inversé du deuxième axe des Y). Autrement dit, le marché de l’emploi n’est pas aussi faible qu’il n’y paraît à première vue.
Marché de l’emploi aux É.-U.
En date de juillet 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Bureau of Labor Statistics, NBER, Macrobond, RBC GMA
D’autre part, la révision préliminaire des valeurs de référence sur l’emploi aux États-Unis entre mars 2023 et mars 2024 révèle que 818 000 emplois de moins auraient été créés par rapport aux 2,9 millions de nouveaux emplois nets initialement annoncés. Il s’agit d’un écart considérable, mais il était largement anticipé. Le taux d’embauche mensuel demeurait assez bon (178 000 nouveaux postes créés en moyenne chaque mois contre 246 000), et la révision des chiffres ne concerne pas les derniers mois (c’est-à-dire la période où de graves préoccupations au sujet du rythme des embauches ont émergé).
De plus, la révision finale des valeurs de référence au titre de cette période, qui sera publiée en février prochain, annulera probablement une partie de l’ajustement, comme on l’a constaté à chaque fois au cours des quatre dernières années. Par ailleurs, ces données ne prennent pas en compte le grand nombre d’immigrants sans papiers qui ont intégré le marché du travail ces dernières années. En résumé, les estimations initiales optimistes sur l’emploi pourraient finalement s’avérer proches de la réalité.
En ce qui concerne la consommation aux États-Unis, les ventes au détail sont demeurées plutôt solides en juillet, en hausse de 1,0 % d’un mois sur l’autre. Certes, cette augmentation s’explique largement par la progression artificielle des ventes de véhicules automobiles, après la cyberattaque qui a paralysé l’activité de ce secteur le mois dernier. Toutefois, même en excluant les automobiles, les ventes au détail ont grimpé de 0,4 % au cours du mois.
En ce qui concerne les entreprises, Walmart a indiqué ne pas avoir constaté un ralentissement général de la consommation. Par ailleurs, Target a largement dépassé ses prévisions en ce qui concerne ses ventes à magasins comparables au dernier trimestre.
L’indice de confiance des consommateurs de l’Université du Michigan et, plus particulièrement, l’indice des conditions économiques actuelles qui en fait partie demeurent faibles. Cependant, il est à noter que l’indice des attentes des consommateurs de l’Université du Michigan est remonté au cours du mois dernier et qu’il tend à progresser graduellement depuis plusieurs années (voir le graphique suivant). Quoi qu’il en soit, les consommateurs n’anticipent pas une récession à court terme.
Les consommateurs américains jugent que les conditions actuelles se détériorent, mais leurs attentes s’améliorent
Données en août 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Sondages de l’Université du Michigan sur la confiance des consommateurs, Macrobond, RBC GMA
Enfin, les petites entreprises américaines ne sont plus aussi déprimées qu’auparavant. L’indice d’optimisme de la National Federation of Independent Business est passé de 91,5 à 93,7. C’est le niveau le plus élevé atteint depuis février 2022, date à partir de laquelle les relèvements de taux ont débuté. Ce constat paraît cohérent, puisque la baisse des taux d’intérêt explique probablement en grande partie l’optimisme croissant des secteurs sensibles aux taux d’intérêt.
Le point à retenir de tout cela, c’est qu’à ce moment précis, une récession ne semble pas se profiler aux États-Unis, alors que des craintes persistaient à ce sujet il y a encore un peu moins d’un mois.
À l’extérieur des États-Unis, le produit intérieur brut (PIB) du Japon a enregistré un rebond. Sa croissance annualisée a été de 3,1 % au deuxième trimestre, contre un repli annualisé de 2,3 % au premier trimestre. Nous n’avons jamais pleinement cru à ce ralentissement au premier trimestre, car celui-ci était trop contradictoire avec la situation du marché du travail au Japon, avec l’évolution de l’inflation et la réaction de la banque centrale.
