Au cours des cinq années ayant suivi le début de la pandémie de COVID-19, l’expansion budgétaire est devenue un élément déterminant de la politique économique à l’échelle mondiale. Les gouvernements des principales économies, notamment les États-Unis, le Canada et même des pays traditionnellement prudents sur le plan budgétaire comme l’Allemagne, ont considérablement accru leurs dépenses. Si cette approche a apporté un soutien essentiel à la croissance économique à court terme, elle a également introduit des complexités notables dans les marchés financiers, en particulier dans le secteur des titres à revenu fixe. Ce document examine les répercussions de l’expansion budgétaire, en mettant l’accent sur ses effets sur les marchés obligataires, l’activité du secteur privé et les décisions des banques centrales, ainsi que sur la façon dont ces éléments influencent la gestion des portefeuilles de titres à revenu fixe.
Expansion budgétaire et dynamique du marché obligataire
La forte augmentation des dépenses publiques à l’échelle mondiale a eu de profondes répercussions sur les marchés obligataires. Aux États-Unis, les déficits prévus de plusieurs billions de dollars au cours de la prochaine décennie redéfinissent les attentes économiques, tandis qu’au Canada, la hausse des investissements dans la défense, les infrastructures et les projets de ressources crée des tendances similaires. Ce regain d’activité budgétaire a exercé des pressions à la hausse sur les taux obligataires au cours de la dernière année, en particulier dans la partie éloignée de la courbe. Il en résulte une accentuation de la courbe de rendement, puisque les taux à long terme ont sensiblement augmenté. Cette évolution reflète l’incertitude accrue concernant la croissance, l’inflation et l’offre de nouvelles émissions obligataires, les investisseurs exigeant des rendements en revenu plus élevés en contrepartie de ces risques.
Il convient également de souligner la sensibilité exacerbée des marchés obligataires aux annonces budgétaires. Les fluctuations quotidiennes des taux obligataires se sont accentuées, et les adjudications d’obligations d’État sont désormais plus volatiles qu’au cours des années précédentes. Bien que ces changements n’aient pas encore atteint des niveaux alarmants, ils traduisent un rajustement sous-jacent de la dynamique du marché face à l’expansion budgétaire soutenue.
Solde budgétaire fédéral en pourcentage du PIB du Canada
Au 7 novembre 2025. Sources : Finances Canada, Services économiques RBC.
Conséquences plus larges d’une expansion budgétaire soutenue
L’expansion budgétaire a indéniablement favorisé la croissance économique à court terme, mais elle s’accompagne de compromis importants. L’un des plus préoccupants est le phénomène d’« éviction » : la hausse des taux d’intérêt découlant des emprunts publics rend plus difficile l’accès du secteur privé à un crédit abordable. À preuve, la croissance du crédit au Canada est anémique, les banques accumulant de plus en plus de titres au lieu d’accroître leurs prêts aux ménages et aux entreprises. Cette dynamique soulève des questions sur la productivité à long terme et la durabilité d’une croissance alimentée par les dépenses publiques au détriment des investissements du secteur privé.
Apports à la croissance des dépôts
Au 31 août 2025. Sources : Statistique Canada, Banque du Canada, RBC GMA.
À long terme, la persistance des déficits et la hausse des niveaux d’endettement pourraient faire grimper les charges d’intérêt, exerçant des pressions sur les finances publiques et soulevant des inquiétudes quant à leur durabilité. Bien que ces enjeux aient fait l’objet de débats aux États-Unis, ils pourraient présenter des risques plus vastes si l’expansion budgétaire se poursuit dans les marchés développés. Une autre source d’inquiétude est la possibilité d’une domination budgétaire, qui se produit lorsque les banques centrales sont poussées à appuyer les dépenses publiques, compromettant leur capacité à atteindre leurs cibles d’inflation.
