S’il est communément admis que les sociétés sont représentées par leurs chiffres, on en sait moins sur les facteurs spécifiques qui leur confèrent une valeur unique. Voyons quelques-unes des histoires qui se cachent derrière les chiffres…
Les sociétés sont bâties à partir d’un capital financier, mais elles reposent également sur des capitaux incorporels tout aussi cruciaux qui peuvent inclure des éléments humains, intellectuels, sociaux, environnementaux ou autres. C’est grâce à ces avantages extrafinanciers que les sociétés les plus performantes se démarquent de leur concurrence. Les capitaux intangibles sont par exemple la relation d’une société avec ses clients, ses fournisseurs et la collectivité, sa capacité d’attirer et de retenir les talents, ou sa culture d’innovation.
Figure 1 : Les actifs éventuels ne transparaissent pas dans les mesures financières traditionnelles
Source : RBC GMA.
Une société ne se résume pas à des chiffres
Les facteurs intangibles sont rarement pris en compte dans les données financières traditionnelles. Ils ont pourtant une incidence positive sur le rendement d’une société, par exemple s’ils donnent lieu à une forte mobilisation des employés, une meilleure satisfaction de la clientèle, une solide culture d’entreprise ou une plus grande efficacité en matière de R-D. En fin de compte, ils sont favorables aux résultats de la société, donc au cours de son action.
Nous pouvons citer en exemple une société pharmaceutique suisse qui affiche de solides facteurs ESG tout au long de son modèle d’affaires. Le domaine qu’elle a choisi, l’oncologie, est une spécialité dans laquelle les connaissances scientifiques sont en développement, mais c’est aussi un domaine qui apporte beaucoup à la collectivité, compte tenu du nombre de vies menacées par le cancer. En répondant aux besoins non satisfaits des patients, l’entreprise peut considérablement améliorer la durée et la qualité de leurs vies. La qualité de son travail lui a valu de devenir partenaire de confiance des médecins, ce qui l’amène à collaborer dans de nouveaux domaines de recherche. La direction fait preuve de solides antécédents en matière de conformité réglementaire. De plus, notre étude a fait ressortir la culture de mobilisation des employés.
Le revers de la médaille
Toutefois, de même qu’une entreprise peut engager son capital financier lorsqu’elle souscrit un emprunt, elle peut se trouver débitrice à l’égard de fournisseurs de capitaux extrafinanciers, par exemple de ses clients, si les services offerts ne sont pas à la hauteur de leurs attentes, de ses fournisseurs, si elle ne règle pas les factures dans les délais prévus, ou de sa collectivité, si elle ne paie pas suffisamment d’impôts.
Ces passifs éventuels, ou potentiels, surviennent lorsqu’une société choisit de lisser ses résultats à court terme au détriment des résultats futurs. Ils peuvent être reportés pendant un certain temps, mais la société ne peut pas y échapper éternellement. Ce sont donc des passifs qui influent sur la valeur de la société, et sont susceptibles d’entraîner des conséquences financières négatives pour les actionnaires le jour où ils se matérialiseront.
Un exemple de société dans laquelle nous avons décidé de ne pas investir est une société américaine de boissons énergisantes qui présente pourtant des marges attrayantes et une solide croissance des ventes. À notre avis, son modèle d’affaires est fondé sur la vente de boissons hautement sucrées et caféinées à des clients qui sont majoritairement des jeunes. Depuis longtemps, l’impact sanitaire des boissons à haute teneur en sucre suscite de vives inquiétudes. Au début de 2018, les principaux clients de la société – les supermarchés – au Royaume-Uni ont d’ailleurs convenu de limiter les ventes de ses produits aux personnes de plus de 16 ans. Le cours de l’action ne tient pas encore compte de tels passifs éventuels, et l’investissement se montre gratifiant pour les actionnaires – pour le moment. Néanmoins, nous croyons que les passifs éventuels sont bien présents, même si les analyses financières traditionnelles ne les mettent pas en évidence.
Puissance de la propriété active
Dans une démarche de propriété active et de dialogue avec les grandes sociétés dans lesquelles nous investissons, nous cherchons à nous assurer que des changements positifs sont mis en place au fil du temps, ou que les merveilleux actifs éventuels qu’une société a édifiés sont adéquatement surveillés et conservés. Les changements en matière de critères ESG ne peuvent pas survenir du jour au lendemain, car les sociétés doivent se plier à la fois à leur environnement d’affaires et aux attentes des parties prenantes.
Nous saisissons chaque occasion de rencontrer nos sociétés, de discuter de leur stratégie, et de vérifier si leurs décisions sont en accord avec nos attentes. Nous collaborons avec les entreprises afin d’améliorer leurs compétences en matière d’ESG ou nous les informons que le marché ne tient pas compte de certaines mesures positives qu’elles ont prises, en raison d’une divulgation insuffisante.
Figure 2 : Insuffler des changements positifs par la voie du dialogue
Source : RBC GMA.
Un exemple de dialogue fructueux est celui que nous avons mené avec un exploitant de réseau sans fil aux États-Unis à propos de multiples questions environnementales, en particulier ses objectifs fondés sur la science (cibles conformes aux objectifs de l’Accord de Paris : limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels et poursuivre les efforts pour limiter le réchauffement à 1,5 °C).
