Les perspectives des investisseurs en obligations semblent s’améliorer, les taux les plus élevés depuis 15 ans constituant un contexte favorable aux rendements des titres à revenu fixe au cours de l’année à venir.
Les obligations d’État américaines ont dégagé un rendement d’un peu plus de 3,0 % au cours des dix derniers mois, période au cours de laquelle les taux des obligations à dix ans n’ont pratiquement pas varié. Au cours des 12 prochains mois, nous prévoyons des rendements entre 5 % et 10 %, car les rendements sont accrus par la hausse des prix des obligations dans un contexte où l’inflation continue de ralentir et où les banques centrales semblent prêtes à amorcer l’abaissement des taux d’intérêt.
Selon nous, la menace d’une récession, qu’elle se concrétise ou non, incitera les banques centrales à réduire leurs taux d’intérêt au cours de la prochaine année. En outre, l’inflation redescend déjà pour se rapprocher de la cible de 2 % des banquiers centraux, ce qui milite en faveur d’une réduction des taux directeurs. Bien que nous prédisions une récession depuis la fin de 2022, celle-ci ne s’est pas matérialisée en raison d’une croissance bien plus forte que prévu aux États-Unis, qui a dynamisé les marchés boursiers et incité les banques centrales à poursuivre le relèvement des taux d’intérêt, même après une brève pause au printemps.
Pourquoi la croissance a-t-elle été aussi robuste ?
La première raison est que nous avons sous-estimé le plein effet des mesures de relance budgétaire et l’incidence de l’épargne accumulée dans la plupart des pays développés au cours de la pandémie. Les mesures de relance budgétaire ont été réduites, mais les incitatifs liés à la loi Inflation Reduction Act des États-Unis et les subventions dans le secteur de l’énergie dans la zone euro ont stimulé la croissance beaucoup plus que prévu.
Les gouvernements ont aussi mis beaucoup de temps à réduire les dépenses liées à la pandémie, et les consommateurs étaient très désireux de dépenser l’épargne accumulée. Habituellement, les consommateurs augmentent leur taux d’épargne pendant un moment après un ralentissement marqué de l’économie, en raison de leur perspective prudente à l’égard du monde. Ils ont plutôt dépensé leurs économies, et plus encore. Pour leur part, les gouvernements ont fait peu d’efforts pour réduire leurs propres dépenses et les déficits budgétaires restent remarquablement élevés.
Autre raison pour laquelle une récession a été évitée jusqu’à présent : l’économie semble moins sensible que dans le passé à la hausse des taux d’intérêt. Aux États-Unis, les sociétés ont profité des taux peu élevés pour s’assurer de bénéficier de coûts d’emprunt bas pendant des périodes exceptionnellement longues (figure 1), et les ménages contractent généralement des emprunts hypothécaires de très longue durée. Même la durée des prêts-auto a considérablement augmenté et peut maintenant atteindre dix ans.
Figure 1 : Émissions de titres de créance exceptionnellement longs en période de faibles taux
Obligations, durée moyenne pondérée jusqu’à l’échéance (années)
Nota : Données au 31 décembre 2021. Source : Indice Bloomberg Barclays U.S. Corporate Bond
Cela signifie que les coûts d’emprunt des entreprises et des ménages augmentent beaucoup plus lentement, étant donné qu’une plus petite partie de leur dette est renouvelée chaque année. L’incidence des hausses de taux d’intérêt est donc répartie sur une plus longue période et leur effet est atténué par la croissance des bénéfices (des entreprises) et des revenus (des ménages). Les reports de paiement accordés par les prêteurs ont aussi surpris. Au Canada, de grandes banques ont permis à certains emprunteurs hypothécaires de prolonger les périodes d’amortissement de plusieurs décennies afin de maintenir les versements à des niveaux raisonnables.
L’assouplissement quantitatif a aussi réduit la sensibilité de l’économie au relèvement des taux en diminuant les placements en obligations des banques et, par conséquent, leur exposition aux pertes liées à la hausse des taux d’intérêt. Grâce à des placements plus modestes en obligations, les banques ont été en mesure de mieux soutenir leurs activités de prêt que si leurs placements en obligations avaient été plus importants. Certes, la faillite de plusieurs banques américaines d’importance indique que le recul des portefeuilles d’obligations a encore eu une incidence cette fois-ci, mais en l’absence de l’assouplissement quantitatif, la situation aurait été bien pire.
Nous restons d’avis que le rythme rapide et l’ampleur considérable des hausses de taux d’intérêt au cours des 18 derniers mois suffiront à ramener l’inflation à 2 % et à entraîner un ralentissement de l’activité économique. À mesure que les effets décalés de la politique monétaire commencent à se faire sentir, nous observons déjà des signes de ralentissement de l’économie. L’inflation s’est sensiblement apaisée, et les risques d’un resserrement monétaire exagéré sont bien plus élevés aujourd’hui.