Répercussions sur la politique des banques centrales
Les effets d’une expansion budgétaire soutenue ne se limitent pas au marché obligataire et compliquent le processus décisionnel des banques centrales. Historiquement, la politique budgétaire a été contracyclique, s’élargissant en période de faiblesse économique et se resserrant en période de vigueur. Le contexte actuel se caractérise toutefois par une expansion budgétaire apparemment indépendante du cycle économique. Cette dynamique place les banques centrales dans une position délicate, car elles doivent composer avec les pressions inflationnistes pouvant résulter des déficits, tout en maîtrisant les répercussions économiques plus larges de la hausse des taux d’intérêt.
L’inflation du logement est tenace
Au 30 septembre 2025. Sources : Bloomberg, RBC GMA.
Pour la Banque du Canada (BdC), l’inflation demeure une préoccupation centrale. Même si elle a ralenti ces derniers mois, certaines composantes, comme les coûts du logement, restent obstinément élevées. Si les dépenses publiques accentuent ces pressions, la BdC pourrait être contrainte de maintenir les taux à des niveaux élevés plus longtemps, même au risque de freiner l’activité du secteur privé. Parallèlement, la hausse des taux accroît les coûts d’emprunt pour les gouvernements comme pour les ménages, ce qui pourrait créer un cercle vicieux de tensions budgétaires. Cet équilibre délicat entre politiques budgétaire et monétaire prend une importance croissante dans le contexte économique actuel.
La gestion de portefeuille dans une nouvelle ère budgétaire
L’évolution de la dynamique des politiques budgétaire et monétaire a des répercussions importantes sur la gestion de portefeuille. L’un des changements les plus marquants a été l’affaiblissement de la corrélation négative traditionnelle entre les obligations et les actifs à risque. Dans le passé, les obligations ont constitué une protection fiable lors des liquidations sur le marché boursier, mais cette relation est devenue moins stable depuis 2020. Initialement, ce phénomène était imputable aux niveaux élevés d’inflation ayant suivi la pandémie de COVID-19, qui ont exercé une pression à la hausse sur les taux obligataires. Aujourd’hui, avec une inflation largement maîtrisée, le principal catalyseur de cette dynamique est l’expansion budgétaire. Cette instabilité ne devrait pas être permanente, mais elle remet en question les stratégies de portefeuille classiques et oblige les investisseurs à s’adapter à un contexte plus incertain.
Traditionnellement, l’exposition à la duration pendant les périodes d’aversion pour le risque (lorsque les taux obligataires baissent) constitue un moyen efficace de couvrir le risque de crédit dans les portefeuilles. Cependant, alors que la dynamique des corrélations continue d’évoluer, les gestionnaires de placements explorent de plus en plus des stratégies alternatives, dont le positionnement sur la courbe de rendement. Historiquement, lorsque les écarts de crédit se creusent, la courbe de rendement a tendance à s’accentuer, offrant ainsi une protection contre le risque de crédit. Cette stratégie peut aider les investisseurs à gérer les défis liés à l’expansion budgétaire, tout en préservant la résilience du portefeuille.
Conclusion
L’ère de l’expansion budgétaire soutenue est en train de remodeler le paysage financier, en particulier sur les marchés obligataires. Les courbes de rendement s’accentuent, la volatilité augmente et les corrélations traditionnelles entre les actifs sont perturbées, créant de nouveaux défis pour les investisseurs comme pour les décideurs. Si les dépenses publiques ont appuyé la croissance à court terme, elles ont aussi introduit des risques à long terme, notamment l’éviction de l’activité du secteur privé, la montée des préoccupations concernant la soutenabilité de la dette et l’accroissement de la complexité pour les banques centrales.
Pour les investisseurs institutionnels, ces évolutions soulignent l’importance de collaborer étroitement avec leurs gestionnaires de placements afin de s’adapter à un contexte de marché changeant. Alors que la politique budgétaire continue de jouer un rôle prépondérant dans la dynamique économique, il sera essentiel de comprendre ses répercussions pour gérer les risques et saisir les occasions sur les marchés des titres à revenu fixe et au-delà.
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