L’économie du Royaume-Uni a récemment publié des données économiques particulièrement solides, un signe encourageant après que le pays a connu la pire performance économique des principaux pays développés en 2023.
L’économie américaine est-elle encore en surchauffe ?
Pendant longtemps, l’économie américaine a été modérément en surchauffe. Celle-ci a fonctionné au-delà de son potentiel en raison du puissant effet combiné des mesures de relance monétaire et budgétaire et du dynamisme naturellement lié au rebond après la pandémie. Ces éléments ont permis d’expliquer pourquoi l’inflation a atteint de tels sommets, même si d’autres grandes forces étaient également à l’œuvre.
L’économie a depuis ralenti. Pouvons-nous dès lors dire que l’économie n’est plus en surchauffe ? La réponse est presque.
La surchauffe ou la sous-performance d’une économie est sous-tendue par l’idée que les économies fonctionnent à leur plein potentiel lorsque la demande est égale au niveau d’offre durable. Lorsque la demande est trop élevée, l’économie est en surchauffe, car elle tourne à un rythme supérieur à son potentiel durable. Lorsque la demande est trop faible, l’économie fonctionne en deçà de son potentiel. L’écart entre ce que l’économie produit et ce qu’elle pourrait produire si elle fonctionnait à son potentiel est appelé « écart de production ». Un écart de production positif indique une surchauffe et un écart de production négatif indique une sous-performance.
Comment une économie peut-elle fonctionner au-delà de son potentiel ? L’idée est qu’il est temporairement possible d’accroître l’offre en intégrant plus de travailleurs à la population active ou en faisant travailler encore davantage le stock de capital existant. Mais cette solution est intrinsèquement intenable parce qu’elle pousse les salaires et les prix vers le haut à un rythme accéléré, et exige finalement de relever les taux d’intérêt pour ralentir l’économie.
Un moyen simple mais approximatif d’observer l’écart de production est d’examiner le taux de chômage. Nous estimons qu’aux États-Unis, le taux de chômage normal se situerait entre 4,0 % et 4,5 %. La définition de cette fourchette demeure un exercice d’approximation, puisqu’il y a dix ans, on aurait pu faire valoir que ce taux était plus proche de 5 %. Aujourd’hui, le taux de chômage réel s’élève à 4,3 %. L’économie américaine était donc en surchauffe jusqu’à récemment et elle se rapproche désormais de son potentiel. En réalité, le taux de chômage pourrait continuer à progresser, ce qui amènerait l’économie à enregistrer un écart de production légèrement négatif.
Il existe des moyens plus complexes d’estimer l’écart de production, qui font souvent appel à des calculs sophistiqués de lissage comme les filtres Hodrick-Prescott. Le Congressional Budget Office, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publient chacun une estimation de l’écart de production aux États-Unis. Nous fournissons et mettons à jour également deux estimations (voir le graphique suivant).
L’économie américaine par rapport à son potentiel
Données du Congressional Budget Office (CBO) et estimations des modèles 1 et 2 de RBC GMA au T3 2024, estimations du FMI en avril 2024, estimations de l’OCDE en mai 2024. Les estimations du modèle 1 de RBC GMA sont fondées sur le taux de chômage naturel du CBO, et celles du modèle 2 de RBC GMA, sur les tendances de filtre HP. La zone ombrée représente une récession. Sources : Macrobond, RBC GMA
Sur les cinq mesures illustrées, l’ensemble d’entre elles affichent maintenant des écarts de production inférieurs à leur récent pic cyclique. Quatre mesures sur cinq subissent activement une tendance à la baisse. Cette situation correspond à une économie qui ralentit.
Toutefois, une seule des cinq mesures des écarts de production indique que l’économie américaine a déjà atteint un niveau inférieur à son potentiel. Les quatre autres mesures sont au potentiel ou légèrement au-dessus. Ces mesures ont tendance à recourir à des données trimestrielles et risquent donc de ne plus être tout à fait à jour. Nous sommes raisonnablement assurés qu’une deuxième mesure donnera un écart de production négatif au cours du prochain trimestre. De plus, nous soupçonnons que d’autres pourraient suivre d’ici le premier semestre de 2025.