Même si l’inflation reste supérieure à 2 %, son taux est moins élevé qu’au milieu de 2022, alors que les prix augmentaient à leur rythme le plus rapide depuis les années 1980 (figure 2). La vigueur du marché du travail, qui représente, selon les banques centrales, un facteur clé lié au risque d’une inflation obstinément trop élevée, s’est aussi atténuée. Pour leur part, les consommateurs et les entreprises devraient aussi ressentir le plein effet des hausses de taux. Les versements des Canadiens titulaires d’un emprunt hypothécaire pourraient augmenter de 20 % ou même davantage lorsqu’ils renouvelleront ces emprunts.
Figure 2 : Ralentissement de l’inflation
Données ajustées pour tenir compte des différences entre les pays lors du calcul de l’inflation
Nota : Données au 30 août 2023. Source : Bureaux nationaux de statistique
Dans l’ensemble, nous croyons que la période de résilience économique soutenue et de taux directeurs très élevés prendra fin en 2024, et ce point de vue est conforme aux indicateurs du marché obligataire. L’inversion de la courbe de rendement témoigne de la conviction des investisseurs qu’un ralentissement économique est imminent et qu’il est peu probable que les taux directeurs restent élevés. Le fait que les banques centrales aient relevé les taux d’intérêt de centaines de points de base au cours de la dernière année reflète le caractère marqué de l’inversion, étant donné que les taux des obligations à long terme sont demeurés inchangés (figure 3).
Figure 3 : Les taux des obligations d’État n’ont pas augmenté de pair avec les taux directeurs
Variations respectives depuis octobre 2022
Nota : Données au 30 août 2023. Source : Bloomberg
Les inversions de la courbe de rendement, lorsque les taux des obligations à long terme sont inférieurs aux taux des obligations à court terme, ont laissé présager chaque récession aux États-Unis depuis 1945, et il est peu probable qu’il en soit autrement cette fois-ci. Habituellement, l’inversion de la courbe de rendement se produit entre six mois et deux ans avant le début d’une récession. Or, la courbe de rendement est inversée depuis juillet dernier, à peine six mois après la première hausse de taux par la Réserve fédérale américaine (Fed). Selon les données historiques, il est probable qu’une récession survienne au cours de la prochaine année..
Selon nous, la plupart des banques centrales ont probablement décrété leurs dernières hausses de taux. Nous pensons que le ralentissement de la montée des prix et le regain d’équilibre du marché du travail donneront aux décideurs la confiance nécessaire pour abaisser des taux directeurs très restrictifs, ce qui dynamisera les rendements des obligations. Au cours de la prochaine année, le thème dominant sur le marché obligataire sera probablement le sommet des taux directeurs et obligataires. Selon la plupart de nos paramètres d’évaluation, les obligations sont bon marché et nous prévoyons que les rendements au cours de la prochaine année seront bien soutenus par les revenus d’intérêts et la hausse des cours, alors que les banques centrales amorceront la réduction des taux directeurs.
Certains investisseurs ont de bonnes raisons de craindre que l’incidence à long terme du piètre état des finances publics nuise aux obligations, et que les investisseurs exigent des rendements plus élevés en contrepartie du risque plus élevé de défaut. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les déficits des gouvernements demeurent très importants dans la plupart des pays.
Nous écrivons au sujet de ce risque depuis un certain temps déjà. La situation budgétaire dans de nombreux pays semble particulièrement précaire par rapport aux données historiques. Ainsi, aux États-Unis, la dette publique par rapport à la taille de l’économie devrait croître rapidement jusqu’au milieu du siècle. Cette tendance pourrait inciter les investisseurs à faire des comparaisons avec la crise de la dette européenne du début des années 2010. Selon nous, la situation aux États-Unis est bien différente. Au pays de l’Oncle Sam, le fardeau fiscal est très léger, et contrairement aux pays européens qui ont été confrontés à des frais d’intérêts énormes et qui étaient déjà fortement imposés, les États-Unis disposent d’une marge de manœuvre considérable pour accroître leurs revenus et rajuster l’assiette fiscale pour tenir compte de l’expansion de l’empreinte gouvernementale.
Dans l’ensemble, nous croyons que les préoccupations concernant les déficits publics des pays développés sont exagérées. Bien que la dette et les déficits publiques soient préoccupants, les taux obligataires sont davantage susceptibles d’être touchés au cours de la prochaine année par le ralentissement de l’inflation et de la croissance que par les préoccupations à long terme concernant la probité budgétaire.
