Quel est le moteur de l’investissement responsable ?
Devoir fiduciaire
La question du devoir fiduciaire est au centre de nombreuses discussions sur l’investissement responsable. À mesure que le domaine de l’investissement responsable s’est développé et que les investisseurs cherchent à mieux comprendre les incidences des critères ESG sur leurs placements, une question clé est apparue : l’intégration des critères ESG est-elle compatible avec le devoir fiduciaire des gestionnaires d’actifs envers leurs clients ?
Pour les répondants aux sondages de RBC GMA, il ne fait guère de doute : la plupart citent le devoir fiduciaire comme la raison d’intégrer les critères ESG dans leurs processus de placement. En 2021, 57 % de tous les investisseurs ont cité le devoir fiduciaire comme étant un facteur de décision, et celui-ci s’est classé parmi les deux principaux facteurs depuis 2018.
Les Principes pour l’investissement responsable (PRI) des Nations Unies sont cohérents. Ils définissent le devoir fiduciaire comme l’obligation d’« intégrer tous les vecteurs de valeur, y compris les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, dans la prise de décisions d’investissement »1.
Cependant, de nombreux répondants au sondage ont aussi invoqué le devoir fiduciaire comme raison de ne pas recourir aux stratégies ESG. La proportion de répondants américains affirmant que la prise en compte des critères ESG est incompatible avec le devoir fiduciaire a augmenté au cours de quelques années, tandis qu’en Europe, elle a chuté de façon spectaculaire, passant de 50 % en 2019 à zéro en 2021.
Rôle du devoir fiduciaire dans la mise en oeuvre des critères ESG
2021
57 % de tous les investisseurs ont cité le devoir fiduciaire comme étant un facteur de décision, et celui-ci s’est classé parmi les deux principaux facteurs depuis 2018
C’est le reflet direct des différences politiques régionales qui se sont produites ces dernières années. Les débats se poursuivent aux États-Unis, où certains États prennent des mesures pour faire la distinction entre les critères ESG et le devoir fiduciaire. En Floride par exemple, le Conseil d’administration de l’État a adopté une résolution interdisant aux gestionnaires de fonds de l’État de tenir compte des critères ESG dans leurs stratégies de portefeuille, tout en mettant à jour leurs devoirs fiduciaires pour qu’ils tiennent uniquement compte de considérations financières2.
En revanche, l’Union européenne a adopté une approche bien différente. Dans ce contexte, le débat s’oriente plus sur la manière de mettre en oeuvre les aspects du développement durable et des critères ESG, et non sur la question de savoir si ces aspects ont lieu d’exister avant toute chose. Pendant la seule année 2022, les initiatives législatives ont renforcé les obligations d’information pour les intervenants des marchés financiers et les entreprises de l’UE en vertu du Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFRD) (un sujet développé ci-après), et des règlements visant à créer une norme des obligations vertes au sein de l’UE.
Ces décisions ont intensifié le débat public sur les répercussions des critères ESG sur le rendement financier. Les recherches visant à comprendre la relation précise entre le rendement des placements et les diverses stratégies liées aux critères ESG se poursuivent. En effet, plusieurs études ont montré qu’une fois correctement appliqués, les critères de durabilité peuvent améliorer les rendements des portefeuilles de placements, ce qui concorderait avec le devoir fiduciaire3,4. Nous examinerons plus en détail le lien avec le rendement à la Le rendement compte.
Changements climatiques
Au cours des cinq dernières années, les événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et intenses ont démontré que les changements climatiques ont des effets physiques importants sur la planète.
Des incendies dévastateurs dans l’ouest du Canada, en Californie et en Australie, des inondations en Europe et en Asie, de grosses tempêtes et vagues de chaleur ont fait de nombreuses victimes et causé beaucoup de dégâts.
La hausse des températures moyennes menace de rendre inhabitable des régions importantes de la planète. D’après les recherches de la Banque mondiale, plus de 143 millions de personnes en Afrique subsaharienne, en Asie méridionale et en Amérique latine pourraient être déplacées à cause de problèmes liés aux changements climatiques d’ici 20505.
Pour faire face à ces risques, les mesures gouvernementales et politiques sur les changements climatiques se sont accélérées. En novembre 2021, la conférence sur le climat (COP26) a vu plus de 190 pays se réunir et signer un certain nombre d’accords mondiaux pour promouvoir les causes environnementales et climatiques. Les objectifs climatiques fixés lors de la conférence COP26 marquent notamment le premier engagement des pays à s’entendre pour que l’augmentation de la température soit inférieure à 2 °C6. Dès lors, les pays s’efforcent de traduire ces engagements en plans de transition sectoriels, en politiques gouvernementales et en actions concrètes, qui peuvent tous avoir des implications financières importantes pour les portefeuilles des investisseurs. Pour en savoir plus sur ce sujet, veuillez consulter les perspectives de RBC GMA ici.
L’attitude des investisseurs témoigne de la prise en compte de cette réalité : au cours des trois dernières années, les changements climatiques ont toujours été l’une des principales préoccupations des répondants au sondage sur l’investissement responsable de RBC GMA.
Principales préoccupations liées aux critères ESG