En d’autres termes, l’économie américaine ralentit, sans avoir toutefois atteint son creux. Elle reste encore à son potentiel, voire à un niveau légèrement supérieur, ce qui laisse entendre qu’une nouvelle décélération économique modeste devrait être la bienvenue, et renforce notre affirmation antérieure selon laquelle les réductions de taux de 25 points de base sont logiques au lieu de tours de vis plus brutaux. Bien sûr, l’aspect délicat consistera à stabiliser l’économie peu après.
Les tensions géopolitiques s’avivent
Cela fait de nombreux trimestres que les tensions géopolitiques sont élevées, mais elles ont empiré au cours du dernier mois.
Au Moyen-Orient, une série d’opérations militaires opposant Israël au Hezbollah et à l’Iran depuis la fin juillet, maintiennent la région en état d’alerte. Le Hezbollah a indiqué que sa dernière frappe de roquettes le 25 août constituait sa réponse finale aux opérations israéliennes précédentes. Mais l’Iran pourrait encore adopter d’autres mesures à l’encontre d’Israël. Le risque de nouvelle escalade est omniprésent.
Malgré cela, l’envie de s’engager dans une guerre à grande échelle semble limitée pour toutes les parties. Il est donc plus que probable que ce scénario sera évité. Quoi qu’il en soit, le risque de guerre n’est pas nul.
Entre-temps, la Russie continue de réaliser des gains progressifs dans l’est de l’Ukraine. L’Ukraine a toutefois surpris la Russie par la suite le 6 août en envahissant le territoire russe pour la première fois, s’emparant de 1 200 kilomètres carrés de sol russe.
La motivation de l’Ukraine a sans doute reposé sur quatre facteurs.
C’était une occasion facile à saisir : la Russie ne défendait que mollement son territoire dans la région de Koursk, et l’Ukraine a donc pu réaliser d’importantes avancées rapides.
La Russie doit maintenant retirer ses troupes du champ de bataille principal dans l’est de l’Ukraine pour s’engager à Koursk et consolider ses défenses ailleurs.
L’Ukraine se trouve désormais en meilleure posture si un cessez-le-feu doit être conclu, car elle pourrait échanger des territoires avec la Russie.
L’opération militaire a fortement rehaussé le moral de l’Ukraine.
Globalement, deux principaux dangers existent pour l’Ukraine. Le premier est qu’en envahissant la Russie, l’Ukraine a franchi l’une des (nombreuses !) « lignes rouges » de la Russie. Les répercussions sont floues et il convient de noter que la Russie a réagi de manière modérée jusqu’à présent. Dans le passé, le président russe, M. Poutine, a toutefois menacé de recourir au nucléaire en cas de risque existentiel pour la Russie. On pourrait se demander si la perte d’intégrité territoriale représente une telle menace. Le risque que la Russie rétorque en recourant aux armes nucléaires tactiques est faible, quoiqu’existant.
Le deuxième danger pour l’Ukraine est la possibilité d’une victoire de M. Trump à l’élection présidentielle américaine. En effet, le candidat républicain se montre beaucoup moins disposé à continuer de soutenir l’Ukraine. Il n’est pas certain que l’Europe sera en mesure de renforcer suffisamment son soutien pour permettre à l’Ukraine de rester compétitive dans sa guerre avec la Russie.
Dans les deux cas, il est difficile d’établir un lien direct avec les principales économies et les principaux marchés financiers. Le moyen le plus évident reste le pétrole dont le prix pourrait être affecté grandement par l’un ou l’autre des conflits. Les prix des denrées alimentaires et les routes maritimes représentent de moindres considérations géopolitiques.
Jusqu’à présent, les prix du pétrole affichent une tendance calme. Les principaux producteurs sont probablement conscients qu’une perturbation importante et durable de l’offre de pétrole en ce moment de l’histoire pourrait représenter pour les véhicules électriques et l’économie verte un tournant difficilement réversible ultérieurement.