Orientation des taux
États-Unis
En juillet, la Fed a relevé la fourchette cible du taux des fonds fédéraux pour l’établir entre 5,25 % et 5,50 %, après s’être abstenue de modifier les taux en juin. Cette décision de la Fed était conforme à notre opinion, selon laquelle l’inflation était encore trop élevée et le marché du travail, trop serré. Nous ne prévoyons qu’une seule hausse de plus de la part des décideurs pour le cycle actuel, probablement en novembre. La chute de l’inflation, malgré le rythme de croissance économique remarquablement soutenu, signifie que le risque d’un resserrement monétaire exagéré est maintenant plus élevé. Bien que le recul de l’inflation devrait éliminer la nécessité d’un resserrement beaucoup plus prononcé, la robustesse de la croissance signifie que la Fed maintiendra probablement les taux à des niveaux élevés jusqu’au milieu de l’année prochaine, avant d’amorcer l’abaissement des taux. Au moment d’écrire ces lignes, les taux des obligations à long terme aux États-Unis augmentaient rapidement, en raison des craintes concernant les perspectives budgétaires défavorables dans ce pays.
Comme nous l’avons déjà mentionné, bien que les perspectives budgétaires à long terme soient mauvaises, nous croyons que le gouvernement américain dispose d’une marge de manœuvre considérable pour accroître ses revenus grâce à des hausses d’impôt. Les décideurs pourraient, bien sûr, réduire les dépenses pour les ramener à un niveau plus conforme aux niveaux d’avant la pandémie. Chaque fois que de tels rajustements se produisent, ils sont susceptibles d’entraver la croissance à court et à moyen terme, faisant diminuer les taux et grimper les prix des obligations. Nous nous attendons à ce que la fourchette cible du taux des fonds fédéraux se situe entre 4,50 % et 4,75 % dans un an, et à ce que le taux des obligations du Trésor américain à dix ans recule, passant de son niveau actuel de 4,30 % à 3,50 %.
Zone euro
La Banque centrale européenne (BCE) a relevé les taux d’intérêt de 0,25 % à chacune de ses réunions de juin et de juillet pour porter le taux des dépôts à 3,75 %. La forte demande d’obligations d’État européennes, en particulier celles de pays fiscalement plus faibles comme l’Italie, a incité les décideurs à se concentrer sur la maîtrise de l’inflation. Celle-ci reste bien trop élevée, mais la désinflation semble avoir fait son apparition dans la majeure partie de la zone euro. Il semble que le cycle actuel de relèvement des taux en Europe pourrait prendre fin beaucoup plus tôt que ne le prévoyaient la plupart des investisseurs.
Pas plus tard qu’en mai, les investisseurs croyaient que les taux directeurs à long terme d’Europe pourraient grimper aussi haut que ceux des États-Unis. Nous ne pensions pas que ce scénario se concrétiserait, étant donné que le potentiel de croissance économique de l’Europe est vraisemblablement beaucoup plus modeste que celui des États-Unis et que la région exige par conséquent des taux directeurs moins élevés de la part de la banque centrale. L’économie européenne est aussi plus sensible à la hausse des coûts d’emprunt que celle des États-Unis, ce qui nous porte à croire que le ralentissement économique pourrait se produire plus rapidement et être plus prononcé. Au cours des six derniers mois, l’économie allemande a donné des signes de faiblesse, s’étant contractée deux trimestres de suite. L’activité manufacturière est aussi remarquablement faible, en partie en raison de l’absence du rebond attendu de la croissance chinoise, et l’activité des services semble maintenant susceptible de ralentir. Par ailleurs, les craintes que les taux élevés de syndicalisation en Europe ne fassent grimper l’inflation en raison d’importantes ententes salariales semblent infondées.
Nous prévoyons que la BCE ne décrétera plus qu’une hausse de taux, à 4,00 %, avant de ramener les taux à 3,25 % à compter du milieu de l’année prochaine. Dans ce contexte, nous prévoyons que le taux des obligations d’État allemandes à dix ans atteindra 2,60 %.
Japon
La Banque du Japon a surpris les marchés en resserrant sa politique monétaire à sa réunion de juillet, conformément à nos attentes d’un éventuel durcissement de sa politique monétaire exceptionnellement accommodante. Contrairement à ses homologues des marchés développés, qui ont resserré leurs politiques au rythme le plus rapide depuis des décennies, la Banque du Japon s’était abstenue, jusqu’à juillet, de procéder à un resserrement marqué. Contrairement à ce qui s’est passé dans les autres pays, l’inflation au Japon n’a pas ralenti. En raison de la plus longue période d’inflation persistante et de l’inflation la plus élevée depuis les années 1990, les anticipations inflationnistes s’intensifient rapidement, augmentant le risque que la hausse des prix puisse s’enraciner à un taux plus élevé que ne le souhaite la Banque du Japon.