La société a cherché à réduire son empreinte carbone globale, de ses activités à sa chaîne logistique. En 2019, la société a collaboré avec l’initiative Science-based Targets (SBTi) afin de fixer deux cibles d’émissions fondées sur la science :
- la cible 1 consistait à réduire de 95 %, d’ici 2025, le total absolu des émissions de gaz à effet de serre visées par les périmètres 1 et 2 par rapport à 2016, l’année de référence ; et
- la cible 2 consistait à réduire de 15 %, d’ici 2025, les émissions de gaz à effet de serre par client visées par le périmètre 3 par rapport à 2016, l’année de référence.
La société T-Mobile a été le premier fournisseur de services sans fil américain à se fixer des cibles fondées sur la science. Or, non seulement la société a atteint ses cibles à la fin de 2021, mais elle les a surpassées quatre ans plus tôt que prévu. En 2021, la société a réduit ses émissions de GES des périmètres 1 et 2 de 96 % par rapport à 2020, et de 97 % par rapport à 2016. Elle a également réduit les émissions par client du périmètre 3 de 2 % par rapport à 2020, et de 16 % par rapport à 2016.
Bien que ces actions soient importantes pour parvenir à zéro émission nette, nous avons encouragé la société à ajuster ses objectifs du périmètre 3. La société a accepté la proposition et suggéré que de nouvelles initiatives seraient annoncées pour l’année à venir. Nous continuerons de surveiller les progrès de la société et de dialoguer avec la direction.
Ce dialogue permanent témoigne de notre responsabilité à titre d’investisseurs actifs et engagés. Nous voulons penser et agir en tant qu’actionnaires, et non seulement figurer parmi les noms du registre. Nous sommes engagés dans un partenariat entre la direction et les gestionnaires d’actifs, au nom des propriétaires réels ultimes des actions. Quoique parfois très discrets, ceux-ci s’attendent néanmoins à ce que les gestionnaires d’actifs qu’ils ont choisis agissent en qualité de fiduciaires.
De fait, nous cherchons à orienter les modèles d’affaires en travaillant de concert avec les sociétés concernées. À notre avis, nous incitons davantage au changement par le biais de la propriété active et du dialogue que par le biais du désinvestissement. Le désinvestissement envoie un message sociopolitique puissant, mais il nous enlève toute possibilité d’influer sur les changements futurs et d’avoir un impact social positif.
Cela dit, à plusieurs occasions nous avons choisi le désinvestissement. Nous avons par exemple investi dans un détaillant américain pour adolescents, mais après un certain temps, nous avons commencé à douter de la qualité des résultats financiers. En particulier, la liquidation de stocks nouvellement arrivés, jugés incompatibles avec les valeurs de la marque, a mis en évidence une éventuelle faiblesse des contrôles. Cette faiblesse a été confirmée par des signaux de surinvestissement lors de l’implantation dans de nouvelles régions, et par l’adoption de structures de prix insoutenables. Après avoir attiré l’attention de la direction sur ces problèmes à maintes reprises, nous avons engagé une discussion plus détaillée à l’approche de l’expiration du généreux contrat de travail dont bénéficiaient les directeurs. Nous avons été déçus de constater que malgré tous nos échanges, lorsque le nouveau contrat a été signé, nos préoccupations n’avaient aucunement été prises en compte. Nous avons été obligés de revoir notre opinion sur la gestion de la société et les critères ESG, ce qui a finalement conduit à notre désinvestissement.
Sources d’alpha
Le monde est devenu beaucoup plus « incorporel » au fil du temps : les actifs incorporels représentent désormais 90 % de l’indice S&P 500, contre 17 % à peine dans les années 1970. Une grande partie de ce capital est difficile à mesurer, et peu documentée. Nous pensons donc que le marché sous-estime souvent l’incidence des facteurs extrafinanciers des sociétés, ce qui crée des inefficiences qui peuvent être mises à profit.
Figure 3 : Essor de la valeur des actifs incorporels dans l’indice S&P 500
Source : Visualcapitalist.com.
En tant que spécialistes de la gestion active et de l’analyse fondamentale, nous possédons des compétences et une expérience particulières en matière d’analyse des inefficiences. Ces atouts nous placent en excellente position pour détecter des sources d’alpha différenciées.
Nous nous appuyons sur les critères ESG pour étudier les aspects spécifiques à une société, soit les caractéristiques qu’aucune autre société ne présente, afin d’identifier les sources de risque intentionnelles – c’est-à-dire le type de risque que nous souhaitons prendre, en tant que sélectionneurs de titres axés sur une approche ascendante.
Selon nous, dans le domaine de la gestion active et de l’analyse fondamentale, les profils de risque d’un portefeuille doivent essentiellement prendre en compte les risques propres aux actions, avec un niveau minimal de risque non intentionnel. Nous ne sommes pas adeptes d’un style de gestion particulier. Nous laissons à nos sociétés le soin de raconter leur histoire.
Conclusion
De plus en plus d’investisseurs se préoccupent non seulement des rendements de leurs placements, mais aussi des conditions dans lesquelles ils sont générés. Ils veulent être certains que leurs fonds ne servent pas à appuyer des activités commerciales qui ne correspondent pas à leurs valeurs personnelles.
Il ne fait aucun doute que les chiffres sont importants. Néanmoins, pour créer de la valeur, nous nous efforçons de rechercher les sociétés qui affichent de solides pratiques ESG et des modèles d’affaires prometteurs. En définitive, investir dans ces sociétés de qualité devrait générer une valeur à long terme pour les actionnaires, bien au-delà du rendement moyen des autres sociétés ou du marché.
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