Malgré cela, une erreur géopolitique pourrait faire grimper sensiblement le prix du pétrole. Il s’agit de la principale menace qui pèse sur la tendance favorable de diminution de l’inflation.
Dans un tel scénario, les banques centrales se trouveraient dans une situation difficile. Normalement, elles pourraient choisir de ne pas tenir compte du choc exogène porté au prix du pétrole, étant donné que les hausses de taux ne peuvent pas régler une guerre, que le niveau des prix devrait se stabiliser avec le temps et que les dommages économiques causés par la hausse des prix pétroliers militent en faveur d’un assouplissement de la politique monétaire plutôt que d’un resserrement. Mais dans la foulée d’un choc inflationniste majeur et de mauvais souvenirs du fait qu’elles aient jugé à tort que l’épisode inflationniste précédent serait « transitoire », elles pourraient se montrer moins hardies.
Du côté du Canada
Le contexte macroéconomique est à la fois chargé et difficile au Canada. Les préoccupations récentes résultent notamment d’une grève de courte durée du transport ferroviaire, d’un ralentissement de l’économie, d’un taux de chômage élevé chez les jeunes, des nouvelles règles en matière d’immigration ainsi que d’une vague imminente de renouvellements d’emprunts hypothécaires. Examinons cela de plus près.
Fin de la grève du transport ferroviaire
Du 22 au 25 août, le Canada a connu un bref arrêt de travail de quatre jours dans le secteur du fret ferroviaire. L’arrêt de travail a pris fin non pas parce que la direction et le syndicat ont conclu une entente, mais parce que le gouvernement fédéral a imposé un arbitrage contraignant aux deux parties.
La courte durée du lockout porte à minimiser son incidence. L’arrêt de travail concernait les deux principales sociétés de fret ferroviaire du Canada - le CN et CPKC - ce qui signifie que toutes les expéditions ferroviaires canadiennes ont été bel et bien interrompues. De plus, ces sociétés ont commencé à réduire leurs activités quelques jours avant l’arrêt de travail. Il faudra probablement plusieurs jours pour que les activités reviennent à la normale et que le retard accumulé soit éliminé.
Chaque jour, des marchandises d’une valeur d’environ 1 G$ CA sont expédiées par chemin de fer au Canada. Il s’agit d’une différence par rapport aux dommages économiques causés par l’arrêt des expéditions, étant donné que le transport des marchandises ne génère pas l’intégralité de leur valeur. Mais le fait est que des sommes importantes sont en jeu.
En extrapolant à partir de la modélisation effectuée par le Conference Board du Canada et l’agence de notation Moody’s, on estime que l’économie canadienne pourrait subir une perte de production d’environ 1 à 2 G$ CA, ce qui ne représente pas plus de 0,1 % de sa production économique annuelle. Par conséquent, si l’arrêt de travail est certainement indésirable d’un point de vue économique, il ne modifie pas trop le contexte général pour 2024. En revanche, les données d’août sur le commerce et le PIB pourraient être affectées.
Le Canada n’est pas nécessairement au bout de ses peines en matière de transport. Le syndicat des pilotes d’Air Canada vient de voter à 98 % en faveur d’une grève qui pourrait commencer le 17 septembre. De façon générale, les mesures syndicales devraient rester élevées au cours des prochaines années, car les syndicats dont les contrats arrivent à échéance chercheront à récupérer le pouvoir d’achat perdu ces dernières années.
Ralentissement persistant de l’économie
De toute évidence, l’économie canadienne a perdu de sa vigueur. La conjoncture économique a amorcé une détérioration tendancielle, selon Statistique Canada (voir le graphique suivant).