Les changements apportés à la politique de contrôle de la courbe de rendement de la Banque du Japon, qui depuis huit ans a maintenu l’écart entre les taux à court terme et à long terme dans une fourchette étroite, pourraient avoir d’importantes répercussions sur les marchés obligataires mondiaux. Grâce à ces rajustements, les taux d’intérêt japonais ont pu augmenter, rendant les obligations étrangères moins attrayantes pour les investisseurs nippons et supprimant possiblement un important acheteur d’obligations mondiales. En fait, les investisseurs japonais ont été de grands vendeurs d’obligations étrangères pendant un certain temps, en raison des coûts de couverture de la monnaie punitifs, et ils se sont rendu compte que les taux d’intérêt au Japon ne pouvaient rester éternellement près de zéro. Nous prévoyons un resserrement accru de la politique monétaire au cours de la prochaine année, et l’augmentation du taux du financement à un jour par-dessus la barre de 0 % pour la première fois depuis 2016, à 0,10 %. Le taux des obligations d’État japonaises à dix ans devrait aussi augmenter, passant de 0,60 % au moment d’écrire ces lignes à environ 0,75 %.
Canada
Après avoir interrompu le relèvement des taux d’intérêt pendant cinq mois, la Banque du Canada s’est remise à hausser son taux directeur en juin et juillet, portant celui-ci à 5 % pour la première fois depuis 2001. La vigueur de la demande et la persistance de l’inflation, attribuables en grande partie à la croissance démographique solide, ont motivé cette décision. La Banque du Canada ne s’attend pas à ce que l’inflation revienne à sa cible de 2 % avant le milieu de 2025, soit environ deux trimestres plus tard que ce qu’elle prévoyait en avril. L’immigration, la vigueur des marchés du travail et l’épargne des ménages accumulée pendant la pandémie continuent de soutenir la forte demande et contribuent à compenser la montée de l’inflation et des taux hypothécaires. Cela dit, les dépenses de consommation diminuent à mesure que les coûts du service de la dette augmentent, une tendance qui se poursuivra et qui devrait même s’accélérer. Le resserrement des conditions de crédit et les perspectives de ralentissement de la croissance économique commencent à entraver les investissements des entreprises. Nous prévoyons que le taux directeur demeurera à 5,0 % pour le reste de 2023. En 2024, nous nous attendons à ce que la banque centrale réduise son taux directeur à 4,25 % d’ici l’automne. Selon nous, le taux des obligations d’État canadiennes à dix ans s’établira à 3,00 % au cours des 12 prochains mois.
R.-U.
Nous prévoyons que la Banque d’Angleterre mettra fin au resserrement de sa politique monétaire avant la fin de l’année, alors les taux culmineront à 5,75 %. Au cours des prochains mois, les décideurs porteront leur attention au-delà du plafonnement des taux, et nous sommes d’avis que la Banque d’Angleterre réduira les taux en 2024, étant donné la détérioration de la situation financière des ménages en raison de la hausse des coûts d’intérêts et du ralentissement de l’activité économique. À mesure le rythme de renouvellement des emprunts hypothécaires à taux fixe s’accélère, la consommation des ménages devrait ralentir. L’incidence de la hausse des taux hypothécaires sur les emprunteurs sera très marquée, et certains Britanniques qui renouvelleront leur emprunt hypothécaire de 25 ans pourraient voir leurs versements mensuels augmenter de 50 %. Bien que nous nous attendions à ce que l’activité économique soit faible, l’inflation demeure au-dessus de la cible de la Banque d’Angleterre, et ce fait tendra à soutenir les taux et à empêcher la Banque de soutenir l’activité réelle autant qu’elle le souhaiterait. .
La trajectoire vers une baisse des taux fait face à un obstacle de taille, étant donné les préoccupations des investisseurs à l’égard de la crédibilité du Trésor du Royaume-Uni. La détérioration des finances publiques et la probabilité d’une hausse des émissions au cours des prochains mois pourraient inciter les investisseurs à exiger des primes de rendement plus élevées. Les coûts du service de la dette représentent actuellement 4 % du PIB, soit le double de 2020 et le niveau le plus élevé depuis 20 ans. La hausse est particulièrement importante en raison de la compensation de l’inflation versée à l’égard des obligations d’État dont les paiements sont liés à l’évolution des prix. Cette situation est propre au Royaume-Uni, où un pourcentage important des obligations d’État est lié à de tels changements. Nous prévoyons que le taux d’intérêt directeur britannique glissera à 5,25 % au cours des 12 prochains mois et que le taux des obligations à dix ans chutera à 4,25 %.
Perspectives régionales
Compte tenu de la plus grande résilience économique des États-Unis par rapport au reste du monde, nous recommandons de sous-pondérer les obligations du Trésor et de surpondérer les obligations d’État allemandes.
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