2019
Cybersécurité
Changements climatiques
Lutte anticorruption
2020
Lutte anticorruption
Changements climatiques
Droits et vote des actionnaires
2021
Lutte anticorruption
Cybersécurité
Changements climatiques
Politique
L’adoption des investissements en fonction de critères ESG varie en fonction de la géographie et du ressort juridique, et a été fortement influencée par la politique et la réglementation.
Des pays comme la Suède, le Danemark et la Norvège ont ouvert la voie d’un côté de l’éventail, en visant à faire concorder les investissements avec les objectifs d’environnement durable et d’impact. Les investisseurs institutionnels ont alloué d’importantes sommes de capital à des entreprises exerçant leurs activités dans le domaine des énergies renouvelables et ont rendu leurs portefeuilles conformes aux normes internationales telles que les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies (voir ici).
Aux États-Unis, les investissements en fonction de critères ESG ont été politisés, et ont ainsi entraîné des changements politiques importants en un laps de temps relativement court. Peu après son élection en 2016, le président Donald Trump a retiré les États-Unis de l’Accord de Paris, et le débat s’est intensifié sur la question de savoir si la définition juridique du devoir fiduciaire inclut les critères ESG ou le développement durable.
Alors que les États-Unis ont rejoint l’Accord de Paris et que plusieurs politiques liées aux critères ESG ont commencé à être inversées avec le changement d’administration en 2021, le pays reste divisé.

L’UE et le SFDR
Les modifications de la réglementation ont fortement influencé le comportement des investisseurs. Près de la moitié (45 %) des répondants européens au sondage de RBC GMA de 2021 ont indiqué que la réglementation gouvernementale était l’une des principales raisons de l’intégration des critères ESG dans leurs portefeuilles de placement, et que, compte tenu des exigences réglementaires croissantes pour les investisseurs en Europe, cette situation pourrait se renforcer au cours des prochains sondages.
Répondants ayant choisi comme raison la « réglementation gouvernementale » pour intégrer les critères ESG à l’approche de placement
(total des réponses en 2021)
19%
45%
6%
6%
13%
L’Europe est largement considérée comme le pionnier de l’élaboration et de l’adoption de l’investissement responsable. D’après les réponses que nous avons reçues à notre sondage mondial au cours des cinq dernières années, les investisseurs européens se sont toujours classés au premier rang en ce qui a trait à l’inclusion des critères ESG dans leur approche de placement et leur prise de décision, avec une moyenne de 90 % par rapport à 71 % pour l’ensemble des réponses.
Une grande partie de ce travail a été influencée par l’élaboration d’un certain nombre de règlements en Europe et au Royaume-Uni. À titre d’exemple, le Règlement sur la publication d’information en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFRD), mis en place en 2021, a accru la responsabilité des secteurs des services financiers et de la gestion d’actifs. Au Royaume-Uni, le gouvernement a commencé à développer sa propre taxonomie dans le même objectif, la mise en oeuvre de celle-ci devant commencer au début de 2023, selon le Green Technical Advisory Group du pays7. Une des conséquences de cette situation est que les fonds d’investissement des ressorts juridiques visés doivent maintenant satisfaire à des critères stricts avant de pouvoir commercialiser des produits « durables » ou « verts ».
Des travaux similaires sont entrepris dans le monde entier. À titre d’exemple, aux États-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) a publié fin mai 2022 une proposition de règlement qui énonçait les exigences relatives aux fonds qui se qualifiaient eux-mêmes de « verts », « durables » ou ont un qualificatif similaire.8
Au Canada, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié en janvier 2022 des indications sur les pratiques d’information des fonds d’investissement au sujet des critères ESG, surtout ceux dont les objectifs de placement mentionnent des facteurs ESG ainsi que ceux optant pour des stratégies ESG. L’objectif de ces informations dans le monde entier est clair : assurer la transparence pour les investisseurs et les bénéficiaires.9
Facteurs sociaux
Les vents du changement social soufflent plus fort. Au cours des dernières années, les institutions et les gouvernements ont de plus en plus été sollicités pour s’attaquer aux inégalités et aux pratiques discriminatoires à l’égard des femmes, des minorités raciales, des personnes handicapées et de la communauté LGBTQ+.
La pandémie a permis de mettre en lumière les inégalités sociales et, dans bien des cas, d’imposer le télétravail et des fermetures économiques partielles qui ont exacerbé ces inégalités10.

Les vents du changement social soufflent plus fort
D’autres événements ont fait progresser la diversité et l’inclusion dans les programmes des entreprises, de la réglementation et sur le plan social. Aux États-Unis, en 2020, des manifestations de masse contre les préjugés raciaux et les inégalités ont revitalisé le mouvement Black Lives Matter et souligné l’importance de la diversité et de l’égalité tant pour les financiers que pour les gens ordinaires
Au Canada, le rapport 2015 de la Commission de vérité et réconciliation comprenait un appel à l’action pour que les entreprises canadiennes s’engagent activement auprès des communautés autochtones. Depuis lors, de nombreuses entreprises ont amélioré leur approche du développement, mais il reste encore beaucoup à faire, selon un rapport de 2021 sur le rôle du secteur canadien de l’investissement responsable dans le bien-être des peuples autochtones. Les auteurs du rapport ont exhorté les « acteurs économiques » de « s’attaquer aux inégalités sociales et au racisme systémique afin de contribuer à une croissance inclusive qui crée des occasions pour tous »11.
Du point de vue de l’investissement, de plus en plus de données démontrent que des groupes de direction plus diversifiés permettent aux entreprises et à la main-d’oeuvre d’obtenir de meilleurs résultats. Des recherches menées par McKinsey ont montré que les paramètres de diversité sur le plan de la race, de l’ethnie et du genre sont corrélés aux rendements financiers ; de ce fait, des conseils d’administration et des équipes de direction diversifiées seront plus à même d’améliorer le rendement financier12, 13. Par conséquent, les travaux visant à améliorer la diversité au sein des conseils d’administration sont bien en cours. En 2020, 67 % des résolutions relatives à la diversité aux assemblées générales annuelles américaines et canadiennes ont reçu l’appui de la majorité, avec une moyenne de 59 % des votes favorables14.