Les conditions d’affaires au Canada se sont dégradées et s’établissent sous la tendance
Données pour la semaine se terminant le 12 août 2024. Moyenne à pondérations égales des indices des conditions d’affaires pour les villes suivantes : Calgary, Edmonton, Montréal, Ottawa-Gatineau, Toronto, Vancouver et Winnipeg. Sources : Statistique Canada, Macrobond, RBC GMA
La croissance du PIB a aussi ralenti. Ce ralentissement est en grande partie enregistré par rapport au rythme insoutenable associé à la reprise qui a suivi la pandémie. Néanmoins, le rythme de la décélération fait que l’économie se trouve désormais dans une piètre situation. Et les choses sont généralement pires qu’elles ne le semblent à première vue.
Lorsqu’on soustrait l’accroissement de la population (anormalement rapide), le PIB par habitant affiche un déclin assez prononcé (voir le graphique suivant). En moyenne, une personne produit moins et consomme moins au Canada.
La croissance a nettement ralenti au Canada
Données au T1 2024. Sources : Statistique Canada, Macrobond, RBC GMA
Serions-nous en récession en l’absence d’une immigration rapide ? C’est difficile à dire. Une part des dommages à la productivité semble provenir directement de l’immigration elle-même. Par ailleurs, un certain nombre de pays ont subi une légère contraction de l’activité économique sans l’implosion du marché de l’emploi à laquelle on pourrait normalement s’attendre en cas d’une véritable récession. L’économie canadienne aurait peut-être ralenti, mais le marché de l’emploi aurait tenu bon. Mais cette situation n’aurait certainement pas été bénéfique.
Nous croyons que l’économie canadienne pourrait continuer de croître jusqu’en 2025, mais pas à un rythme particulièrement rapide. Il faut une certaine profession de foi pour croire que la période d’effondrement de la productivité prendra fin.
Aggravation du chômage chez les jeunes
Le mois de juillet est le deuxième mois consécutif au cours duquel de modestes pertes d’emplois ont été enregistrées au Canada. Cette situation est pire qu’il n’y paraît, car l’accroissement rapide de la population du pays requiert de nombreux nouveaux emplois chaque mois pour suivre le rythme. Par conséquent, le taux de chômage se situe maintenant à 6,4 %, ce qui est supérieur à notre estimation du taux de chômage neutre au Canada (5,75 % à 6,25 %).
Le taux de chômage chez les jeunes du Canada suscite à juste titre des préoccupations particulières. Il s’établit maintenant à 14,2 %, soit une hausse considérable de 4,9 points de pourcentage par rapport au creux cyclique de 9,3 %.
Comme vous pouvez le deviner, un taux de chômage normal chez les jeunes est beaucoup plus élevé que celui du marché du travail dans son ensemble, puisque les jeunes ont en moyenne moins de compétences et ont eu moins d’occasions d’être mis en contact de manière efficace avec les employeurs.
Il est également normal que les fluctuations du taux de chômage chez les jeunes soient plus marquées que le taux de chômage dans son ensemble. En effet, les jeunes sont souvent les derniers embauchés et les premiers licenciés en période de crise économique. Ils ont aussi tendance à être surreprésentés dans les secteurs de la consommation discrétionnaire comme le tourisme et les services de restauration qui ressentent plus durement les effets d’une récession.
Malgré tout, même en comprenant que le taux de chômage chez les jeunes devrait être plus élevé et plus volatil, il s’est établi à des niveaux particulièrement médiocres par rapport au taux de chômage global (voir le graphique suivant).
Le taux de chômage des jeunes Canadiens augmente rapidement
En date de juillet 2024. La zone ombrée représente une récession. Sources : Haver Analytics, Macrobond, RBC GMA
Pourquoi ? La réponse est presque certainement le taux exponentiel d’immigration temporaire au Canada. Les travailleurs étrangers temporaires non qualifiés sont habituellement jeunes et sont donc en concurrence directe avec les jeunes Canadiens. De plus, les étudiants étrangers sont très jeunes et ont été autorisés à travailler un nombre important d’heures au Canada. Ainsi, le taux de chômage chez les jeunes du Canada est à la fois pénalisé par la baisse de la demande de main-d’œuvre à mesure que l’économie ralentit et par la hausse de l’offre de main-d’œuvre peu qualifiée.
Modifications probables apportées à l’immigration
Annoncés depuis peu, sans aucun doute en raison des problèmes récents de productivité, de logement et de chômage chez les jeunes au Canada, d’importants changements à court terme devraient toucher l’immigration au Canada. Après une période d’immigration sans précédent (voir le graphique suivant), le gouvernement fédéral avait déjà annoncé plusieurs changements au début de l’année. Ces mesures comprenaient une réduction de 35 % du nombre d’admissions des étudiants étrangers et un engagement global à réduire le nombre total de résidents temporaires.
Immigration nette au Canada
Données au T1 2024. Sources : Statistique Canada, Macrobond, RBC GMA
Selon une déclaration du 26 août, le flux des travailleurs étrangers temporaires à bas salaire reviendra principalement à son taux prépandémique.
Pas plus de 10 % de la main-d’œuvre d’une entreprise ne peut provenir du programme, comparativement à 20 %.
La limite sera de 0 % dans certaines régions du pays où le taux de chômage est d’au moins 6 % (notez que la moyenne nationale est déjà supérieure à 6 %).
Les travailleurs temporaires qui viennent ne pourront rester qu’une seule année au lieu de deux ans.
Certains secteurs comme l’agriculture bénéficient d’exemptions.
Il est à noter que ce dernier changement en soi ne freinera pas par magie l’immigration rapide, puisque le Canada a admis seulement 83 643 travailleurs étrangers temporaires à bas salaire en 2023. Ce flux était responsable de moins de 7 % de l’immigration nette totale du Canada en 2023.
Le gouvernement fédéral a toutefois aussi annoncé qu’il réexaminerait son objectif de 500 000 résidents permanents par an pour 2025 et 2026, probablement dans le but de le réduire afin de parvenir à un meilleur équilibre sur le marché du logement et du travail.
Une grande question sans réponse est de savoir dans quelle mesure l’application laxiste de la loi sur l’immigration continuera de permettre à un nombre croissant de personnes titulaires d’un visa temporaire expiré de rester au pays, ce qui compromet les efforts visant à ralentir l’augmentation de la population.
La vague de renouvellements hypothécaires est imminente
D’après les estimations des six grandes banques du Canada, une profusion de renouvellements hypothécaires sont prévus en 2025 et en 2026. Nous estimons que 23 % de tous les prêts hypothécaires existants seront renouvelés en 2025 et 32 % en 2026. Cela signifie que 55 % de l’ensemble des prêts hypothécaires seront renouvelés sur une période de deux ans.
Cette situation s’explique en partie par le fait que de nombreuses personnes ont contracté des emprunts hypothécaires lorsque les taux étaient bas et que les prix des logements atteignaient des sommets records en 2020 et 2021. Ces prêts hypothécaires arrivent à échéance cinq ans plus tard. Aussi, de nombreux emprunteurs qui ont reconduit leurs prêts hypothécaires au cours des années précédentes à des taux élevés avaient opté pour des prêts hypothécaires plus courts qui expirent également entre 2025 et 2026, en espérant que les taux seront alors plus bas.
Mais ce n’est pas tout. Une telle situation aura des répercussions financières assez importantes sur bon nombre de ces emprunteurs (tout emprunteur ayant contracté un prêt hypothécaire de cinq ans). Ceux qui ont bloqué leur taux hypothécaire en 2020 ou 2021, lorsque les taux se situaient à moins de 2 %. Le taux équivalent est actuellement deux à trois fois plus élevé. Il faut donc prévoir un énorme ajustement financier, puisque, selon la Banque du Canada, les paiements hypothécaires augmenteront de 20 à 40 %.
C’est l’une des nombreuses raisons qui ont incité la Banque du Canada à réduire un peu plus rapidement ses taux en 2024 par rapport aux banques des autres pays.
– Avec la contribution de Vivien Lee et d’Aaron Ma
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